Histoire : Le Parti égalité

L’actualité n’est pas pauvre en ce moment, mais entre les candidatures à la chefferie du PQ qui continuent, l’austérité toujours plus grande des libéraux et les bilans de fin d’année des ministres, il y a comme une impression de redondance. L’objectif de ce blog étant de ne pas répéter ce qui est dit partout, j’ai eu envie de faire un bon en arrière et de parler d’Histoire. Tout comme il me semble important de jouer le jeu comparatif Québec/France dans mes analyses, il m’apparaît essentiel d’avoir un peu de recul historique pour mieux saisir ce qui existe aujourd’hui. Pour cette première note historique je vais vous brosser le portrait d’un parti défunt et assez original dans son positionnement : le Parti Égalité.

Naissance du parti

À la fin de la 31e législature (1976-1981) il y a cinq partis représentés à l’Assemblée Nationale (Parti Libéral du Québec, Parti Québécois, Union Nationale, Ralliement Créditiste et le Parti national populaire), les élections de 1981 ballayeront cette diversité en instaurant le nouveau bipartisme PQ/PLQ et en rayant l’Union Nationale, ancien grand parti conservateur, de la carte. L’élection suivante (1985) confirmera ce bipartisme, le libéral Robert Bourrassa devenant premier ministre, largement majoritaire avec ses 99 députés face aux 23 péquistes formant l’opposition. Autant dire que l’ambiance est au PLQ triomphant.

Seulement, le PLQ – surtout à cette époque – reste un parti plus “à gauche” que les anciens conservateurs. Surtout, le PLQ revendique la particularité du Québec dans le Canada et contient encore plusieurs membres réellement indépendantistes*, Bourrassa doit donc jongler entre son fédéralisme clair et la revendication nationale des Québécois. Il va donc négocier les accords du Lac Meech, qui vise à faire adhérer le Québec à la Constitution Canadienne en échange de plusieurs concessions comme la reconnaissance de la « Société distincte » Québécoise. Les accords échouent mais marquent les esprits. Bourassa va aussi faire adopter la  « clause nonobstant », qui a permet au Québec d’outrepasser des lois fédérales et de conserver l’intégralité de la Charte de la langue française, notamment l’affichage unilingue.

C’est dans ce contexte que le Parti Égalité est fondé en avril 1989, quelques mois avant les élections générale. Son nom pourrait le faire passer pour un parti de gauche**, ce qui serai une grave erreur. En effet, outre l’égalité linguistique, le PÉ défendra une ligne clairement conservatrice. Mais en 1989 ce sont les questions identitaires qui sont essentielles, et elles jouent à plein, le programme du parti demande notamment :

  • L’affirmation du droit de demeurer Canadien en cas d’indépendance du Québec ;
  • L’obligation de consulter tous les Canadiens et non seulement les Québécois sur un éventuel référendum de partition ;
  • L’abrogation de la 101 (Charte de la langue française imposant le français comme seule langue officielle) ;
  • L’autorisation pour tout Québécois de mettre ses enfants dans une école anglophone (depuis le premier gouvernement péquiste, seuls les enfants d’anglophones ont ce droit) ;
  • La ratification immédiate de la Constitution Canadienne ;
  • Le rejet de la reconnaissance du Québec comme  « Société distincte » ;
  • Une  « responsabilité fiscale »  à tous les échelons, ce qui pourrait se traduire par  « moins d’impôts et moins de fonctionnaires ».

Fort de ce programme très ciblé, le PÉ présente dix-neuf candidats aux élections provinciales de septembre 1989 et, à la surprise générale, obtiennent quatre députés et manquent de peu d’en faire élire cinq autres.

 Les députés du Parti Égalité

atkison cameron
Gordon Atkinson& Neil Cameron

Si le PÉ ne s’attendait sans doute pas à un tel résultat dès le départ, les terres d’élections des députés restent peu surprenantes : il s’agit à chaque fois de circonscriptions montréalaises à très forte majorité anglophones qui votent libéraux sans hésiter depuis les années 60 (certaines depuis toujours). Il est à noter que ça n’a pas beaucoup changé, ainsi la circonscription D’Arcy-McGee est encore aujourd’hui le territoire le plus libéral du Québec, le député PLQ y ayant obtenu… 92,2% lors des dernières élections !

Quatre députés sont donc élus :

  • Gordon Atkinson, ex-militaire de 67 ans devenu journaliste sur les radios anglophones, défait le député sortant de Notre-Dame-de-Grâce avec 43% des voix ;
  • Neil Cameron, professeur d’histoire et chroniqueur cinquantenaire, qui s’impose dans Jacques-Cartier avec lui aussi autour de 43% ;
  • Richard Holden, avocat de 58 ans qui avait déjà tenté sa chance comme indépendant en 1962, puis comme progressiste-conservateur en 1976, et arrache la circonscription de Wesmount avec 40%, juste deux points devant le candidat libéral ;
  • Robert Libman, architecte et chef du parti, qui obtient plus de 57% des voix et devient, à 28 ans, un des plus jeunes députés de l’histoire ;

Le PÉ existe donc fortement à l’issu de ces élection, même s’il n’a pas du tout assez d’élus pour faire la balance du pouvoir. En effet, le PLQ conserve 92 sièges et n’a donc pas besoin de se pencher vers sa droite pour gouverner. Grand bien lui prend d’ailleurs, le PÉ explosant rapidement en vol, sans doute victime de son succès inattendu qui créé de multiples querelles d’ego minant sa crédibilité.

Cela commence en octobre 1991 ou Richard Holden est exclu pour avoir enfreint la discipline du parti. En fait, il défendait ardemment les accords du Lac Meech, contre lesquels le parti s’était en partie créé ! Siégeant comme indépendant, il rejoint le Parti Québécois en août 1992. Un choix pour le moins incongru, qui le brouillera avec sa famille et qui sera évidemment rejeté par la plupart des électeurs. Il est à noter que divers témoignages indiquent qu’il avait auparavant voulu rejoindre les libéraux.

Neil Cameron dépose bien le projet de loi 199, qui vise à faire de l’anglais et du français les deux langues officielles dans la province, en 1993, mais les combats internes rendent l’action inaudible. La violence est telle que Robert Libman – pourtant chef du parti ! -, le quitte en décembre 1993 pour siéger comme indépendant. En mars 1994 c’est Gordon Atkinson qui quitte le navire, laissant Cameron seul pour terminer la mandature.

L’élection de 1994 et l’avenir des élus

holden libman
Richard Holden & Robert Libman

Les élections de septembre 1994 sont cuisantes pour les sortants comme pour le parti qui passe de plus de 125 700 voix à à peine plus de 11 500. Pour ce qui est des quatre députés du PÉ, tous virent leur carrière politique s’arrêter brutalement lors des élections de 1994.

Richard Holden se présente pour le PQ dans Verdun (sa circonscription avait en effet changé de contours) et est largement battu par le sortant libéral. Il est cependant nommé à un poste de haut fonctionnaire à la Régie du logement par le gouvernement péquiste. Souffrant de douleurs insupportables aux dos, il se suicide en 2005 à l’âge de 74 ans.

Gordon Atkiston se représente dans sa circonscription comme indépendant mais n’obtient que 5,4% contre 73% au candidat libéral. Neil Cameron, seul resté fidèle au PÉ, n’en tire pas vraiment bénéfice puisqu’il obtient 6,15%, devancé par le PQ et un libéral caracolant en tête avec 83,6% des suffrages. Aucun des deux ne refera le saut en politique. Atkiston, doyen du groupe, décède début 2006 à 83 ans tandis que Neil Cameron continue une carrière de journaliste et chroniqueur – exclusivement dans les médias anglophones bien sûr – et a même un site sur lequel il publie régulièrement recherches et opinions.

Robert Libman est un cas à part car, malgré sa défaite honorable comme candidat indépendant – un peu plus de 30% des voix -, il contine une carrière politique. Une chose pas si étonnante si l’on se rappelle qu’en 1994 il n’a que 33 ans. S’il n’a jamais été à nouveau candidat à un poste provincial, il est maire de la commune de Côte-Saint-Luc de 1998 à 2001, date de sa fusion avec la ville de Montréal. Il devient alors maire de l’arrondissement de Côte-Saint-Luc–Hampstead–Montréal Ouest et, à ce titre, membre du bureau éxécutif de la ville jusqu’en 2005. Intervenant de temps à autres dans le débat public il appelle notamment à voter pour la CAQ en 2012 et est actuellement candidat à l’investiture pour le parti conservateur dans la circonscription de Mont-Royal en vue des élections fédérales de 2015 .

Quelle influence après le déclin ?

Bien que présentant par la suite plus d’une vingtaine de candidats, le PÉ ne réussira jamais à faire réélire un député. Tous sont largement battus et en 2003 le parti récolte à peine plus de 4000 voix pour 21 candidats. Continuant d’être enregistré au près DGEQ pendant plusieurs années, le parti perd finalement sa reconnaissance officielle en 2012.

Le PÉ n’aura donc été qu’un feu de paille, typique incarnation de ce que peut-être la politique québécoise, très prompte à renverser la table sans que cela s’inscrive réellement dans le temps, le passage de l’ADQ en opposition officielle en 2007 en est un autre exemple… Peu influent, le PÉ voit pourtant aujourd’hui ses idées assez portées par des libéraux devenus clairement anti-indépendance, voulant réouvrir le dossier constitutionnel et dont le premier ministre n’hésite plus à ne parler qu’anglais quand il est à l’étranger… On en viendrait presque à regarder Bourassa avec nostalgie.

* En 1994 Mario Dumont quitte le PLQ pour créer l’ADQ, un mouvement autonomiste qui fait campagne pour le oui lors du référendum.
** Un ami québécois peu impliqué en politique m’a avoué avoir voté pour eux parce que l’égalité lui semblait un bon concept.

Pour aller plus loin :
Site (conservé en cache) du Parti égalité
Article de CTV Montréal sur les 25 ans du Parti égalité

Crédit photo : Assemblée nationale du Québec.