Depuis le début de ce blog, je souhaite interviewer des militants et élus péquistes. Mes positions sont souvent sévères pour ce parti, comme en atteste mon dernier article, mais ils rentrent encore à mes yeux dans l’arc progressiste québécois que je veux défendre ici. Voici donc un premier entretien d’un militant de valeur, dont l’engagement culturel m’a interpellé.
Considéré dans un article récent comme un « pionnier du web québécois », Clément Laberge est un entrepreneur passionné de technologie et de culture. Fondateur (Septembre média en 1997, Opossum en 2003) ou cadre dirigeant (iXmédia, chargé de développement numérique chez Éditis) de nombreuses sociétés d’éditions, il est actuellement vice-président principal de De Marque, société leader dans la production de contenus et dans la distribution de livres numériques. Très engagé dans le débat sur le prix unique du livre, il a porté les couleurs du Parti Québécois dans Jean-Talon (Québec la ville) lors des dernières élections générales. Il a terminé deuxième dans ce fief libéral, 7824 voix (22,48 %), distancé par le député sortant Yves Bolduc, qui a obtenu 15492 voix (44,5%).
Vous êtes un acteur reconnu du milieu culturel au Québec. Expert du milieu du livre et particulièrement de sa transition numérique on vous a récemment entendu à propos de la loi sur le prix unique du livre ? Craignez-vous qu’avec l’élection de libéraux le projet soit abandonné ?
J’ai fait tout ce qui était possible depuis quatre ans pour expliquer et plaider la nécessité d’une intervention de l’État dans ce sens. Un projet de loi a finalement été préparé par le ministère de la Culture, mais n’a pas pu être déposé à l’Assemblée nationale avant le déclenchement de la campagne électorale… et je crains qu’il ne soit finalement jamais déposé.
Je pense qu’il n’y aura pas de réglementation du prix des livres neufs au Québec à court ou moyen terme. Il faudra donc trouver des moyens alternatifs pour soutenir le travail des libraires et l’écosystème éditorial dans son ensemble.
Vous avez décidé d’être candidat pour le Parti Québécois aux dernières élections. C’est une prise de risque notable. Qu’est-ce qui vous a donné envie, alors que vous êtes un acteur institutionnel, de vous engager dans la politique active ? D’autant que vous vous engagiez dans un fief libéral, difficile à remporter même en cas de vague péquiste.
J’aurais évidemment souhaité être élu le 7 avril, mais si cela avait été ma seule motivation en me portant candidat, j’aurais été bien candide de me présenter dans la circonscription de Jean-Talon. Mais, pour moi, la politique c’est d’abord et avant tout un moyen d’agir, concrètement, dans son milieu de vie – il était donc normal de me présenter dans la circonscription que j’habite. Je n’ai jamais considéré cela comme une prise de risque, plutôt comme une opportunité.
Je considère que quand on se porte candidat dans une élection, c’est d’abord et avant tout pour avoir l’occasion de faire avancer quelques idées au sein de la population – dans un contexte privilégié pour le faire. Et, de ce point de vue, je n’ai pas été déçu, bien au contraire! Malgré le résultat, je suis très fier de mon expérience, et ravi de toutes les rencontres que cela m’a donné l’occasion de faire, dont plusieurs auront assurément des suites d’ici la prochaine élection… et une éventuelle deuxième expérience comme candidat.
Une question qui amène la suivante : pourquoi avoir choisi le Parti Québécois ? Cela tient-il à de vieilles convictions, à une foi indépendantiste, au bilan de Pauline Marois… ou à un peu de tout ça ?
Le Parti Québécois est depuis toujours une large coalition de personnes qui ont essentiellement en commun le projet de faire du Québec un pays.
C’est une coalition qui a connu depuis quarante ans des périodes plus « centre-gauche » et d’autres plus « centre-droit », mais qui a toujours été guidée par des valeurs sociales-démocrates – et qui a toujours vécu avec les incessants débats et rapports de force qui accompagnent cette nature de coalition.
Je suis souverainiste et je crois profondément dans cette idée qu’un parti politique doit être un creuset dans lequel diverses tendances présentes dans la société doivent se confronter… Dans le but de faire émerger des propositions concrètes qui pourraient être mise en œuvre rapidement et de façon pragmatique. Il était donc naturel que je milite au sein du Parti Québécois et que j’en porte les couleurs comme candidat.
La présence de Pauline Marois comme chef du parti était certainement une raison de plus pour être candidat. Il s’agit d’une femme extraordinaire, avant-gardiste et généreuse. Son bilan marquera l’histoire du Québec, malgré la cruelle défaite du 7 avril.
Parlons de culture, puisque c’est votre sujet de prédilection. On a assez peu entendu Maka Kotto, l’actuel ministre de la culture québécois, ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait rien fait. Pourriez vous, vous qui fréquentez ce monde de l’intérieur, décrypter ce qui différencie l’approche culturelle des péquistes et des libéraux ? C’est un sujet qui n’a pas été abordé durant la campagne.
Maka Kotto n’a été ministre de la Culture que pendant 18 mois – c’est bien peu pour déployer d’ambitieuses politiques.
Il est clair que les enjeux culturels ont depuis toujours une résonance particulière pour le Parti Québécois – notamment parce qu’ils s’inscrivent le plus souvent dans une perspective d’affirmation nationale. Il faut d’ailleurs souligner que la plate-forme électorale du Parti Libéral ne comportait absolument rien concernant la culture, ce qui m’apparaît absolument invraisemblable pour un parti politique qui prétend gouverner le Québec.
Quoi qu’il en soit, tout le monde a bien constaté que les questions culturelles n’intéressaient que bien peu de gens pendant cette élection, que les médias n’y accordait aucune importance… et que tout cela n’aura probablement eu aucun effet sur les résultats.
En dépit de cela, je pense qu’il faut aussi faire preuve d’autocritique et se dire que cette indifférence apparente trouve son origine dans un manque de différenciation dans les approches culturelles des différents partis, vus somme toute comme « interchangeables » par une partie importante de la population. Il faut probablement se questionner sur cela et voir à clarifier dans les prochaines années ce qui distinguera, de façon évidente, l’approche proposée par le Parti Québécois de toutes les autres.
Si vous évoluez dans le milieu culturel, vous vous présentez dans votre CV, sur votre site, avant tout comme un entrepreneur. Le PQ se revendique progressiste, même si depuis Lucien Bouchard il a connu un tournant social-démocrate (voire social-libéral) les profils d’entrepreneurs restent rares dans ce parti ouvert, mais fondé en partie sur l’idée d’un État fort. Que pensez-vous y apporter et pensez-vous avoir de la place pour vos idées ?
Je pense que la perspective entrepreneuriale n’est pas assez présente dans la pensée et le discours politique. Et que si on veut changer cela il faut qu’un plus grand nombre d’entrepreneurs s’engagent en politique, pour témoigner de cette réalité – qui n’est en rien contradictoire avec la sociale démocratie et la nécessaire solidarité qui l’accompagne.
Je crois qu’un des plus grands défis de la politique aujourd’hui est de bâtir chez les citoyens une meilleure confiance individuelle et collective, d’ancrer dans la population la conviction que nous ne sommes pas à la merci de forces économiques ou politiques qui nous dépassent, et que nous maîtrisons notre destin collectif. Et, pour cela, la valorisation de l’attitude entrepreneuriale me semble déterminante – bien au delà, d’ailleurs, des simples enjeux économiques associés.
À ce titre l’arrivée de Pierre-Karl Péladeau a été un moment fort de la campagne, qui a eu l’effet inverse de celui escompté. Revivifiant les anti-référendum, il a aussi servi de repoussoir à de nombreux électeurs de gauche, PKP n’étant pour le coup pas connu pour son progressisme. Quel est votre regard sur cette candidature ?
Je me suis réjoui de la candidature de Pierre-Karl Péladeau et je me réjouis de son élection.
Je réitère que dans la perspective où le Parti Québécois est – et doit demeurer – une très large coalition, sa présence vient enrichir nos débats et pourra contribuer à renouveler les propositions que nous formulerons aux Québécois lors de la prochaine élection (et d’ici-là, d’ailleurs!).
Plusieurs ont voulu faire de M. Péladeau un épouvantail (pour la gauche, pour les fédéralistes, etc.). Je pense que c’est une simplification inutile et trompeuse. Les causes de l’échec électoral sont plus complexes.
Les fédéralistes ont beaucoup caricaturés les souverainistes en petit groupe reclus sur lui même, se refusant au monde. Vous qui avez vécu en France, été employé par l’un des plus gros groupe d’édition européen et dirigez aujourd’hui une structure qui est clairement tournée vers l’international, que leur répondez-vous ?
Je n’ai pas envie de répondre à cela. C’est un portrait grossier et malveillant qui ne résiste à aucune analyse un tant soit peu sérieuse. Il faut tout de même admettre que nous nous sommes inutilement exposés à être décrits de cette façon et que nous n’avons pas su réagir adéquatement. Il faudra savoir éviter ce piège dans l’avenir.
La redéfinition du projet souverainiste et la façon de le présenter – dans un environnement médiatique qui a dramatiquement changé depuis quarante ans – constitue assurément un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés dans les prochaines années. Un des plus stimulants aussi
Ce « souverainisme ouvert » que vous défendez a semblé pour beaucoup de gens en décalage avec le projet de Charte des valeurs portée par M. Drainville. Si une charte de la laïcité semble une bonne idée, comprenez-vous les critiques sur la manière dont le débat a été porté ? Le PQ a été très clivant, stigmatisant diront certains, et a refusé en bloc la plupart des amendements de compromis. Après les élections, la discipline de parti se relâche et les langues se délient un peu, quelle est votre position sur ce sujet sensible ?
Je pense que le projet de Charte répondait à des enjeux bien réels et qu’il soulevait des questions importantes pour l’avenir de la société québécoise. S’il y a un mea culpa à faire à cet égard, ce n’est effectivement pas tant sur le fond que sur la manière dont le débat a été porté.
Pour cette raison, je crois que ce n’est pas tant le projet de Chartes en lui-même qui était en décalage avec un « souverainisme ouvert », mais bien l’intransigeance (au moins apparente) dont les porteurs du dossier ont fait preuve.
La large défaite du PQ ne peut se limiter à la Charte ou à PKP. Même si cela a sans doute joué, ce serait simplifier à outrance. Quels sont vos autres éléments d’analyse ? Sur quoi pensez-vous que le PQ doit travailler dans les mois à venir et vous y investirez-vous ?
Comme je l’ai dit précédemment, je crois effectivement que la défaite ne peut s’expliquer par une ou deux causes aussi faciles à identifier.
Il est encore un peu tôt pour identifier précisément les principaux éléments d’analyse pour la suite. Je pense que chacun fait individuellement ses propres constats et que nous devrons mettre cela en commun dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Néanmoins, il m’apparaît d’ors et déjà évident qu’un des défis important qui nous attend est de combattre l’ambiguïté sur tous les fronts pour arriver à formuler des propositions beaucoup plus claires, à tous égards : sur la souveraineté et la démarche pour éventuellement y arriver, sur l’éducation, la culture, sur ce qui concerne les questions environnementales, etc.
Il faudra accepter l’idée que s’il est vrai – comme certains le prétendent – qu’une partie de la population a voté pour le Parti Libéral surtout pour voter contre nous, c’est peut-être surtout parce qu’on ne lui a pas offert de raisons suffisantes pour avoir le goût de voter pour nous…
Nous aurons aussi des questions à se poser sur la manière de mener une élection – et sur la pertinence (efficacité) de mener des campagnes aussi fortement dirigée vers les chefs (surtout quand celui-ci est sensé représenter une coalition). Une bonne réflexion aussi sur l’environnement médiatique dans lequel nous évoluons.
Et bien sûr que je m’investirai dans ces réflexions essentielles!
Quelques semaines après l’élection la stupeur est retombée, c’était votre première candidature, dans une circonscription difficile, et elle se solde par un échec. Vous avez cependant menée une campagne active, qu’en retenez-vous ?
J’ai déjà pas mal répondu à ces questions…
Je ne regrette rien. Je suis très fier de ce que j’ai réalisé, malgré les résultats (cela n’a rien à voir avec les résultats, en fait !). J’ai beaucoup appris (encore plus que je n’aurais pu le croire). J’ai aussi acquis une connaissance et une compréhension de ma région, que je pense que je n’aurais pas pu obtenir autrement. J’ai finalement développé une expérience de campagne électorale – avec des personnes absolument extraordinaires.
À l’évidence je pense rééditer l’expérience à l’avenir.
Je pense même que la probabilité d’être élu sera encore un peu moins importante la prochaine fois – parce que le processus démocratique et les débats auxquels une candidature donne lieu, me semblent valoir, en eux-mêmes, tous les efforts qu’il faut y consacrer.
Entretien réalisé par courriel
entre le 24 et le 27 avril 2014
Pour en savoir plus :
– Blog personnel de Clément Laberge et notamment ses 1ère réflexions post-électorales ;
– Site « Nos Livres à juste prix » sur le Prix Unique ;
Crédit photo : PQ Jean Talon / Le Soleil, Yann Doublet