Mario Beaulieu n’a jamais eu de mandat et n’est pas un cadre du Bloc, c’est pourtant loin d’être un nouveau-venu dans le combat souverainiste. Avant de démissionner de ses fonctions pour se lancer dans la course, il était président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, plus ancien mouvement indépendantiste du Québec, ainsi que du nouveau Mouvement Québec français, refondé en 2011. Dans son long CV on trouve aussi sa participation au SPQ Libre (union des syndicalistes indépendantistes), au Mouvement Montréal français et au Conseil de la souveraineté du Québec, où il a siégé durant cinq ans. La politique active n’est pas non plus inconnue à celui qui dirigea le Parti Québécois de Montréal-Centre durant cinq ans et a porté les couleurs du Bloc dans un fief libéral en 1997.
Pour autant, le nom de Mario Beaulieu est arrivé comme par surprise, à quelques semaines des dépôts de candidatures. Effrayé par les discours prônant une « bonne gouvernance » plutôt que l’indépendance et refusant une élection sans débat, il a décidé de se jeter dans l’arène pour porter fièrement ses convictions. Pour lui, le Bloc doit reprendre le travail de pédagogie et de militance. Rencontre avec un passionné.
En 2011, le Bloc a subi sa plus sévère défaite. Comment avez-vous analysé cette défaite et avec quels objectifs souhaitez-vous aborder les élections de 2015 ?
Les résultats de l’élection de 2011 sont l’aboutissement de la stratégie attentiste et défensive mise en œuvre depuis le référendum de 1995. Alors que les sondages ont montré que l’appui à la souveraineté se situe généralement autour de 40 %, cette stratégie visait à attirer non seulement le vote des indépendantistes, mais aussi celui des indécis et de certains fédéralistes. Le Bloc Québécois a donc mis l’accent sur le fait qu’il est le seul parti voué exclusivement à la défense des intérêts du Québec sur la scène fédérale.
Plusieurs chantiers de réflexion sur la souveraineté ont été organisés et les indépendantistes ont beaucoup discuté entre eux. Mais, il n’y pas eu de campagne systématique visant à promouvoir le projet d’indépendance dans l’ensemble de la population.
Bien qu’une série de facteurs circonstanciels soient également intervenus, les résultats aux élections fédérales et québécoises démontrent qu’en mettant l’accent sur la gouvernance plutôt que sur le projet de faire du Québec un pays, les partis politiques indépendantistes se sont éloignés de leur raison d’être et, du fait même, se sont affaiblis.
En 2011, dans la mesure où l’indépendance du Québec ne semblait pas être l’enjeu central de l’élection, une partie importante des électeurs souverainistes qui voulaient se débarrasser du gouvernement de droite de M. Harper a cru à tort qu’il pourrait mieux y arriver en votant massivement pour le NPD (Nouveau Parti Démocrate) de Jack Layton. Lorsque le Bloc a tenté de ramener l’enjeu national vers la fin de la période électorale, il était trop tard pour arrêter la « vague orange ».
L’appui à la souveraineté se maintient généralement autour du 40 % dans les sondages sans même que les partis dont c’est la raison d’être en fassent systématiquement la promotion.
Avec un mandat et un plan d’action indépendantistes clairs et transparents, si le Bloc fait le plein du vote des indépendantistes, il peut donner au Québécois 20, 30, 40 et même 50 députés indépendantistes à Ottawa.
Beaucoup d’électeurs ont de la sympathie pour le Bloc mais se questionnent sur l’utilité d’un parti fédéral qui ne peut pas avoir de majorité. Comment justifiez-vous le sens du Bloc ?
L’existence du Bloc permet aux Québécois indépendantistes d’être représentés au gouvernement fédéral à Ottawa. En l’absence du Bloc, nous n’aurions d’autre choix que de laisser des fédéralistes décider pour nous et parler en notre nom. Même sans avoir la majorité, la présence du Bloc dans l’opposition est extrêmement significative dans le cadre fédéral: elle est le symbole de la démarche du peuple québécois et permet de démontrer la nécessité de s’affranchir du système canadien actuel.
Le Bloc a un rôle crucial à jouer pour relancer le mouvement indépendantiste québécois. Ce renouveau du mouvement indépendantiste a déjà été entrepris dans la société civile avec des moyens modestes, mais avec détermination. Les États généraux sur la souveraineté ont permis de mettre à jour l’argumentaire et de le ramener à l’essentiel, soit de démontrer les effets concrets de la dépendance politique imposée au Québec. Le réseau Cap sur l’indépendance a amorcé une campagne permanente pour faire du Québec un pays.
Comme il n’y a qu’un parti indépendantiste au palier fédéral, le bloc est le lieu de rassemblement naturel de tous les indépendantistes, la coalition à partir de laquelle le mouvement peut se réorganiser autour d’un plan d’action clair et transparent.
Si le Bloc est élu clairement avec le mandat de faire la promotion et de préparer l’indépendance, il est tout à fait légitime que ses députés concentrent leurs énergies et leurs ressources à cet objectif avant, pendant et après l’élection, à Ottawa et à Québec, à la Chambre des communes comme à l’extérieur. Il est tout à fait possible de faire cela en assumant leurs responsabilités parlementaires.
Vous n’avez jusqu’ici jamais été candidat-e à la chefferie d’un parti, qu’est-ce qui vous a motivé à y aller cette fois-ci ? Et quels sont les axes majeurs de votre candidature ?
J’ai ressenti la débâcle électorale du 7 avril dernier comme un coup de fouet. C’était une fois de plus la démonstration qu’en mettant la promotion du projet de faire du Québec un pays en sourdine, les partis indépendantistes courent à leur perte. L’absence de campagne systématique pour l’indépendance en dehors des périodes électorales fragilise l’appui à notre projet de pays, qui paraît de plus en plus abstrait et de moins en moins réalisable pour l’ensemble de l’électorat. Nos adversaires ont bien identifié les failles de cette approche étapiste et ne manquent jamais l’occasion de brandir le référendum comme un épouvantail à chaque élection.
Le mouvement indépendantiste est donc à la croisée des chemins, à une étape cruciale de son parcours.Lorsque M. Bellavance a présenté une plateforme de type attentiste, plusieurs membres du Bloc se sont mis à solliciter de nouvelles candidatures pour que soit proposé de ramener l’indépendance à l’avant plan.
J’ai décidé de me lancer dans la course pour m’assurer que les membres du Bloc aient la possibilité de tenir ce débat et de s’engager réellement dans une démarche d’accession à l’indépendance. Ma candidature reflète donc la nécessité pour le mouvement indépendantiste au Québec de revoir sa stratégie.
Je propose que le Bloc fasse la promotion de l’indépendance avant, pendant et après les élections. À Ottawa, les députés doivent toujours profiter de leurs interventions en Chambre ou dans les médias, non seulement pour défendre les intérêts du Québec dans des dossiers spécifiques, mais pour illustrer que l’indépendance est la seule voie de notre liberté collective. La seule façon d’assurer notre plein développement en tant que peuple, en fonction de nos intérêts et de nos valeurs, tant dans le domaine politique, économique que culturel, c’est de faire du Québec un pays.
Plus que jamais, les députés, les candidats et les militants, en alliance avec les organisations de la société civile, doivent être proactifs sur le terrain. Nous ferons une campagne permanente dans toutes les régions, et particulièrement dans les cégeps et les universités. Je propose aussi que les députés du Bloc Québécois s’engagent à faire don de la différence salariale entre un député fédéral et un député québécois, à une fondation destinée à la promotion de l’indépendance.
En somme, le renouveau du mouvement indépendantiste passe par l’énergie d’une jeunesse militante et d’une société civile unie et aux aguets, par un caucus de députés forts d’un mandat clair et prêts à investir temps et argent pour l’indépendance.
Tout au long de mon parcours dans les instances du Parti Québécois et du Bloc Québécois, j’ai milité dans le cadre de cette approche proactive de la promotion de l’indépendance.
Au cours des dix dernières années, à titre de vice-président, puis de président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM), j’ai travaillé avec des milliers de jeunes à consolider et à rassembler les organisations de la société civile autour des objectifs de l’indépendance (Cap sur l’indépendance, Conseil de la souveraineté), de la défense et la promotion du français (Mouvement Québec français, Partenaires pour un Québec français) et de l’enseignement de l’histoire (Coalition pour l’histoire).
À la direction du Bloc, je serai donc à même de lancer rapidement une offensive majeure pour l’indépendance en coalition avec les organismes et les militants indépendantistes.
Vous souhaitez remettre l’indépendance au cœur du projet, cela passe par un dialogue avec les partis indépendantistes provinciaux. Si le Bloc est seul au fédéral, il y est souvent perçu comme une antenne du PQ, mais il y a trois autres partis souverainistes au provincial. Si vous-êtes élu, comment dialoguerez-vous avec ces forces qui ont été parfois méprisés par des cadres bloquistes ?
Le fractionnement du mouvement est largement tributaire de la mise en veilleuse de l’option indépendantiste. Déjà le Bloc regroupe en son sein des indépendantistes de différentes formations et, majoritairement parmi ceux-ci, des gens qui sont également membres du Parti québécois.
En adoptant une stratégie claire, active et effective axée sur la promotion et la préparation de l’indépendance, le Bloc Québécois sera en position de rassembler plus que jamais tous les indépendantistes. Dans cette optique, l’action du Bloc contribuera à établir une dynamique de convergence plutôt que de division des forces.
Vous vous êtes décidé très tardivement à entrer en campagne. Entretemps André Bellavance a engrangé de nombreux soutiens institutionnelles (présidents de sections, parlementaires…), comment observez-vous votre situation d’outsider ?
Ma longue expérience en tant militant et cadre de diverses organisations indépendantistes, notamment au sein du Bloc Québécois, fait que je connais déjà un grand nombre d’anciens et de nouveaux députés, ainsi que les membres et les officiers du parti. J’annoncerai d’ici peu les appuis formels à ma candidature.
L’annonce de mon arrivée dans la course avec un plan d’action clair et effectif a suscité un effet d’engouement certain chez des militantes et des militants. C’est ce qui m’a permis de relever un défi que plusieurs considéraient insurmontable, en accumulant en une semaine non pas 1000 signatures de membres en règle du Bloc Québécois, mais au-delà de 2000 signatures. La semaine suivante mon équipe a pu susciter une augmentation considérable du nombre de membres du Bloc.
La proposition de ramener l’indépendance à l’avant plan suscite un appui très large non seulement de la part des militants de la base mais à tout les paliers de l’organisation.
Le Bloc Québécois sera le fer de lance pour faire du Québec une nation libre comme le sont les 193 autres pays dans le monde.
Vive la liberté, Vive l’indépendance!
Entretien réalisé par courriel
du 10 au 29 mai 2014
Pour aller plus loin :
– Page facebook de Mario Beaulieu
Crédits images : Facebook Mario Beaulieu 2014