Entretien avec André Gattolin, sénateur écologiste français, secrétaire du groupe d’amitié France-Québec

Universitaire, passionné d’Europe, militant fédéraliste et compagnon de route de nombreuses associations écologistes et humanitaires, André Gattolin a été élu sénateur écologiste en 2011. Passionné par les questions internationales (il est un des rares élus à revendiquer une « action sans frontières » sur son site), très engagé sur la question tibétaine, c’est aussi un amoureux du Québec, pour des raisons tant personnelles que professionnelles. Secrétaire de la commission des affaires européennes, membre du groupe d’amitié France-Canada et secrétaire de celui consacré aux relations France-Québec, il nous éclaire sur l’utilité de ces groupes et l’importance de la diplomatie parlementaire.

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Lors du Salon de la Culture tibétaine 2012

Avant de parler en détail de tes fonctions peux-tu nous expliquer d’où vient ton intérêt pour le Québec ? Je sais que tu es très investi sur la question tibétaine, si bien sûr ces deux peuples n’ont rien à voir du point de vue de l’oppression je perçois un intérêt pour les « nations sans états ».

Mon premier voyage au Québec date de 1977, en pleine période de revendication souverainiste. Avant ce voyage, j’avais une image assez distordue et un peu idyllique de la belle province, portée par mon goût pour les poètes, écrivains et musiciens québécois très en vogue en France à cette époque. Ma découverte du pays a véritablement été un choc : je ne m’attendais pas à découvrir une société aussi américanisée dans ses modes de vie et avec un tel contraste dans ses revendications politiques, culturelles et linguistiques. C’est surtout au cours des dix dernières années que j’ai appris à mieux connaître et comprendre le Québec car je m’y rends très régulièrement. Entre mes voyages à titre privé et mes déplacements es fonctions, je passe environ deux mois par an au Canada. J’ai ainsi la chance de fréquenter de nombreux intellectuels et politiques québécois et d’avoir une assez bonne expérience de la vie quotidienne au Québec. Mes interlocuteurs s’amusent souvent à me présenter comme le plus québécois des parlementaires français. C’est à ce titre notamment que j’ai eu l’occasion d’accompagner Jean-Marc Ayrault, puis Jean-Pierre Bel, le Président du Sénat, lors de leurs visites officielles au Québec l’an passé.

Concernant mon engagement en faveur du Tibet, il est très lié à mon engagement de très longue date dans les domaines de l’écologie, de la défense des droits de l’Homme et de la défense des peuples autochtones. Mon élection au Sénat en septembre 2011 m’a permis de démultiplier mon implication en faveur du Tibet, car mes contacts sont facilités par ma fonction de parlementaire. Il est vrai que la très large majorité des parlementaires français ne s’intéresse guère aux questions extérieures à l’Hexagone et lorsque c’est le cas, ils le font de manière souvent anecdotique et de façon excessivement institutionnelle. Il est en effet peu courant de voir un sénateur manifester dans la rue aux côtés des militants de la cause tibétaine, aux côtés des Amérindiens du mouvement Idle No More, aux côtés des étudiants du Printemps érable ou encore du côté des défenseurs des libertés civiles en Russie et des protecteurs de l’Arctique… Mon engagement politique national a toujours été indissociable de mes engagements transnationaux : c’est la moindre des choses dans un monde globalisé où seuls les politiques vivent encore à l’heure un peu archaïque des frontières de l’Etat-nation.

Alors, il y a évidemment une cohérence dans l’ensemble de mes engagements, y compris entre ceux qui se rapportent au Québec et ceux qui concernent le Tibet. La situation globale du Québec est évidemment assez fondamentalement différente de celle du Tibet. Dans le premier cas, il s’agit d’une province qui dispose de nombre de compétences propres dans le cadre d’un état fédéral et démocratique. S’agissant du Tibet, nous sommes dans le cas d’une nation qui voit sa culture, sa langue et ses droits fondamentaux niés par une puissance autoritaire et authentiquement impérialiste. Le dalaï-lama ne demande pas l’indépendance pour son peuple, mais l’autonomie que la constitution chinoise est censée accorder aux régions qui compose la République populaire de Chine. Pour autant, nous sommes effectivement dans le cas de deux nations sans état. Ma culture libertaire et mondialiste me conduit toujours à me méfier des états-nations au sens où on l’entend depuis le XIXe siècle. En tant qu’écologiste, j’ai toujours certaines réticences à l’égard des revendications d’indépendance, au nom de la nécessité de bâtir une structure étatique, conduisent leurs défenseurs à envisager une exploitation déraisonnable des richesses naturelles contenues dans leur sous-sol… Le cas actuel du Groenland et de la Nouvelle-Calédonie qui souhaitent financer leur indépendance par une extraction renforcée de leurs richesses minières m’inquiètent. Concernant le Québec, je souhaite et milite pour qu’on ne dévaste pas le Grand Nord au nom de la raison d’état et de l’aspiration à la souveraineté.

Les groupes d’amitiés parlementaires sont souvent décriés comme étant opaques et sans fonction réelle. C’est vrai que l’on en perçoit pas forcément bien les travaux, peux-tu nous expliquer l’utilité de ces groupes et présenter exemples d’actions ? 

Oui, les groupes parlementaires ont souvent été décriés et à juste titre car certains en faisaient un usage plus touristique que véritablement politique. Certains élus nourrissent au travers de ceux-ci des relations d’influence douteuses avec des pays aux régimes peu recommandables. Mais la situation au cours des dernières années s’est considérablement assainie. Les déplacements sont désormais très limités en nombre, les groupes d’amitiés ont vu leurs budgets singulièrement réduits et les parlementaires doivent contribuer à hauteur du quart du prix des voyages (ce qui freine les ardeurs). Ces groupes sont cependant essentiels à plusieurs titres s’ils sont correctement administrés car, d’une part, ils ouvrent un peu l’esprit de nos parlementaires sur des réalités internationales qu’ils méconnaissent souvent et, d’autre part, parce qu’ils peuvent constituer une base pour la création d’une diplomatie parlementaire telle qu’il en existe dans d’autres pays et qui permettent des échanges et des rapports diplomatiques plus directs et moins empreints de realpolitik que ceux généralement développés par les chancelleries.

Personnellement, je m’implique beaucoup dans divers groupes d’amitiés du Sénat (Canada, Québec, Tibet, Mongolie, Croatie, Italie…) car ce sont des pays que je connais bien et où j’ai tissé des liens forts bien avant de devenir sénateur. Au Québec, nous avons fait un très intéressant voyage l’an passé sur les problématiques de la foresterie et de la santé hospitalière. C’était un séjour très dense qui nous a permis de nouer des contacts étroits avec de nombreux parlementaires, experts et universitaires. Mais dans les groupes d’amitiés qui fonctionnent bien, les voyages ne sont qu’une petite partie du travail que nous conduisons. Nous accueillons beaucoup de délégations (pas seulement politiques), nous discutons et intervenons beaucoup auprès des ambassades, nous suivons les manifestations culturelles et intellectuelles organisées par ces pays en France. Personnellement, je n’ai pas de limite en matière de droit d’ingérence et je rencontre souvent à titre personnel les partis, les mouvements et les ONG des pays concernés. J’ai récemment organisé au Sénat la projection suivie d’un débat d’un excellent documentaire sur les sables bitumineux en collaboration avec les Amis de la Terre.

Il existe aussi un groupe d’amitié France–Québec à l’Assemblée nationale or il n’y a qu’une chambre parlementaire au Québec, donc un même interlocuteur. Je suppose que vous travaillez ensemble, comment faites-vous pour que les groupes ne se court-circuitent pas ?

Je suis à la fois vice-président du groupe d’amitié France-Canada, vice-président du groupe d’amitié du groupe France-Québec et membre depuis un an de l’assemblée interparlementaire franco-canadienne. Cette dernière est une assemblée instituée par un traité entre nos deux pays qui regroupent des sénateurs et des députés des deux pays. Nous recevons et auditionnons des ministres fédéraux assez régulièrement et ceux-ci répondent avec beaucoup de sérieux à nos questions.

Concernant les deux groupes France-Québec (celui du Sénat et celui de l’Assemblée nationale), nous nous connaissons bien et nous évitons de traiter en même temps des mêmes sujets. L’Assemblée nationale du Québec qui est notre interlocuteur commun veille à la bonne gestion des déplacements et évite les doublons excessifs. Il faut dire aussi qu’en France, même s’il y a deux chambres, nous nous rencontrons souvent entre députés et sénateurs et donc personne ne cherche à court-circuiter l’autre. C’est d’ailleurs avec la même intelligence que nos deux groupes d’information sur le Tibet travaillent ensemble. Derrière les rivalités d’opérette, il faut savoir que les parlementaires ont des rapports très civilisés entre eux par delà les clivages politiques. Bref, ce n’est pas la guerre civile entre nous !

La position diplomatique de la France sur la question indépendantiste est la même depuis des années : « non ingérence, non indifférence ». Pourtant en créant un groupe d’amitié France – Québec en plus du groupe France – Canada, il y une volonté de parler d’état à état, comment l’expliques-tu ? 

Oui, l’existence de ces deux groupes est un peu une bizarrerie, mais elle résulte d’une histoire très étroite et très intense entre la France et le Québec, surtout depuis une certaine déclaration du général de Gaulle. Volonté de parler d’état à état ? Je ne pense pas que cela aille jusque-là … Les traités et les conventions internationales cadrent beaucoup nos relations. J’ai souvenir en avril dernier quand j’ai accompagné Jean-Marc Ayrault lors de son voyage officiel au Canada. Je l’avais prévenu quand il a déclaré à son départ que cela ferait des vagues à Ottawa quand il a déclaré qu’il venait en voyage officiel « au Canada et au Québec ». Cela n’a pas manqué à son arrivée dans la capitale fédérale où le Premier Ministre Harper et surtout la presse anglophone l’a un peu battu froid… Mais l’incident a vite été oublié. Les officiels canadiens ou québécois sont habitués aux bourdes de nos hommes et femmes politiques!!! A quelques exceptions près, mes collègues et la plupart des ministres ont le même niveau de connaissance réelle de pays que celui que j’avais lorsque je me suis rendu la première fois au Québec (et au Canada!) il y a plus de 35 ans.

Concernant la question indépendantiste, je suis favorable à une autonomie renforcée du Québec mais je ne suis pas partisan de l’indépendance. Je suis un fédéraliste et je ne crois guère à la pleine indépendance d’un Etat de 8 millions d’habitants surtout quand il est aussi étroitement enchassé dans le continent, l’économie et la culture nord-américaine et qu’il est au cœur de la compétition mondiale. Je pense que si le Québec voulait réellement prendre ses distances avec le reste du Canada et avec les Etats-Unis, il devrait immédiatement passer un accord de coopération renforcée avec l’Union européenne. Mais je crois que nous en sommes loin…

Tu as été élu en 2011 et a donc connu la période d’élection générales de 2012, avec la grande crise étudiante qui a précédé. Était-il possible dans ces conditions de travailler avec les parlementaires québécois ?

Je suis venu une fois en voyage officiel au Québec durant le Printemps érable et 3 autres fois lors de voyages privés. J’ai vu le mouvement naître notamment dans les départements d’anthropologie et de sociologie à l’UQAM ainsi qu’à l’UDeM. J’ai pu discuter avec les étudiants et les manifestants. J’ai échangé à ce sujet avec Pauline Marois et son entourage au moment où le mouvement commençait à prendre un peu d’ampleur. Elle nous a écouté avec beaucoup d’attention, même si elle avait beaucoup de distance à ce moment-là avec les revendications étudiantes. Il faut dire qu’en France nous avons une certaine expérience des mouvements étudiants… Cela m’a beaucoup amusé lorsque la Sécurité du Québec voulait m’empêcher (« pour ma sécurité personnelle ») de rejoindre un groupe d’étudiants qui squattaient gentiment dans le froid devant l’Assemblée nationale du Québec alors que j’étais dans la rue avec les manifestants quelques jours plus tôt à Montréal ! Je devais aussi rencontrer Amir Khadir, mais un empêchement personnel ne lui a pas permis de me voir à ce moment-là. Ce n’est que tardivement et surtout à la suite de la loi spéciale 78 promulguée par le gouvernement de Jean Charest que le Parti québécois a pris des positions plus claires à l’égard du mouvement de contestation qui s’élargissait notamment en direction de son électorat traditionnel. J’ai assisté et participé à de nombreuses manifestations spontanées durant cette période et je dois dire qu’elles m’ont profondément marqué. Oui, les parlementaires québécois étaient largement dépassé par ce qu’il se passait… un peu comme mes collègues français lorsqu’il y a une importante mobilisation de la jeunesse. C’est malheureusement un classique du genre !

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De manière plus personnelle, sans que ça n’engage le groupe parlementaire, on peut voir sur ton facebook public un certain nombres de soutiens à des mouvements (les grandes manifestations étudiantes de l’été 2012) ou à des partis et élus (du Parti Vert mais aussi, de manière plus surprenante, Québec Solidaire). Quand tu regardes la scène politique québécoise, quels sont les partis ou personnalités vers qui ton cœur balance ? 

Honnêtement, je ne suis pas fasciné par la scène politique québécoise, pas plus que je ne trouve la scène politique française particulièrement excitante… Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens bien ici ou là, mais globalement nous sommes quand même dans une grande période désespérance où il n’y a guère de politiques qui cultivent une vision du monde en correspondance avec les grands enjeux de ce siècle débutant.

Qui porte un véritable discours sur les grands enjeux écologiques et climatiques que nous devons affronter, sur les bouleversements de la production, de la consommation et de la distribution engendrés par l’explosion des nouvelles technologies de l’information ? Qui s’interroge sur le devenir du social dans un monde globalisé et excessivement dérégulé ? Qui propose une redéfinition de la gouvernance à l’échelle de la planète et à l’échelle du local en reformulant un authentique pacte démocratique ? Personne. La tâche est rude et elle nécessite une capacité de reformulation collective dont ne disposent pas les formations politiques actuelles… Ce qui me désespère le plus, c’est la quasi-absence de réflexion géopolitique de nos dirigeants politiques. Ils gèrent au quotidien leur circonscription – leur terrain d’élection au sens propre et au sens figuré – et ils ont bien du mal à définir l’intérêt général à l’échelle d’un pays ou d’une province… Alors peut-on leur demander de penser l’intérêt général et le bien commun à l’échelle globale ou même à l’échelle d’un continent ? Si je suis écologiste, c’est parce que c’est encore le seul endroit où certains tentent de poser les bonnes questions, mais pour les réponses apportées nous sommes encore très loin du compte. Nous avons, je crois, beaucoup de bonnes idées, mais elles sont encore assez mal articulées entre elles et, surtout, il reste encore des trous béants sur des sujets très importants. Depuis deux ans et demi que je suis parlementaire et que nous disposons d’un groupe au Sénat, nous sommes forcés de prendre des positions sur tous les sujets qui émergent dans le champ politique. Avant – quand nous ne disposions pas d’un temps de parole sur tous les sujets – c’était relativement facile : nous nous concentrions sur nos thèmes fétiches, souvent sans nous poser la question de savoir si nous pouvions et voulions être en mesure de convaincre une majorité politique de nous suivre…

Oui, j’ai un certain intérêt pour Québec Solidaire qui a une vision plus ouverte du monde que d’autres partis politiques québécois. Au passage, je suis atterré quand je regarde les infos TV au Canada ou que je lis la presse québécoise, tant elle accorde peu de place aux questions internationales ! Québec Solidaire me rappelle un peu les Verts français, avec une vraie préoccupation concernant le social et l’international, en plus des questions environnementales et écologistes. Mais comme les Verts, je trouve que Québec Solidaire pêche par son absence de réflexion véritablement autonome par rapport à la gauche classique sur les questions sociales. C’est une des grandes faiblesses de l’écologie politique que de se mettre à la remorque de la pensée socialiste lorsqu’il s’agit d’appréhender les questions économiques et sociales pour construire ses positions. En France, cela s’explique par le fait que la majorité des militants et des élus écologistes ne proviennent pas des luttes environnementalistes, mais le plus souvent sont d’anciens militants d’extrême gauche engagés de longue date dans le champ du social et du sociétal. Du coup, ils tendent à coller leur ancienne matrice d’analyse sur tous ces sujets. Personnellement, les origines de mes engagements sont libertaires, profondément enracinés dans une lecture non-marxiste de la société et du rapport à la politique. C’est sans doute la raison pour laquelle je peine à trouver l’âme sœur en politique…

Pour aller plus loin :
– Le site d’André Gattolin ;
– Le site du groupe écolo au Sénat.

Crédit images : extraits du profil facebook d'André Gattolin.

Entretien avec Sadia Groguhé, députée NPD de Saint-Lambert

Sadia Groguhé est née en France en 1962 de parents algériens. Militante associative, elle s’engage lors des municipales d’Istres au côté du Parti Socialiste et devient conseillère municipale chargée de l’intégration en 1995. Elle démissionne en 2000, suite à la naissance de ses enfants, et émigre au Canada en 2005. Après sa naturalisation, elle s’engage logiquement au NPD et est élue députée de Saint-Lambert lors des élections fédérales de 2011. Leader parlementaire adjointe, elle est porte-parole adjointe du NPD en matière d’immigration, de citoyenneté et de multiculturalisme. Depuis le remaniement du cabinet fantôme de l’Opposition officielle en août 2013, elle est désormais whip adjointe du NPD et porte-parole adjointe en matière d’emploi et de développement social.

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Photo officielle de Sadia Groguhé

Fille d’immigrés algériens, française de naissance, émigrée au Canada, vous avez indiqué avoir quitté la France afin que vos enfants ne soient pas l’objet de discriminations liées à leurs origines. Un regard sur les scandaleuses attaques racistes qui ont lieu en France en ce moment semble malheureusement vous donner raison… Vous qui êtes spécialiste de l’intégration comment présenteriez-vous le modèle canadien ?

En ce qui concerne le Canada, on parle de multiculturalisme.  On met de l’avant l’aspect communautaire et chaque communauté peut donner libre cours à sa culture et à ses spécificités dans cet espace inclusif qu’est ce pays.  Les différences sont mises de l’avant et respectées.  Chacun peut  exprimer librement son appartenance communautaire tout en étant canadien, en respectant évidemment le cadre légal de la société d’accueil.

L’intégration est un processus à double sens.  De ce fait, il se produit par l’engagement de l’un vers la société et grâce à l’acceptation des nouveaux arrivants par la société d’accueil dans un tout unificateur ou tous devraient trouver leur place. S’il n’y a pas intégration, il y a exclusion.

La question des discriminations reste entière en France, on n’est pas au bout de cette problématique. Ce ne sont pas seulement des actions qui viendront à bout de cela, mais ça passe par un changement des mentalités. Les préjugés sont malheureusement tenaces et c’est effrayant de voir une femme noire arrivée aux plus hautes sphères de l’État se faire traiter de la sorte. On assiste, à mon avis, à une banalisation civique de ce phénomène qui n’est plus ostracisé ou marginalisé, mais qui, étant en germe depuis des années en France, voit aboutir son expression la plus radicale. Le mal silencieux se fait bruyant et à visage découvert ! C’est extrêmement grave et c’est en soi l’aboutissement de cette xénophobie qui a marqué notre siècle et les siècles d’avant.

Vous êtes franco-canadienne et avez été compagnon de route du Parti Socialiste. François Hollande, deuxième président socialiste de la Ve République était très attendu lors de son élection en 2012, et la déception est palpable dans l’électorat dit de gauche… Avant de parler du Québec pouvez-vous me donner vos impressions sur ces premières années de présidence progressiste après des années de droite dure ? De manière générale continuez-vous à regarder ce qu’il se passe dans la politique française ?

Le Parti socialiste, avec à sa tête François Hollande, est parti de très loin. La France est durement touchée par les problèmes sociaux et économiques et je crois que quel que soit le chef d’État, de droite ou de gauche, il aurait eu beaucoup de difficulté à remonter la barre. Pourtant, la gauche au pouvoir, ne l’oublions pas, peut-être et doit être porteuse d’espoir dans le sens où elle continue de ne laisser personne sur le bas-côté de la route. Le projet de société de la gauche reste un projet réunificateur et doit rassembler plus largement toute la mouvance progressiste. L’économie et le social sont indissociables et doivent être conjointement menés de front.

Je continue de suivre ce qui se passe en France, mais, je l’avoue, de moins en moins, faute de temps.

Vous revendiquez un engagement associatif complémentaire de l’engagement politique, je suppose qu’arrivée au Québec vous vous êtes d’abord penché sur l’engagement communautaire. Pouvez-vous nous raconter votre parcours militant au Canada, ce qui vous a mené à vous engager pour votre nouveau pays jusqu’à en devenir une élue ?

J’ai été très proactive lorsque je suis arrivée au Québec. Je me suis rapproché rapidement du domaine communautaire et j’ai effectué du réseautage là-dedans.  De plus, j’ai pu faire du bénévolat et j’ai participé à des rencontres dans les universités. J’ai pu faire partie de panels sur les questions de l’intégration. C’est essentiel de pouvoir connaître et décoder son environnement pour faire sa place. J’ai donc pris part à des réflexions sur des enjeux qui concordaient avec mon expérience et mes champs d’intérêts.

Mon saut en politique, je l’ai fait car, pour moi, la politique est là pour changer les choses ; tout naturellement, mon choix s’est porté vers le Nouveau Parti démocratique (NPD) à cause des valeurs de ce parti progressiste. J’ai été approchée par le parti et j’ai pris la décision lorsque les élections fédérales ont été déclenchées de me présenter comme candidate. La politique avait continué de faire partie de mes champs d’intérêts et lorsque l’opportunité de remettre le pied à l’étrier s’est présentée, je l’ai saisie.

grog2Entre autres sujets, Mme Groguhé est très engagé sur la Guerre Syrienne. Ici lors d’un rassemblement en soutien aux familles prises dans la guerre.

Vous êtes très engagée sur les questions d’immigration et d’intégration, pour des raisons personnelles que l’on comprend bien, mais ne craignez-vous-pas que l’on vous enferme dans ce sujet par facilité ? Pourquoi est-ce si essentiel à vos yeux au-delà de votre cas propre et quelles sont vos autres priorités pour le Québec ?

Je me considère et continue de le faire comme un être libre ayant des devoirs et des obligations, certes, mais avant tout avec un libre arbitre et une liberté de penser. Je m’investis en général dans ce que j’aime et lorsque notre défunt chef Jack Layton m’a proposé l’immigration, ce fut pour moi une joie immense. Ce dossier ne m’interpelle pas parce que je suis moi-même immigrante, mais essentiellement parce que je me considère comme citoyenne du monde. Il est important de travailler à bâtir une société dans laquelle quelle que soit votre couleur ou vos origines, vous avez votre place.

Ce qui m’importe, c’est de pouvoir travailler pour accroître la justice et pour faire du lieu où l’on décide de s’établir un endroit meilleur pour tous.  À ce sujet, je suis désormais porte-parole adjointe du NPD en matière d’emploi et de développement social.

Conséquemment, mes autres priorités pour le Québec et le Canada sont de lutter contre la pauvreté, de réduire le taux de chômage chez les jeunes, de consolider les services offerts aux familles, de pérenniser les pensions de retraite et de s’assurer que nos aînés puissent vivre dans la dignité.

Pourriez-vous citer une ou deux lois que vous êtes fières d’avoir portés, et votre plus gros regret quant à un projet rejeté faute de majorité ?

Lorsque j’étais porte-parole adjointe de l’Opposition officielle en matière d’immigration, je me suis portée à la défense de ce que nous avons appelé les « Oubliés de Buffalo ».  Il s’agissait surtout de demandeurs de résidence permanente ou temporaire dont les dossiers avaient été égarés par les autorités du bureau de Citoyenneté et Immigration Canada de Buffalo.

Après avoir pris connaissance de cette situation, j’ai directement interpellé le ministre de l’Immigration de l’époque, Monsieur Jason Kenney, afin d’exiger que ces dossiers soient régularisés et traités le plus rapidement possible.  En collaboration avec mes collègues du NPD, nous avons attiré l’attention des médias sur cet enjeu de taille et le ministre s’est finalement engagé à régler chacun des cas dans des délais raisonnables.

Face à un gouvernement majoritaire, qui exerce unilatéralement le pouvoir législatif dans notre système parlementaire d’inspiration anglo-saxonne, une élue de l’opposition peut donc tout de même réussir à infléchir les décisions des dirigeants en mobilisant la société civile.  J’en suis très fière.

grog3Lors d’une table ronde sur l’intégration des femmes au travail

Le NPD est un parti fédéral mais pas défini comme fédéraliste. Quelle est votre conviction personnelle à ce sujet et que pensez-vous des récentes attaques du gouvernement conservateur sur la question de l’autodétermination ?

J’adhère pleinement à la position officielle de notre parti à propos de la question de l’indépendance du Québec.  Nous sommes, bien évidemment, un parti qui fait la promotion de l’unité canadienne. En revanche, nous reconnaissons le caractère distinct du Québec.

Pour cause, le NPD a appuyé la motion du gouvernement fédéral, déposée en 2006, qui affirmait que le « Québec formait une nation au sein d’un Canada uni ».  Je considère que le Québec, dont une majorité de résidents s’expriment quotidiennement en français, contribue considérablement, par sa spécificité culturelle, au dynamisme du Canada.

En 2006, le NPD a aussi adopté, dans son propre programme politique, la Déclaration de Sherbrooke. Dans cette déclaration, « le NPD reconnait le droit du Québec à l’autodétermination, soit de décider de son avenir politique et constitutionnel. Ainsi, la souveraineté est une manifestation de ce droit, mais il peut aussi s’exprimer au sein de la fédération canadienne. » De plus, puisque le Québec a le droit de décider de son avenir, « il s’ensuit que le NPD reconnait que l’Assemblée nationale du Québec a la capacité de rédiger une question référendaire claire. Le NPD s’est donc engagé à respecter un éventuel processus référendaire et à reconnaitre l’expression d’une majorité de Québécois, soit 50% + 1, en faveur d’une modification au statut du Québec au sein de la fédération. »

Je crois que les Québécois peuvent pleinement s’épanouir au sein du Canada et l’approche de notre parti respecte – et respectera – le parcours de la nation québécoise.

Deux ans après votre élection lors de la vague orange, vous êtes à mi-mandat. Quel regard portez-vous sur vos débuts d’élue au Canada et qu’espérez-vous construire à l’avenir ?

J’ai le privilège de siéger à la Chambre des communes depuis 2011 grâce à l’appui de la population de la circonscription de Saint-Lambert.  Depuis mon élection, j’ai pu développer des partenariats avec les organismes communautaires de mon comté et accompagner les résidents dans leurs démarches auprès du gouvernement fédéral.  J’ai su renforcer les liens qui unissent les représentants politiques de la Montérégie, tant au niveau municipal, provincial que fédéral, et j’ai organisé plusieurs événements afin de souligner l’importance de l’implication citoyenne au sein de la société.  Ces étapes cruciales m’ont permis d’être à l’écoute des commettants de ma circonscription et de cibler les enjeux qui nous paraissent prioritaires.  Bien entendu, j’ai développé une expertise en matière d’immigration, d’emploi et de développement social, mais j’ai aussi consolidé mes connaissances en échangeant avec la population.

Je crois sincèrement que le Canada mérite mieux.  J’estime que le gouvernement fédéral se doit d’être solidaire envers les plus démunis et que la justice sociale, au-delà de toute forme de partisannerie, doit être au cœur de notre engagement politique.  L’atteinte du bien commun n’est pas un concept purement théorique.  Il vise à orienter nos actions, non pas pour améliorer les conditions de ceux qui bénéficient des meilleurs conditions de vie, mais pour aspirer à accroître le bonheur du plus grand nombre.  Je suis convaincue que notre équipe et moi-même seront en mesure de remplacer le gouvernement conservateur lors des prochaines élections fédérales.  Nous avons proposé des solutions qui répondent aux réalités de nos concitoyens.  Nous voulons travailler ensemble pour rétablir la respectabilité du Canada sur la scène internationale et pour nous occuper des gens qui nous entourent.

Entretien réalisé par courriel
en novembre/décembre 2013

Pour aller plus loin :
Site de Sadia Groguhé ;
Page facebook officielle ;
Site du NPD.

Photos extraites du site officielle de Sadia Groguhé.

Entretien avec Manon Massé, candidate de Québec Solidaire dans Sainte-Marie–Saint-Jacques

Militante féministe et pour l’égalité des droits, travailleuse communautaire, Manon Massé est une vieille amie de Françoise David, avec qui elle a organisée la marche mondiale des femmes et cofondatrice le mouvement politique Option Citoyenne. Se revendiquant « de gauche, féministe, écologiste et altermondialiste », le mouvement fusionnera avec l’Union des Forces Progressistes en 2006 pour donner naissance à Québec Solidaire. Première candidate du parti, lors d’une partielle dans Sainte-Marie–Saint-Jacques en 2006, elle s’y représente à chaque élection et voit son score s’améliorer à chaque fois. De plus en plus mise sur le devant de la scène, c’est une figure marquante du parti et sans doute une de leurs futures députées.

[Edit. avril 2014 : Quelques mois après cet entretien, Manon est devenue députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques]


Manon Massé par Cindy Boyce.

On te présente souvent comme une féministe, une travailleuse communautaire ou une militante politique. Trois affirmations justes, mais qui ne peuvent limiter ton parcours. Peux-tu le présenter les sources de ton engagement aux lecteurs ?

Je suis une femme qui carbure à l’injustice. Ça me met en action. Issue de la classe populaire, j’ai été élevée dans une famille très croyante, pour qui « prendre soin de l’autre », particulièrement du plus vulnérable, était très important. Très jeune je me suis dédiée à « l’amour du prochain », pas par hypocrisie, pas par obligation ou par pitié, mais parce que l’autre est comme moi un « enfant de Dieu » et nous sommes donc toutes et tous égaux. Sans suivre les mêmes pistes que mes parents, j’ai énormément appris de ces grandes valeurs.

J’ai commencé mon processus de politisation au début de la vingtaine dans les années 80, au contact de « l’éducation populaire ». J’ai commencé à comprendre les systèmes d’oppression qui m’infligeaient des souffrances en tant que femme, lesbienne et pauvre. Tout s’en est suivi. Mon engagement réside depuis toujours en ma conviction viscérale que tous les êtres humains naissent libres et égaux, en dignité et en droits. Malheureusement, trop de profiteurs ne veulent pas reconnaître ce fait et agissent à l’encontre de ce principe en abusant de leur semblable.

Une facilité pourrait faire dire que tu es passée du militantisme associatif au politique. Bien sûr tu n’as pas quitté le champ associatif et ton activité a toujours été politique, mais malgré tout il y a bien eu un virage quand tu es devenue la première candidate de Québec Solidaire, lors de l’élection partielle de Sainte-Marie–Saint-Jacques en avril 2006. Comment as-tu abordé cette nouvelle forme d’engagement, et pourquoi avoir franchi le pas ?

C’est la féministe en moi qui m’a amenée à faire le choix de me présenter comme candidate. Depuis les débuts, j’ai travaillé à la mise sur pied d’Option citoyenne et à la fusion avec l’Union des forces progressistes. Je me suis impliquée dans la création de Québec solidaire dans l’objectif très clair et nommé de faire élire Françoise David, une leader extraordinaire avec laquelle je travaillais depuis une dizaine d’années.

Un mois avant le congrès de fondation de QS, nous savions que le gouvernement allait déclencher une élection partielle dans mon comté, laissé libre par André Boulerice quelques mois auparavant. Les seuls noms qui sortaient comme candidature potentielle étaient des hommes. J’étais incapable d’accepter que le premier parti politique féministe présente un homme comme première candidature.

C’est donc avec beaucoup d’audace et de candeur que j’ai sauté dans le train. Dès le début de la campagne, j’ai compris que dans les faits, le travail politique n’était que la continuité du travail d’éducation populaire que je faisais depuis une vingtaine d’années. Aller à la rencontre des gens, prendre le temps de leur expliquer comment fonctionne le système dans lequel nous vivons et comment on peut changer les choses. Redonner espoir à celles et ceux qui ne sont jamais considérés par ce système.

De plus, mon travail de militance m’avait formée à analyser, à être critique et à formuler des alternatives. J’étais surtout prête à mener la bataille pour que le mode de scrutin soit plus juste et pour que chaque vote compte. Je suis une grande démocrate et le système québécois actuel est beaucoup trop injuste pour que je dorme tranquille.

Si tu épouses toutes les thèses de Québec Solidaire, quels sont les sujets qui te semblent prioritaires, et que tu défends particulièrement – que ce soit dans et hors du parti.

En premier lieu je dirais l’économie. Québec solidaire a une vision de l’économie qui me réconcilie avec la démocratie représentative. Nous avons abandonné l’économie aux mains des économistes, qui finissent par se convaincre et nous convaincre que l’économie est une science exacte. Le système capitaliste crée beaucoup trop d’abus, d’injustices et de guerres pour que nous restions silencieux-ses. Les gens qui maintiennent ce système en place n’ont pas à cœur l’intérêt collectif, ni le bien commun et ni l’environnement. Quand Québec solidaire parle de justice sociale, il ne fait que s’appuyer sur la nécessaire justice fiscale qui est occultée dans le discours dominant des grands cravatés du capital. Ils ne cessent de dire que nous devons faire notre « juste part », alors qu’ils savent très bien que des milliards de dollars passent annuellement dans des paradis fiscaux, en toute légalité, sans que le peuple en bénéficie pour le financement de ses services publics. Ça m’indigne et me dégoute.

Le deuxième thème est l’environnement. Non pas comme une ressource exploitable, mais en tant que bien commun que nous partageons avec l’ensemble des habitantEs de cette terre. Je me sens très reconnaissante de pouvoir boire de l’eau saine, de respirer de l’air qui ne m’empoisonne pas trop et de pouvoir manger trois repas par jour. Comment puis-je accepter de ne pas tenir compte de tout ça? Pour QS, l’environnement n’est pas quelque chose à exploiter, mais à protéger. La fin de la dépendance au pétrole et le programme d’efficacité énergétique est pour moi d’une grande cohérence avec les valeurs de bien commun qui nous tiennent tant à cœur.

C’est en effet une question fondamentale, d’autant que le Québec est très riche en ressources, mais certaines d’entre-elles sont loin d’être « propre », je pense notamment aux mines d’uranium ou d’amiante. Dans le cas d’un gouvernement solidaire, quelles seraient les priorités pour effectuer la transition écologiques ?

Pour QS, il faut radicalement rompre avec les énergies non renouvelables et tout particulièrement les hydrocarbures. Nous avons été le premier parti à dénoncer l’attitude hypocrite du Québec face à l’amiante en interdisant d’une part son utilisation ici au Québec mais en poursuivant son exportation.

De plus il faut que le gouvernement mette fin à ces mines à ciel ouvert qui détruisent complètement les paysages et les milieux de vie des communautés. Les gens de Malartic dans la région de l’Abitibi en savent quelque chose.

Il est donc urgent de développer une économie au service de l’ensemble de la population et non seulement au profit d’une poignée de gens qui en profite et qui n’ont aucune considération pour l’environnement. Pour ce faire, on ne peut pas continuer dans la logique de surconsommation dans laquelle nous pousse sans cesse le capitalisme néolibéral. Les mines ne sont qu’un exemple.

Portrait-vidéo de Manon Massé lors de la campagne de 2012.

Québec Solidaire présente une option souverainiste de gauche et s’adresse à tous les Québécois, on reproche cependant régulièrement deux choses au parti : être centré sur Montréal, et être de faux-indépendantistes, quelles sont tes réponses à ces attaques récurrentes ?

C’est mal connaître notre parti que de dire que nous sommes centrés sur Montréal. Certes, nos deux élus actuels sont de Montréal, mais les dossiers qu’il et elle portent touchent tout le Québec. Par exemple, dans le dossier des mines, ou dans celui de l’extraction du gaz de schistes ou encore celui de l’exploitation des ressources gazières en Gaspésie, on ne parle pas aux MontréalaisEs. Même chose lorsque l’on défend les personnes à l’aide sociale ; il y en a partout au Québec.

Il faut parler avec les Guy Leclerc d’Abitibi, Patricia Chartier de Gaspésie, Serge Roy de Québec, de Louise Beaudry de Berthier pour voir que notre parti est bien implanté dans l’ensemble du territoire. Reste-t-il encore du travail à faire? Bien sûr. Quoique nous ayons présenté des candidatEs dans chaque comté lors des trois dernières élections générales, et nous entendons faire de même pour la prochaine, enraciner solidement Québec solidaire dans l’ensemble du territoire québécois demeure un objectif.

Je suis excédée de la malhonnêteté intellectuelle des personnes qui nous traitent de faux indépendantistes. Notre engagement est clair : lors de notre premier mandat, faire élire une assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution du Québec grâce à un vaste exercice de participation citoyenne partout à travers le Québec. Au bout de la démarche, les QuébécoisEs seront appelés par voix de référendums à se prononcer sur le document. Que voulez-vous de plus comme preuve de notre désir de faire l’indépendance?

À Québec solidaire, nous croyons à la souveraineté du peuple, c’est pourquoi nous voulons prendre le temps de faire émerger un projet de société qui rassemble les QuébécoisEs avant de le soumettre aux voies. Un projet comme la Charte des valeurs du gouvernement péquiste divise les Québécois et Québecoise et me confirme que ce parti souhaite plus se maintenir au pouvoir que faire du Québec un pays.

Quand j’écoute les discours dominants des indépendantistes, notamment sur le droit des nations à disposer d’eux-même, je suis toujours très surpris par l’oubli des Premières Nations. Le plan Nord, largement combattu par QS, n’était qu’une fausse réponse visant à encore plus déposséder les peuples autochtones, quel est ton regard sur les minorités indiennes et inuit, souvent décriées, et que proposent les solidaires pour cette population ?

C’est vrai que les Premières Nations et leurs droits ancestraux sont très souvent oubliés, pas seulement dans le discours indépendantiste, mais aussi dans l’utilisation du territoire. Pour Québec solidaire, l’autodétermination des Premières nations est une valeur importante.Nous voulons un dialogue peuple à peuple, de façon égalitaire et respectueuse.

Les peuples autochtones doivent être inclus, à part égale, dans tous les débats de société, dont celui de la souveraineté du Québec, du partage des ressources et du territoire. Ce sont nos ancêtres, après tout, et nous les avons isolés, autant physiquement que socialement. Il est donc primordial que le dialogue soit rétabli, dans une perspective de respect et d’inclusion.

Une des fameuses affiches à moustache de Manon

En septembre 2012 un gouvernement péquiste minoritaire a été élu. S’il y a eu quelques gestes forts en début de mandat – fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, abrogation de la loi 78 – aujourd’hui on ressent beaucoup de déception. La faute à un manque de moyen d’action, mais aussi d’un certain courage politique, qui était d’ailleurs un de vos thèmes de campagne. Quel regard portes-tu sur cette année de gouvernance censément progressiste ?

Le PQ gouverne de façon tout à fait prévisible. Depuis longtemps on le voit, dans l’opposition il met de l’avant des propositions de gauche alors qu’une fois au pouvoir, il gouverne dans la pure tradition de la droite. Le peuple québécois l’avait oublié, car cela faisait trop longtemps que le PQ était dans l’opposition.

Il n’y a rien de progressiste dans la façon de gérer du PQ : monsieur Marceau et son austérité budgétaire avec les tarifications des services publics (santé, éducation) qu’on applique, les accords de libre-échange qu’on encense, le pétrole qu’on accueille à bras ouvert qu’il provienne d’Anticosti ou d’Alberta, les redevances minières qu’on ose à peine réclamer, les coupes à l’aide sociale en prétendant une amélioration, le retour de la taxe santé et non de l’imposition du gain de capital….. Je m’arrête là.

Ce gouvernement n’agit pas pour le bien-être de tout le monde et en ce sens, il n’est pas très différent de son prédécesseur. Ceci étant dit, il y a quelques dossiers pour lesquels nous gardons les doigts croisés afin que les députés qui les portent ne soient pas bâillonnés par le ministre des Finances et sa politique d’austérité, notamment ceux de la politique de lutte à l’itinérance et de l’électrification des transports.

En conclusion, j’aimerai que nous parlions de l’actuelle charte de la laïcité. Ce projet propose d’interdire le port de signes religieux ostentatoires à tous les fonctionnaires, ainsi que le port de certains signes religieux en public. Les arguments sont la défense d’une certaine laïcité, l’intégration et la protection des femmes. À contre-courant de ce que certains auraient pu attendre Québec Solidaire s’oppose à ce projet jugé stigmatisant pour des populations déjà minoritaires. Françoise David s’y oppose aussi en tant que féministe, ce qui en a surpris plus d’un. Peux-tu m’expliquer comment tu abordes cette question complexe de la laïcité et de l’intégration ?

Selon moi, le PQ a pris un chemin très dangereux en mettant au jeu au mois de septembre dernier le projet de Charte des valeurs québécoises. Ce projet n’a rien à voir avec la laïcité annoncée, mais parle plutôt de l’identité québécoise tant recherchée et malheureusement, pas encore reconnue. Ce qui m’inquiète profondément, c’est qu’on aborde cette question dans une perspective d’exclusion. Les échanges qui en ont découlé sur la place publique n’ont d’ailleurs pas toujours mis au jour ce qu’il y a de plus beau chez mon peuple!

Ce qui me choque aussi, c’est que le PQ propose une laïcité de l’État à deux vitesses : non aux symboles religieux trop apparents dans la fonction publique, mais oui au crucifix à l’Assemblée nationale, au droit de retrait de certaines institutions, sans dire un mot sur le financement à la hauteur de 60% des écoles privées dont plusieurs sont confessionnelles, et rien non plus sur le congé fiscal pour les organisations religieuses…Quelle hypocrisie!

Comme féministe, je n’en peux plus de voir ce débat se faire sur le dos des femmes. Elles avaient déjà donné avec la commission Bouchard-Taylor. Avec ce projet de charte, au nom de la protection de ces femmes qui portent le foulard, on encadre légalement leur exclusion.

Ni obligation, ni interdiction! Voilà ma conviction. C’est par l’éducation et l’autonomie économique que les femmes, tout comme les Québécoises des années 60, trouveront la liberté que le ministre Drainville et les Jeannettes de ce monde veulent « leur offrir ». Comme féministe, je respecte leur droit d’enlever leur hijab au moment où elles le veulent, si elles le veulent. Dans les années 70 et 80, j’ai scandé : « Nous aurons les enfants que nous voulons », « Mon corps c’est mon corps ». Je ne me mettrai pas aujourd’hui à scander « Ôte ton voile parce qu’il me dérange ».

Ceci étant dit, nous devons agir face aux différentes forment d’extrémismes religieux. Nous les femmes, les lesbiennes et gais, les marginaux, le savons très bien. De l’oppression, il y en a partout, et si j’en crois les statistiques au Québec, l’égalité entre les femmes et les hommes et l’ouverture aux communautés LGBT sont bien plus compromises par la majorité blanche, catholique, hétérosexuelle, que par le faible pourcentage de 2% de musulmanEs.

Pour aller plus loin :
Facebook de Manon Massé ;
–  Site de Québec Solidaire ;
Site de Québec Solidaire Sainte-Marie-Saint-Jacques.

 

Entretien : L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)

Fondé en 2000 par des universitaires de divers horizons – venant aussi bien de l’économie que des sciences sociales ou de l’environnement – l’Institut de Recherche et d’Information Socio-économique (IRIS) fonctionne depuis de manière totalement indépendante. Rattaché à aucun établissement mais géré par ses universitaires, l’IRIS a produit et publié de nombreuses analyses et dépliants, avec toujours en tête le soucis de pédagogie et de diffusion. En rupture avec l’orthodoxie libérale, l’institut se revendique progressiste et crée une matière intellectuelle riche qu’il fallait explorer. Monsieur Guillaume Hébert a accepté de nous répondre pour l’Institut.

Afin de poser les choses, pouvez vous expliquer dans quel contexte et poussé par quels constats l’IRIS s’est-il créé ?

L’IRIS a d’abord été fondé en 2000 par des universitaires diplômés en comptabilité ayant fait leurs premières armes dans une Chaire de recherche basée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ils y avaient côtoyé la figure excentrique du « Prof Lauzon » qui perçait de temps à autres l’univers médiatique, souvent sous un couvert humoristique.

Les fondateurs, ceux que j’appelle les « trois P » (Patenenaude, Petit et Poirier) avaient résolu de former leur propre Institut afin de pousser un cran plus loin le travail de déconstruction du discours hégémonique en économie et d’élargir son champs d’action, alors largement axé sur les privatisations. Ils ont mis l’IRIS sur les rails et ont entrepris de publier des études et de réaliser des contrats. Le travail s’est avéré excessivement lourd pour un Institut sans financement régulier et après quelques années, l’avenir de l’Institut était incertain. Les « trois P »étaient des précurseurs puisqu’ils avaient compris à quel point la désertion du champ économique par ce que je désignerai tout simplement par « la gauche » avait rendu les syndicats, les groupes sociaux et les mouvements sociaux en général dépendant d’une vision de la société largement colonisée par les catégories de la droite économique.

Cette droite, justement, bénéficiait du travail de l’Institut économique de Montréal (IEDM), qui fait a considérablement influencé les débats d’idées au Québec depuis la fin des années 90. Face à la nécessité d’offrir la réplique, les fondateurs de l’IRIS ont débroussaillé le terrain avant de recevoir les renforts d’une deuxième vague de jeunes diplômés dans divers domaines, cette fois imprégnée de l’expérience du Sommet de Québec en 2001 (manifestations contre le projet de ZLÉA) et de la grève étudiante de 2005 (l’ancêtre du « Printemps érable » de 2012) qui repris le flambeau et se donna pour objectif de hisser l’Institut à un niveau de visibilité lui permettant de prendre sa place dans la société québécoise.

L’IRIS se revendique progressiste et assume un positionnement politique – même si non partisan – quand la doxa libérale qui a cours partout fait figure de « science objective ». Est-ce qu’après treize ans de travail poussé, d’une quasi contre-propagande suivant des méthodologies rigoureuses, les analyses de l’IRIS vous semblent trouver plus de place dans l’espace public et médiatique ?

Indéniablement. Nous occupons un terrain sans cesse grandissant et nous avons franchis un certain nombre de plateaux cruciaux. Celui de devenir le vis-à-vis nécessaire de l’IEDM dans nombre de débats, celui d’avoir fondé un blogue économique de gauche qui est le seul à bénéficier d’un trafic important au Québec et d’avoir un impact central dans certains débats de société dont celui de la hausse de frais de scolarité, l’impôt des plus riches ou la critique de l’austérité. Les publications de l’IRIS ont forcé le premier ministre Jean Charest à réagir sur la question du Plan Nord, un projet néoextractivisme dont nous avons questionné les retombés, et ont été un électrochoc lorsque nous avons révélé que les Québécois-e-s ne sont pas nécessairement les plus imposées en Amérique du Nord, un mantra utilisé par la droite ici depuis des décennies.

L’IRIS affirme clairement une orientation de gauche, on entend pourtant souvent que l’économie est une science exacte et qu’il n’y est pas question de choix. Que répondrez à ces tenants d’une « objectivité » et d’un « réalisme » tout particulier ?

D’abord, nous refusons de considérer l’économie comme une science exacte. Il s’agit à nos yeux d’une science humaine et ne débattons même pas de cet aspect tant il nous apparaît fondamental. Nous affirmons que ceux qui prétendent à l’objectivité en matière d’analyse économique ne dévoilent pas tout. Nous, nous le faisons. Nous affirmons d’emblée que nous sommes un institut progressiste et en ce sens, nous sommes plus transparent. L’important ensuite, c’est de faire des études solides, avec une méthodologie tout aussi solide et des références pertinentes. Si les gens veulent nous critiquer, nous les invitons à le faire à ce niveau.

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Guillaume Hébert

L’IRIS est composée d’un comité de chercheurs assez varié, auxquels s’ajoutent les chercheurs invités sans être rattachée à aucune université. Cette situation particulière n’est-elle pas un frein (et pas seulement financier) à la recherche ? Avec quels partenaires réussissez-vous à faire fonctionner la structure ?

Tous les chercheur-e-s de l’IRIS sont administrateurs et administratrices de l’Institut. Tous ne sont pas affilié à une université, certains sont prof et d’autres sont diplômés sans maintenir de lien désormais. Le financement de l’IRIS vient de contributions individuelles et de partenaires institutionnels, comme les syndicats, les associations étudiantes, les groupes communautaires, féministes et écologistes. Nous réalisons également des contrats de recherche et des conférences pour lesquelles nous sommes rémunérés.

L’IRIS réalise également des partenariats, a des mécènes, mais vous refusez  toute organisation commerciale. Ces structures ne sont pourtant pas forcément mauvaises, le choix peut paraître un peu radical…

Nous ne recevons effectivement ni subvention gouvernementale (puisque nous nous trouvons régulièrement à défendre l’action publique, même si nous la critiquons également largement), ni argent venant d’organisations à but lucratif (nous croyons que les modèles d’organisations démocratiques et sans but lucratif sont supérieurs et nous tâchons ce faisant d’être cohérents. Nous ne voulons pas non plus dépendre d’organisations dont l’objectif est de réaliser des profits).

Fait intéressant pour un institut, l’IRIS a une vraie vocation pédagogique et ne se contente pas de rédiger d’obscurs rapports. De nombreux moyens sont mis en œuvre pour simplifier l’accès : capsules vidéos, mise en ligne gratuite de toutes les études, travail conjoint avec un éditeur de bande dessinée alternative pour vulgariser les travaux, etc. Vous proposez aussi l’aide de vos chercheurs pour des travaux de recherche menés par des syndicats, ONG, groupes communautaires… On est loin de l’universitaire dans sa tour d’ivoire.

Tout à fait. Avec la production d’études, l’intervention médiatique spontanée, le réseautage des idées de la gauche économique, l’éducation populaire est l’une de nos missions. De nombreuses idées circulent dans les milieux académiques mais sont portées par des intellectuels qui ne sont pas nécessairement habilité à faire un travail de communication ou de vulgarisation. On ne les blâme pas pour ça et au contraire, on leur propose de collaborer. Et souvent, ça porte fruit. Nous avons effectivement exploré plusieurs méthodes de diffusions dont les vidéos et même la bande dessinées, ce qui en a surpris certain-e-s. Nous faisons aussi beaucoup de conférence dans des groupes populaires œuvrant sur le logement ou la pauvreté et ça implique un grand travail de vulgarisation. Il va de soit pour nous que les premières victimes des politiques néolibérales devraient avoir davantage d’outils pour comprendre d’où vient ce qu’on leur fait subir.

cathon

Extrait de La Hausse en question, par Cathon

Vous parlez de la bande dessinée, média qui me touche particulièrement. Il y a eu les collectifs adaptés de vos recherches mais désormais il y a des chroniques régulières. On y voit des auteurs proches de La Mauvaise tête et de Colosse, des structures alternatives et assez audacieuse. Souvent la pédagogie en BD est très lénifiante et illustrative, y compris pour des structures défendant pourtant des alternatives aux discours dominants, un paradoxe que vous avez évité. Comment la rencontre s’est-elle faite et quel accueil reçoivent ces travaux ?

Notre collègues bédéistes ont eux-même pris l’initiative d’illustrer une brochure que nous avions produite et qui démontait 8 arguments utilisés pour justifier une hausse des droits de scolarités. Nous avons trouvé le résultat excellent et nous avons voulu explorer plus avant ce type de collaboration, ne serait-ce que parce que ne parvenons pas suffisamment à honorer notre fonction d’éducation populaire. Nous avons songé que la BD pourrait nous y aider. Nos publications subséquentes ont suscité la surprise puisque les bandes dessinées colorées se distinguaient nettement de la facture plus austère (noir et blanc) de l’Institut, en plus d’amener en récits des études que plusieurs trouvent arides parce que économique, parce que parfois théorique, etc. La diffusion est bonne toutefois et je pense qu’elle satisfait un certain public

Il semble que depuis quelques années, alors que le Québec a toujours navigué entre divers courants plus ou moins progressistes de l’économie libérales, il y ai eu récemment une sorte de grand « boum » de gauche. Que ce soit avec l’entrée de Québec solidaire à l’Assemblée nationale ou la fondation d’Option nationale sur le champ parlementaire, mais aussi avec les grandes mobilisations du Printemps érable – ou l’idée de la gratuité scolaire n’était plus une aberration – et les marches de casseroles contre la corruption. Ressentez-vous cette réalité sur le terrain où est-ce une construction que l’on peut se faire de l’extérieur à travers un spectre réduit ?

D’abord, l’IRIS n’est pas sur le terrain comme tel, c’est nos partenaires qui y sont d’abord et avant tout. Mais vous avez raison de noter cette émergence qui est en fait une ré-émergence depuis le début des années 2000. Comme partout ailleurs en Occident, la gauche a connu un passage à vide durant les années 90 d’abord et avant tout parce qu’elle a adopté partiellement ou complètement les catégories de la droite en matière économique. Mais une fois passé la poudre aux yeux de la fin de l’histoire, une nouvelle génération a vite reconnecté avec une critique socio-économique plus fondamentale et plus stimulante qui finit toujours par percoler dans toute la population. Le Québec est influencé par le monde anglo-saxon, mais il n’en fait pas partie. Le modèle développé par le passé est un mélange de l’État providence scandinave et la filiation politico-culturelle républicaine française. Il est possible aujourd’hui d’invoquer le collectif pour mettre des limites à l’individualisme que promeut le néolibéralisme.

C’est de cette façon qu’on peut comprendre en partie le Printemps érable de 2012 mais aussi, la campagne du gouvernement péquiste pour l’instauration d’une « Charte des valeurs québécoises » qui a vite faire se dresser un sentiment nationaliste contre les femmes musulmanes. Comme je le mentionnais dans un billet de blogue cette semaine, il s’agit d’une invocation assez incohérente du gouvernement qui d’une part fait appel au sentiment national sur une question de valeurs pour régler une crise créée de toute part, mais qui en même temps salue la signature d’un entente de libre-échange avec l’Europe, ce qui réduit les pouvoirs de l’Assemblée nationale face aux investisseurs. Contrairement à la menace islamiste au Québec, cet abandon de pouvoir n’a rien d’imaginaire. Mais l’invocation du collectif est recevable au Québec et c’est cette invocation qui a souvent été de pair avec des revendications et des gains progressistes.

De manière plus personnelle, quels sont vos sujets de recherche de prédilection ?

En théorie, la santé. Mais en pratique, ça s’avère très diversifié : l’accession à la propriété et le logement, la financiarisation de l’économie, la fiscalité québécoise, le milieu communautaire (ou « associatif » en France) québécois, etc.

Entretien réalisé par courriel du 30 octobre au 12 novembre 2013

Pour aller plus loin :
Le site de l’IRIS ;
La Hausse en question et Dépasser la ligne, bandes dessinées collectives adaptant les travaux de l’IRIS.

Entretien avec Catherine Dorion, militante et ex-candidate d’Option Nationale dans Taschereau

Comédienne, autrice, militante avant tout, Catherine Dorion a le cœur à gauche et vibre pour le Québec. Fervente indépendantiste, elle participe à la fondation d’Option Nationale, dont elle est la candidate dans Taschereau (ville de Québec) aux élections de 2012. Auteure d’une vidéo de campagne où elle explique avec simplicité, humour et second degré son attachement à la cause souverainiste et sa foi en un avenir de progrès, elle créé un buzz retentissant en obtenant rapidement plus de 100.000 vues sur Youtube. Devenue icône d’un parti encore méconnu elle obtient 7,37 % des voix, soit le deuxième plus gros score du parti, derrière celui de Jean-Martin Aussant. Si elle est un peu moins visible depuis, elle continue plus que jamais à s’investir dans le parti et partage ses opinions et coups de gueule sur son blog avec un public toujours plus grand.

Pour commencer par la base, avant même de parler partis, peux-tu nous expliquer le fondement de ton engagement indépendantiste ?

Je ne le saisis moi-même que petit à petit à mesure que les années passent. Je crois que j’ai toujours souhaité pour mon peuple cette attitude qui, dans ma vie personnelle, n’a jamais menti, n’a jamais failli : le courage d’être soi-même et de suivre son désir, sans donner de crédit aux prophètes de malheur et à tous ceux qui, à force d’avoir peur, meurent vivants. Sans donner de crédit à ceux qui nous répètent partout que nous devrions être davantage ceci, moins cela, davantage autres, moins nous-mêmes. J’expérimente dans ma vie le succès de cette posture et c’est pour ça que je souhaite cette posture à mon peuple, comme je la souhaiterais à mon meilleur ami.

Avant de rejoindre Option Nationale tu as mené nombre de projets engagés, notamment des performances théâtrales, du slam, la rédactions de textes… Je te définirai comme une activiste culturelle, qui milite autant sur le fond que sur la forme (un certain type de théâtre), comment te positionnes-tu par rapport à ça ?

Je déteste avoir à me positionner dans un débat pré-déterminé par d’autres (les médias traditionnels, souvent), où les pour et les contre sont déjà étiquetés, les idées déjà classées en groupes et sous-groupes, et dans lesquels on me demande de me jeter juste pour aller grossir le nombre de telle ou telle équipe ou sous-équipe. Oui, je milite donc également sur la forme : ce n’est pas comme ça que notre politique devrait se faire. Il ne devrait pas s’agir que de lancer une idée contre une autre et de regarder le combat de coqs qui s’ensuit ainsi que les applaudissements ou huées des « experts » à la télévision. Il n’y a pas pire vecteur de désengagement de la population : nous, à qui on répète que nous vivons en démocratie, dans le meilleur système du monde et de l’histoire, sommes réduits à des spectateurs télévisuels d’une partie de hockey qui n’a plus aucun lien avec nos réels désirs et besoins! Nous nous désengageons, remplis d’un sentiment justifié d’impuissance et d’absence de sens, et nous nous laissons organiser par d’autres qui en profitent pour… pour profiter, quoi.

Pour changer quoi que ce soit et nous redonner à nous-mêmes notre politique, il faudra que nous nous en emparions. Et nous cherchons comment faire, à tâtons, nous cherchons. À un moment donné, nous tomberons sur une idée, sur un filon, sur une manière d’exprimer le politique qui nous rassemblera tous, nous éveillera, nous donnera le courage collectif nécessaire à la réappropriation de notre politique. En attendant, à l’intérieur de chacun de nous, le désenchantement et l’indignation s’installent, prennent de la place, accumulent le gaz dont nous aurons besoin pour nous lever tous ensemble. Militer, pour moi, c’est ça : préparer le terrain pour le moment où l’éveil collectif prendra forme.

Quand je remonte un peu dans tes travaux je retrouve toujours la question de l’indépendance, je te sens aussi viscéralement progressiste. Quand Jean-Martin Aussant a lancé Option Nationale en 2012 il semble que tu l’ai rejoint très naturellement, peux-tu nous expliquer le cheminement qui t’as mené à entrer et à prendre des responsabilités dans le parti ?

Nous avons eu l’idée du parti ensemble, à deux, dans un resto de Montréal, en marge du dernier congrès du PQ auquel nous assistions, moi comme observatrice et lui comme député péquiste. Nous l’avons plus tard fondé ensemble et avons fait toutes les premières démarches ensemble. Lui, qui avait beaucoup plus d’expérience que moi en politique active, a dirigé toutes les étapes. Moi, je regardais, j’apprenais, j’allais chercher du monde, des gens inspirés et passionnants qui n’avaient jamais fait de politique et qui savaient porter notre enthousiasme naissant d’une manière créative, attirante, à contre-sens de la fausseté habituelle des politiciens.

Tu as été une des révélations de l’élection de 2012, un buzz énorme a suivi la publication de ta vidéo, et tu as sans doute plus fait pour la reconnaissance d’Option Nationale que n’importe quel article ou émission. Du jour au lendemain tu as du recevoir énormément d’invitations, tu as tenu un blog sur L’actualité, à donné beaucoup d’entretiens et finalement obtenu un très bon score pour une jeune formation. Avec un recul d’un an, comment vois-tu cette reconnaissance et les conséquences de cet imprévisible succès ?

Comme un signe que le cynisme des gens face à la politique est aussi une ressource incroyable : le jour où des sincères investiront le plancher du politique au Québec, les gens sauront les reconnaître. Il ne suffira plus, pour nous, que de trouver des moyens de nous faire voir. Internet nous aide beaucoup dans ce sens-là. Je crois que tu as déjà, dans ta question, saisi les conséquences de ça, très positives pour nous. Évidemment, ça ne se fait pas en un an. Il faudra travailler…!

En attendant, ce que les gens savent reconnaître à coup sûr, ce sont ceux qui sont en politique pour le pouvoir ou l’argent. Ça, on connaît, on reconnaît, on se tient loin de ça, on vote pour le moins pire d’entre eux à contrecœur, en haussant les sourcils, en nous demandant si nous sommes en train d’accomplir le devoir du citoyen ou un acte assez débile d’humiliation citoyenne…

  dorionzane
Catherine Dorion et Sol Zanetti

Après les élections de 2012, malgré la défaite des libéraux et la défaite de Jean Charest, les résultats laissaient un goût amer : un gouvernement péquiste très minoritaire, des libéraux encore puissants et la défaite de Jean-Martin Aussant. Un coup dur pour un jeune parti, d’autant plus que quelques mois plus tard il a décidé de quitter la direction d’ON. Quel regard portes-tu sur la démission de JMA ? Pourquoi n’as-tu pas souhaité le remplacer et quelles sont les raisons de ton soutien à Sol Zanetti ?

Je porte un regard ambivalent sur la démission de Jean-Martin : d’un côté je le comprends, c’est mon ami, je l’ai vu avec ses enfants, absent malgré lui, pris par les incessantes questions politiques, obligé de gérer le fonctionnement interne d’un parti qui grandissait plus vite que ses capacités organisationnelles alors que sa passion était de parler aux non-convaincus, de convaincre, de changer en profondeur les pré-conceptions des gens pour que, tranquillement, ses idées fassent leur place dans la population et s’y réenracinent avec solidité. Je pense que, face aux défis d’organisation partisane, mon ami trouvait la vie dure, lui qui, malgré ses lunettes et son génie économique, carbure à la passion. Il ne cessait jamais de travailler pour le parti, jusque tard dans la nuit, il avait toujours des trucs à régler, à penser, des militants à apaiser. Ses jeunes enfants n’avaient pas beaucoup de père…

C’est parce que j’ai constaté ça en le suivant de près que j’ai décidé de ne pas me présenter à la chefferie. Je savais que, avec mon bébé d’un an et demi, je finirais comme lui épuisée, éloignée de ce qui m’avait attirée en politique, vidée de ma passion et de mon énergie. Et je ne pouvais pas me faire élire et risquer de démissionner un an plus tard de la même manière que lui, ça aurait été un double coup trop difficile pour le parti en si peu de temps. Sol, quant à lui, était décidé, ferme, solide, et il avait autant envie d’organiser et d’unir les troupes dans un même élan que de convaincre la population du Québec de la logique de l’indépendantisme. J’ai senti que, moralement, c’était un pilier, qui avait le sens des responsabilités très développé, et que c’était lui qu’il nous fallait, surtout à ce moment-ci de notre histoire et dans la situation dans laquelle nous nous trouvions, affaiblis par le départ du chef fondateur.

De l’autre côté, je trouve que Jean-Martin a manqué de patience. Il n’aurait pas eu à attendre quinze ans avant que quelque chose se passe. Cinq, six ans, et ça devenait foutrement intéressant pour ON. Notre succès était époustouflant, dérangeant, merveilleux. Mais bon. Un sondage récent nous donnait 4% d’intentions de vote, le même pourcentage qu’avant la démission de Jean-Martin. Qui sait? Peut-être son rôle à lui n’aura-t-il été que de rassembler tous ces gens décomplexés qui ont envie d’arrêter d’avoir honte d’être eux-mêmes et qui savent communiquer leur fierté.

Quand ont te lit et t’écoute, on te sent éminemment progressiste. Je comprend bien que le rattachement au Canada lie les mains des québécois, qu’un gouvernement vraiment de gauche serait toujours préférable à des souverainistes centristes (par ailleurs peu pressés de faire l’indépendance) comme c’est le cas aujourd’hui ?

Les souverainistes centristes, tu parles du Parti Québécois? Mais ce parti, en tant qu’institution, n’est ni centriste, ni gauchiste, ni indépendantiste, ni fédéraliste. Ce parti n’est plus qu’une chose : électoraliste. Certains de ceux qui le composent ont des convictions réelles, mais ils se retrouvent pris dans une machine lourde, contre-productive, non-militante.

René Lévesque le disait : les partis vieillissent mal et ne devraient pas durer plus d’une génération. Au-delà de ça, ils deviennent trop attractifs pour les opportunistes, les carriéristes et tous ceux qui veulent profiter d’une idée ou d’un mouvement plutôt que d’y apporter leur appui pour le renforcer.

Quant à un gouvernement de gauche au Québec, ça serait pas mal, mais que peut faire un gouvernement provincial de gauche lorsque la moitié la plus importante de la politique, des ressources et des impôts de son peuple est gérée par un autre peuple sur lequel il n’a pas de prise? À quoi bon être de gauche (ou de droite) si notre budget provincial est pris à la gorge par les besoins en santé et en éducation, qui bouffent tout? Nous n’avons pas de réelle liberté d’action politique en tant que province.

L’indépendance du Québec n’est pas la seule mais la première des choses logiques à faire. La lutte gauche-droite aura toujours lieu. Il n’y a pas de système parfait qui, une fois instauré, assurerait à tout le monde que les malhonnêtes ne se retrouveront jamais au pouvoir en position d’exploiter les ressources du peuple, que ce système soit de gauche ou de droite. Hannah Arendt a beaucoup écrit là-dessus. Il faudra toujours se battre contre l’injustice et l’exploitation parce que ça risquera toujours d’arriver. L’indépendance politique du Québec, quant à elle, est réalisable et elle est un outil dans cette lutte qu’il faudra sans cesse mener. Quel peut être l’avantage de laisser un gouvernement élu par un autre peuple gérer la moitié la plus significative de notre politique?

Nous ne sommes responsables de rien, n’apprenons rien de ces décisions que nous ne prenons pas. Il est plus important d’avoir la possibilité d’être soi-même, au risque de se tromper, que d’être « du bon côté » ou d’avoir « les bonnes idées », qu’elles soient de gauche ou de droite. Comme pour l’individu, c’est la base de la confiance en soi : nous sommes tous différents; il n’y a que moi qui sache vraiment ce qui est bon pour moi. Je dois essayer, avancer, me tromper, ressentir, apprendre, réorienter, réussir, me fatiguer, me relever, etc. Être responsable. Être.

De manière plus générale, je me demande comment Option Nationale peut défendre l’idée « une fois élu, nous sommes indépendants » alors que dans les faits Ottawa en arrive même à remettre en cause la légalité d’un référendum à 50%+1…

Les sécessions sont du domaine du droit international. Et le droit international en matière de sécession repose sur la coutume et sur les traités internationaux. Les deux militent en faveur d’une reconnaissance d’un Québec indépendant à 50%+1 du vote. Ottawa peut bien faire ce qu’il veut, ce n’est pas lui qui a le pouvoir de légiférer en la matière.

Option nationale défend l’idée qu’une fois élus après une campagne claire, focussée entièrement sur l’indépendance, nous aurons un mandat électoral très fort de la démocratie québécoise en faveur de gestes de rapatriement au Québec de nos lois, de nos impôts, de nos traités. Évidemment, Ottawa risque de ne pas rester tranquille, mais il aura à faire face à cette patate chaude que sera cette population québécoise qui aura élu un parti très ouvertement indépendantiste et qui attendra de pied ferme toute fermeture d’Ottawa. Et tout ça à un moment où le parti au pouvoir à Québec sera prêt à faire un référendum n’importe quand et que toute radicalisation du débat par Ottawa risquera de favoriser les indépendantistes…

En gros, l’idée, c’est de nous mettre dans une win-win situation.

Même si Option Nationale défend l’indépendance avant tout, le parti est loin de ne pas avoir de programme social. Avec Québec Solidaire, Option Nationale est une des rares formations politique à avoir pris part active aux manifestations étudiantes de 2012, à arborer sans honte le « carré rouge » et à défendre la gratuité scolaire, sur d’autres sujets comme la santé, les institutions ou l’environnement il y a aussi de fortes convergences. J’ai lu ton texte expliquant la différence entre les deux partis mais vu le système électoral, je ne comprend pas pourquoi des alliances et soutiens réciproques ne sont pas envisagés dans un certain nombre de circonscriptions (comme cela avait eu lieu pour Jean-Martin Aussant et Françoise David) ? Il ne s’agit pas de nier les différences ou de supprimer les partis, mais juste de soutenir les forces progressistes-indépendantistes sans attendre que les partis dominants installent une proportionnelle dont ils ne veulent pas…

Des alliances et soutiens réciproques sont envisagées. Je suis de celles qui militent pour ça à l’intérieur de mon parti. J’ai des homologues à QS. D’autres militants de QS sont davantage « partisans » et ont peur des collaborations. Dernièrement, ON a fait une offre de collaboration électorale à QS, qui a été refusée par ce dernier en congrès…

De notre côté, à ON, pour éviter tout danger de faire passer le parti avant la cause, nous avons inscrit dans nos statuts qu’ « Option nationale affichera une ouverture permanente à collaborer, voire fusionner, avec toute autre formation politique dont la démarche est aussi clairement et concrètement souverainiste que la sienne ».

Outre ton engagement artistique, une autre de tes particularité sont tes nombreux voyages, souvent mis en avant quand on parle de toi, et notamment des études dans des pays aussi différents que le Chili ou la Russie. Cette façon de forger ta pensée montre un esprit inclusif, très loin de la vision d’indépendantiste fermée sur elle-même. C’est une image récurrente, régulièrement véhiculée par les fédéralistes, que l’actuel débat sur les « valeurs » n’améliore pas. Comment penses-tu qu’on puisse convaincre les étrangers, migrants, voire non-francophones, du bien fondé de l’indépendance ? Que la « culture de l’identité », dont tu parles souvent, n’a rien à voir avec un repli communautaire ?

Avec des vidéos comme celui-là, que j’ai réalisé et qui a été vu environ 20,000 fois sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=hpimcHrCLrQ

En en parlant dans des assemblées de cuisine (j’en ai fait une avec 90 immigrants issus de divers pays ouest-africains il y a quelques mois).

En faisant grossir le nombre de militants qui ont la même vision moderne de l’indépendance que moi. Ma communauté de pensée est immense, mais elle n’est pas encore majoritairement militante. Le printemps érable et la croissance fulgurante d’ON depuis ses débuts ont tous deux contribué à faire grossir leur nombre dans les réseaux d’activistes. La politisation continue. Ce n’est pas un mouvement qui est en voie de reculer. Cette politisation fait d’ailleurs partie d’une mouvance mondiale qui ne s’arrêtera pas de sitôt, comme c’était le cas dans les années 60-70.

Des rumeurs d’élections générales bruissent, le parti est-il prêt à les affronter? De ton côté, penses-tu de nouveau être candidate ?

Just watch us, comme dirait Trudeau. 😉

[NDA: Le 7 novembre, Catherine a annoncé sa candidature dans Taschereau pour les prochaines élections].

Entretien réalisé par courriel  du 21 au 29 octobre 2013

Pour aller plus loin :
Blog de Catherine Dorion
Son compte twitter
Un bon entretien sur Mlle.ca
Site d’Option Nationale

Crédits photos : Site d'Option Nationale Taschereau et Lapresse.ca.