Éloge d’Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré

Cela fait longtemps que je parle d’écrire sur Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré. À tel point que pour celles à ceux à qui j’en parle depuis des mois risquent de trouver ce billet un rien décevant. Mais puisque le livre devrait très bientôt être réédité (le site annonce fin janvier depuis des mois, nous sommes en février), voici quelques mots.

Les images illustrant ce billet sont tirées du site de Monstrograph.

J’avais acheté Éloge des fins heureuses alors que je faisais une commande à Monstrograph, j’avais été fasciné par le fanzine Tu vas rater ta vie et personne ne t’aimera jamais, de Martin Page, et avait donc découvert la petite structure qu’il tient avec Coline. J’avais aimé le titre d’Éloge et l’avait commandé avec curiosité mais sans plus. La lecture a été plaisante mais, surtout, m’a un peu secoué. Puis je suis passé à autre chose.

L’an dernier Monstrograph a été largement mis sur le devant de la scène après le succès d’Au-delà de la pénétration, de Martin Page, et, surtout, la polémique liée à la publication de Moi, les hommes, je les déteste, de Pauline Harmange. Les deux livres ont fait couler beaucoup d’encre, aidé par des imbéciles tentant de les censurer contre toute logique. Ils sont depuis réédités chez des éditeurs moins artisanaux que Monstrograph, où tout est fait quasi manuellement. Les débats particulièrement vifs qui ont suivi la publication du Harmange (un livre tout à fait recommandable) ont fait pas mal parler de la petite maison d’édition, parfois en en faisant la structure du seul Martin Page, une classique invisibilisation un rien ironique. Coline Piérré, coéditrice et autrice, y a donc publié l’Éloge des fins heureuses en 2018, il mérite tout autant de bruit (pas besoin de la fureur) que ses camarades de catalogue.

Il est très difficile d’écrire un texte intéressant sur Éloge des fins heureuses pour la simple et bonne raison que le texte est court (96 pages) et particulièrement clair. Il n’y a pas de verbiage ou de mot en trop, les idées sont avancées dans une parole excessivement limpide, brassant pourtant de multiples idées.

Autrice pour la jeunesse, Coline Pierré décrit entre autres combien les romans pour enfants ou adolescents portent toujours en eux cette part d’ouverture heureuse. Il semble logique, à ces âges, d’offrir des récits d’apprentissages, des traversées parfois rudes, mais des débouchées un minimum optimiste. Un classique qui amène souvent à voir la littérature jeunesse au mieux comme naïve, au pire comme incapable de subtilité. Car la subtilité est dans la noirceur, le poète romantique (le brun ténébreux ?), dans les pleurs que l’on arrache et qui apprennent que non, « la vie n’est pas comme dans les romans/films ». Pourtant, nombre de romans classiques finissent mal. C’est à n’y rien comprendre.

Le discours de réhabilitation de la littérature jeunesse et de ses fins heureuses porté par Coline Pierré n’est pas un discours corporatiste, il affirme une ligne et une vision du monde à élargir bien au-delà de la jeunesse. En réservant uniquement le bonheur conclusif aux enfants, on inscrit au fer rouge son impossibilité pour la suite de la vie. Après s’être fait plaisir, il est temps de devenir adulte et d’admettre que rêver est une perte de temps. Outre que c’est une bien triste vision de l’âge adulte (j’ai adoré mon lycée mais sans doute plus ma vie de trentenaire que de collégien), elle est éminemment conservatrice. Ce mépris des fins heureuses « non subtiles » de la littérature jeunesse ou du récent « young adult » n’est au fond qu’un discours bien connu décrétant qu’il n’y a pas d’alternative. Et franchement, je n’ai aucune envie de lire une histoire de Margaret Tatcher.

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Mon premier instinct quand j’ai voulu écrire sur ce livre était de creuser cette ligne, de dire que sans le vouloir Éloge des fins heureuses était un livre puissamment politique. Sauf que je l’ai relu et que le livre le veut parfaitement. Le projet politique y est écrit noir sur blanc (avec le gros mot « politique ») : on veut des comédies musicales (et pas à la La la la land), on veut des utopies qui ne se terminent pas sur l’écrasement de l’espoir, on veut des fictions qui assument de pouvoir changer le monde. Comment pourrait-on attendre des lecteurs qu’ils y aspirent si on leur rentre au burin dans le crâne que tout est voué à l’échec ? Attention, Pierré ne professe pas un chemin sans obstacle, l’apprentissage peut être cahoteux, mais des lectures qui redonnent espoir plutôt qu’elles enfoncent la tête sous l’eau.

La posture de l’écrivain vivant dans le malheur, tirant son talent de son attitude (auto)destructrice, de l’alcool, du génie « ombrageux » (terme cachant souvent un personnage violent et abusif), est très régulièrement décrite. Elle fait partie de la mythologie : il faut être pauvre, seul et frigorifié pour sortir un chef d’œuvre, et qu’importe si Proust et Flaubert étaient rentiers. L’autrice parle donc au passage de son histoire intime dans d’intéressantes digressions (toujours dans un texte extrêmement bref, je vous l’avais dit que c’était dense) et, toute introvertie qu’elle soit, nous dit qu’on peut être heureux et écrire. Cette triste mythologie, qui se résume souvent à de la complaisance, est dramatiquement courante, et pas qu’en fiction. Il y a quelques mois sur twitter je voyais encore une doctorante expliquer qu’un de leur professeurs leur indiquait que si ses thésards ne faisaient pas au moins une dépression durant leurs années de recherche, c’est qu’ils n’étaient pas assez investis. Moi qui viens de débuter mon doctorat après des années d’attente et d’envie, j’avais juste envie de crier « Désolé, mais j’aurai le doctorat heureux ! » Le livre de Coline Pierré n’y était pas pour rien.

Parmi mes livres favoris restent pourtant des monuments de tristesse et de violence – la trilogie des jumeaux d’Agota Kristof occupant à elle seule mon podium personnel. Bon. Nous sommes tous pétris de contradictions. Et l’on n’efface pas des décennies de glorification du drame en un claquement de doigt. Mais depuis ma rencontre avec la provocatrice poétique du bonheur d’Éloge des fins heureuses les choses sont un tant soit peu différentes, et c’est sans honte qu’en littérature comme dans la vie (et dans mon engagement politique) j’assume de rêver en grand. La fin heureuse n’arrive pas seule, elle se construit, elle s’espère et, avant cela, il faut déjà l’imaginer possible.

Pour lire, acheter, offrir, diffuser Éloge des fins heureuses, et le re-épuiser quand il sera enfin redisponible c’est sur la boutique de Monstrograph.

Une réponse sur “Éloge d’Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré”

  1. Merveilleux article !
    Moi aussi Eloge des fins heureuses m’a bouleversé. Ce texte confirmait ce que je pensais depuis des années — et je me sentais bien seule (même si c’est aussi ce que disent Dominique Fernandez et Charles Dantzig dans certains de leur texte). Ce texte m’a tellement enthousiasmé (y compris la justesse de ce qu’elle dit sur les conséquences politiques) que j’étais incapable d’en faire un résumé sur mon blog (ce que vous arrivez à faire) et que j’ai surtout fait des citations de longs passages (avec l’accord de Coline Pierré). Je crois qu’on devrait fonder un fan club de ce texte. Voir un club tout court : « Le club des fins heureuses ».

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