Après Je me souviendrai, voici une autre bande dessinée sur le Printemps Érable. Cette fois-ci pas de collectif, pas de reportage, pas de militantisme pur mais une fine observation prétexte à des développements innatendus. Auteure américaine émigrée à Montréal, Sophie Yanow vit de près l’ébullition de la révolte et s’intéresse aux tactiques des policiers – ces amateurs de souricières -, permettant une réflexion élargie sur l’urbanisme comme mode de compression de la contestation mais aussi comme outil.

Un outil d’expression pour son travail artistique et militant (via l’affichage) comme elle l’évoque dans la page ci dessous, mais, nous le verrons ensuite, un outil comportant bien d’autres possibles.

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Partant de l’exemple québécois, elle brosse un portrait historique convoquant l’ouvrage du Maréchal Bugeaud sur la prise d’Alger et sa casbah inextricable. Les ruelles, les escaliers, l’illogique de l’architecture, tout ça pousse le Maréchal, une fois la bataille gagnée, à tout raser : détruire, faire des grandes rues, libérer l’espace pour faire de belles avenues. Ce sera aussi la logique d’Haussmann à Paris, il parlera de l’importance de l’espace, de circulation, de respiration, mais aussi de la grande difficulté d’y élever des barricades.

De forteresse extérieures les villes deviennent ainsi protégées à l’intérieur d’elles même, repoussant toutes idées de guerres civiles. Pourtant, et cela frappe Sophie Yanow, les villes sont étouffantes par rapport à sa campagne natale. Malgré leurs grands axes, on y est compressé, et les manifestations géantes réussissent à les remplir. Le jeu préféré des agents reste l’encerclement, faire dévier les trajectoires et créer de jolies petites prisons à ciel ouvert. C’est un jeu, une guerre de position, ou la peur de l’arrestation (qui plus est pour une étrangère, qui pourrait être chassée du pays) et la pression de l’encerclement joue autant que la charge elle-même.

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Face à cette culture de la rentabilité architecturale Yanow rappelle aussi que l’urbanisme peut être réapproprier, et la ville pensée comme ennemie, devenir un outil de la lutte. La réappropriation ce sont les jeunes banlieusards de La Haine, qui occupent les toits en fêtes improvisées, ou les manifestants si nombreux qu’ils empêchent toute circulation dans les rues de Montréal. La ville si grande, si oppressante, devient une alliée. Puisqu’aujourd’hui on ne peut a priori tout raser au canon, la masse peut devenir de cachette et recréer les aspérités manquantes. Une idée rappelée lors de la séquence de projection dun film-manifeste Insurgence et sa superbe première phrase : « Nous la forêt ». Eux, la nature sauvage et indomptable qui revient en ville, ils sont des milliers, ils sont là, et ils sont un bloc.

Alternant évocations historiques et instants de la grève, Sophie Yanow réussi d’audacieux parallèles qui ne sombrent ni dans l’intellectualisme snob de la citation illustré, ni dans la chronique passive. Un étrange coup de force difficilement descriptible qui doit beaucoup a un dessin évanescent n’hésitant pas à passer du croquis habile au symbolisme épuré dont les effets graphiques servent à merveille le propos. L’usage d’un gaufrier récurrent (même si mouvant) principalement rompu par de pleines pages excluant la case en est la plus belle illustration : sortir d’un rigide cadre défini pour exprimer naturellement ce que l’on a a dire, n’était-ce pas aussi le but premier des manifestants ?

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La Guerre des rues et des maisons
de Sophie Yanow
Traduit par l’auteure et Vincent Giard
La Mauvaise Tête
Automne 2013, 70 pages, 15,95 $
ISBN : 9782923942070
Fiche sur le site de l’éditeur
Le site de Sophie Yanow

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