Entretien avec Charmaine Borg, députée de Terrebonne-Blainville

Née en novembre 1990 et très tôt touchée par la politique, Charmaine Borg fait partie des « Cinq de McGill », ces étudiants de l’Université devenus députés néodémocrates en 2011. Une fois la surprise passée, elle a pris ses marques à la Chambre des communes, devenant une spécialiste des questions numériques sans pour autant oublier ses premiers engagements : le social et l’environnement.

deput

Pour commencer pouvez-vous décrire le parcours qui vous a amené à vous engager au NPD et à porter ses couleurs au Québec ? Vous étiez une militante impliquée, mais ne vous attendiez pas du tout à être élue, comment se sont passés les premiers jours après votre élection ?

Depuis l’adolescence, le NPD a toujours été le parti de mon choix. Je l’ai choisi pour ses politiques sociales, pour sa position en matière d’affaires étrangères ainsi que pour le dynamisme de son chef. À l’âge de 17 ans, j’ai commencé à m’impliquer plus sérieusement au sein du NPD comme bénévole et militante. Au fil des années, je me suis engagée davantage en siégeant sur le conseil exécutif du comité des jeunes néodémocrates du Québec et sur le conseil exécutif du club NPD à l’Université McGill. J’ai aussi eu la chance de participer activement à plusieurs campagnes électorales. Comme notre parti tient particulièrement à encourager la présence des femmes et de la jeunesse en politique, on m’a offert de me présenter aux élections fédérales de 2011 ; offre que j’ai acceptée sans hésiter.

Les premières journées suivant mon élection furent très occupées. En effet, je souhaitais dès lors prendre en charge mes nouvelles responsabilités afin de bien représenter les citoyens de ma circonscription. Je suis donc allée à leur rencontre pour mieux connaître leurs priorités et ainsi, mieux orienter mon travail parlementaire.

Avant d’être élue vous suiviez des études de sciences politiques avec une spécialisation sur l’Amérique latine, pourquoi ne pas avoir voulu vous spécialiser dans les relations internationales ?

D’abord, je suis et serai toujours interpellée par les relations internationales de mon pays. Cependant, être intéressée par un enjeu spécifique ne signifie pas nécessairement être la meilleure personne au sein d’un groupe pour défendre le dossier. Dans le cas du caucus NPD, il y avait déjà un député qui possédait une vaste expérience et une excellente réputation en matière d’affaires étrangères. Puisque notre chef nomme les membres du cabinet fantôme en fonction des compétences, de l’expérience et du mérite, il était tout à fait logique que mon collègue se voie attribuer ce dossier de porte-parole. De mon côté, ça m’a permis de découvrir et de me concentrer sur un autre domaine passionnant, soit celui des enjeux numériques, et je suis très heureuse de la tournure des événements !

Petit à petit, vous vous êtes affirmée comme la spécialiste des enjeux numériques. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre en main ce sujet très technique et pourtant fondamental ?

À la suite de mon élection, j’ai été nommée sur le comité permanent de la justice et des droits de la personne. Peu de temps après, le comité devait se pencher sur un projet de loi contenant diverses mesures sur l’accès légal aux renseignements personnels et j’ai pris en charge l’étude de ce sujet. De fil en aiguille, mon travail sur les enjeux liés à l’accès légal ainsi que sur le projet de loi C-30 fut reconnu par mes pairs et par différents experts du domaine numérique. Par conséquent, Thomas Mulcair m’a nommé porte-parole des enjeux numériques lors du réaménagement du cabinet fantôme. Aujourd’hui, je suis très fière d’être la plus jeune députée à avoir été nommée au sein du cabinet fantôme.

On présente souvent les enjeux numériques comme un gadget, une question mineure. Imaginons que vous êtes face à un citoyen sans connaissance particulière d’internet, qui ne fait qu’y lire ses courriels par exemple, comment lui expliquerez-vous l’importance de votre travail ?

C’est un excellent exemple, car la simple action de lire ses courriels implique divers enjeux très importants. D’abord, l’accès à une messagerie électronique nécessite obligatoirement l’accès à Internet. Idéalement, la connexion Internet de tous les Canadiens serait caractérisée par une vitesse relativement élevée et un prix abordable. Puisque le Canada est un grand pays comprenant plusieurs régions peu peuplées, offrir à tous les citoyens un tel accès à prix abordable, peu importe leur emplacement, représente un défi de taille. Voilà donc l’un des enjeux sur lequel je travaille en tant que porte-parole.

De plus, le fait d’avoir un compte courriel implique nécessairement que la personne concernée partage certains de ses renseignements personnels avec le monde numérique. Je ne crois pas me tromper en affirmant que cette personne tient à ce que ses renseignements soient bien protégés et ne soient pas utilisés, sans son consentement, par l’État ou le secteur privé. Ceci est un autre sujet sur lequel je travaille à titre de porte-parole des enjeux numériques.

DF
Charmaine Borg signant son assermentation, 2011

Avec les révélations de Snowden et les scandales qui ne cessent d’éclater sur la manière dont les données des particuliers sont traitées, comment a réagi le gouvernement conservateur et que feriez-vous différemment ?

À mon avis, plutôt que de corriger la situation, le gouvernement conservateur a fait le contraire. Alors qu’ils auraient pu mettre en place des mécanismes pour superviser toutes les demandes d’accès aux renseignements personnels effectuées par la GRC et les autres agences de surveillance, les conservateurs ont proposé, dans deux projets de loi distincts (S-4 et C-13), des mesures facilitant le partage de renseignements personnels entre le secteur privé et public, sans mandat et sans consentement.

La Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques doit être mise à jour et c’est ce que j’exige de ce gouvernement. Par exemple, il faut corriger les lacunes présentes dans la Loi qui permettent aux agences gouvernementales canadiennes d’obtenir les renseignements personnels des Canadiens détenus par les fournisseurs d’accès Internet. J’aimerais également qu’un mécanisme de supervision soit mis en place pour s’assurer que les agences de surveillance respectent la vie privée des citoyens canadiens. De plus, je modifierais les projets de loi S-4 et C-13 afin d’éliminer tous les articles facilitant le partage de renseignements personnels sans mandat et sans consentement.

Au-delà du numérique vous êtes fortement impliqué dans les causes sociales et environnementales. Sur ces sujets, le bilan conservateur est lourd… Alors que le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto, pensez-vous qu’il soit encore possible d’inverser la tendance ?

Certainement, mais pour ce faire, il faut un changement de gouvernement. Le Canada mérite un gouvernement qui mettra la protection de l’environnement et le développement durable à l’avant-plan de ses politiques… et c’est ce que propose le NPD. Je crois qu’en instaurant un système du pollueur payeur, en faisant des investissements importants dans l’économie verte et en appliquant bien les Lois environnementales canadiennes, notre pays se portera déjà mieux.

Le nombre de jeunes élus a été très important lors de l’élection de 2011. L’engagement des jeunes était un de vos combats avant votre élection, comment perpétuez-vous cet engagement ?

À titre de jeune députée, je souhaite surtout encourager les jeunes à prendre leur place sur la scène politique. Pour ce faire, je vais souvent dans les écoles pour parler aux jeunes et leur présenter mon travail. J’essaie constamment de les inclure dans le processus démocratique en leur présentant différents enjeux qui pourraient les intéresser. J’ai également animé un atelier lors duquel des élèves du secondaire rédigeaient un projet de loi sur les minéraux de conflits. Ce fut une incroyable expérience ! De plus, j’ai organisé un concours de rédaction de projet de loi pour les jeunes du secondaire qui les incitait à aborder un sujet qui leur tenait à cœur.

Beaucoup critiquent la crédibilité des jeunes élus, que leur répondez-vous ? Le fait d’être élue avec cinq autres étudiants (dont quatre de la même université) a-t-il été une force ?

Si les gens examinaient le travail que tous les jeunes élus ont effectué au Parlement et dans leurs circonscriptions respectives, je crois qu’ils réaliseraient rapidement que nous travaillons fort et avec passion. Plusieurs des jeunes députés néodémocrates sont responsables de dossiers importants au sein du cabinet fantôme et jouent des rôles essentiels au sein des comités parlementaires auxquelles ils siègent. À mon avis, le fait d’être plusieurs jeunes politiciens dotés d’une feuille de route impressionnante démontre à la population canadienne que les jeunes ont leur place en politique.

charmaine-chambre-des-communes-carre

Pouvez-vous présenter un projet de loi ou une motion que vous avez défendu qui vous a particulièrement tenu à cœur lors de la mandature ?

Selon un ordre préétabli, tous les députés ont l’occasion de proposer un projet de loi qui sera voté par la Chambre des communes. J’ai donc présenté le projet de loi C-475 qui visait à mettre à jour la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques afin de mieux protéger les Canadiens dans l’ère numérique. L’objectif de mon projet de loi était d’instaurer un mécanisme obligatoire et efficace d’avertissement lors d’atteintes aux renseignements personnels des Canadiens. Parallèlement, mon projet de loi cherchait à inciter les organisations du secteur privé à respecter la Loi – trop souvent ignorée à l’heure actuelle – en accordant au Commissaire à la protection de la vie privée du Canada le pouvoir de rendre des ordonnances.

Malgré l’appui de tous les membres de l’opposition, le projet de loi n’est malheureusement pas passé à l’autre étape du processus législatif, bloqué par les conservateurs. Paradoxalement, le même gouvernement conservateur qui a voté contre mon projet de loi s’est inspiré de plusieurs des propositions présentes dans C-475 pour rédiger son propre projet de loi S-4.

Dans six mois, votre mandat touchera à sa fin. Quel bilan pouvez-vous tirer, quel regard portez-vous sur ces quatre ans et sur le milieu politique et vous représenterez-vous ?

Je suis très heureuse de mon mandat jusqu’à présent. Quand j’ai été élue, je souhaitais être une députée accessible et à l’écoute des citoyens. Plusieurs d’entre eux étant désabusés par la politique, je voulais bâtir un climat de confiance entre les gens de ma circonscription et leur représentante sur la scène fédérale. C’est pourquoi j’ai fait beaucoup de porte-à-porte et j’ai organisé de multiples activités et séances d’information. De par ma façon de gérer les dossiers de citoyens, j’ai le sentiment d’avoir été présente pour eux. Au parlement, je voulais être une voix forte pour les gens de ma circonscription tout en défendant les intérêts des Canadiennes et Canadiens en matière d’enjeux numériques. J’ai donc travaillé sans relâche et aujourd’hui, je crois sincèrement avoir atteint mes objectifs.

J’adore mon travail et j’aime aider les gens. C’est ma passion. Pour moi, la politique est l’ultime façon de participer au bien-être collectif. C’est donc avec la conviction que nous méritons mieux qu’un gouvernement conservateur que j’aurai le plaisir de me représenter comme candidate lors des prochaines élections fédérales.

Entretien réalisé par courriel
en août-septembre 2014

Pour aller plus loin :
Site officiel de Charmaine Borg
Page facebook officielle
Compte Twitter officiel
Présentation vidéo de la députée

Entretien avec Alexandre Leduc, ancien (et futur) candidat solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve

Historien de formation, ancien militant étudiant, Alexandre Leduc travaille aujourd’hui comme organisateur syndical à l’Alliance de la fonction publique du Canada. Très impliqué dans les luttes sociales, c’est aussi un fervent indépendantiste, ce qui l’amène assez naturellement à rejoindre Québec solidaire. En 2012 et du haut de ses 27 ans, il se jette dans l’arène politique. Candidat dans Hochelaga-Maisonneuve, un fief péquiste de Montréal, il emporte un des plus hauts scores du Québec (23,69 %), terminant deuxième et devenant « l’opposition officielle » locale.

En 2013 il est candidat au poste de porte-parole-président de Québec solidaire mais est battu par Andrès Fontecilla, son voisin de Laurier-Dorion. Loin d’être démotivé par cette défaite, il repart à l’assaut d’Hochelaga-Maisonneuve en 2014, augmentant son score de près de 10% et manquant de peu l’élection. Bien parti pour venir augmenter le caucus orange à l’Assemblée dans quatre ans, il profite du temps donné pour quadriller le terrain et réfléchir à l’action politique.

campagnePhoto de la campagne de 2014

Avant de commencer l’entretien peux-tu présenter ton parcours et ce qui t’as amené à t’investir au sein de Québec Solidaire jusqu’à en porter les couleurs ?

Je suis issu d’une famille de la classe ouvrière qui a pu survivre en partie grâce au filet social de l’État (frais de scolarité bas, éducation gratuite, santé publique, salaire minimum, etc). Je ne viens pas d’une famille à tradition militante quoiqu’elle avait des valeurs de partage et de solidarité très fortes basées sur le vieux fond judéo-chrétien qui caractérise encore une partie de la social-démocratie québécoise contemporaine.

C’est vraiment à l’université que je me suis réalisé politiquement, à travers mes études en histoire (au cours desquels j’ai été en contact avec les théories marxistes) et le mouvement étudiant (où j’ai développé des pratiques militantes). J’ai approfondi ces apprentissages dans le mouvement syndical par la suite où j’ai pu militer ouvertement à Québec solidaire, le seul parti qui représentait l’ensemble de mes valeurs : progressisme, indépendantisme, écologisme, féminisme.

Vu de l’extérieur, le tissu syndical a encore l’air solide au Québec, pourtant les gouvernements successifs ont pris des mesures très violentes. Dans la fonction publique, on sabre des emplois de manière drastique. Je pense notamment à Hydro-Québec où le PQ a fait des coupes très violentes. Toi qui es à leur contact tous les jours, comment le vivent les salariés ? Et y a-t-il des impacts sur les services ressentis par les usagers ?

Au Québec, environ 40% des travailleurs sont syndiqués. C’est le plus haut taux de syndicalisation en Amérique du Nord. Pour la gauche, c’est la raison pour laquelle nous avons au Québec une des sociétés les moins inégalitaires de cette région du monde. C’est d’ailleurs au Québec que la contestation contre la réforme du gouvernement fédéral sur l’assurance-emploi est la plus forte.

Le démantèlement de l’État est un projet partagé autant par le PLQ, la CAQ et le PQ. Bien sûr, ces trois partis savent qu’ils ne peuvent pas le mettre en pratique de manière frontale, donc ils utilisent la technique du goulot d’étranglement. En prenant comme excuse l’austérité, vous réduisez substantiellement le financement des services publics, rendant presque impossible le maintien de leurs services et l’accomplissement de leur mission, ce qui frustre les citoyens et l’opinion publique. Le fruit est mûr pour les privatisations partielles et encore plus de coupures.

Les salariés du secteur public livrent bataille. Les centrales syndicales développent des solidarités dans le cadre d’un Front commun qui donne des résultats inégaux. En ce moment, une très grosse bataille se prépare sur le front des fonds de retraite que le gouvernement veut charcuter, notamment à cause de quelques maires de municipalités en manque d’attention médiatique.

Cela dit, un des principaux défis du mouvement syndicat dans les prochaines années sera de s’assurer une relève et d’intégrer des travailleurs issus de l’immigration dans ses structures.

Une critique constante faite à Québec Solidaire serait d’être, dans le meilleur des cas, totalement utopiste voire, dans d’autres cas, violemment opposé à l’entrepreneuriat. Que réponds-tu à ces assertions et quelles propositions portent QS pour l’entreprise ?

C’est le lot de plusieurs partis de gauche en Occident. Dès qu’on parle de mieux redistribuer la richesse, on se fait accuser de ne pas être sensible au fait de devoir en créer d’abord. Pour QS, il est possible de faire les deux en même temps.

Nous avons des propositions intéressantes dans notre programme à ce sujet, notamment en matière de délocalisation d’entreprise. C’est un non-sens économique complet de laisser une entreprise rentable fermer ses portes dans un quartier ou dans une ville et de la regarder partir ailleurs les bras croisés. Après une étude économique qui démontre la rentabilité de l’entreprise, QS propose de mettre en place un cadre législatif qui faciliterait la reprise d’entreprise en la transférant à une coopérative de travail.

Nous voulons également soutenir les PME via l’augmentation du pouvoir d’achat de l’ensemble des citoyens. Que ce soit en augmentant le salaire minimum ou en facilitant l’accès à la syndicalisation, nous croyons être en mesure de stimuler la consommation et ainsi augmenter les revenus des PME.

Avec son plan de sortie du pétrole, QS vise à stabiliser le huard (dollar canadien), qui est en ce moment complètement dopé par l’exploitation et l’exportation du pétrole sale albertain. Les économistes appellent ce phénomène le « mal hollandais » Il nuit fortement à ce qu’il reste du tissu industriel québécois qui doit, en matière d’exportations internationales, composer avec une devise trop forte par rapport à l’économie réelle.

Un de tes axes de combat pour le porte-parolat de Québec Solidaire était de mettre en avant la question d’indépendance. Malgré un programme clairement indépendantiste, on reproche en effet souvent à QS sa tiédeur sur le sujet. Comment l’expliques-tu et comment souhaites-tu le combattre ?

C’est en effet un constat que je mettais de l’avant durant la course interne à QS. S’il faut reconnaître que QS a un problème sur le sujet, il faut également reconnaître que c’est un problème de perception. Si on analyse le discours et les textes émanant du parti depuis sa création, il faut vraiment être de mauvaise foi pour plaider que QS n’est pas vraiment indépendantiste. La nuance est la suivante : QS n’est pas SEULEMENT indépendantiste. Il est également de gauche, écologiste et féministe. Pour certaines personnes, ces valeurs sont de trop et viennent déclasser l’indépendance dans leur hiérarchie des luttes à mener. À notre avis, une telle hiérarchie n’existe pas et en créer une est contre-productive.

L’arrivée du multimillionnaire Pierre-Karl Péladeau comme candidat péquiste durant l’élection de 2014 aura été l’occasion pour notre formation de préciser notre pensée à ce sujet. Bien sûr, lors du prochain référendum, nous allons faire campagne pour le « oui » avec tous les souverainistes, ce qui inclut Péladeau, Lucien Bouchard et autres conservateurs. Mais non, nous n’allons pas travailler avec eux sur le reste des sujets. Bien au contraire, nous allons nous opposer vertement à leur austérité, leur politique antisyndicale, à leur pétrophilie.

À ce propos, as-tu observé la course à la chefferie du Bloc Québécois ? Le moins que l’on puisse dire est que l’indépendance est revenue au cœur de leurs débats.

Oui, mais de loin. Je ne suis pas membre d’aucun parti politique fédéral et mon exécutif local m’a demandé de demeurer neutre sur la question. La seule chose que je dirai est qu’il est agréable de constater que la question de l’indépendance est en effet revenue au devant de la scène. De plus, j’ai été agréablement surpris de voir que les débats avaient également porté sur la place des autres partis politiques au sein du Bloc. Cela fait longtemps que le Bloc est accusé de n’être rien d’autre que l’aile fédérale du PQ, alors que les militants de QS et d’ON étaient laissés de côté. À chaque élection provinciale, il était coutume de voir le chef du Bloc faire une conférence de presse conjointe avec le chef du PQ pour dire qu’ils allaient appuyer le PQ. En tant que militant de QS, le message était : on ne veut pas de vous. Il sera intéressant de voir ce que sera l’attitude de Mario Beaulieu en 2018.

Sur l’indépendance, tu mets souvent en avant un travail auprès des communautés culturelles étrangères, qui sont souvent hostiles à un projet vu comme excluant. Le même processus était à l’œuvre lors du débat sur la Charte des valeurs, à laquelle Québec Solidaire s’est opposé. Une laïcité d’état paraît pourtant un vrai enjeu mais le débat a semblé étouffé par des postures avant tout stigmatisantes. Quelles sont les propositions du parti et ta position sur ces sujets ?

On entend parfois de la part de certains Canadiens anglais que les Québécois seraient plus racistes et moins ouverts à la diversité culturelle. C’est bien sûr une immense fausseté. L’histoire de la société québécoise est traversée par l’immigration depuis la fondation de la colonie par la France au 17e siècle. La plus récente immigration arabo-musulmane a généré son lot de défis et de tensions que le PQ a tenté d’exploiter politiquement avec son projet de charte des valeurs.

Mon parti a développé une position nuancée basée sur les résultats de la commission Bouchard-Taylor qui s’était penchée sur le phénomène des accommodements raisonnables. Partisans d’une approche interculturelle plutôt que multiculturelle, nous avons proposé notre propre projet de Charte dont on peut résumer l’essence par : laïcité des institutions de l’État, liberté des individus.

Malheureusement, la manipulation grossière de l’enjeu identitaire par le PQ a fait en sorte d’éloigner considérablement la communauté arabo-musulmane de la souveraineté, alors que c’était la communauté la plus proche de ce projet. Sur ce plan, tout est à reconstruire et QS doit jouer un rôle important car la réputation du PQ est foutue pour au moins une bonne décennie.

 ledAlexandre Leduc en avril 2014 avec Manon Massé et Amir Khadir

Tu étais candidat dans une circonscription potentiellement gagnable, et le score final a été réellement serré. Si Québec solidaire voit ses scores progresser partout on ne peut nier que son centre électoral se trouve à Montréal, les trois députés du parti sont dans des circonscriptions voisines de la tienne et de Laurier-Dorion, où vous obtenez aussi un très bon score. Si avoir un fief n’est pas un mal, comment faire pour décupler l’influence de QS en région ?

Le fait que les votes progressistes soient plus concentrés dans les grands centres urbains n’est pas un phénomène propre à QS ou au Québec. On observe la même chose au Canada, en France ou ailleurs. Ce n’est donc pas surprenant que QS ait fait élire ses premiers députés dans les quartiers centraux de Montréal. La droite a exactement le même problème, mais à l’inverse. Il n’y a en effet aucun député de la CAQ dans les nombreuses circonscriptions montréalaises.

Cependant, il est faux de dire que QS ne croît pas en dehors de Montréal. Une analyse plus pointue des données électorales démontre une croissance importante, notamment à Rimouski.

Le défi de QS repose plutôt dans sa capacité à faire résonner sur la scène nationale les bons discours que ses candidats ont déjà développés dans leurs régions respectives. Par exemple, les candidats de la région de Québec avaient développé une plateforme régionale très précise. De plus, l’équipe dans Rimouski a fait de Marie-Neige Besner une candidate au rayonnement régional et même national.

Cela étant dit, des réflexions ont lieu en ce moment sur la possibilité de cibler une circonscription hors Montréal et d’investir plus de temps et d’énergie pour y faire élire un ou une nouvelle solidaire. Rimouski pourrait être ce terrain propice. La ville est réputée plutôt progressiste et est le lieu de résidence de plusieurs étudiants (cégep et université) qui sont, en général, plus susceptibles d’être sympathiques aux idées de Québec solidaire.

Finalement battu, tu as annoncé vouloir te représenter en 2018. Tu as forgé le concept d’« opposition officielle locale », peux-tu nous dire ce que cela signifie pour toi et ce que tu comptes mettre en œuvre pour obtenir ton entrée à l’Assemblée nationale dans quatre ans ?

À peine 1000 voix nous séparaient de la victoire dans Hochelaga-Maisonneuve. J’ai pris la décision de me représenter en 2018 au courant de la dernière semaine de campagne pour différentes raisons : 1) j’avais beaucoup apprécié mon expérience de 2012 et de 2014, 2) j’étais très fier du travail accompli par notre équipe, 3) je crois qu’il est important d’avoir une certaine stabilité dans les candidatures, 4) j’avais le goût de continuer à incarner une certaine relève dans le parti. J’en ai donc fait l’annonce le soir même du vote ce qui a été, je le souhaite, un léger baume pour les militants.

Nous avons développé le concept d’opposition officielle locale après l’élection de 2012 ou nous sommes arrivés bons deuxièmes. Le PQ règne sans partage sur Hochelaga depuis 1970. Il n’y a jamais eu de force politique organisée qui, entre les élections, remette en question le travail de la députée dans le quartier. Nous avons voulu incarner cette opposition officielle entre 2012 et 2014 et j’estime que cela a relativement bien fonctionné. Nous avons réussi à critiquer publiquement la députée Carole Poirier sur les dossiers du transport en commun et des écoles contaminées. Cela a tellement bien fonctionné que, durant cette période, nous avons eu plus de couverture médiatique que la députée elle-même.

Dans l’immédiat, mon équipe et moi-même allons prendre du repos et un peu de recul, mais ce ne sera que pour revenir en force dans quelques mois avec la ferme intention de mener des dossiers de front, de faire du bon travail de terrain et de construire maintenant notre victoire de 2018.

Entretien réalisé par courriel
en août 2014

Pour aller plus loin :
Blog d’Alexandre Leduc
Page facebook d’Alexandre Leduc
Québec solidaire