Entretien avec Alexandre Leduc : un an de mandat

Dès le soir de sa défaite en 2014, Alexandre Leduc annonçait qu’il souhaitait reporter les couleurs de Québec solidaire (QS) dans Hochelaga-Maisonneuve (HM), et revenait sur sa campagne pour notre site. En octobre 2018, il a bien été candidat et a fait partie de cette petite vague de néo-députés solidaires, avec dans son cas une très confortable avance : plus de 7000 voix sur la députée péquiste sortante. Retour une première année de session parlementaire.

Il y a un an, les résultats ont été très bon pour Québec solidaire, empochant des circonscriptions espérées – et mêmes quelques inespérées -, réussissant notamment à percer hors de Montréal. Quelle a été ta perception de ces résultats dans ton comté (où tu obtiens 50 % des suffrages et donc une majorité d’électeurs, chose rare dans le système à un tour) et dans la province ? Et quelle a été ta première impression une fois réuni en caucus ou dans le salon bleu, enfin élu après trois candidatures  ?
Au déclenchement de la campagne, QS avait de grandes ambitions et j’étais assez confiant à propos de chance de l’emporter dans HM, mais dans l’absolu rien n’est joué et tout peut s’effondrer rapidement. Cependant, à mesure que la campagne avançait, quelques indices confirmaient qu’on se dirigeait vers une victoire dans mon quartier. Tout d’abord, nous avions un nombre record de personnes qui installaient une pancarte sur leur balcon. Il y en avait au moins une dans chaque rue du quartier, c’était impressionnant. Ensuite, j’obtenais beaucoup plus de succès auprès des indécis à qui je parlais que les élections précédentes. Finalement, la bourde monumentale du chef péquiste lors du deuxième débat des chefs a scellé la chose dans HM. Le résultat a malgré tout été passablement plus fort que nous l’avions projeté. On s’attendait à gagner avec des appuis alentour de 40%. Le 50,05% fût donc une agréable surprise et aussi une sérieuse obligation d’être à a hauteur de la situation.
Nous avons tenu notre premier caucus 4 jours après le vote. C’était un moment très fébrile, car nous étions tous encore sur un nuage. De plus, c’était des occasions de premières rencontres pour certains et certaines d’entre nous. En effet, j’avais rencontré qu’une seule fois Émilise Lessard-Therrien (Rouyn-Noranda-Témiscamingue) et je n’avais jamais rencontré Christine Labrie (Sherbrooke). J’étais un ami de Sol Zanetti (Jean-Lesage) et Catherine Dorion (Taschereau), mais je ne les avais pas du tout vus de la campagne. Je me demandais donc ce qu’il et elle venaient de vivre comme expérience électorale dans la ville de Québec, réputée très conservatrice.
Le moment le plus émotif était le tour de table. Chaque nouveau député se présentait en disant son nom suivi de son nouveau statut (i.e. bonjour je suis Alexandre Leduc, député de Hochelaga-Maisonneuve). C’était donc des cris de joie à chaque présentation d’un nouveau député.
Le caucus a surtout servi à discuter des prochaines étapes, de conseils pour mener à bien les embauches dans les différents bureaux de circonscription, commencer à réfléchir à nos intérêts pour le partage des dossiers et discuter de la cérémonie d’assermentation.
J’avais déjà eu affaire au parlement dans le passé dans des simulations parlementaires et comme conseiller du président de mon syndicat dans le cadre d’auditions de commissions parlementaires. J’étais donc assez familier avec l’endroit. Cependant, lorsque tu ouvres la porte de ton bureau pour la première fois et lorsque tu vois ton nom sur ton pupitre au salon bleu, il y a bien sûr une charge émotive qui accompagne le moment. Le sens des responsabilités t’envahit et tu espères être à la hauteur du défi.

Tu es assez logiquement (avant son élection, M. Leduc était conseiller syndical sur les questions de droit du travail) membre de la commission de l’économie et du travail. François Legault se vante d’être un manager, un chef d’entreprise, l’économie est censée être son pré-carré. Quel bilan tires-tu du début de mandat sur cette question précise ?
Le dossier du travail est malheureusement peu couvert en dehors des grands conflits de travail. À preuve, des deux grands dossiers Travail de la précédente session parlementaire – lock-out d’ABI à Bécancour et réforme de la loi sur l’équité salariale (LÉS) – les médias n’ont couvert que le premier.
Dans les deux scénarios, le gouvernement Legault a adopté une attitude hostile au mouvement syndical. Il a pris parti pour l’entreprise ABI (bien qu’elle bénéficiait déjà d’un rapport de force inégale en raison d’une ridicule clause de force majeure dans son contrat d’électricité avec la société d’État Hydro-Québec). Son implication dans le dossier fût très négative et a permis à l’employeur de jouer l’horloge jusqu’à l’épuisement des troupes. Paradoxalement, la CAQ avait obtenu un fort appui dans la région où est située l’usine. Parions que cet appui ne sera pas le même en 2022.
La réforme de la LÉS était une réponse à un jugement de la Cour suprême qui obligeait le gouvernement à réécrire sa loi, car elle était discriminatoire. La nouvelle mouture comportait encore des défauts, mais réglait les principaux irritants. Le scandale est qu’elle ne s’applique pas aux anciennes plaintes déposées avant la réforme. Les anciennes plaintes seront traitées par l’ancienne loi… que la Cour vient de juger discriminatoire. Il y aura donc une nouvelle ronde judiciaire menée par le mouvement syndical pour démontrer que la nouvelle LÉS ne répond pas adéquatement au jugement.
Dans les deux scénarios, le gouvernement agit en gestionnaire qui prend fait et partie pour le capital et ses propres intérêts comme État-employeur plutôt que de penser au rehaussement des conditions de vie des travailleurs et travailleuses du Québec.
Nous attendons une importante réforme en santé et sécurité au travail et une autre sur les services essentiels. Je ne m’attends malheureusement pas à un changement d’attitude de la part du gouvernement.

Le fait d’avoir un groupe reconnu donne des moyens à QS, mais vous n’êtes malgré tout que dix. As-tu l’impression de réellement pouvoir exercer ton travail de député face à une majorité caquiste écrasante ? Le député a t-il un réel pouvoir ? Si oui peux-tu donner un ou deux exemples d’impact concret des députés d’opposition ?
Passant de 3 à 10 députés, on peut maintenant à peu près tout couvrir et être présent partout où sont normalement les autres partis. C’est tout un changement par rapport à la précédente dynamique où les trois élus devaient constamment faire des choix déchirants concernant les interventions médiatiques à préparer, les commissions parlementaires à couvrir, les invitations à accepter ou refuser, etc.
Ce n’est donc pas moins de travail que lorsque nous étions trois, mais une meilleure présence dans l’ensemble des dossiers.
Un député d’opposition n’a pas plus ou moins de pouvoir qu’un député du parti au pouvoir qui n’est pas ministre. Un député d’arrière-ban peut parfois avoir plus de problèmes qu’un bon député d’opposition pour avoir accès à un ministre. Tout dépend de sa capacité à mener ses dossiers, sa crédibilité et les relations tissées avec les ministres.
Localement mon équipe et moi avons mené quelques dossiers où j’ai participé à obtenir des subventions pour des groupes, débloquer un important dossier d’agrandissement de garderie et réussi à mettre la main (via une demande d’accès à l’information) sur les plans autoroutiers du ministère des Transports sur un secteur industriel en développement.
Ce sont de petites victoires qui s’ajoutent aux dizaines d’autres petites victoires sur des dossiers de citoyens et citoyennes qui viennent cogner à la porte du bureau de circonscription. Là-dessus, tout le crédit revient à mes collègues attachées politiques qui font tout ce travail essentiel.

Alexndre Leduc au lancement de sa campagne en 2018 /
AndréLegault – Wikicommons

Pourrais-tu me donner un exemple de chose qui t’a surpris lors de cette session, en négatif et en positif ?
J’ai été surpris négativement par le peu de décorum au salon bleu. C’est pire que ce qu’on perçoit à la télévision où le téléspectateur entend parfois un brouhaha. Quand tu es assis au centre de l’action, tu vois ce que la caméra ne voit pas et tu entends ce que le micro n’entend pas. Ce n’est pas joli. Les élus du PLQ sont de loin les plus indisciplinés. Certains ministres de la CAQ (surtout des hommes, bien entendu) étaient un peu trop contents d’avoir gagné en début de législature. Je trouve que ces comportements ne sont pas à la hauteur de notre fonction.
D’un autre côté, en dehors des moments plus « spectacle » de la politique (période des questions, commissions, entrevues, etc.) il règne une surprenante convivialité à l’Assemblée, en particulier entre les élus. Ça se tutoie très rapidement, les ministres sont très accessibles et l’ambiance est bon-enfant. Le contraste entre ces moments et ceux relevant du spectacle est donc total. Cela fait en sorte que deux députés sont capables de s’engueuler pendant la période de questions, mais de régler des dossiers 15 minutes après dans la file d’attente de la cafétéria.

La majorité du travail parlementaire est en fait assez mal connu, quelle action discrète – pas forcément dépendant uniquement de toi, mais qui te semble essentielle – voudrais-tu faire mieux connaître du grand public ?
J’éprouve beaucoup de frustration devant ma difficulté certaine à faire parler de mes dossiers locaux dans les médias. Mes collègues qui sont hors Montréal ont tous des médias régionaux qui s’intéresse de près à leurs travaux. À Montréal, il n’y a que des médias nationaux et il est difficile d’attirer l’attention sur un quartier en particulier. Je crains que cela donne l’impression aux résidents de ma circonscription que je ne fais pas grand-chose pour le quartier. Il y avait un média local citoyen pendant quelques années dans le quartier, mais il a fermé faute d’implication. Nous cherchons des solutions, mais ce n’est pas simple.
Nous faisons face à un important phénomène de gentrification (embourgeoisement) dans HM et cela a des conséquences insoupçonnées, notamment sur le financement des écoles et plus spécifiquement sur le financement de la « mesure alimentaire », un programme de collation gratuite et de dîner à 1$ pour les enfants de familles à faible revenu dans les écoles du quartier. La disparition de ces programmes ne touche pas seulement mon quartier donc il a été difficile d’attirer l’attention des journalistes sur le sujet. On a donc tourné notre propre reportage qu’on a mis en ligne [voir https://www.facebook.com/LeducAlexandreQS/videos/418350962341311].

Déjà en 2014 tu indiquais ne pas être membre de parti fédéral ni vouloir te positionner publiquement au nom de la séparation entre les échelons électoraux. Mais sans appeler à voter pour tel ou tel parti, quelle est ton analyse du mandat Trudeau et des dynamiques en cours (notamment l’arrivée de pouvoirs conservateurs dans tous le Canada) ?
En effet, au Québec il n’y a pas de liens organiques entre les partis fédéraux, provinciaux et les rares partis municipaux. Québec solidaire a donc pris position il y a quelques mois pour affirmer son désir de ne pas soutenir un parti ou un autre dans la course fédérale. De fait, aucun parti fédéral ne nous rejoint sur l’ensemble de nos positions. De toute manière, l’ère des consignes de vote est révolue, car même les centrales syndicales ne procèdent plus ainsi.
Je connais certains membres de QS impliqués au Bloc, d’autres au NPD ou encore au Parti vert. Je leur souhaite bonne campagne!

Laïcité : une réforme définitive ? L’exemple français.

Image : Simon Jolin-Barrette, Ministre québécois de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, en charge du projet de loi n°21 : Loi sur la laïcité de l’État. (wikimédia)

La loi sur l’interdiction du pot de signes religieux pour certains fonctionnaires (policiers, magistrats, enseignants…) clive fortement au Québec. La mesure reste a priori majoritaire, et tient derrière un argument : affirmer la laïcité de l’état. Beaucoup rappellent, à juste titre, que la réforme est très mineure comparativement à ce que fait la France depuis un siècle, que tout le monde s’y est fait et que cette interdiction ne pose aucun problème. Certes, mais outre que les histoires ne sont pas les mêmes1, les choses sont-elles réellement réglées « une bonne fois pour toutes » en France ?

La question est rhétorique, on sait que non. Le compromis de 1905 visant à la neutralité de l’état se détériore chaque jour. Je suis fonctionnaire français, à un poste sans autorité, et n’ai aucun souci avec la neutralité religieuse (et politique) sur le lieu de travail. C’est devenu chez nous une habitude, sur laquelle on ne peut revenir, ça ne me choque pas, mais ne me paraît pas non plus nécessaire à exporter partout. Surtout, je constate des dérives constante, faisant déborder largement du cadre initial cette « neutralité ». En effet, la France est loin d’en être « restée là », avec des clivages constamment exacerbés autour de la question de l’islam et du voile (plus que toutes autres religions ou sujet). Il y a des raisons historiques à ça, notamment l’association mentale consciente ou non entre les personnes musulmanes et l’impensé colonial français. Si le Québec n’a pas cette histoire il y a au moins un point commun : en réalité, avant de parler de laïcité il s’agit de traiter un problème supposé avec l’islam.

Comparer la loi de 1905, qui visait à séparer la religion du pouvoir en coupant un cordon multi séculaire de domination politique, à ce qui se joue aujourd’hui est absurde. À Paris comme à Québec, on est très loin de ce contexte. Et on voit bien aux multiples exceptions (jours fériés pour les fêtes religieuses chrétiennes en France, crucifix affichés dans certains bâtiments d’état au Québec…) que le sujet est bien de régler les problèmes — souvent plus d’ordre de la perception que du réel — d’une population dominante avec une population minoritaire, mais visible.

François Legault nous dit donc qu’il fera sa loi, que personne ne reviendra dessus, et qu’on passera à autre chose. Il dit sans doute vrai sur la première partie, la seconde reste douteuse. Et pour le coup l’exemple français est parlant. Dans les années 1990 des polémiques se sont misent à enfler à propos des collégiennes portant le voile. Au nom de la lutte contre l’asservissement de la femme et la manipulation des enfants, et après quelques années de tribunes outrées, la loi a entériné le passage d’une neutralité des fonctionnaires à une neutralité religieuse de toute personne pénétrant dans une école : enseignants, personnels d’accueils, mais aussi élèves et parents d’élèves.

Un glissement du personnels aux usagers : la boîte de Pandore était ouverte. Aujourd’hui, il est très fréquent de voir des familles se découvrir à l’entrée et remettre le voile à la sortie, sans problème. Mais le plus grand effet de cette soi-disant lutte pour l’émancipation a été de développer massivement des écoles confessionnelles musulmanes, sans doute bien plus intransigeantes que l’école publique. Cette interdiction a donc nourri des possibilités bien plus grandes d’entre-soit (en France le mot « communautarisme » est extrêmement négatif) et de risque d’embrigadement que de simplement laisser des enfants venir comme elles sont. De toute façon, si elles sont forcées à porter ce voile, elles iront le porter ailleurs, est-ce bien pertinent de les priver d’éducation publique ? La réponse est évidemment non, mais malgré ce triste bilan il semble complètement impossible de revenir dessus aujourd’hui. Cela mettrait le feu aux poudres de manière instantanée. C’est sur cette expérience que je me dis que, quel que soit le résultat de la loi sur les signes religieux, il sera difficile de revenir en arrière.

Mais c’est aussi sur l’expérience française que je me fonde pour craindre que cela ne règle rien du tout et que la droite identitaire prenne cette victoire pour aller vers toujours plus d’exclusion. Ces dernières années, le président sortant Nicolas Sarkozy a pu dire en campagne que « la priorité des français c’est le halal » et le maire de Beaucaire a imposé un plat unique à base de porc dans les cantines une fois par semaine, quand la tradition était jusqu’ici d’avoir des alternatives proposées2.

L’inventivité en matière d’exclusion des femmes voilées est assez extraordinaire. Ainsi, dans la foulée de cette nouvelle extension, il est régulièrement réclamé que les mamans accompagnant des enfants dans des sorties scolaires enlèvent leurs voiles. Il est aussi régulièrement réclamé que des élèves de l’université se voient aussi interdire le port de signes religieux. Ce alors que les facultés sont historiquement protégées en tant que lieux de liberté et de libres pensées. Cela n’a pas empêché un professeur de droit d’exiger d’une élève de se dévoiler sans quoi il ferait cours nu au nom de sa religion. Jusqu’ici le bon sens l’emporte, mais il y a tout lieu de craindre que ça ne dure pas. N’a-t-on pas vu un maire du nord de la France publier un arrêté interdisant le burkini sur sa commune alors que l’on n’avait jamais vu ne serait-ce qu’un centimètre carré de ces combinaisons dans sa région ? Mais il fallait marquer le coup.

Les sorties scolaires, l’université ou le burkini ont ceci de commun avec la situation québécoise qu’il n’y a aucune plainte ou conflit à l’origine des polémiques. Mais pour rassurer un électorat en perte identitaire, il est bien agréable de taper sur des populations minoritaires qui ont le tort de ne pas être exactement comme nous. La recette fonctionne assurément des deux côtés de l’Atlantique, au moins pour le court terme électoral. Sur le long-terme, il ne reste que la certitude d’exclure profondément une population et de nourrir un ressentiment dont on ne peut que constater avec tristesse la légitimité.

1Le Québec a une histoire d’interculturalisme et de reconnaissance de la diversité qui est très différente de la vision universaliste histoire des républicains français, un universalisme qui tend souvent à acculturer. De l’autre côté le Québec, quoique province membre d’un état sans religion officielle, reste dirigé par une reine qui est aussi cheffe religieuse… Les différences sont multiples.

2Sur ce sujet l’hypocrisie est d’ailleurs totale, les mêmes qui imposent le porc refusant souvent l’alternative végétarienne au nom d’une défense des terroirs alors que cette option réglera tous les soucis religieux potentiels.

Entretien avec Halimatou Bah, candidate verte dans Saint-Laurent

Créé en 2001, le Parti vert du Québec a su exister dans le paysage politique sans réussir pour le moment à percer comme on put le faire des partis dans d’autres provinces. Ayant pris depuis 2013 un virage écosocialiste et fédéraliste, il présente des candidats dans la quasi-intégralité des circonscriptions du Québec, et est le parti à la moyenne d’âge la plus basse. S’il peine parfois à se faire entendre dans un pays où le mode de scrutin reste peu tendre pour les petits partis, il était temps que sa parole soit entendue sur ce site. Après avoir observé plusieurs profils de candidats, nous avons choisi d’interroger Halimatou Bah, candidate verte dans Saint-Laurent, dont le profil, le parcours international (d’ailleurs passé par l’ouest de la France) et les combats locaux propres à sa circonscription nous semblaient particulièrement représentatifs.

Avant de débuter, pouvez-vous présenter votre parcours en quelques phrases et ce qui vous a poussé à vous lancer en politique pour la première fois ?

Je suis née et j’ai grandi à Dalaba une préfecture qui se trouve en République de Guinée. Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai été admise à l’université de Rennes 1 en droit. Après ma licence de droit je suis venu m’installer à Montréal ou j’ai obtenu un diplôme de 1er cycle en science politique que j’ai adorée. Actuellement, je finalise une maîtrise en administration publique à l’ENAP (école nationale d’administration publique) de Montréal.

Mon expérience de député junior à l’Assemblée nationale en Guinée m’a fascinée sur la politique et a orienté mon parcours scolaire. Mais le déclic est arrivé pendant un cours en politique et environnement que j’ai eu à l’UQAM (université du Québec à Montréal). En effet, j’ai perçu l’ampleur du dégât que l’homme a fait et continue à faire à l’environnement et aussi l’ampleur du pouvoir des politiques publiques sur les questions environnementales. Ces deux constats m’ont à faire un choix, être spectatrice et laisser une planète détruite à mes enfants ou être actrice en essayant de mettre l’environnement au cœur des enjeux politiques, j’ai choisi la deuxième option. Après avoir passé en revue le programme de tous les partis politiques au Québec, mon choix s’est porté vers le parti vert. C’était le seul parti qui non seulement concordait avec mes valeurs, mais qui prône également un changement important sur nos façons de faire pour protéger notre environnement.

En tant qu’écologiste on entend souvent dire « mais pourquoi vous dîtes vous de gauche, c’est limitant, et puis pourquoi un parti vert alors que tous les partis font de l’écologie », que répondez-vous à cela ?

Les autres partis font de l’écologie que j’appellerais de minimaliste, l’enjeu environnemental n’est jamais au cœur des débats. La preuve lors du dernier débat entre les principaux candidats en lice à la télévision, l’environnement n’était pas dans le sujet du face à face. C’est une honte que l’immigration soit une préoccupation plus grande que l’environnement. Le Parti vert du Québec, à l’inverse des autres partis, fait de l’écologie son cheval de bataille, avec une vision écosocialiste. Cela implique de protéger l’environnement tout en offrant des services publics de qualité à la population.

Le parti vert du Québec, très préoccupé par les inégalités sociales et le besoin de bâtir une société plus juste et plus équitable, a un programme de gauche qui vise la réduction des inégalités sociales. C’est pourquoi on appuie l’augmentation rapide du salaire minimum pour atteindre 15 $/h d’ici le printemps 2019. Cette augmentation du salaire minimum sera combinée avec des modifications au Code de travail, qui interdit aux employeurs de réduire les bénéfices (pauses café, assurances maladie) pour contrer la hausse du salaire minimum. Aussi, nous proposons d’instaurer un revenu minimum garanti de 1200 $ par mois afin de sortir l’ensemble des Québécois-es de la pauvreté. Ce montant sera bonifié pour les personnes atteintes de maladies ou d’un handicap physique ou mental.

Vous avez un parcours qui traverse de nombreux pays, dans votre profession de foi vous insistez d’ailleurs sur l’importance d’une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers. Écologie et internationalisme vont de pairs ?

Le réchauffement climatique montre de façon très concrète qu’écologie et internationalisme vont de pair. En effet, de la même façon, que l’air que nous respirons n’a pas de frontière, les dégâts environnementaux des uns touchent aussi les autres, car, que ça nous plaise ou pas nous partageons tous la même planète. Et si, tous les pays du monde ne travaillent pas d’un commun accord pour limiter les saccages, les conséquences environnementales sont immenses, et les pays pauvres en sont les plus touchées. Le réchauffement climatique ne touche pas qu’un seul pays, mais le monde entier. L’Afrique est le continent qui pollue le moins en termes de gaz à effet de serre et pourtant elle n’est pas épargnée par les ravages faits à l’environnement (sécheresses à foison, inondation à répétition, etc.) et aucune compensation financière ne peut freiner ces dégâts. D’ailleurs, j’ai en tête d’aller dans les pays où les questions environnementales sont moins perçues et compris pour les sensibiliser encore et encore sur l’impact que peuvent avoir nos comportements sur la planète. L’Accord de Paris est clair là-dessus, si nous voulons limiter le réchauffement climatique de 1,5 degré les pays du monde entier devront unir leurs forces pour atteindre la carboneutralité d’ici l’année 2050.

Vous mettez en avant la défense de l’environnement dans le « Technoparc » de Saint-Laurent. Quelles sont les problématiques urgentes sur ce site et quelles réponses souhaitez-vous y apporter ?

Le Technoparc dans l’arrondissement de Saint-Laurent est l’un des plus grands parcs scientifiques au Canada. Trois milieux humides abritant des espèces importantes d’oiseaux et d’animaux aquatiques se trouvant sur le site du Technoparc sont menacés. En effet, la construction prévue de l’éco-campus Hubert-Reeves ainsi que le tracé du futur train du Réseau électrique métropolitain (REM) qui va passer aussi sur ce terrain détruira une bonne partie d’un des marais et asséchera la portion sud du milieu humide. La fonction écologique exercée par les milieux humides est une richesse inestimable pour les espèces qui y vivent.

Le parti vert du Québec veut limiter les interventions sur ces milieux de vie, nous voulons faire en sorte qu’on reconnaisse l’apport des marais dans notre écosystème, enfin, nous estimons qu’un parc nature devrait être créé à cet endroit non seulement pour protéger les espèces qui y vivent, mais aussi pour doter Montréal d’un endroit paisible et vert qui attirera les ornithologues du monde entier et des familles.

 Les élections ont eu lieu, vous êtes député, quel est le premier projet de loi que vous souhaiterez déposer ?

Le premier projet de loi que je souhaite déposer sera un projet de loi sur l’augmentation du prix carbone et l’instauration d’un système de rationnement de combustible fossile.

En effet, l’avis des experts est clair ; pour réduire les gaz à effet de serre et lutter contre les changements climatiques, nous devons poser des gestes concrets pour réduire la consommation d’essence et d’énergies fossiles. C’est pour ces raisons que le parti vert du Québec propose d’augmenter le prix du carbone à 200 $ la tonne en 2019 avec une augmentation de 25 $ par année par la suite. En 2017, le Québec a consommé près de 10 milliards de litres d’essence, surpassant toutes les années précédentes, aussi, les deux tiers des véhicules vendus étaient des VUS ou des camions légers. Le statu quo n’est pas durable, il est temps de poser des gestes concrets pour lutter contre les changements climatiques et les émissions provenant du domaine des transports et en sens j’estime que le bâton peut-être plus efficace que la carotte.

Les « mandats tremplin » et le respect des électeurs

Gérald Deltell et Olivier Chow (wikicommons)

Le cumul des mandats est une vieille tradition française, souvent incomprise à l’extérieur. Ce système, qui permet à une personne de s’accaparer de nombreux postes, a été timidement régulé au fil des ans : la dernière fois sous François Hollande, qui a interdit d’être parlementaire (député, sénateur ou député européen) et maire d’une commune. Cette loi s’est appliquée en juin 2017 pour la première fois mais permet toujours d’être parlementaire et conseiller municipal ou, plus grave, parlementaire et conseiller départemental ou régional, deux postes qui sont loin d’être bénévoles.

J’ai souvent envié le Canada pour son intolérance absolue au cumul, les seules possibilités étant d’être maire et de siéger dans des regroupement de municipalité ou des MRC, où les représentants sont forcément des élus. On notera qu’en France le même système existe avec, avant la réforme, de très nombreux maires, députés et président d’agglomération, tout en même temps.

Mais plus que le non-cumul strict, qui existe dans la plupart des démocraties occidentales, c’est au Canada que j’ai découvert une pratique particulièrement innovante visant à démissionner de son poste quand on se présente à un autre mandat. C’est ce qu’avait fait Gérard Deltell en 2015, démissionnant de l’assemblée nationale du Québec pour se présenter à la Chambre des communes (assemblée fédérale) ou la députée fédérale Olivia Chow qui démissionna en 2014 pour se présenter aux municipales de Toronto. Si le premier a conquis son nouveau siège, la seconde a perdu et s’est retrouvée sans mandat.

J’admire cette règle non-officielle mais récurrente, qui semble répondre à un impératif simple : si vous êtes élu à un mandat c’est qu’il vous convient, si vous en courez un autre c’est que celui que vous occupez ne vous plaît plus et vous ne pouvez sérieusement vous y consacrer en menant une autre campagne.

En France, les mandats tremplin sont récurrents, un élu se présente souvent au maximum à d’autres mandats plus « importants », ce qui en dit long sur la manière dont ils voient celui qu’ils occupent. Quelqu’un qui est adjoint au maire, ou conseiller régional, affirme ainsi sa légitimité à devenir parlementaire. Il ira ensuite chercher ce nouveau mandat en conservant celui qu’il occupe déjà, où il sera forcément moins présent. En cas de défaite, il pourra rester tranquillement dans son ancien poste, et aura occupé l’espace en empêchant le renouvellement.

J’ai tristement constaté il y a quelques mois que cette spécificité canadienne n’était en fait qu’un usage et nullement une règle. Pour les élections provinciales Québécoises d’octobre, plusieurs candidatures vedettes sont déjà élues par ailleurs : Chantal Rouleau, mairesse de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles depuis moins d’un an, s’est lancée pour la députation au nom de la CAQ, quand le conseiller municipal de Montréal Frantz Benjamin a été annonce pour les libéraux. Aucun n’a indiqué vouloir quitter son mandat, même si la presse relevait que les électeurs goûtaient peu ces sauts.

Parmi les réformes possibles dans nos deux pays, contractualiser cette idée permettrait une pratique plus saine de la politique. C’est n’est bien sur pas la seule, ni l’alpha et l’oméga, mais serait une indication claire de ce qu’exercer un mandat veut dire, et un simple respect des électeurs.

La multiplication des partis

Lundi 30 juillet, un article de La Presse Canadienne largement repris a expliqué que le Directeur général des élections du Québec avait enregistré 20 partis officiellement pour l’élection, et qu’un 21ème pourrait même être habilité d’ici la clôture le 15 septembre. En tous les cas c’est déjà un record : « Jamais, dans l’histoire récente du Québec, on n’a atteint la vingtaine de partis » écrit La Presse Canadienne. Et de rappeler qu’en 2012 les 18 partis accrédités battaient déjà l’ancien maximum.

Hasard de calendrier, cette annonce sort en même temps qu’un site français lancé par Tris Acatrinei, du Projet Arcadie, visant à recenser tous les partis politiques français – actuels mais aussi passés – et leur date de création, adresse, dirigeant etc. Ce site vient de naître, il offre une base de donnée utile et prendra sans doute en ampleur au cours des ans. Là où le rapport avec le Québec est intéressant est qu’il recense… 541 partis en activités.

Pourquoi une telle distorsion entre le Québec et la France ? Il y a bien sur plusieurs biais :

  • La population, la France a plus de huit fois plus d’habitants (est 8 fois plus importante), avoir plus de partis peut sembler logique ;

  • En France des partis servent à tous les échelons (municipal, régional, national, européen, etc.) mais il existe aussi des partis strictement municipaux ou régionaux, alors qu’au Canada chaque échelon (fédéral, provincial, municipal) est distinct et à ses partis. Il faudrait donc ne comparer les partis provinciaux qu’au nombre de partis se  présentant aux élections législatives, par exemple – ce qui n’exclurait pas des partis locaux, comme les autonomistes Bretons où les indépendantistes Kanaks ;

  • Le nombre d’échelons territorial est plus important en France qu’au Canada, on y retrouve pas moins de 35300 communes, plus des départements, des régions, l’État (en deux chambres) et le parlement européen.

Cependant, s’il faudrait réduire un peu le chiffre de 541 partis français pour avoir une comparaison parfaite, cette liste présente bien les partis reconnus comme tels auprès des institutions compétentes, et ne prend pas en compte les multiples associations politiques, par exemple créés pour porter une candidature aux municipales. Cette reconnaissance comme parti entend des démarches particulières rigoureuses et permet des déductions fiscales plus importantes. Elle permet aussi d’être déclaré pour avoir droit au financement public.

La création de ces multiples partis est une astuce souvent utilisée pour permettre de fragmenter ses dons, par exemple si le parti d’un élu que l’on aime bien ne nous plaît pas, ce dernier peut créer un parti pour recevoir des dons qu’il pourra utiliser de manière plus performante. On l’a vu lors de la présidentielle où l’argent ramassé lors de la primaire de droite est allé à Force Républicaine, le parti de François Fillon, et pas au parti organisateur. S’ils ont finalement trouvé un accord financier le micro-parti permettait de « capter » des sommes et d’avoir une sécurité financière en ne dépendant pas d’une structure moins personnelle.

L’inexistence de ces multiples structures au Québec tient sans doute tant à une histoire politique différente – avec un poids historique du bipartisme anglo-saxon, même s’il est aujourd’hui plutôt un tri voir quadripartisme dans la plupart des parlements du Canada – qu’à des règles aussi bien de constitution que d’existence bien plus strictes.

Pour ce qui est des dons, la France autorise 7500 € de dons par ans et par personne (avec une limite au double par foyer), auquel peuvent s’ajouter 4600 € de dons à un candidat ou pour une élection précise, le tout déductible à 66 % des impôts (jusqu’à 20% du total). Si les dons sont vérifiés, les noms sont indisponibles au public. Au Québec un électeur peut donner au maximum 100 $ par parti par an, somme qu’il peut doubler en cas d’élection. Un site dédié permet de voir le nom de chaque donateur associé à sa la ville, son code postal et au détail des sommes versées sur plusieurs années.  Les partis ne peuvent a priori pas se financer entre eux, comme c’est le cas en France, ce qui évite des jeux de transit entre différente caisses (la tradition de l’accord politique avec plusieurs logos sur une affiche est aussi inexistante), on note enfin que les sommes sont bien plus modestes, suite à un changement de loi en 2014, d’autant que cette modification a aussi supprimé le crédit d’impôt pour les dons.

Au-delà des dons, qui sont certes une ressource (et la seule de la grande majorité des 541 partis français puisque seuls 16 d’entre eux ont accès au financement public), la manière de créer un parti diffère aussi. En France, il suffit de créer une  association loi 1901 à caractère politique. Pour cela il suffit de deux personnes, d’une adresse et de régler le coût de la publication au Journal officiel, puis de créer une deuxième association loi 1901 dédiée, elle, au financement du parti. Une fois cela fait, l’agrément arrive simplement et il est très facile de jouer sur les micro-partis pour amasser des sommes et les transvaser entre partis (une pratique que je ne crois pas autorisée au Québec, sauf en cas de fusion stricte).

Au Québec, les choses sont plus radicales : un parti peut au minimum avoir cent adhérents, que le DGEQ va contacter un par un pour vérifier leur volonté d’appartenance (quitte à demander une liste complémentaire), déposer 500 $ de caution (remboursée après le premier rapport financier valide) et présenter des candidats aux élections. Après plusieurs années sans présenter de candidats aux élections générales ou partielles, les partis sont radiés d’office. Ainsi, les partis ont une « obligation d’existence » et ne peuvent bien longtemps rester des coquilles vides servant à épargner pour des jours meilleurs ou au possible lancement d’une carrière personnelle.

Dans la plupart des articles, on note une analyse expliquant que des partis plus nombreux ne sont pas forcément le signe d’une meilleure démocratie, les participations aux élections baissant en parallèle. S’il me semble un peu spécieux de faire une corrélation directe entre ces éléments, il semble cependant que le système québécois et ses 21 partis gagne le combat de la transparence et de la clarté sur un système français où tout semble fait pour pouvoir réussir à bidouiller malgré des lois de régulations de plus en plus fermes (et c’est heureux) depuis les années quatre-vingt.

Entretien avec Anne Min-Thu Quach

Anne Min-Thu Quach est une des nombreuses députées élues lors de la « vague orange » de 2011, mais aussi, et c’est plus rare, une députée néodémocrate réélue en 2015. Si elle n’est pas forcément la plus connue du caucus, j’ai souvent apprécié ses prises de position, l’élue s’engageant sur des sujets qui me sont chers : après avoir été porte-parole du caucus sur les questions de santé, puis d’environnement elle est porte-parole du NPD pour la jeunesse depuis novembre 2015. Merci encore à elle et à ses assistants pour l’accueil et la mise en place très rapide (autour de 24h !) de ce rendez-vous.

Anne Minh-Thu Quach à la Chambre des communes en mars 2018.

Avant de débuter sur vos combats propres j’aimerai savoir comment vous vivez l’environnement actuel, comment luttez-vous face à un premier ministre comme Trudeau ?

On continue de se position comme le vrai parti progressiste au Canada. On est le parti qui peut défier le gouvernement sur ses discours à saveur progressiste mais qui sont dans les faits éloignés des revendications des groupes de femmes, des groupes environnementaux, de la société civile, qui ne sont pas satisfaits. Pour cela le sens de mon travail est toujours le même, et ce ne sont pas les conservateurs qui vont se positionner sur ces enjeux en défendant un point de vue progressiste.

Sur les sujets progressistes justement on a un gouvernement qui se dit ouvertement féministe, quelle est votre analyse de ça ?

Pour l’instant c’est dans les paroles, dans le dernier budget je crois qu’on recensait presque 700 fois le mot « équité des genres » mais dans les faits on en est pas là du tout. Oui il y a eu quelques avancées comme le cabinet paritaire ou la loi permettant l’octroi de congés payés par l’employeur pour les femmes victimes de violences conjugales, pour qu’elles puisse se remettre sur pied et trouver une nouvelle place. C’est un enjeu sur lequel on s’en positionné et qu’on défendait, on est content que ça ait été fait.

Mais sur d’autres questions comme l’équité salariale, cela fait presque trois ans que les libéraux disent qu’ils vont proposer une loi proactive là dessus. Dans leur dernier budget ils ont écrit qu’ils allaient faire quelque chose dessus, mais il n’y a toujours pas de projet de loi déposé, et encore moins d’engagement concrets ou de budget attribué, on est donc bien encore que dans les paroles.

Sur d’autres sujets comme le développement de refuges et de logements sociaux pour le femme ou le développement de système de garde universels, comme il y a au Québec mais élargit à tout le Canada, ils refusent d’avancer. Si on veut que les femmes travaillent au même titre que les hommes mais qu’elles n’ont pas la possibilité d’inscrire leurs enfants à un service de garde, alors qu’on sait que cela pousse souvent les femmes à rester à la maison, c’est contradictoire. Beaucoup de choses comme ça, qui remontent directement du terrain, sont inexistantes dans les projets de lois.

Par curiosité, quels sont les équilibres femmes/hommes à la Chambre ? Est-ce qu’il y a des règles de parités sur les candidatures comme en France ou pas du tout ?

On n’est que 26 % de femmes, au Nouveau parti démocratique on est le parti qui s’en approche le plus. On est 42 % je crois, pas juste de candidate mais d’élues, et notre leader Ruth-Ellen Brosseau a demandé à plusieurs reprises au Premier Ministre Trudeau ce qu’il entendait faire au niveau de la législation pour qu’aux prochaines élections il y ait des amélioration mais jusqu’ici elle n’a pas eu de réponses. Et ce ne sera pas réglé avec les listes à la proportionnelle puisque la réforme à la proportionnelle a été abandonnée.

Pour en venir à vos portefeuilles, quelles sont les priorités du NPD sur les questions de droit des femmes et de jeunesse ?

Sur les l’égalité femmes-hommes c’est vraiment l’équité salariale que l’on défend sans cesse. Cela fait juste quatorze ans qu’un rapport est sorti sur cette question, toutes les études et consultations ont été mené, il est chiffré, les recommandations sont là. On ne devrait pas attendre pour en faire une loi mais là ils nous disent qu’ils sont encore en train de consulter alors qu’il y a tout qui est là, et notamment les travaux expliquant combien ce serait positif pour tous. Aujourd’hui une femme touche environ 80 % de ce que touche un homme au Canada, au même poste, c’est pas mal en retard pour un pays du G7 et un gouvernement qui se proclame féministe. Et on lie ça beaucoup avec le programme de garde universel, qui est lié à la jeunesse aussi finalement.

Pour la jeunesse on s’est engagé à réduire très fortement le fardeau des étudiants au niveau des prêt étudiants. En congrès on s’est prononcé très récemment en faveur de la gratuité scolaire pour le niveau collégial et universitaire. C’est une mesure très forte, qui serait un soulagement pour beaucoup de jeunes et aussi une vraie assurance d’égalité.

C’est en effet très important mais y-a-t-il d’autres mesures pour ceux qui ne sont pas étudiants, en primaire ou par exemple pour ceux qui ne peuvent pas faire d’études, qui peinent à s’insérer dans l’emploi ?

On parle beaucoup de précarité de l’emploi présentement, de jeunes qui sont travailleurs autonomes pour des plateformes, ce qui paraît leur seul débouché. On veut développer un plan très fort sur la formation pour leur permettre d’avoir d’autres solutions qui les rendent moins dépendants mais quand j’ai dit ça aux libéraux le ministre des finances m’a dit « get used to it », « il va falloir s’y habituer » donc ils n’ont clairement pas envie de s’y attaquer.

Sinon, là je viens d’une conférence de presse sur le sujet de l’exploitation des jeunes mineures. En 2015 la Chambre des communes a adopté à l’unanimité un projet de loi qui s’appelle C-452 qui fait en sorte que les proxénètes et ceux qui font de la traite et de l’exploitation, souvent à 50 % sexuelle, des femmes, en majorité de jeunes femmes, puissent avoir des sanctions cumulatives et qu’il y ait un renforcement du fardeau de la preuve. On ne peut plus voir des jeunes de quatorze-quinze ans à témoigner en cours pour prouver qu’elles sont des victimes par exemple. Un troisième point ajoutait la traite de personnes à la liste des infractions permettant la confiscation des produits de la criminalité.

On avait adopté ce texte, les libéraux ont voté pour, il a eu la sanction royale mais les libéraux disent qu’ils ont soudainement vu un problème constitutionnel avec les peines cumulatives. Ils ont déposé à projet de loi à eux, qui s’appelle C-38, qu’ils n’ont pas encore mis au débat. Cela fait un an qu’ils en parlent mais pendant ce temps les victimes, elles, attendent toujours, et il n’y a aucun plan de financement pour aider celles qui sont touchées par cette criminalité. C’est une autre aberration qui touche beaucoup les jeunes.

On s’est aussi impliqué sur le projet de loi sur la Marijuana. Le gouvernement considère que la légalisation va tuer le marché noir, et on est d’accord là dessus, mais on pense qu’il faut investir beaucoup plus en prévention sinon les jeunes vont se dire « oh c’est légal, c’est donc que ce n’est pas dangereux ». Au départ les libéraux partaient sur du dix millions sur cinq ans, soit deux millions par années et pas juste pour la Marijuana mais pour toutes les drogues ! Alors qu’on traverse en ce moment une très grave crise sur les opioides. Là on est monté à sept millions, mais par comparaison on cite souvent le Colorado qui investi par années 40 millions pour la prévention. Les policiers, les enseignants, demandent de la formation aussi, et ce qu’on entend c’est surtout le gain financier pour l’état, mais il faut aussi faire de la sensibilisation. Et il y a beaucoup de problématiques auxquelles les libéraux n’ont pas pensés, ils sont encore en train de consulter des experts pour savoir quelle quantité de THC va être autorisées dans quels produits, par exemple pour ce qui risque d’affecter les facultés de conduites.

Sur un autre sujet, j’ai regardé votre activité parlementaire et j’ai vu un projet de loi qui m’intéresse particulièrement en tant qu’écologiste, sans doute lié à vos anciens portefeuilles, sur l’alimentation locale.

Oui, je l’ai déposé lors de la précédente législature, j’étais porte-parole en santé, mais il n’a toujours pas été débattu en Chambre, à l’époque les conservateurs s’y étaient opposé. Il s’agit de demander au ministre de l’agriculture au fédéral de se réunir avec les ministres provinciaux de l’agriculture, d’abord pour définir ce qu’est le « local » : pour certains c’est provincial, pour d’autres à 100km à la ronde, pour d’autres c’est le pays – c’est qui peut faire très éloigné mais toujours moins que si ça vient de Chine. Ensuite, le projet demande de faire en sorte qu’il y ai une quantité minimale d’achats de produits locaux dans les 48000 établissements fédéraux, selon la saison évidemment.

On sait que si individuellement on fait un achat de 5 $ d’aliments locaux à l’épicerie ça aide grandement les agriculteurs, donc si l’état fédéral ça engage ça pourrait tout changer. Ça peut leur permettre simplement de survivre, dans les douze dernières années on a perdu près de 10000 fermes familiales. Au Canada un emploi sur huit est rattaché à l’agroalimentaire, c’est beaucoup d’emploi, en région surtout, et pour les jeunes et la relève agricole c’est essentiel de conserver des fermes familiales.

Quand j’ai déposé ce projet de loi, je n’étais pas rattaché à l’agriculture, mais régulièrement dans les comités les gens me disaient que les personnes âgées et les jeunes n’ont pas accès aux fruits et légumes parce que ça coûte trop cher. En défendant les agriculteurs locaux et leurs conditions de travail cela permettait de contrebalancer ça aussi.

C’est un projet déposé il y a longtemps mais c’est toujours un actuel projet, malheureusement il n’est pas à l’ordre du jour. Pourtant en 2015 quand les conservateurs l’ont refusé les libéraux s’étaient prononcés en faveur du projet de loi, maintenant qu’ils sont au pouvoir ils semblent avoir oublié. J’essaie de le faire revenir dans le projet sur l’alimentation mais à ce qu’ils m’ont dit, ils ne comptent pas l’intégrer.

Sur le site de la chambre des communes je me suis aussi intéressés à vos commissions mais je n’en ai vu aucune dont vous étiez membre, c’est normal ?

Oui, c’est la réalité en ce moment, j’ai eu une petite fille qui a trois ans et je suis dans le bon parti, qui a été très accommodant avec ça. C’est connecté aux autres enjeux au fond. Le NPD m’a laissé réintégrer mes travaux au fur et à mesure, je devais voter aux votes prévisibles mais était dispensés des votes imprévisibles qui sont parfois par surprise. Lors de mes « tours de garde », ces moments dans le caucus où l’on se partage des temps où on doit être cinq heure dans la chambre, ont été pris par d’autres collègues, vraiment c’était super généreux mais c’était d’entrée de jeu proposé. Je ne sais pas si c’est comme ça dans les autres partis.

On s’est battu aussi pour avoir une salle spéciale – il y a une garderie mais il faut que les enfants y soient cinq jours semaines ce qui est impossible avec nos agendas, et c’est à partir de 18 mois –, jusqu’ici nous n’avions pas de salles spécifiques. Christine Moore, une collègue néodémocrate qui a eu deux enfants dans les deux dernières législatures, a fait un accord avec la Chambre des communes pour une nounou privée, qu’elle paie avec ses propres fonds, mais la sécurité est assurée par la Chambre. On a maintenant une salle familiale aussi, on ne l’avait pas avant, pour allaiter on allait dans la « salle des époux » qui est à côté de la chambre. Mais parfois les députés la réservent pour des conférences de presse et dans ce cas les femmes qui allaitent doivent partir, si le bébé est en train de dormir il faut le lever et le déplacer…

On a aussi demandé que les votes aient lieu dès après la période des questions, et pas à finir toujours tard le soir. La semaine dernière on a eu des votes tous les jours en fin de journée, les libéraux disent travailler fortement pour la conciliation travail/famille, ça ne se voit pas ici. Ce sont des anecdotes mais c’est important, c’est ce genre de choses qui font que c’est difficile de convaincre des jeunes, et particulièrement des jeunes femmes, de s’engager en politique. On leur dit « venez, c’est faisable de concilier avec des projets de familles », c’est vrai que c’est faisable, mais est-ce que c’est facile ?, là non.

Il y a quand même quelques commissions sur votre page, j’ai notamment vu que vous apparteniez à un réseau autour de la francophonie. Y représentez vous le Québec ou bien tout le Canada ? Avez-vous travaillé avec des élus français ?

J’en suis membre depuis un an et demi, je fais partie du programme jeunesse de la francophonie. Il a été initié il y a trois ans pour permettre aux jeunes parlementaires de réseauter à travers toute la francophonie des quatre continents pour mieux comprendre les enjeux des autres pays. Et finalement on a trouvé ça tellement enrichissant qu’on s’est dit qu’il faudrait que ça nous survive, car ça devait durer deux ans mais on a consacré la troisième année à pérenniser ça en mettant sur pied le Réseau parlementaire de la jeunesse. Il devrait aboutir en juillet et d’ailleurs il y a un sénateur français qui nous a rejoint récemment, Cyril Pellevat, qui est membre du parti des Républicains.

Ma dernière question est plus personnelle, je suis bibliothécaire et j’ai vu que vous étiez membre du comité d’administration de la bibliothèque parlementaire, en quoi ça consiste ?

J’aimerai pouvoir vous le dire mais j’en suis membre depuis 2015 et ce comité… ne s’est jamais réuni ! Il est censé réunir des députés et sénateurs qui travaillent en appui des bibliothécaires et recherchistes du Parlement afin d’assurer le meilleur fonctionnement de cette formidable ressource mais je n’en sais pas vraiment plus. Depuis quelques années on a plusieurs fois demandé aux président des deux chambres d’organiser un comité, mais sans succès.

C’est réellement dommage parce qu’on utilise beaucoup la bibliothèque et les chercheurs. Trente-huit députés se sont ajoutés en 2015, qui peuvent aller à la bibliothèques et utiliser leurs services, ainsi que leurs assistants, il y a peut-être des besoins d’organisation, de ressources ou des aides à mobiliser. Mais nous ne pouvons donc pas les appuyer alors qu’on sollicite énormément leurs aide.

Enregistré le 29 avril 2018
à Ottawa.

Le Grand retour

D’octobre 2013 à juin 2015 je tenais un blog sur la politique québécoise et canadienne, blog au succès sans doute mitigé mais plutôt satisfaisant. Durant ces deux ans, j’avais pu interroger nombre d’acteurs et actrices politiques, dont les destins ont évolué (de la défaite à la victoire), pu également tenter d’éclairer les français sur le système d’outre-Atlantique et faire des chroniques d’opinion. Je m’engageais évidemment parfois pour tel ou tel – je reste fermement convaincu que le Québec doit être indépendant et de gauche (pas l’un ou l’autre) – mais a posteriori ce sont vraiment les textes dont l’objet était de comparer les systèmes (ainsi de l’article sur les suppléants, ou sur le Front national et l’indépendance) qui me semblent les plus intéressants.

En cette année électorale pour le Québec, où l’on dépasse le mi-mandat pour Trudeau au Canada, et où la France se pose des questions constitutionnelles (avec notamment la question du référendum d’indépendance en Nouvelle-Calédonie) l’envie me prend de relancer ce projet.

Beaucoup de choses ont changé depuis 2015,  mais mon intérêt (expliqué dans ce premier post en 2013) n’a pas changé et l’objectif non plus, vous trouverez ici des articles, chroniques, notes de lectures et entretiens autour de la politique québécoise et canadienne. L’axe est ouvertement militant, c’est un militant écologiste, de gauche et indépendantiste qui vous parle, ce qui n’empêchera pas de recevoir des personnes hors de ce spectre.

J’ai rechargé sur cette plateforme la majorité de l’ancien site, pas tout car c’est long, mais l’essentiel y est (notamment tous les entretiens). On retrouve toujours les textes sur la plateforme originelle, à l’abandon.

Entretien avec Alexandre Boulerice, député NPD de Rosemont – La Petite-Patrie

D’abord journaliste syndiqué, Alexandre Boulerice devient rapidement employé du Syndicat Canadien de la Fonction Publique, où il élaborera les stratégies de communication durant neuf ans. Militant néodémocrate depuis les années 90, il est élu député de Rosemont-La Petite-Patrie en 2011 lors de la vague orange. Construit idéologiquement, habitué à la joute orale, il prend rapidement des fonctions au sein du Caucus : d’abord porte-parole de l’opposition officielle pour le Conseil du trésor, il est aujourd’hui porte-parole en matière de Travail, en matière d’Éthique et pour le dossier Postes Canada.

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Lors d’une manifestation de soutien à Radio-Canada

Pour débuter, pouvez-vous revenir sur l’origine de vos engagements dans le syndicalisme et au NPD avant d’être député ? Vous avez déjà été candidat dans les années 90, ça remonte à loin…

J’ai toujours été sensible aux questions de justice sociale et de redistribution de la richesse. Je crois profondément que tout être humain devrait vivre dans la dignité. Cela a toujours influencé mon implication qu’elle soit syndicale ou politique. En effet, après avoir été représentant des journalistes pour notre syndicat local, j’ai découvert le monde des travailleurs non-syndiqués avec l’Union des travailleurs et des travailleuses de Montréal, d’où mon envie de participer à l’élaboration d’un bon filet social et d’un marché de l’emploi qui garantit des conditions décentes de travail. Cela m’a d’abord conduit à mon engagement au SCFP puis à la politique, pour qu’un réel changement se produise grâce au NPD.

Cette expérience vous a permis de prendre rapidement des responsabilités au sein du caucus. Pouvez-vous présenter des mesures fortes portées dans chacun de vos trois porte-parolats successifs (Conseil du Trésor, Éthique, Travail) ?

En ce qui concerne le Conseil du Trésor, j’ai dénoncé les coupures massives dans les services publics et les pertes d’emplois.

Au niveau de l’Éthique, le NPD a dévoilé et questionné les scandales des dépenses du G-20 détournées ainsi que les scandales des sénateurs conservateurs et du chef de cabinet du Premier Ministre, Nigel Wright.

Enfin étant porte-parole du NPD pour le Travail et porte-parole adjoint en matière d’éthique, nous avons lutté contre les projets de lois 377 et également déposé un projet de loi pour que, sous la juridiction fédérale, les travailleuses aient accès aux programmes provinciaux de retrait préventif de la femme enceinte.

Vous vous êtes particulièrement fait entendre sur la question des postes, où le NPD mène une lutte acharnée depuis le début du projet conservateur. Pouvez-vous rappeler à notre lectorat en quoi ce combat est crucial et ce que propose votre parti pour assurer la modernisation des postes sans attaquer le service public ?

La fin unilatérale de la livraison à domicile n’est pas justifiée financièrement et va heurter de plein de fouet les personnes âgées et les personnes handicapées. Les gens tiennent à ce service postal chez eux, nous avons les moyens de le préserver et il n’y a aucune raison d’être le seul pays du G7 à être incapable de livrer le courrier chez les gens. En plus, c’est 800 bons emplois qui risquent de disparaître.

Le combat continue puisque nous recevons tous les jours des pétitions de mécontentement de la position prise par les conservateurs sur le dossier de Postes Canada. Le NPD a d’ailleurs annoncé le 21 mai 2015 qu’il s’engage à remettre en place ce service après son élection.

On vous a également beaucoup entendu sur lors de la Guerre de Gaza de 2014, vous avez marqué largement votre solidarité, parfois plus que votre leader. Quelle position voudriez-vous voir prise par le Canada dans le conflit israélo-palestinien ?

Nous voulons une résolution de ce conflit où les peuples palestiniens et israéliens pourront vivre en paix et en sécurité. Nous favorisons des négociations, la fin des colonies illégales et la création d’un État palestinien basé sur les frontières de 1967. En effet, les deux États doivent être viables afin d’avoir une sécurité à long terme d’où la nécessité de les aider à négocier un réel processus de paix pour régler cette situation de crise durable.

Votre statut de membre de l’opposition vous empêche de pouvoir faire passer beaucoup de lois, il y a cependant un long travail de commission et, parfois, des compromis. Pouvez-vous citer deux exemples de projets que vous avez portés et qui vous tenaient particulièrement à cœur, qu’ils aient échoué ou aient été adopté ?

Comme vous l’indiquez, le fait d’être dans l’opposition permet surtout de montrer notre désaccord envers les mesures injustifiées que prennent les Conservateurs. Toutefois, nous avons réussi à faire adopter un projet de loi rendant obligatoire le bilinguisme pour les « agents du parlement » dont les Commissaires. C’était une grande victoire pour la place du français à Ottawa. En outre, nous avons aussi amendé le projet de loi 525 en écartant les pires règles prévues au départ, notamment pour compter les votes lors d’un processus de syndicalisation. Cependant, mon projet de loi sur le retrait préventif des femmes enceintes a été battu par les conservateurs et les libéraux.

Comme de nombreux députés néodémocrates votre élection a été une surprise. Quel est votre regard sur ces 4 ans de mandat inattendu, n’avez-vous jamais regretté votre vie d’avant et quelles mesures souhaiteriez-vous particulièrement porter si vous êtes réélu en 2015 ?

Ouf ! Oui!  Bien-sûr que l’on peut parfois regretter car la vie familiale souffre avec le travail de député. En effet, cette fonction n’avait pas été pensée au départ pour des parents avec des jeunes enfants. C’est pourquoi je considère que c’est la partie la plus difficile et ingrate de ce travail prenant, qui est par ailleurs formidable. Ainsi, j’apprécie de pouvoir représenté au mieux les gens de ma circonscription ainsi que de me faire le porte-parole d’enjeux si importants !

Si l’on gagne en 2015 ? Mes priorités sont une hausse des impôts des grandes compagnies, un service de garde public universel, le rétablissement d’un salaire minimum, la bonification des pensions et la fin de l’imposition des boites postales communautaires.

Entretien réalisé par courriel
entre avril et juin 2015

Pour aller plus loin
Site officiel

Crédit photos : Site officiel du député.

PKP : Fin du « suspens »… et après ?

Après des mois de campagne dont les seuls points saillants ont été le retrait de trois candidats pour des raisons diverses, Pierre-Karl Péladeau est donc devenu chef du Parti Québécois hier. Avec 57,58% et une forte participation, sa légitimité est totale. Même si ses équipe visaient au départ de la campagne un score au delà des 70%, son résultat est conforme aux attentes des derniers sondages qui, cette fois, ont été globalement fiables pour tout le monde (29,21% pour Cloutier et 13,21% pour Ouellet).

Maintenant que le PQ s’est doté d’un chef, quel avenir ? Quelles perspectives ? Je suis de ceux qui ne comprennent pas que la clinquant médiatique d’un PKP ai pu à ce point emballer un PQ à la recherche d’un sauveur suprême. De fait, faute de passé politique, les seuls faits d’armes du nouveau leader sont à charge : patron voyou responsable d’un lock-out historique, dons financiers au Parti Libéral et à l’ADQ1, gaffes multiples quasiment à chaque expression publique… Mais PKP a levé le poing, parlé d’indépendance (tout en conservant un flou total sur le processus) et emballé les foules.

Je ne crois pas une minute aux envolées sociales démocrates du nouveau leader – les promesses n’engageant que ceux qui les croient -, son accession à la tête du PQ sonne la rupture définitive avec ce qui fut le parti de l’a-priori positif aux travailleurs et est d’abord la victoire des médias de masse. Mais curieusement, contrairement à beaucoup d’observateurs horrifiés, cela me semble plutôt une bonne nouvelle.

Pas une bonne nouvelle pour la pensée politique, définitivement battue par le bling bling, mais pour le spectre politique, en ce qu’elle clarifie les choses. Il y a désormais un PQ clairement de droite et de centre-droit, lorgnant sur la CAQ et son électorat, qui agitera la « crédibilité économique » et la question identitaire comme axes centraux. Très bien, c’était déjà ce qu’avait fait le gouvernement Marois dans les faits, dans la droite ligne de la gouvernance libérale de Lucien Bouchard, sauf que tout ça ne s’actait pas, on trouvait encore des gens sincèrement progressistes au PQ, un peu comme on en trouve encore au sein du Parti Socialiste Français….

Beaucoup on imaginé que la victoire de PKP effrayait Québec Solidaire et que c’est pour ça que le parti attaquait le magnat de la presse. Sauf que les études d’opinions montrent bien que ce n’est pas du tout sur les solidaires que le PQ-libéral rogne en majorité, la gauche aurait même tendance à en profiter. Il faut alors admettre que c’est simplement deux visions du monde qui s’affrontent, entre une gouvernance-Québécor marqué par l’autoritarisme (que l’on retrouve en politique contre ses concurrents ou les journalistes) et une vision globalisante et inclusive de l’indépendance, pensant aussi bien en terme de mieux-être social que d’environnement ou de redistribution.

À cet effet, si le choix des péquistes m’attriste il ne me surprend pas et à le mérite de poser les choses. Aux prochaines élections, dans trois ans, on verra si la bulle PKP s’est dégonflée (comme tant d’autres avant elle) ou s’il aura réussi à surprendre et gagner une crédibilité à ce jour absente. En tous les cas les projets s’affronteront clairement et sans confusion possible ce qui, malgré un scrutin vicié, c’est toujours une bonne chose.

On me criera qu’il s’agit encore de division du vote indépendantiste, je suis très sceptique à ce sujet. Si demain PKP arrive au pouvoir et veut faire l’indépendance, deux choses hypothétiques, il trouvera nécessairement tous les indépendantistes derrière lui, de gauche comme de droite, de la même manière que les indépendantistes républicains écossais ont soutenu l’indépendance monarchiste du SNP.

Pour le reste, heureusement, être indépendantiste ne veut pas dire uniforme et il reste des gens pour croire que l’indépendance est aussi (avant tout ?) celle montrée face aux lobbies, aux minières, aux puissances financières… sans lesquels elle ne restera qu’une incantation creuse et sans fondement.

1. Ses défenseurs mettent en avant qu’il donnait aux « trois partis » par principe de neutralité. Outre qu’il n’y a pas que trois partis, cela montre bien l’image qu’à de la politique un entrepreneur trouvant nécessaire de financer tout potentiel parti de pouvoir « au cas où »... Ce qui n'a rien de rassurant !
2. Sur ce sujet lire l’excellent billet de Sébastien Sinclair « Passer l’arme à droite ».

Crédit image : wikimédia

Le Front National est l’allié des indépendantistes Québécois. Vraiment ?

mlJoël Morneau (Twitter)

Il y a quelques jours on a appris que plusieurs membres du bureau du Comité national des jeunes péquistes avaient préparé un texte contestant la hausse des frais de scolarité pour les étudiants français et décidé de le cosigner avec de jeunes responsables politiques français… Jusqu’ici pas de problème, cette rupture par Couillard d’un partenariat ancien est contestable. Certains la défendent intelligemment, c’est à dire pas seulement avec un angle budgétaire, c’est le cas de Jean-François Lisée par exemple, mais ce n’est pas le débat. Par ailleurs faire un texte transversal des deux côtés de l’océan est logique.

Seulement Joël Morneau, président des jeunes péquistes d’Abitibi par ailleurs soutien de Bernard Drainville, a pour le moins manqué de jugement. Le texte qu’il a initié, présenté devant le conseil éxécutif, voyait plusieurs responsables jeunes affirmer leurs valeurs communes avec le Front National, présentés comme « des amis souverainistes francophones de la France ». Léo Bureau-Blouin a tout de suite signifié la fin de la récré mais a du faire face à une certaine résistance, les membres du conseil étant assez mitigés, le FN ayant salué publiquement l’élection de Pauline Marois en 2012. Finalement le texte a été rejeté et président des jeunes péquistes a expliqué que ses militants manquaient de culture politique française. C’est le moins qu’on puisse dire. De son côté Bernard Drainville a clairement condamné cette initiative malheureuse, lui qui a déjà du mal à se détacher de l’image de « candidat de la Charte » n’avait aucune envie de se voir acoquiner avec un parti d’extrême droite.

Cette inculture gravissime pour un représentant politique – même jeune – n’est pas pardonnable. Si l’on veut créer des ponts avec la politique française, il faut un minimum la connaître. Malheureusement je vois très régulièrement des militants indépendantistes sincères dirent sur les réseaux sociaux que le Front National a raison, est un parti logiquement partenaire des indépendantistes, etc. C’est totalement aberrant.

Il y a bien sûr le fond raciste, complotiste et antisémite du Front National. Ceux qui imaginent que cela a changé avec Marine le Pen se fourre le bras (et pas le doigt) dans l’oeil. D’une part Jean-Marie le Pen, condamné à de nombreuses reprises pour ses saillies racistes, est toujours député européen et élu régional, d’autre part les dérives des élus et candidats FN se comptent par centaines. Le site L’Entente en soulève très régulièrement : ainsi tel candidat FN appelle à tuer les juifs, l’eurodéputée Sophie Montel parle de « l’évidente inégalité des races », des membres sont très régulièrement exclus pour leurs photos de tatouages et saluts nazis (ce qui n’arrive curieusement pas dans d’autres partis), etc. Il faut aussi rappeler que le FN est anti-avortement, opposé aux droits de homosexuels (comparés par de nombreux élus à des pédophiles et zoophiles), pour la peine de mort, anti-syndicats… Pas vraiment la position du PQ, même le plus identitaire.

Mais au-delà de ça, imaginer une alliance PQ/FN est totalement insensée puisque le FN est radicalement opposé à toute idée d’indépendance des nations. Se proclamer « souverainiste » en France n’a pas du tout le même sens qu’au Québec : la France est un pays souverain, le Québec non. Un souverainiste français est d’abord un militant des frontières, anti-Europe, souhaitant radicalement contrôler l’immigration et militant pour une France unie et indivisible.

En effet, la France a une culture politique qui fait que l’état et la nation sont des concepts mêlés. Il paraît totalement insensé à de nombreux observateurs de les séparés, c’est une exception assez rare au sein du monde.

Le FN est au premier lieu dans ce combat d’arrière garde, combattant tous les militants régionaliste. Ainsi le FN s’est déclaré contre l’apprentissage des langues régionales, a milité très fortement contre la réunification de l’Alsace, considère la ministre de la justice Christiane Taubira comme une terroriste parce qu’elle militait pour l’indépendance de la Guyanne, … De manière générale tout ce qui peut avoir trait à l’idée d’indépendance ou d’autonomie d’une des nombreuses nations françaises s’attire les foudres du Front National, un parti construit sur un mélange entre des collaborateurs pro-Vichy et des barbouzes ayant combattu l’indépendance de l’Algérie. Conformément à son idéologie haineuse, raciste et refusant la différence le Front National est donc profondément colonialiste et anti-indépendance – terme qu’il proclame même fièrement pour expliquer son opposition au référendum d’auto-détermination en Nouvelle-Calédonie1

Alors voir M. Moneau dire qu’« Il faut arrêter de voir le FN comme une gang de fascistes et de radicaux »  et comme des alliés de l’indépendance est simplement pathétique et idiot. Le voir conserver ses responsabilités avec une si grossière erreur, qu’il semble à peine regretter, paraît impensable.

Plus loin, lire que Charles Picard-Duquette, président des jeunes péquistes de l’Estrie, ose dire « Moi, je peux signer, j’ai un coloc noir. Ils oseront jamais me traiter de raciste ! » atteint carrément le scandaleux. Le racisme larvé de ce deuxième commentaire, inexcusable et qui appelle a une réponse prompte du CNJ, montre en tous cas que le racisme larvé est très clairement partagé entre sympathisant FN de tous pays…

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1. De fait, hormis les partis directement régionalistes le seul parti français qui milite pour l’indépendance de ce territoire mais aussi de l’Écosse, défend la réunification du Pays-Basque ou la création de régions collées sur les territoires culturels et siège aux Parlement avec les indépendantistes Catalans ou Écossais sont les écologistes...