Entretien avec Ève Péclet, candidate NPD dans La-Pointe-de-l’Île

À 30 ans Ève Péclet a déjà une belle carrière politique. Élue députée de La Pointe-de-l’Île en 2011 à l’occasion de la vague orange, nous l’avions rencontré à la fin de son mandat. Battue sèchement lors de l’élection suivante, malgré un bilan salué et une implication locale loin d’un poteau, elle a repris ses études et est devenue avocate, spécialisée dans les droits à la personne. De nouveau candidate cette année, elle veut mettre son expérience au service d’un caucus profondément renouvelé. Après Alexandre Leduc c’est un nouvel entretien « Quatre ans après », merci à elle pour son intérêt renouvelé.

Annonce de candidature.

Quatre ans ont passé depuis le soir de 2015 où tu as perdu ton mandat. Comment encaisse-t-on une défaite et comment as-tu rebondis ensuite ? 
En toute honnêteté, la défaite n’a pas été facile. Je me suis donnée corps et âme durant mon mandat et j’ai travaillé sans relâche afin de faire avancer les dossiers de notre comté. C’était personnel pour moi et beaucoup de gens, notamment mon équipe, comptait sur moi. Je me suis sentie responsable de leur déception et j’ai porté pendant longtemps ce fardeau. Cependant, je n’ai jamais été amère ni fâchée. Bien entendu, déçue et triste parce que j’aurais aimé continuer le travail entamé, mais je comprends que parfois les circonstances en décident autrement. Tous ceux et celles qui me connaissent savent que je suis une travailleuse acharnée et malgré les défis et les obstacles, je suis toujours optimiste et je redouble toujours d’efforts dans l’adversité. Je suis donc retournée sur les bancs de l’école et je me suis reconstruite tranquillement.
 
Tu es à nouveau candidate dans La Pointe-de-l’Île, il serait facile de n’y voir qu’un sentiment de revanche, pourtant tu expliques que c’est sans doute la plus importante de tes trois candidatures, que c’est celle où il ne faut pas réfléchir car il y a comme une évidence. Peux-tu l’expliquer ?
Ma défaite ne m’a jamais rendue acerbe et je n’ai jamais cessé de m’impliquer politiquement et socialement. Cela fait partie de mon ADN en tant que militante. Malgré mes études, je suis restée co-présidente de la section du NPD au Québec. Je me suis impliquée dans divers organismes notamment pour la protection de l’environnement. En prenant du recul, j’ai réalisé que nous en sommes à un point tournant dans notre société, que les inégalités sociales n’ont jamais été aussi importantes et que la crise climatique ne pouvait plus être ignorée. L’enjeu de l’élection de 2015 était de se défaire du gouvernement conservateur de Harper. Aujourd’hui, on va beaucoup plus loin : on doit rejeter le statu quo. L’inaction gouvernementale nous fait tourner en rond et nous avons besoin d’un vrai changement si on veut finalement sortir de cette « apathie gouvernementale » qui nous empêche d’avancer; que ce soit conservateur ou libéral, ça ne bouge pas.

Le Nouveau parti démocratique traverse une phase difficile depuis 2015, multi-factorielle, une des réponses semble d’avoir plus que jamais pris à bras le corps la question des changements climatiques. Te reconnais-tu dans un NPD écologiste et qu’est-ce qui le différencie des autres plateformes sur ce point ?
Notre plateforme s’inspire de ce qui se fait au États-Unis avec le Green New Deal. Notre proposition est assurément la plus complète, structurée et inclusive. Nous avons mis en place toutes les mesures nécessaires pour que l’on soit en mesure d’opérer cette transition économique et écologique dont nous avons besoin.
Nous avons pris en compte tous les acteurs du milieu afin de diversifier notre économie, se désinvestir des pétrolières et de miser sur les nouvelles technologies et les énergies alternatives. Notre plateforme prend en considération les impacts que cela aura sur les travailleurs en leur offrant du soutien. Elle veut aussi investir pour redynamiser nos secteurs économiques trop long longtemps laissés pour compte et soutenir la recherche et le développement dans les nouvelles technologies et les énergies. Je crois que notre approche permettra de créer des emplois et d’enrichir nos communautés.
C’est littéralement une restructuration de notre économie afin de mettre à profit nos industries locales et, en même temps, de transitionner vers une économie plus verte et plus égalitaire pour toutes et tous. Nous avons besoin d’être ambitieux et je crois que nous avons besoin d’une vision pour notre avenir. Une politique constructive qui nous donnera les moyens de construire cette société dont nous rêvons tous.

Tu es avocate, employée de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui veille notamment au respect de la Charte canadienne des droits et libertés. J’imagine que cela irrigue ta vision politique ? Je pense notamment aux débats sur la laïcité, le racisme systémique, les autochtones…
Ma plus grande passion sont les gens. C’est dans ce sens que tout au long de mon parcours scolaire et professionnel, toutes les actions que j’ai prises ont été inspirées par les valeurs de justice, de solidarité et d’égalité. Mon implication politique n’est vraiment que l’aboutissement de toutes mes expériences personnelles qui m’ont menées à réaliser que nos institutions et les gouvernements successifs on véritablement abandonnés ces valeurs.
Toute mon implication est orientée par cet humanisme qui fait de la personne le centre de mes préoccupations. Que ce soit le respect des droits des première nations, que ce soit dans la lutte à la discrimination et aux inégalités sociales, je crois fondamentalement que nos institutions ont trop longtemps laissé ces inégalités perdurer et s’aggraver. C’est une problématique qui nous affecte tous et toutes et nous nous devons de travailler ensemble pour trouver des solutions. On ne peut que constater qu’aujourd’hui, les élites qui nous gouvernent continuent à donner leur soutien aux plus riches, alors que les citoyens-nnes voient leur situation se dégrader. Il n’y a pas de justice sans égalité

Lors de ton mandat tu t’es beaucoup occupé d’affaire étrangère et de justice. Bien sûr si tu es élu il faudra composer avec le caucus mais sur quels sujets te projettes-tu particulièrement ?
Je veux continuer mes batailles concernant la responsabilité sociale des entreprises canadiennes à l’étranger. Une promesse brisée des libéraux dont on n’entend peu parler et celle de créer un Ombudsman pour enquêter sur les violations commises par des entreprises canadiennes. Cela n’a jamais été fait.
L’environnement, la Justice et les Affaires étrangères ont toujours été mes domaines de prédilections et le sont toujours. En revanche, je suis ouverte à travailler avec notre équipe sur les dossiers que notre chef me confiera. Il y a beaucoup de travail à faire et je suis prête à mettre les mains à la pâte.

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Une des photos officielles de campagne

Tu as continué à militer au sein du NPD durant quatre ans, à suivre les travaux de tes ex-collègues, que retiens-tu de l’action du NPD dans l’opposition ? 
Le NPD a toujours été pour moi la voix humaniste du Parlement et à mon avis sa présence est fondamentale. La justice sociale, les inégalités, la lutte à la pauvreté, l’environnement, etc. Le NPD a toujours été au front pour défendre les intérêts de monsieur-madame tout le monde, n’ont pas ceux des plus riches ou des pétrolières. Que ce soit le projet de loi de Romeo Saganash pour le respect des droits des peuples autochtones, que ce soit pour le logement social avec Marjolaine Boutin-Sweet, le droit des travailleurs avec Alexandre Boulerice, les causes sociales ont leur voix au Parlement à travers nos députés du NPD.

Que dirais-tu aux gens qui en croient plus en la politique, disant « tous la même gang » ? Ou qui penses que le NPD n’a que très peu de chances d’atteindre le pouvoir et se disent « dans ce cas pourquoi voter NPD » ?
Je leur dirais que justement, nous votons depuis 150 pour les mêmes partis politiques et ils sont maintenant déconnectés de la réalité que vivent les gens.
Nous avons besoin de changement et c’est en envoyant un message clair aux deux vieux partis que nous allons redonner le pouvoir aux citoyens.
Et surtout, à mon avis, et c’est très personnel…ne pas voter n’est pas se rebeller, c’est plutôt abdiquer. Les citoyens ont toujours le dernier mot et décident du résultat des élections.

Derrière le duel libéraux-conservateurs, les autres enjeux de l’élection ?

L’enjeu de cette élection est évidemment de savoir qui sera le prochain premier ministre, dans un classique duel entre les libéraux de Justin Trudeau (secoués, mais solides avec un excellent chef en campagne) et les conservateurs d’Andrew Scheer (surfant sur plusieurs secousses dans le gouvernement Trudeau, mais au chef peu charismatique et teinté des années Harper). Ce duel annoncé avance peu depuis des mois, il n’y a jamais vraiment eu de moment où les deux partis ont vraiment eu de gros écarts de voix, restant généralement dans les marges d’erreur des sondages. Dans ce cadre une victoire libérale semble la plus probable, car son score plus homogène sur le territoire national lui permet d’être plus efficace en sièges, quand les conservateurs superperforment pour « rien » en Alberta.

Mais derrière les enjeux du futur premier ministre, cette élection est particulièrement intéressante pour d’autres raisons. Il n’y a en effet jamais eu autant de partis pouvant élire de députés, ni autant jouant leurs avenirs.

Le sort du NPD ?
Traditionnel parti de la gauche canadienne, doublé sur ce flanc par Trudeau en 2015 et jouant depuis une carte très écolo, le Nouveau parti démocratique a subi d’énormes secousses depuis son accession historique à l’opposition officielle en 2011, lors de la « vague orange ». Le décès rapide de leur charismatique leader Jack Layton a un temps semblé dépassable. Thomas Mulcair, qui lui a succédé, était même donné possible premier ministre en 2015, mais après la campagne et la remontada impressionnante de Trudeau, le NPD a fondu de 103 députés (sur 308) à 44 (sur 138).
Malgré ses qualités reconnues, le nouveau leader Jagmeet Singh a de grandes difficultés à imprégner dans les sondages, la campagne lui donnera peut-être des ailes, mais à ce jour il ne décolle guère, avec des sondages cependant très variables, entre 7 % et 17 % ! Malgré tout, ces résultats laissent entrevoir une chute, et il serait même possible que le parti perde le statut de parti officiel, une première depuis 1993. Un espoir ? Lors de cette élection, le NPD avait chuté de 43 à 9 députés, cela ne l’avait pas empêché de reprendre des couleurs ensuite… L’existence du NPD reste cependant un enjeu majeur de cette élection, notamment au Québec où il avait largement percé en 2011 et pourrait tomber à un siège, voire plus du tout.

Le destin des verts ?
Pour les Verts du Canada, nous sommes dans un momentum : la mobilisation sur le climat est mondiale, pour la première fois les 18-35 ans auront plus de poids que les baby-boomers et l’environnement est leur priorité (cependant, voteront-ils ?) et la dernière partielle de la mandature a eu, par un hasard heureux pour eux, lieu dans la circonscription voisine de celle de la cheffe Elizabeth May, une des plus favorables au pays. Elle a d’ailleurs basculé, permettant aux Verts d’obtenir deux députés élus sous cette étiquette pour la première fois.
L’ambition des verts est multiple, le début de campagne un peu confus de madame May et le mode de scrutin risque d’empêcher l’espoir, caressé à un moment, d’un groupe parlementaire. Il est cependant fort crédible que les verts obtiennent quatre ou cinq députés cette fois-ci. Selon les projections il semble cependant que certains plafonds de verre ne puissent être brisés pour le moment, notamment gagner un siège sur un autre parti que le NPD (ce qui entraine une chute globale des progressistes) ou hors de la ville de Vancouver.
C’est à peu près le même problème qu’avait Québec solidaire (sortir de Montréal et gagner des sièges autrement que sur le Parti québécois), après plusieurs années il a finalement réussi l’an dernier à briser ces deux obstacles, peut-être cela sera-t-il possible la prochaine fois pour les verts du Canada… Mais c’est encore atteignable cette année selon la campagne. Le parti est au coude à coude avec le NPD, un débat réussi ou raté pourra changer les choses, et si l’ascendant est pris permettre peut-être d’atteindre un siège en Ontario où à l’Île du Prince-Édouard. Pour le moment cela semble inaccessible.

Le retour du Bloc ?
Donné mille fois mort après sa chute drastique en 2011, où il était passé de 49 députés à 4, dont trois l’ont quitté en cours de mandat, le Bloc avait connu une respiration en 2015 grâce à un calcul habile sur les circonscriptions à cibler. Avec un score général pourtant moins bon qu’en 2011, dix députés avaient été élus pour défendre les intérêts des Québécois… ou l’indépendance ? Le malaise constant sur la ligne a mené durant toute la mandature à des crispations et psychodrames dont l’acme fut le départ de 7 députés pour créer « Québec debout », éphémère mouvement qui a disparu après la démission de la cheffe Martine Ouellet.
Le nouveau chef, l’ex-ministre péquiste et ancien chroniqueur politique à la télévision, Yves-François Blanchet, a su réunir ses troupes. Tous les sortants sont candidats à leur réélection et semblent pouvoir être réélus, l’enjeu majeur pour le Bloc est donc de décrocher au moins deux sièges supplémentaires pour devenir un parti officiel.

Avec tout cela, le fractionnement du vote paraît bien plus fort qu’à l’ordinaire. Bien sûr, les verts existaient déjà, mais ils réalisaient souvent des scores autour de 3-4 % et sont généralement crédités d’au moins 10 % cette année dans la plupart des circonscriptions. Il faut y ajouter la création du Parti populaire du Canada, formation à l’origine libertarienne, mais plutôt de droite rance, portée par l’ex-candidat à la direction du Parti conservateur et député de Beauce Maxime Bernier. Reprenant une rhétorique trumpienne, il a réussi à présenter des candidats partout et à se faire inviter aux débats des chefs, il mène une chaude lutte dans sa circonscription et pourrait être réélu. En ce cas il y aurait six partis représentés à la Chambre des communes le soir de l’élection, une première. Ajoutons-y la possibilité d’élection de l’ex-ministre libérale déclencheure de l’affaire SNC-Lavalin Jody Wilson-Raybould dans Vancouver Granville. Candidate indépendante avec de bonnes chances de réélection, elle a d’ailleurs reçu hier le soutien de la cheffe du Parti vert du Canada, quand bien même le parti présente une candidate dans la circonscription !

Ce paysage offre donc la perspecpective d’un gouvernement minoritaire à quelques sièges, gouvernement qui devrait alors négocier avec le NPD, les verts ou une indépendante (ou avec Bernier s’il s’agit des conservateurs), potentiellement plusieurs partis. Les verts n’ont d’ailleurs pas exclut une entrée formelle dans un gouvernement, et non juste un soutien, pour une vraie coalition. Là aussi la situation serait inédite au Canada.

Un grand nombre d’enjeux inédits qui font de cette élection un moment particulièrement intéressant de l’histoire politique du pays.

Pierre Nantel est-il opportuniste ?

Pierre Nantel, député du Nouveau parti démocratique dans Longueuil–Saint-Hubert depuis 2011, vient d’annoncer son ralliement au Parti vert du Canada, quelques jours après avoir été exclu de son parti d’origine suite à l’ébruitement de ces discussions. Les accusations sont arrivées assez vite : Pierre Nantel a toujours été franc-tireur, il roule pour lui, il va au plus offrant, car il risquait d’être battu et que les verts sont en hausse sondagière alors que le NPD est en décrue. De fait, les projections de divers instituts synthétisées par 338Canada indiquent le NPD troisième, largement distancé par le Bloc et les libéraux… Mais les verts sont données cinquièmes ! Certes ces synthèses de scores nationaux projetées sur les circonscriptions ont une forte marge d’erreur, mais enfin, on peut parler d’un pari pour le moins risqué.

Sur le plan des convictions oui Nantel est un franc tireur. Il s’est démarquéde son parti en expliquant que les signes religieux trop voyants de son chef causeraient des problèmes avec l’électorat québécois et a pris position pour une déclaration de revenus unique gérée au Québec plutôt que d’en faire une fédérale et une provinciale. Cela allait contre la vision du NPD, défendant les positions des syndicats, mais il paraît là aussi difficile d’en faire un point de clivage suffisant.

Par ailleurs ces deux distinctions auraient amené plus logiquement Nantel vers le Bloc québécois. Ce d’autant que le parti lui a tendu la main en début d’année, assez fort pour que les choses fuitent, et le député n’avait pas fermé la porte. Le parti indépendantiste étant bien mieux positionné pour gagner l’élection dans cette circonscription, un pur opportuniste aurait logiquement fait ce choix plutôt que le pari risqué du parti vert. Certes, dans les dernières projections les écologistes quadruplent leur score de 2015, mais ça ne les fait que passer à un peu moins de 10 %, pas vraiment un fief. Pour certains, c’est parce qu’il s’est fait finalement fermer la porte au Bloc que Nantel serait aller voir les verts, pourquoi pas, mais cela reste curieux alors que le NPD (toujours mieux placé que les verts) lui accordait encore l’investiture.

On peut aussi porter crédit à M. Nantel de plusieurs engagements forts liés à l’écologie : il a porté très fortement le dossier de l’électrification des transports (non nucléaires au Québec), avait écrit en décembre 2018 une lettre ouverte à tous les chefs de partis pour s’engager dans un « un front commun pour sauver notre climat », en s’engageant sur des objectifs massifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il a aussi été le premier député à avoir ajouté le respect des traités avec les autochtones à son serment, un acte symbolique important, l’intérêt sincère pour la question des premières nations est cependant commun au NPD et aux Verts.

Juger sur la sincérité du ralliement de M. Nantel au parti vert est donc bien difficile, hormis sans doute pour lui. À tout le moins ses actions passées comme les conditions de son départ rendent ce ralliement moins absurde que celui de José Nuñez-Melo en 2015. Le député NPD de Laval avait lui aussi été exclu du NPD, parce qu’il refusait d’avoir des adversaires dans une investiture, adversaires soutenues par beaucoup au parti car la présence de Nuñez-Melo avait été pour le moins fantomatique durant son mandat1. Il avait alors rejoint le Parti vert, sans être pour autant le premier député vert reconnu, la Chambre étant déjà dissoute2. Son ralliement était clairement celui d’un homme voulant sauver son siège et les électeurs ne s’y étaient pas trompé : il avait obtenu 2,36 %, résultat assez négativement exceptionnel pour un sortant.

Pierre Nantel n’est clairement pas dans la même situation. L’avenir seul saura nous dire s’il restera fidèle au parti vert ou si ça n’est qu’une passade, plus ou moins sincère. Mais en tous les cas son ralliement n’est pas incohérent, même s’il est certain que la forte tête qu’il est saura s’en distinguer par moment – comme il l’a fait au NPD ou l’aurait fait s’il avait rejoint le Bloc –, en suivant ses convictions. Il y a plus déshonorant.

1 Il n’avait pas pris la parole en Chambre avant plus d’un an et demi de mandat et ne siégeait dans aucune commission à part… celle de la bibliothèque du Parlement, qui a une fonction purement symbolique !

2 Ce n’est pas le cas de M. Nantel, qui aurait put être le premier député vert du Québec, mais il a fait le choix de rester siéger comme indépendant jusqu’à la dissolution.

Crédit Photo : Facebook de Pierre Nantel / Daniel Green, Elizabeth May et Pierre Nantel le 20 août 2019.

Entretien avec Alexandre Leduc : un an de mandat

Dès le soir de sa défaite en 2014, Alexandre Leduc annonçait qu’il souhaitait reporter les couleurs de Québec solidaire (QS) dans Hochelaga-Maisonneuve (HM), et revenait sur sa campagne pour notre site. En octobre 2018, il a bien été candidat et a fait partie de cette petite vague de néo-députés solidaires, avec dans son cas une très confortable avance : plus de 7000 voix sur la députée péquiste sortante. Retour une première année de session parlementaire.

Il y a un an, les résultats ont été très bon pour Québec solidaire, empochant des circonscriptions espérées – et mêmes quelques inespérées -, réussissant notamment à percer hors de Montréal. Quelle a été ta perception de ces résultats dans ton comté (où tu obtiens 50 % des suffrages et donc une majorité d’électeurs, chose rare dans le système à un tour) et dans la province ? Et quelle a été ta première impression une fois réuni en caucus ou dans le salon bleu, enfin élu après trois candidatures  ?
Au déclenchement de la campagne, QS avait de grandes ambitions et j’étais assez confiant à propos de chance de l’emporter dans HM, mais dans l’absolu rien n’est joué et tout peut s’effondrer rapidement. Cependant, à mesure que la campagne avançait, quelques indices confirmaient qu’on se dirigeait vers une victoire dans mon quartier. Tout d’abord, nous avions un nombre record de personnes qui installaient une pancarte sur leur balcon. Il y en avait au moins une dans chaque rue du quartier, c’était impressionnant. Ensuite, j’obtenais beaucoup plus de succès auprès des indécis à qui je parlais que les élections précédentes. Finalement, la bourde monumentale du chef péquiste lors du deuxième débat des chefs a scellé la chose dans HM. Le résultat a malgré tout été passablement plus fort que nous l’avions projeté. On s’attendait à gagner avec des appuis alentour de 40%. Le 50,05% fût donc une agréable surprise et aussi une sérieuse obligation d’être à a hauteur de la situation.
Nous avons tenu notre premier caucus 4 jours après le vote. C’était un moment très fébrile, car nous étions tous encore sur un nuage. De plus, c’était des occasions de premières rencontres pour certains et certaines d’entre nous. En effet, j’avais rencontré qu’une seule fois Émilise Lessard-Therrien (Rouyn-Noranda-Témiscamingue) et je n’avais jamais rencontré Christine Labrie (Sherbrooke). J’étais un ami de Sol Zanetti (Jean-Lesage) et Catherine Dorion (Taschereau), mais je ne les avais pas du tout vus de la campagne. Je me demandais donc ce qu’il et elle venaient de vivre comme expérience électorale dans la ville de Québec, réputée très conservatrice.
Le moment le plus émotif était le tour de table. Chaque nouveau député se présentait en disant son nom suivi de son nouveau statut (i.e. bonjour je suis Alexandre Leduc, député de Hochelaga-Maisonneuve). C’était donc des cris de joie à chaque présentation d’un nouveau député.
Le caucus a surtout servi à discuter des prochaines étapes, de conseils pour mener à bien les embauches dans les différents bureaux de circonscription, commencer à réfléchir à nos intérêts pour le partage des dossiers et discuter de la cérémonie d’assermentation.
J’avais déjà eu affaire au parlement dans le passé dans des simulations parlementaires et comme conseiller du président de mon syndicat dans le cadre d’auditions de commissions parlementaires. J’étais donc assez familier avec l’endroit. Cependant, lorsque tu ouvres la porte de ton bureau pour la première fois et lorsque tu vois ton nom sur ton pupitre au salon bleu, il y a bien sûr une charge émotive qui accompagne le moment. Le sens des responsabilités t’envahit et tu espères être à la hauteur du défi.

Tu es assez logiquement (avant son élection, M. Leduc était conseiller syndical sur les questions de droit du travail) membre de la commission de l’économie et du travail. François Legault se vante d’être un manager, un chef d’entreprise, l’économie est censée être son pré-carré. Quel bilan tires-tu du début de mandat sur cette question précise ?
Le dossier du travail est malheureusement peu couvert en dehors des grands conflits de travail. À preuve, des deux grands dossiers Travail de la précédente session parlementaire – lock-out d’ABI à Bécancour et réforme de la loi sur l’équité salariale (LÉS) – les médias n’ont couvert que le premier.
Dans les deux scénarios, le gouvernement Legault a adopté une attitude hostile au mouvement syndical. Il a pris parti pour l’entreprise ABI (bien qu’elle bénéficiait déjà d’un rapport de force inégale en raison d’une ridicule clause de force majeure dans son contrat d’électricité avec la société d’État Hydro-Québec). Son implication dans le dossier fût très négative et a permis à l’employeur de jouer l’horloge jusqu’à l’épuisement des troupes. Paradoxalement, la CAQ avait obtenu un fort appui dans la région où est située l’usine. Parions que cet appui ne sera pas le même en 2022.
La réforme de la LÉS était une réponse à un jugement de la Cour suprême qui obligeait le gouvernement à réécrire sa loi, car elle était discriminatoire. La nouvelle mouture comportait encore des défauts, mais réglait les principaux irritants. Le scandale est qu’elle ne s’applique pas aux anciennes plaintes déposées avant la réforme. Les anciennes plaintes seront traitées par l’ancienne loi… que la Cour vient de juger discriminatoire. Il y aura donc une nouvelle ronde judiciaire menée par le mouvement syndical pour démontrer que la nouvelle LÉS ne répond pas adéquatement au jugement.
Dans les deux scénarios, le gouvernement agit en gestionnaire qui prend fait et partie pour le capital et ses propres intérêts comme État-employeur plutôt que de penser au rehaussement des conditions de vie des travailleurs et travailleuses du Québec.
Nous attendons une importante réforme en santé et sécurité au travail et une autre sur les services essentiels. Je ne m’attends malheureusement pas à un changement d’attitude de la part du gouvernement.

Le fait d’avoir un groupe reconnu donne des moyens à QS, mais vous n’êtes malgré tout que dix. As-tu l’impression de réellement pouvoir exercer ton travail de député face à une majorité caquiste écrasante ? Le député a t-il un réel pouvoir ? Si oui peux-tu donner un ou deux exemples d’impact concret des députés d’opposition ?
Passant de 3 à 10 députés, on peut maintenant à peu près tout couvrir et être présent partout où sont normalement les autres partis. C’est tout un changement par rapport à la précédente dynamique où les trois élus devaient constamment faire des choix déchirants concernant les interventions médiatiques à préparer, les commissions parlementaires à couvrir, les invitations à accepter ou refuser, etc.
Ce n’est donc pas moins de travail que lorsque nous étions trois, mais une meilleure présence dans l’ensemble des dossiers.
Un député d’opposition n’a pas plus ou moins de pouvoir qu’un député du parti au pouvoir qui n’est pas ministre. Un député d’arrière-ban peut parfois avoir plus de problèmes qu’un bon député d’opposition pour avoir accès à un ministre. Tout dépend de sa capacité à mener ses dossiers, sa crédibilité et les relations tissées avec les ministres.
Localement mon équipe et moi avons mené quelques dossiers où j’ai participé à obtenir des subventions pour des groupes, débloquer un important dossier d’agrandissement de garderie et réussi à mettre la main (via une demande d’accès à l’information) sur les plans autoroutiers du ministère des Transports sur un secteur industriel en développement.
Ce sont de petites victoires qui s’ajoutent aux dizaines d’autres petites victoires sur des dossiers de citoyens et citoyennes qui viennent cogner à la porte du bureau de circonscription. Là-dessus, tout le crédit revient à mes collègues attachées politiques qui font tout ce travail essentiel.

Alexndre Leduc au lancement de sa campagne en 2018 /
AndréLegault – Wikicommons

Pourrais-tu me donner un exemple de chose qui t’a surpris lors de cette session, en négatif et en positif ?
J’ai été surpris négativement par le peu de décorum au salon bleu. C’est pire que ce qu’on perçoit à la télévision où le téléspectateur entend parfois un brouhaha. Quand tu es assis au centre de l’action, tu vois ce que la caméra ne voit pas et tu entends ce que le micro n’entend pas. Ce n’est pas joli. Les élus du PLQ sont de loin les plus indisciplinés. Certains ministres de la CAQ (surtout des hommes, bien entendu) étaient un peu trop contents d’avoir gagné en début de législature. Je trouve que ces comportements ne sont pas à la hauteur de notre fonction.
D’un autre côté, en dehors des moments plus « spectacle » de la politique (période des questions, commissions, entrevues, etc.) il règne une surprenante convivialité à l’Assemblée, en particulier entre les élus. Ça se tutoie très rapidement, les ministres sont très accessibles et l’ambiance est bon-enfant. Le contraste entre ces moments et ceux relevant du spectacle est donc total. Cela fait en sorte que deux députés sont capables de s’engueuler pendant la période de questions, mais de régler des dossiers 15 minutes après dans la file d’attente de la cafétéria.

La majorité du travail parlementaire est en fait assez mal connu, quelle action discrète – pas forcément dépendant uniquement de toi, mais qui te semble essentielle – voudrais-tu faire mieux connaître du grand public ?
J’éprouve beaucoup de frustration devant ma difficulté certaine à faire parler de mes dossiers locaux dans les médias. Mes collègues qui sont hors Montréal ont tous des médias régionaux qui s’intéresse de près à leurs travaux. À Montréal, il n’y a que des médias nationaux et il est difficile d’attirer l’attention sur un quartier en particulier. Je crains que cela donne l’impression aux résidents de ma circonscription que je ne fais pas grand-chose pour le quartier. Il y avait un média local citoyen pendant quelques années dans le quartier, mais il a fermé faute d’implication. Nous cherchons des solutions, mais ce n’est pas simple.
Nous faisons face à un important phénomène de gentrification (embourgeoisement) dans HM et cela a des conséquences insoupçonnées, notamment sur le financement des écoles et plus spécifiquement sur le financement de la « mesure alimentaire », un programme de collation gratuite et de dîner à 1$ pour les enfants de familles à faible revenu dans les écoles du quartier. La disparition de ces programmes ne touche pas seulement mon quartier donc il a été difficile d’attirer l’attention des journalistes sur le sujet. On a donc tourné notre propre reportage qu’on a mis en ligne [voir https://www.facebook.com/LeducAlexandreQS/videos/418350962341311].

Déjà en 2014 tu indiquais ne pas être membre de parti fédéral ni vouloir te positionner publiquement au nom de la séparation entre les échelons électoraux. Mais sans appeler à voter pour tel ou tel parti, quelle est ton analyse du mandat Trudeau et des dynamiques en cours (notamment l’arrivée de pouvoirs conservateurs dans tous le Canada) ?
En effet, au Québec il n’y a pas de liens organiques entre les partis fédéraux, provinciaux et les rares partis municipaux. Québec solidaire a donc pris position il y a quelques mois pour affirmer son désir de ne pas soutenir un parti ou un autre dans la course fédérale. De fait, aucun parti fédéral ne nous rejoint sur l’ensemble de nos positions. De toute manière, l’ère des consignes de vote est révolue, car même les centrales syndicales ne procèdent plus ainsi.
Je connais certains membres de QS impliqués au Bloc, d’autres au NPD ou encore au Parti vert. Je leur souhaite bonne campagne!

Laïcité : une réforme définitive ? L’exemple français.

Image : Simon Jolin-Barrette, Ministre québécois de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, en charge du projet de loi n°21 : Loi sur la laïcité de l’État. (wikimédia)

La loi sur l’interdiction du pot de signes religieux pour certains fonctionnaires (policiers, magistrats, enseignants…) clive fortement au Québec. La mesure reste a priori majoritaire, et tient derrière un argument : affirmer la laïcité de l’état. Beaucoup rappellent, à juste titre, que la réforme est très mineure comparativement à ce que fait la France depuis un siècle, que tout le monde s’y est fait et que cette interdiction ne pose aucun problème. Certes, mais outre que les histoires ne sont pas les mêmes1, les choses sont-elles réellement réglées « une bonne fois pour toutes » en France ?

La question est rhétorique, on sait que non. Le compromis de 1905 visant à la neutralité de l’état se détériore chaque jour. Je suis fonctionnaire français, à un poste sans autorité, et n’ai aucun souci avec la neutralité religieuse (et politique) sur le lieu de travail. C’est devenu chez nous une habitude, sur laquelle on ne peut revenir, ça ne me choque pas, mais ne me paraît pas non plus nécessaire à exporter partout. Surtout, je constate des dérives constante, faisant déborder largement du cadre initial cette « neutralité ». En effet, la France est loin d’en être « restée là », avec des clivages constamment exacerbés autour de la question de l’islam et du voile (plus que toutes autres religions ou sujet). Il y a des raisons historiques à ça, notamment l’association mentale consciente ou non entre les personnes musulmanes et l’impensé colonial français. Si le Québec n’a pas cette histoire il y a au moins un point commun : en réalité, avant de parler de laïcité il s’agit de traiter un problème supposé avec l’islam.

Comparer la loi de 1905, qui visait à séparer la religion du pouvoir en coupant un cordon multi séculaire de domination politique, à ce qui se joue aujourd’hui est absurde. À Paris comme à Québec, on est très loin de ce contexte. Et on voit bien aux multiples exceptions (jours fériés pour les fêtes religieuses chrétiennes en France, crucifix affichés dans certains bâtiments d’état au Québec…) que le sujet est bien de régler les problèmes — souvent plus d’ordre de la perception que du réel — d’une population dominante avec une population minoritaire, mais visible.

François Legault nous dit donc qu’il fera sa loi, que personne ne reviendra dessus, et qu’on passera à autre chose. Il dit sans doute vrai sur la première partie, la seconde reste douteuse. Et pour le coup l’exemple français est parlant. Dans les années 1990 des polémiques se sont misent à enfler à propos des collégiennes portant le voile. Au nom de la lutte contre l’asservissement de la femme et la manipulation des enfants, et après quelques années de tribunes outrées, la loi a entériné le passage d’une neutralité des fonctionnaires à une neutralité religieuse de toute personne pénétrant dans une école : enseignants, personnels d’accueils, mais aussi élèves et parents d’élèves.

Un glissement du personnels aux usagers : la boîte de Pandore était ouverte. Aujourd’hui, il est très fréquent de voir des familles se découvrir à l’entrée et remettre le voile à la sortie, sans problème. Mais le plus grand effet de cette soi-disant lutte pour l’émancipation a été de développer massivement des écoles confessionnelles musulmanes, sans doute bien plus intransigeantes que l’école publique. Cette interdiction a donc nourri des possibilités bien plus grandes d’entre-soit (en France le mot « communautarisme » est extrêmement négatif) et de risque d’embrigadement que de simplement laisser des enfants venir comme elles sont. De toute façon, si elles sont forcées à porter ce voile, elles iront le porter ailleurs, est-ce bien pertinent de les priver d’éducation publique ? La réponse est évidemment non, mais malgré ce triste bilan il semble complètement impossible de revenir dessus aujourd’hui. Cela mettrait le feu aux poudres de manière instantanée. C’est sur cette expérience que je me dis que, quel que soit le résultat de la loi sur les signes religieux, il sera difficile de revenir en arrière.

Mais c’est aussi sur l’expérience française que je me fonde pour craindre que cela ne règle rien du tout et que la droite identitaire prenne cette victoire pour aller vers toujours plus d’exclusion. Ces dernières années, le président sortant Nicolas Sarkozy a pu dire en campagne que « la priorité des français c’est le halal » et le maire de Beaucaire a imposé un plat unique à base de porc dans les cantines une fois par semaine, quand la tradition était jusqu’ici d’avoir des alternatives proposées2.

L’inventivité en matière d’exclusion des femmes voilées est assez extraordinaire. Ainsi, dans la foulée de cette nouvelle extension, il est régulièrement réclamé que les mamans accompagnant des enfants dans des sorties scolaires enlèvent leurs voiles. Il est aussi régulièrement réclamé que des élèves de l’université se voient aussi interdire le port de signes religieux. Ce alors que les facultés sont historiquement protégées en tant que lieux de liberté et de libres pensées. Cela n’a pas empêché un professeur de droit d’exiger d’une élève de se dévoiler sans quoi il ferait cours nu au nom de sa religion. Jusqu’ici le bon sens l’emporte, mais il y a tout lieu de craindre que ça ne dure pas. N’a-t-on pas vu un maire du nord de la France publier un arrêté interdisant le burkini sur sa commune alors que l’on n’avait jamais vu ne serait-ce qu’un centimètre carré de ces combinaisons dans sa région ? Mais il fallait marquer le coup.

Les sorties scolaires, l’université ou le burkini ont ceci de commun avec la situation québécoise qu’il n’y a aucune plainte ou conflit à l’origine des polémiques. Mais pour rassurer un électorat en perte identitaire, il est bien agréable de taper sur des populations minoritaires qui ont le tort de ne pas être exactement comme nous. La recette fonctionne assurément des deux côtés de l’Atlantique, au moins pour le court terme électoral. Sur le long-terme, il ne reste que la certitude d’exclure profondément une population et de nourrir un ressentiment dont on ne peut que constater avec tristesse la légitimité.

1Le Québec a une histoire d’interculturalisme et de reconnaissance de la diversité qui est très différente de la vision universaliste histoire des républicains français, un universalisme qui tend souvent à acculturer. De l’autre côté le Québec, quoique province membre d’un état sans religion officielle, reste dirigé par une reine qui est aussi cheffe religieuse… Les différences sont multiples.

2Sur ce sujet l’hypocrisie est d’ailleurs totale, les mêmes qui imposent le porc refusant souvent l’alternative végétarienne au nom d’une défense des terroirs alors que cette option réglera tous les soucis religieux potentiels.

Entretien avec Halimatou Bah, candidate verte dans Saint-Laurent

Créé en 2001, le Parti vert du Québec a su exister dans le paysage politique sans réussir pour le moment à percer comme on put le faire des partis dans d’autres provinces. Ayant pris depuis 2013 un virage écosocialiste et fédéraliste, il présente des candidats dans la quasi-intégralité des circonscriptions du Québec, et est le parti à la moyenne d’âge la plus basse. S’il peine parfois à se faire entendre dans un pays où le mode de scrutin reste peu tendre pour les petits partis, il était temps que sa parole soit entendue sur ce site. Après avoir observé plusieurs profils de candidats, nous avons choisi d’interroger Halimatou Bah, candidate verte dans Saint-Laurent, dont le profil, le parcours international (d’ailleurs passé par l’ouest de la France) et les combats locaux propres à sa circonscription nous semblaient particulièrement représentatifs.

Avant de débuter, pouvez-vous présenter votre parcours en quelques phrases et ce qui vous a poussé à vous lancer en politique pour la première fois ?

Je suis née et j’ai grandi à Dalaba une préfecture qui se trouve en République de Guinée. Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai été admise à l’université de Rennes 1 en droit. Après ma licence de droit je suis venu m’installer à Montréal ou j’ai obtenu un diplôme de 1er cycle en science politique que j’ai adorée. Actuellement, je finalise une maîtrise en administration publique à l’ENAP (école nationale d’administration publique) de Montréal.

Mon expérience de député junior à l’Assemblée nationale en Guinée m’a fascinée sur la politique et a orienté mon parcours scolaire. Mais le déclic est arrivé pendant un cours en politique et environnement que j’ai eu à l’UQAM (université du Québec à Montréal). En effet, j’ai perçu l’ampleur du dégât que l’homme a fait et continue à faire à l’environnement et aussi l’ampleur du pouvoir des politiques publiques sur les questions environnementales. Ces deux constats m’ont à faire un choix, être spectatrice et laisser une planète détruite à mes enfants ou être actrice en essayant de mettre l’environnement au cœur des enjeux politiques, j’ai choisi la deuxième option. Après avoir passé en revue le programme de tous les partis politiques au Québec, mon choix s’est porté vers le parti vert. C’était le seul parti qui non seulement concordait avec mes valeurs, mais qui prône également un changement important sur nos façons de faire pour protéger notre environnement.

En tant qu’écologiste on entend souvent dire « mais pourquoi vous dîtes vous de gauche, c’est limitant, et puis pourquoi un parti vert alors que tous les partis font de l’écologie », que répondez-vous à cela ?

Les autres partis font de l’écologie que j’appellerais de minimaliste, l’enjeu environnemental n’est jamais au cœur des débats. La preuve lors du dernier débat entre les principaux candidats en lice à la télévision, l’environnement n’était pas dans le sujet du face à face. C’est une honte que l’immigration soit une préoccupation plus grande que l’environnement. Le Parti vert du Québec, à l’inverse des autres partis, fait de l’écologie son cheval de bataille, avec une vision écosocialiste. Cela implique de protéger l’environnement tout en offrant des services publics de qualité à la population.

Le parti vert du Québec, très préoccupé par les inégalités sociales et le besoin de bâtir une société plus juste et plus équitable, a un programme de gauche qui vise la réduction des inégalités sociales. C’est pourquoi on appuie l’augmentation rapide du salaire minimum pour atteindre 15 $/h d’ici le printemps 2019. Cette augmentation du salaire minimum sera combinée avec des modifications au Code de travail, qui interdit aux employeurs de réduire les bénéfices (pauses café, assurances maladie) pour contrer la hausse du salaire minimum. Aussi, nous proposons d’instaurer un revenu minimum garanti de 1200 $ par mois afin de sortir l’ensemble des Québécois-es de la pauvreté. Ce montant sera bonifié pour les personnes atteintes de maladies ou d’un handicap physique ou mental.

Vous avez un parcours qui traverse de nombreux pays, dans votre profession de foi vous insistez d’ailleurs sur l’importance d’une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers. Écologie et internationalisme vont de pairs ?

Le réchauffement climatique montre de façon très concrète qu’écologie et internationalisme vont de pair. En effet, de la même façon, que l’air que nous respirons n’a pas de frontière, les dégâts environnementaux des uns touchent aussi les autres, car, que ça nous plaise ou pas nous partageons tous la même planète. Et si, tous les pays du monde ne travaillent pas d’un commun accord pour limiter les saccages, les conséquences environnementales sont immenses, et les pays pauvres en sont les plus touchées. Le réchauffement climatique ne touche pas qu’un seul pays, mais le monde entier. L’Afrique est le continent qui pollue le moins en termes de gaz à effet de serre et pourtant elle n’est pas épargnée par les ravages faits à l’environnement (sécheresses à foison, inondation à répétition, etc.) et aucune compensation financière ne peut freiner ces dégâts. D’ailleurs, j’ai en tête d’aller dans les pays où les questions environnementales sont moins perçues et compris pour les sensibiliser encore et encore sur l’impact que peuvent avoir nos comportements sur la planète. L’Accord de Paris est clair là-dessus, si nous voulons limiter le réchauffement climatique de 1,5 degré les pays du monde entier devront unir leurs forces pour atteindre la carboneutralité d’ici l’année 2050.

Vous mettez en avant la défense de l’environnement dans le « Technoparc » de Saint-Laurent. Quelles sont les problématiques urgentes sur ce site et quelles réponses souhaitez-vous y apporter ?

Le Technoparc dans l’arrondissement de Saint-Laurent est l’un des plus grands parcs scientifiques au Canada. Trois milieux humides abritant des espèces importantes d’oiseaux et d’animaux aquatiques se trouvant sur le site du Technoparc sont menacés. En effet, la construction prévue de l’éco-campus Hubert-Reeves ainsi que le tracé du futur train du Réseau électrique métropolitain (REM) qui va passer aussi sur ce terrain détruira une bonne partie d’un des marais et asséchera la portion sud du milieu humide. La fonction écologique exercée par les milieux humides est une richesse inestimable pour les espèces qui y vivent.

Le parti vert du Québec veut limiter les interventions sur ces milieux de vie, nous voulons faire en sorte qu’on reconnaisse l’apport des marais dans notre écosystème, enfin, nous estimons qu’un parc nature devrait être créé à cet endroit non seulement pour protéger les espèces qui y vivent, mais aussi pour doter Montréal d’un endroit paisible et vert qui attirera les ornithologues du monde entier et des familles.

 Les élections ont eu lieu, vous êtes député, quel est le premier projet de loi que vous souhaiterez déposer ?

Le premier projet de loi que je souhaite déposer sera un projet de loi sur l’augmentation du prix carbone et l’instauration d’un système de rationnement de combustible fossile.

En effet, l’avis des experts est clair ; pour réduire les gaz à effet de serre et lutter contre les changements climatiques, nous devons poser des gestes concrets pour réduire la consommation d’essence et d’énergies fossiles. C’est pour ces raisons que le parti vert du Québec propose d’augmenter le prix du carbone à 200 $ la tonne en 2019 avec une augmentation de 25 $ par année par la suite. En 2017, le Québec a consommé près de 10 milliards de litres d’essence, surpassant toutes les années précédentes, aussi, les deux tiers des véhicules vendus étaient des VUS ou des camions légers. Le statu quo n’est pas durable, il est temps de poser des gestes concrets pour lutter contre les changements climatiques et les émissions provenant du domaine des transports et en sens j’estime que le bâton peut-être plus efficace que la carotte.

Parité en politique

L’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir aura été marquée par sa réponse à la question du gouvernement paritaire: «Parce qu’on est en 2015». Nous sommes désormais en 2018, et les débats sur la parité restent très présents dans les campagnes électorales au Canada, notamment l’élection québécoise.

Il n’existe aucune loi sur la parité au Québec, ni punitive ni incitative. C’est en 2012 qu’il y a eu le plus de femmes à l’Assemblée nationale, 41 sur 125, soit 32,8% (et pour la première fois, une première ministre). Un taux en progrès si on le compare à la décennie précédente, mais loin d’une représentation réaliste de la population, donc. Un seul parti s’était d’ailleurs astreint à la parité, Québec solidaire, qui n’obtenait que trois élus (dont deux femmes).

La France a depuis 2000 une loi stricte sur la parité. Pour les scrutins de liste, les deux genres doivent systématiquement s’alterner, pour les élections de députés les partis doivent présenter 50% de femmes et d’hommes, avec une marge de 2% d’écart. Ceux qui ne le font pas reçoivent alors une amende, mais soustraite de leur financement public (les partis qui ne décrochent pas cette timbale en sont donc exemptés). Le système est efficace, mais pas dénué d’effets pervers: ainsi l’UMP au pouvoir durant des années, et très richement doté, préférait se passer de 25 millions d’euros de dotation pour pouvoir n’investir que 25% de femmes! Autre conséquence, inattendue, quelques rares partis ont été sanctionnés pour avoir présenté… trop de femmes.

Au Québec, on parle plutôt « zone de parité », qui se situe à plus de 40% de femmes, zone que tous les partis se sont engagés à respecter. Le Devoir a suivi cette promesse en instaurant une « vigie parité » permettant de voir que les quatre partis principaux avaient investi 47,4% de femmes, les deux partis principaux étant à la traîne. Une raison est factuelle: plus on a de sortants, plus il y a de chances d’avoir un député qui se représente et on ne peut donc pas investir de femmes.

Le problème est courant pour les vieux partis, qui ont souvent profité des partielles pour remplacer leurs sortants par des candidates – ce qui explique que le nombre d’élues soit plus grand à la dissolution qu’après l’élection. De fait, le PQ et le PLQ sont à la traîne de la «vigie» du Devoir quand la CAQ et QS sont au-dessus de 50% de candidates investies à ce jour, la CAQ ayant affirmé récemment qu’elle conserverait cette majorité de femmes.

En France il est très courant de voir des partis présentant une zone paritaire faire élire un grand nombre d’hommes. La raison? Les femmes ont plus facilement des circonscriptions non gagnables, ou difficilement. J’ai vu le même problème soulevé au Québec à un endroit où l’on ne l’attendrait pas forcément.

Manon Massé et Andrés Fontecilla le soir de sa désignation (Facebook de Manon Massé).

J’ai assisté à l’investiture de Québec solidaire dans Laurier-Dorion, à l’issue de laquelle Andrés Fontecilla a été désigné candidat face à deux candidates. Manon Massé, qui assistait à l’investiture, a été interpellée sur un point: on savait qu’il existait trois circonscriptions sûres à QS (Mercier, Gouin, Sainte-Marie–Saint Jacques), les deux plus susceptibles de basculer étant Hochelaga-Maisonneuve et Laurier-Dorion. La première avait déjà choisi Alexandre Leduc, et Amir Khadir n’avait pas encore fait connaître son retrait.

Si ces cinq sièges étaient bien remportés par QS on pourrait se retrouver avec cinq députés et une députée, alors même que le parti a été fondé par la fusion d’un parti de gauche et d’une grande plateforme féministe, qu’il défend l’inscription de la parité dans la loi et qu’il présente Manon Massé comme cheffe!

Manon avait répondu avec sincérité que le problème était là, mais que le choix démocratique des militants ne pouvait pas être balayé d’un revers de la main. Depuis, Ruba Ghazal a été investie dans Mercier, mais une nouvelle circonscription gagnable, Rosemont, a été attribuée à un homme (le candidat vedette Vincent Marissal), laissant imaginer un possible caucus aux deux tiers masculins. Il y a bien une très belle candidature féminine dans Taschereau (Catherine Dorion), mais si la course est serrée, QS ne part quand même pas favori.

Il est certain qu’il est plus facile d’assurer la parité d’autorité, c’est ce qui explique que la CAQ, pourtant assez conservatrice, y arrive. François Legault choisissant les candidats dans son bureau, il peut veiller à cet équilibre et a ainsi rattrapé le retard de la CAQ en la matière. Il est cependant possible d’allier parité sur les candidatures gagnables et démocratie interne.

C’est une des bonnes choses que j’ai pu observer dans mon parti, les verts français: dans les investitures, femmes et hommes sont dans deux collèges séparés et les sièges identifiés comme gagnables voient leurs militants investir un homme et une femme. C’est ensuite que le Conseil national tranche entre les deux, afin d’assurer également une parité des élus. Europe Écologie – Les Verts est un petit parti, qui a peu de députés, il n’empêche qu’en 2012 quand il obtint un groupe parlementaire pour la première fois, il était strictement paritaire avec neuf femmes et neuf hommes.

Cela ne l’a pas empêché d’exploser par la suite pour des questions de carriérisme bien désolantes, sept membres allant contre la volonté des militants en soutenant le Parti socialiste et le gouvernement Valls (certains passant ensuite au parti de Macron, le tout en deux ans). On notera cependant que ces dissidents déloyaux n’étaient, eux, pas paritaires, puisque cinq des sept étaient des hommes…

Les « mandats tremplin » et le respect des électeurs

Gérald Deltell et Olivier Chow (wikicommons)

Le cumul des mandats est une vieille tradition française, souvent incomprise à l’extérieur. Ce système, qui permet à une personne de s’accaparer de nombreux postes, a été timidement régulé au fil des ans : la dernière fois sous François Hollande, qui a interdit d’être parlementaire (député, sénateur ou député européen) et maire d’une commune. Cette loi s’est appliquée en juin 2017 pour la première fois mais permet toujours d’être parlementaire et conseiller municipal ou, plus grave, parlementaire et conseiller départemental ou régional, deux postes qui sont loin d’être bénévoles.

J’ai souvent envié le Canada pour son intolérance absolue au cumul, les seules possibilités étant d’être maire et de siéger dans des regroupement de municipalité ou des MRC, où les représentants sont forcément des élus. On notera qu’en France le même système existe avec, avant la réforme, de très nombreux maires, députés et président d’agglomération, tout en même temps.

Mais plus que le non-cumul strict, qui existe dans la plupart des démocraties occidentales, c’est au Canada que j’ai découvert une pratique particulièrement innovante visant à démissionner de son poste quand on se présente à un autre mandat. C’est ce qu’avait fait Gérard Deltell en 2015, démissionnant de l’assemblée nationale du Québec pour se présenter à la Chambre des communes (assemblée fédérale) ou la députée fédérale Olivia Chow qui démissionna en 2014 pour se présenter aux municipales de Toronto. Si le premier a conquis son nouveau siège, la seconde a perdu et s’est retrouvée sans mandat.

J’admire cette règle non-officielle mais récurrente, qui semble répondre à un impératif simple : si vous êtes élu à un mandat c’est qu’il vous convient, si vous en courez un autre c’est que celui que vous occupez ne vous plaît plus et vous ne pouvez sérieusement vous y consacrer en menant une autre campagne.

En France, les mandats tremplin sont récurrents, un élu se présente souvent au maximum à d’autres mandats plus « importants », ce qui en dit long sur la manière dont ils voient celui qu’ils occupent. Quelqu’un qui est adjoint au maire, ou conseiller régional, affirme ainsi sa légitimité à devenir parlementaire. Il ira ensuite chercher ce nouveau mandat en conservant celui qu’il occupe déjà, où il sera forcément moins présent. En cas de défaite, il pourra rester tranquillement dans son ancien poste, et aura occupé l’espace en empêchant le renouvellement.

J’ai tristement constaté il y a quelques mois que cette spécificité canadienne n’était en fait qu’un usage et nullement une règle. Pour les élections provinciales Québécoises d’octobre, plusieurs candidatures vedettes sont déjà élues par ailleurs : Chantal Rouleau, mairesse de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles depuis moins d’un an, s’est lancée pour la députation au nom de la CAQ, quand le conseiller municipal de Montréal Frantz Benjamin a été annonce pour les libéraux. Aucun n’a indiqué vouloir quitter son mandat, même si la presse relevait que les électeurs goûtaient peu ces sauts.

Parmi les réformes possibles dans nos deux pays, contractualiser cette idée permettrait une pratique plus saine de la politique. C’est n’est bien sur pas la seule, ni l’alpha et l’oméga, mais serait une indication claire de ce qu’exercer un mandat veut dire, et un simple respect des électeurs.

La multiplication des partis

Lundi 30 juillet, un article de La Presse Canadienne largement repris a expliqué que le Directeur général des élections du Québec avait enregistré 20 partis officiellement pour l’élection, et qu’un 21ème pourrait même être habilité d’ici la clôture le 15 septembre. En tous les cas c’est déjà un record : « Jamais, dans l’histoire récente du Québec, on n’a atteint la vingtaine de partis » écrit La Presse Canadienne. Et de rappeler qu’en 2012 les 18 partis accrédités battaient déjà l’ancien maximum.

Hasard de calendrier, cette annonce sort en même temps qu’un site français lancé par Tris Acatrinei, du Projet Arcadie, visant à recenser tous les partis politiques français – actuels mais aussi passés – et leur date de création, adresse, dirigeant etc. Ce site vient de naître, il offre une base de donnée utile et prendra sans doute en ampleur au cours des ans. Là où le rapport avec le Québec est intéressant est qu’il recense… 541 partis en activités.

Pourquoi une telle distorsion entre le Québec et la France ? Il y a bien sur plusieurs biais :

  • La population, la France a plus de huit fois plus d’habitants (est 8 fois plus importante), avoir plus de partis peut sembler logique ;

  • En France des partis servent à tous les échelons (municipal, régional, national, européen, etc.) mais il existe aussi des partis strictement municipaux ou régionaux, alors qu’au Canada chaque échelon (fédéral, provincial, municipal) est distinct et à ses partis. Il faudrait donc ne comparer les partis provinciaux qu’au nombre de partis se  présentant aux élections législatives, par exemple – ce qui n’exclurait pas des partis locaux, comme les autonomistes Bretons où les indépendantistes Kanaks ;

  • Le nombre d’échelons territorial est plus important en France qu’au Canada, on y retrouve pas moins de 35300 communes, plus des départements, des régions, l’État (en deux chambres) et le parlement européen.

Cependant, s’il faudrait réduire un peu le chiffre de 541 partis français pour avoir une comparaison parfaite, cette liste présente bien les partis reconnus comme tels auprès des institutions compétentes, et ne prend pas en compte les multiples associations politiques, par exemple créés pour porter une candidature aux municipales. Cette reconnaissance comme parti entend des démarches particulières rigoureuses et permet des déductions fiscales plus importantes. Elle permet aussi d’être déclaré pour avoir droit au financement public.

La création de ces multiples partis est une astuce souvent utilisée pour permettre de fragmenter ses dons, par exemple si le parti d’un élu que l’on aime bien ne nous plaît pas, ce dernier peut créer un parti pour recevoir des dons qu’il pourra utiliser de manière plus performante. On l’a vu lors de la présidentielle où l’argent ramassé lors de la primaire de droite est allé à Force Républicaine, le parti de François Fillon, et pas au parti organisateur. S’ils ont finalement trouvé un accord financier le micro-parti permettait de « capter » des sommes et d’avoir une sécurité financière en ne dépendant pas d’une structure moins personnelle.

L’inexistence de ces multiples structures au Québec tient sans doute tant à une histoire politique différente – avec un poids historique du bipartisme anglo-saxon, même s’il est aujourd’hui plutôt un tri voir quadripartisme dans la plupart des parlements du Canada – qu’à des règles aussi bien de constitution que d’existence bien plus strictes.

Pour ce qui est des dons, la France autorise 7500 € de dons par ans et par personne (avec une limite au double par foyer), auquel peuvent s’ajouter 4600 € de dons à un candidat ou pour une élection précise, le tout déductible à 66 % des impôts (jusqu’à 20% du total). Si les dons sont vérifiés, les noms sont indisponibles au public. Au Québec un électeur peut donner au maximum 100 $ par parti par an, somme qu’il peut doubler en cas d’élection. Un site dédié permet de voir le nom de chaque donateur associé à sa la ville, son code postal et au détail des sommes versées sur plusieurs années.  Les partis ne peuvent a priori pas se financer entre eux, comme c’est le cas en France, ce qui évite des jeux de transit entre différente caisses (la tradition de l’accord politique avec plusieurs logos sur une affiche est aussi inexistante), on note enfin que les sommes sont bien plus modestes, suite à un changement de loi en 2014, d’autant que cette modification a aussi supprimé le crédit d’impôt pour les dons.

Au-delà des dons, qui sont certes une ressource (et la seule de la grande majorité des 541 partis français puisque seuls 16 d’entre eux ont accès au financement public), la manière de créer un parti diffère aussi. En France, il suffit de créer une  association loi 1901 à caractère politique. Pour cela il suffit de deux personnes, d’une adresse et de régler le coût de la publication au Journal officiel, puis de créer une deuxième association loi 1901 dédiée, elle, au financement du parti. Une fois cela fait, l’agrément arrive simplement et il est très facile de jouer sur les micro-partis pour amasser des sommes et les transvaser entre partis (une pratique que je ne crois pas autorisée au Québec, sauf en cas de fusion stricte).

Au Québec, les choses sont plus radicales : un parti peut au minimum avoir cent adhérents, que le DGEQ va contacter un par un pour vérifier leur volonté d’appartenance (quitte à demander une liste complémentaire), déposer 500 $ de caution (remboursée après le premier rapport financier valide) et présenter des candidats aux élections. Après plusieurs années sans présenter de candidats aux élections générales ou partielles, les partis sont radiés d’office. Ainsi, les partis ont une « obligation d’existence » et ne peuvent bien longtemps rester des coquilles vides servant à épargner pour des jours meilleurs ou au possible lancement d’une carrière personnelle.

Dans la plupart des articles, on note une analyse expliquant que des partis plus nombreux ne sont pas forcément le signe d’une meilleure démocratie, les participations aux élections baissant en parallèle. S’il me semble un peu spécieux de faire une corrélation directe entre ces éléments, il semble cependant que le système québécois et ses 21 partis gagne le combat de la transparence et de la clarté sur un système français où tout semble fait pour pouvoir réussir à bidouiller malgré des lois de régulations de plus en plus fermes (et c’est heureux) depuis les années quatre-vingt.

Entretien avec Anne Min-Thu Quach

Anne Min-Thu Quach est une des nombreuses députées élues lors de la « vague orange » de 2011, mais aussi, et c’est plus rare, une députée néodémocrate réélue en 2015. Si elle n’est pas forcément la plus connue du caucus, j’ai souvent apprécié ses prises de position, l’élue s’engageant sur des sujets qui me sont chers : après avoir été porte-parole du caucus sur les questions de santé, puis d’environnement elle est porte-parole du NPD pour la jeunesse depuis novembre 2015. Merci encore à elle et à ses assistants pour l’accueil et la mise en place très rapide (autour de 24h !) de ce rendez-vous.

Anne Minh-Thu Quach à la Chambre des communes en mars 2018.

Avant de débuter sur vos combats propres j’aimerai savoir comment vous vivez l’environnement actuel, comment luttez-vous face à un premier ministre comme Trudeau ?

On continue de se position comme le vrai parti progressiste au Canada. On est le parti qui peut défier le gouvernement sur ses discours à saveur progressiste mais qui sont dans les faits éloignés des revendications des groupes de femmes, des groupes environnementaux, de la société civile, qui ne sont pas satisfaits. Pour cela le sens de mon travail est toujours le même, et ce ne sont pas les conservateurs qui vont se positionner sur ces enjeux en défendant un point de vue progressiste.

Sur les sujets progressistes justement on a un gouvernement qui se dit ouvertement féministe, quelle est votre analyse de ça ?

Pour l’instant c’est dans les paroles, dans le dernier budget je crois qu’on recensait presque 700 fois le mot « équité des genres » mais dans les faits on en est pas là du tout. Oui il y a eu quelques avancées comme le cabinet paritaire ou la loi permettant l’octroi de congés payés par l’employeur pour les femmes victimes de violences conjugales, pour qu’elles puisse se remettre sur pied et trouver une nouvelle place. C’est un enjeu sur lequel on s’en positionné et qu’on défendait, on est content que ça ait été fait.

Mais sur d’autres questions comme l’équité salariale, cela fait presque trois ans que les libéraux disent qu’ils vont proposer une loi proactive là dessus. Dans leur dernier budget ils ont écrit qu’ils allaient faire quelque chose dessus, mais il n’y a toujours pas de projet de loi déposé, et encore moins d’engagement concrets ou de budget attribué, on est donc bien encore que dans les paroles.

Sur d’autres sujets comme le développement de refuges et de logements sociaux pour le femme ou le développement de système de garde universels, comme il y a au Québec mais élargit à tout le Canada, ils refusent d’avancer. Si on veut que les femmes travaillent au même titre que les hommes mais qu’elles n’ont pas la possibilité d’inscrire leurs enfants à un service de garde, alors qu’on sait que cela pousse souvent les femmes à rester à la maison, c’est contradictoire. Beaucoup de choses comme ça, qui remontent directement du terrain, sont inexistantes dans les projets de lois.

Par curiosité, quels sont les équilibres femmes/hommes à la Chambre ? Est-ce qu’il y a des règles de parités sur les candidatures comme en France ou pas du tout ?

On n’est que 26 % de femmes, au Nouveau parti démocratique on est le parti qui s’en approche le plus. On est 42 % je crois, pas juste de candidate mais d’élues, et notre leader Ruth-Ellen Brosseau a demandé à plusieurs reprises au Premier Ministre Trudeau ce qu’il entendait faire au niveau de la législation pour qu’aux prochaines élections il y ait des amélioration mais jusqu’ici elle n’a pas eu de réponses. Et ce ne sera pas réglé avec les listes à la proportionnelle puisque la réforme à la proportionnelle a été abandonnée.

Pour en venir à vos portefeuilles, quelles sont les priorités du NPD sur les questions de droit des femmes et de jeunesse ?

Sur les l’égalité femmes-hommes c’est vraiment l’équité salariale que l’on défend sans cesse. Cela fait juste quatorze ans qu’un rapport est sorti sur cette question, toutes les études et consultations ont été mené, il est chiffré, les recommandations sont là. On ne devrait pas attendre pour en faire une loi mais là ils nous disent qu’ils sont encore en train de consulter alors qu’il y a tout qui est là, et notamment les travaux expliquant combien ce serait positif pour tous. Aujourd’hui une femme touche environ 80 % de ce que touche un homme au Canada, au même poste, c’est pas mal en retard pour un pays du G7 et un gouvernement qui se proclame féministe. Et on lie ça beaucoup avec le programme de garde universel, qui est lié à la jeunesse aussi finalement.

Pour la jeunesse on s’est engagé à réduire très fortement le fardeau des étudiants au niveau des prêt étudiants. En congrès on s’est prononcé très récemment en faveur de la gratuité scolaire pour le niveau collégial et universitaire. C’est une mesure très forte, qui serait un soulagement pour beaucoup de jeunes et aussi une vraie assurance d’égalité.

C’est en effet très important mais y-a-t-il d’autres mesures pour ceux qui ne sont pas étudiants, en primaire ou par exemple pour ceux qui ne peuvent pas faire d’études, qui peinent à s’insérer dans l’emploi ?

On parle beaucoup de précarité de l’emploi présentement, de jeunes qui sont travailleurs autonomes pour des plateformes, ce qui paraît leur seul débouché. On veut développer un plan très fort sur la formation pour leur permettre d’avoir d’autres solutions qui les rendent moins dépendants mais quand j’ai dit ça aux libéraux le ministre des finances m’a dit « get used to it », « il va falloir s’y habituer » donc ils n’ont clairement pas envie de s’y attaquer.

Sinon, là je viens d’une conférence de presse sur le sujet de l’exploitation des jeunes mineures. En 2015 la Chambre des communes a adopté à l’unanimité un projet de loi qui s’appelle C-452 qui fait en sorte que les proxénètes et ceux qui font de la traite et de l’exploitation, souvent à 50 % sexuelle, des femmes, en majorité de jeunes femmes, puissent avoir des sanctions cumulatives et qu’il y ait un renforcement du fardeau de la preuve. On ne peut plus voir des jeunes de quatorze-quinze ans à témoigner en cours pour prouver qu’elles sont des victimes par exemple. Un troisième point ajoutait la traite de personnes à la liste des infractions permettant la confiscation des produits de la criminalité.

On avait adopté ce texte, les libéraux ont voté pour, il a eu la sanction royale mais les libéraux disent qu’ils ont soudainement vu un problème constitutionnel avec les peines cumulatives. Ils ont déposé à projet de loi à eux, qui s’appelle C-38, qu’ils n’ont pas encore mis au débat. Cela fait un an qu’ils en parlent mais pendant ce temps les victimes, elles, attendent toujours, et il n’y a aucun plan de financement pour aider celles qui sont touchées par cette criminalité. C’est une autre aberration qui touche beaucoup les jeunes.

On s’est aussi impliqué sur le projet de loi sur la Marijuana. Le gouvernement considère que la légalisation va tuer le marché noir, et on est d’accord là dessus, mais on pense qu’il faut investir beaucoup plus en prévention sinon les jeunes vont se dire « oh c’est légal, c’est donc que ce n’est pas dangereux ». Au départ les libéraux partaient sur du dix millions sur cinq ans, soit deux millions par années et pas juste pour la Marijuana mais pour toutes les drogues ! Alors qu’on traverse en ce moment une très grave crise sur les opioides. Là on est monté à sept millions, mais par comparaison on cite souvent le Colorado qui investi par années 40 millions pour la prévention. Les policiers, les enseignants, demandent de la formation aussi, et ce qu’on entend c’est surtout le gain financier pour l’état, mais il faut aussi faire de la sensibilisation. Et il y a beaucoup de problématiques auxquelles les libéraux n’ont pas pensés, ils sont encore en train de consulter des experts pour savoir quelle quantité de THC va être autorisées dans quels produits, par exemple pour ce qui risque d’affecter les facultés de conduites.

Sur un autre sujet, j’ai regardé votre activité parlementaire et j’ai vu un projet de loi qui m’intéresse particulièrement en tant qu’écologiste, sans doute lié à vos anciens portefeuilles, sur l’alimentation locale.

Oui, je l’ai déposé lors de la précédente législature, j’étais porte-parole en santé, mais il n’a toujours pas été débattu en Chambre, à l’époque les conservateurs s’y étaient opposé. Il s’agit de demander au ministre de l’agriculture au fédéral de se réunir avec les ministres provinciaux de l’agriculture, d’abord pour définir ce qu’est le « local » : pour certains c’est provincial, pour d’autres à 100km à la ronde, pour d’autres c’est le pays – c’est qui peut faire très éloigné mais toujours moins que si ça vient de Chine. Ensuite, le projet demande de faire en sorte qu’il y ai une quantité minimale d’achats de produits locaux dans les 48000 établissements fédéraux, selon la saison évidemment.

On sait que si individuellement on fait un achat de 5 $ d’aliments locaux à l’épicerie ça aide grandement les agriculteurs, donc si l’état fédéral ça engage ça pourrait tout changer. Ça peut leur permettre simplement de survivre, dans les douze dernières années on a perdu près de 10000 fermes familiales. Au Canada un emploi sur huit est rattaché à l’agroalimentaire, c’est beaucoup d’emploi, en région surtout, et pour les jeunes et la relève agricole c’est essentiel de conserver des fermes familiales.

Quand j’ai déposé ce projet de loi, je n’étais pas rattaché à l’agriculture, mais régulièrement dans les comités les gens me disaient que les personnes âgées et les jeunes n’ont pas accès aux fruits et légumes parce que ça coûte trop cher. En défendant les agriculteurs locaux et leurs conditions de travail cela permettait de contrebalancer ça aussi.

C’est un projet déposé il y a longtemps mais c’est toujours un actuel projet, malheureusement il n’est pas à l’ordre du jour. Pourtant en 2015 quand les conservateurs l’ont refusé les libéraux s’étaient prononcés en faveur du projet de loi, maintenant qu’ils sont au pouvoir ils semblent avoir oublié. J’essaie de le faire revenir dans le projet sur l’alimentation mais à ce qu’ils m’ont dit, ils ne comptent pas l’intégrer.

Sur le site de la chambre des communes je me suis aussi intéressés à vos commissions mais je n’en ai vu aucune dont vous étiez membre, c’est normal ?

Oui, c’est la réalité en ce moment, j’ai eu une petite fille qui a trois ans et je suis dans le bon parti, qui a été très accommodant avec ça. C’est connecté aux autres enjeux au fond. Le NPD m’a laissé réintégrer mes travaux au fur et à mesure, je devais voter aux votes prévisibles mais était dispensés des votes imprévisibles qui sont parfois par surprise. Lors de mes « tours de garde », ces moments dans le caucus où l’on se partage des temps où on doit être cinq heure dans la chambre, ont été pris par d’autres collègues, vraiment c’était super généreux mais c’était d’entrée de jeu proposé. Je ne sais pas si c’est comme ça dans les autres partis.

On s’est battu aussi pour avoir une salle spéciale – il y a une garderie mais il faut que les enfants y soient cinq jours semaines ce qui est impossible avec nos agendas, et c’est à partir de 18 mois –, jusqu’ici nous n’avions pas de salles spécifiques. Christine Moore, une collègue néodémocrate qui a eu deux enfants dans les deux dernières législatures, a fait un accord avec la Chambre des communes pour une nounou privée, qu’elle paie avec ses propres fonds, mais la sécurité est assurée par la Chambre. On a maintenant une salle familiale aussi, on ne l’avait pas avant, pour allaiter on allait dans la « salle des époux » qui est à côté de la chambre. Mais parfois les députés la réservent pour des conférences de presse et dans ce cas les femmes qui allaitent doivent partir, si le bébé est en train de dormir il faut le lever et le déplacer…

On a aussi demandé que les votes aient lieu dès après la période des questions, et pas à finir toujours tard le soir. La semaine dernière on a eu des votes tous les jours en fin de journée, les libéraux disent travailler fortement pour la conciliation travail/famille, ça ne se voit pas ici. Ce sont des anecdotes mais c’est important, c’est ce genre de choses qui font que c’est difficile de convaincre des jeunes, et particulièrement des jeunes femmes, de s’engager en politique. On leur dit « venez, c’est faisable de concilier avec des projets de familles », c’est vrai que c’est faisable, mais est-ce que c’est facile ?, là non.

Il y a quand même quelques commissions sur votre page, j’ai notamment vu que vous apparteniez à un réseau autour de la francophonie. Y représentez vous le Québec ou bien tout le Canada ? Avez-vous travaillé avec des élus français ?

J’en suis membre depuis un an et demi, je fais partie du programme jeunesse de la francophonie. Il a été initié il y a trois ans pour permettre aux jeunes parlementaires de réseauter à travers toute la francophonie des quatre continents pour mieux comprendre les enjeux des autres pays. Et finalement on a trouvé ça tellement enrichissant qu’on s’est dit qu’il faudrait que ça nous survive, car ça devait durer deux ans mais on a consacré la troisième année à pérenniser ça en mettant sur pied le Réseau parlementaire de la jeunesse. Il devrait aboutir en juillet et d’ailleurs il y a un sénateur français qui nous a rejoint récemment, Cyril Pellevat, qui est membre du parti des Républicains.

Ma dernière question est plus personnelle, je suis bibliothécaire et j’ai vu que vous étiez membre du comité d’administration de la bibliothèque parlementaire, en quoi ça consiste ?

J’aimerai pouvoir vous le dire mais j’en suis membre depuis 2015 et ce comité… ne s’est jamais réuni ! Il est censé réunir des députés et sénateurs qui travaillent en appui des bibliothécaires et recherchistes du Parlement afin d’assurer le meilleur fonctionnement de cette formidable ressource mais je n’en sais pas vraiment plus. Depuis quelques années on a plusieurs fois demandé aux président des deux chambres d’organiser un comité, mais sans succès.

C’est réellement dommage parce qu’on utilise beaucoup la bibliothèque et les chercheurs. Trente-huit députés se sont ajoutés en 2015, qui peuvent aller à la bibliothèques et utiliser leurs services, ainsi que leurs assistants, il y a peut-être des besoins d’organisation, de ressources ou des aides à mobiliser. Mais nous ne pouvons donc pas les appuyer alors qu’on sollicite énormément leurs aide.

Enregistré le 29 avril 2018
à Ottawa.