En 2010, Michel Hellman réalisait avec Iceberg1 un premier ouvrage remarqué. Muet, le récit utilisait une technique de papier découpé pour rendre à merveille les paysages du Grand Nord canadien et rappelait avec beaucoup de sobriété un drame écologique qui avait eu lieu sur la banquise en janvier 1968 et avait été étouffé, pour le plus grand malheur des premières nations. Dans un entretien, l’auteur expliquait avoir été marqué par un voyage dans ces territoires oubliés, souvent méprisés, et avoir voulu raconter cette « dernière frontière » si méconnue du peuple québécois, alors même qu’elle fonde une partie de leur identité.
Si Iceberg a été salué comme une grande réussite, l’auteur n’y avait cependant pas tout dit. Quittant l’évocation historique, il consacre donc un nouveau livre sur cet Arctique méconnu. Ne vous attendez pourtant pas à un guide, le titre ment, et dès l’introduction l’auteur s’explique : «Ce guide est autant un guide que le Plan Nord est un plan». Le Plan Nord, c’est un programme d’investissement du Grand Nord lancé par le Parti Libéral du Québec voici quelques années. Dénoncé pour ses aspects dévastateurs, autant écologiques que culturels, il avait plus l’air d’une nouvelle exploitation sur le dos des autochtones que d’un réel programme. Rebaptisé «Le Nord pour tous» par le nouveau gouvernement, le fond n’a guère changé et unit pour la première fois les neufs communautés Innues…
Passé la préface, une fois les choses posées, Hellman laisse la place aux images. Pas forcément besoin de grands discours pour faire de la politique. Uniquement composé d’images pleine page, le guide glisse de l’une à l’autre, ne crée pas de récit mais un flux narratif évident, qui dégage aussitôt le livre du simple empilage d’illustrations.
Débutant dans la nature vierge, on avance peu à peu vers l’humain, aussi peu présent dans le livre que dans ces territoires. Présent physiquement en tous cas, car certains stigmates sont là : cicatrices sillonnant les grands espaces, des poteaux électriques préfigurent d’autres déchirures. La pollution, le peu d’intérêt porté aux peuples derrière les ressources, tout cela glisse de même, ressort et s’évoque à demi-mot.
Comme dans Iceberg, l’aspect graphique est la clef, autant pour sa force visuelle que dans ce qu’il incarne le propos. Il n’y a plus ici de papiers découpés, même si la technique reste proche, mais des sacs de plastique noirs, ces symboles des déchets que l’on retrouve un peu partout, et qui ont marqué l’auteur dans ses voyages. S’il ne les a pas ramassés au sol, ils proviennent des réserves Innues, celles qui seront précisément impactées par ce Plan, et de cette matière la plus «sale» qui soit, il fait sortir la beauté.
De son plastique évidé et collé sur papier, il fait naître la banquise, créé des arbres aux branches fascinantes et plante un décor en contraste fort où tout semble en apesanteur. Ce n’est finalement qu’à la première entrée de l’humain dans le livre qu’un lavis vient s’ajouter, rompant la pureté et l’équilibre du dessin. Le salissant finalement, comme une très limpide métaphore de projets qui n’ont que bien rarement les belles paroles qui les guident comme réel projet.
Un propos simpliste ? Oui et non, car si la question autochtone est complexe, le pillage des ressources l’est beaucoup moins. En dressant le portrait de ces terres au-delà du 49e parallèle, Hellman évoque bien sûr la destruction perpétuelle de ces territoires et de ces peuples, mais en rappelle surtout la beauté et la richesse. Sans morale lourde, il pose un regard, une contribution pour éviter d’avoir à hurler, avec la poétesse Huguette Gaulin, « Vous avez tué la beauté du monde »2.
Petit guide du Plan Nord,
de Michel Hellman
Ed. l’Oie de Cravan
Parution FR 15/03/2014
174 x 160 mm, 48 pages, 13€
9782922399776
Dans le cadre d'un partenariat avec le site Du9, cette chronique y sera bientôt publiée.
1. Publié chez Colosse, le titre est désormais téléchargeable gratuitement chez electrocomics.
2. Auteure de Lecture en vélocipède (Les Herbes Rouges, 1972), ouvrage marquant de la poésie québécoise, elle s'immola en juin 72 face au Parlement québécois afin d'alerter sur le désastre écologique. Depuis, les choses évoluent lentement dans à pays riche en ressources qui a récemment quitté le Protocole de Kyoto...