Après Je me souviendrai, voici une autre bande dessinée sur le Printemps Érable. Cette fois-ci pas de collectif, pas de reportage, pas de militantisme pur mais une fine observation prétexte à des développements innatendus. Auteure américaine émigrée à Montréal, Sophie Yanow vit de près l’ébullition de la révolte et s’intéresse aux tactiques des policiers – ces amateurs de souricières -, permettant une réflexion élargie sur l’urbanisme comme mode de compression de la contestation mais aussi comme outil.
Un outil d’expression pour son travail artistique et militant (via l’affichage) comme elle l’évoque dans la page ci dessous, mais, nous le verrons ensuite, un outil comportant bien d’autres possibles.
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Partant de l’exemple québécois, elle brosse un portrait historique convoquant l’ouvrage du Maréchal Bugeaud sur la prise d’Alger et sa casbah inextricable. Les ruelles, les escaliers, l’illogique de l’architecture, tout ça pousse le Maréchal, une fois la bataille gagnée, à tout raser : détruire, faire des grandes rues, libérer l’espace pour faire de belles avenues. Ce sera aussi la logique d’Haussmann à Paris, il parlera de l’importance de l’espace, de circulation, de respiration, mais aussi de la grande difficulté d’y élever des barricades.
De forteresse extérieures les villes deviennent ainsi protégées à l’intérieur d’elles même, repoussant toutes idées de guerres civiles. Pourtant, et cela frappe Sophie Yanow, les villes sont étouffantes par rapport à sa campagne natale. Malgré leurs grands axes, on y est compressé, et les manifestations géantes réussissent à les remplir. Le jeu préféré des agents reste l’encerclement, faire dévier les trajectoires et créer de jolies petites prisons à ciel ouvert. C’est un jeu, une guerre de position, ou la peur de l’arrestation (qui plus est pour une étrangère, qui pourrait être chassée du pays) et la pression de l’encerclement joue autant que la charge elle-même.
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Face à cette culture de la rentabilité architecturale Yanow rappelle aussi que l’urbanisme peut être réapproprier, et la ville pensée comme ennemie, devenir un outil de la lutte. La réappropriation ce sont les jeunes banlieusards de La Haine, qui occupent les toits en fêtes improvisées, ou les manifestants si nombreux qu’ils empêchent toute circulation dans les rues de Montréal. La ville si grande, si oppressante, devient une alliée. Puisqu’aujourd’hui on ne peut a priori tout raser au canon, la masse peut devenir de cachette et recréer les aspérités manquantes. Une idée rappelée lors de la séquence de projection dun film-manifeste Insurgence et sa superbe première phrase : « Nous la forêt ». Eux, la nature sauvage et indomptable qui revient en ville, ils sont des milliers, ils sont là, et ils sont un bloc.
Alternant évocations historiques et instants de la grève, Sophie Yanow réussi d’audacieux parallèles qui ne sombrent ni dans l’intellectualisme snob de la citation illustré, ni dans la chronique passive. Un étrange coup de force difficilement descriptible qui doit beaucoup a un dessin évanescent n’hésitant pas à passer du croquis habile au symbolisme épuré dont les effets graphiques servent à merveille le propos. L’usage d’un gaufrier récurrent (même si mouvant) principalement rompu par de pleines pages excluant la case en est la plus belle illustration : sortir d’un rigide cadre défini pour exprimer naturellement ce que l’on a a dire, n’était-ce pas aussi le but premier des manifestants ?
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La Guerre des rues et des maisons
de Sophie Yanow
Traduit par l’auteure et Vincent Giard
La Mauvaise Tête
Automne 2013, 70 pages, 15,95 $
ISBN : 9782923942070 Fiche sur le site de l’éditeur Le site de Sophie Yanow
Militante féministe et pour l’égalité des droits, travailleuse communautaire, Manon Massé est une vieille amie de Françoise David, avec qui elle a organisée la marche mondiale des femmes et cofondatrice le mouvement politique Option Citoyenne. Se revendiquant « de gauche, féministe, écologiste et altermondialiste », le mouvement fusionnera avec l’Union des Forces Progressistes en 2006 pour donner naissance à Québec Solidaire. Première candidate du parti, lors d’une partielle dans Sainte-Marie–Saint-Jacques en 2006, elle s’y représente à chaque élection et voit son score s’améliorer à chaque fois. De plus en plus mise sur le devant de la scène, c’est une figure marquante du parti et sans doute une de leurs futures députées.
[Edit. avril 2014 : Quelques mois après cet entretien, Manon est devenue députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques]
Manon Massé par Cindy Boyce.
On te présente souvent comme une féministe, une travailleuse communautaire ou une militante politique. Trois affirmations justes, mais qui ne peuvent limiter ton parcours. Peux-tu le présenter les sources de ton engagement aux lecteurs ?
Je suis une femme qui carbure à l’injustice. Ça me met en action. Issue de la classe populaire, j’ai été élevée dans une famille très croyante, pour qui « prendre soin de l’autre », particulièrement du plus vulnérable, était très important. Très jeune je me suis dédiée à « l’amour du prochain », pas par hypocrisie, pas par obligation ou par pitié, mais parce que l’autre est comme moi un « enfant de Dieu » et nous sommes donc toutes et tous égaux. Sans suivre les mêmes pistes que mes parents, j’ai énormément appris de ces grandes valeurs.
J’ai commencé mon processus de politisation au début de la vingtaine dans les années 80, au contact de « l’éducation populaire ». J’ai commencé à comprendre les systèmes d’oppression qui m’infligeaient des souffrances en tant que femme, lesbienne et pauvre. Tout s’en est suivi. Mon engagement réside depuis toujours en ma conviction viscérale que tous les êtres humains naissent libres et égaux, en dignité et en droits. Malheureusement, trop de profiteurs ne veulent pas reconnaître ce fait et agissent à l’encontre de ce principe en abusant de leur semblable.
Une facilité pourrait faire dire que tu es passée du militantisme associatif au politique. Bien sûr tu n’as pas quitté le champ associatif et ton activité a toujours été politique, mais malgré tout il y a bien eu un virage quand tu es devenue la première candidate de Québec Solidaire, lors de l’élection partielle de Sainte-Marie–Saint-Jacques en avril 2006. Comment as-tu abordé cette nouvelle forme d’engagement, et pourquoi avoir franchi le pas ?
C’est la féministe en moi qui m’a amenée à faire le choix de me présenter comme candidate. Depuis les débuts, j’ai travaillé à la mise sur pied d’Option citoyenne et à la fusion avec l’Union des forces progressistes. Je me suis impliquée dans la création de Québec solidaire dans l’objectif très clair et nommé de faire élire Françoise David, une leader extraordinaire avec laquelle je travaillais depuis une dizaine d’années.
Un mois avant le congrès de fondation de QS, nous savions que le gouvernement allait déclencher une élection partielle dans mon comté, laissé libre par André Boulerice quelques mois auparavant. Les seuls noms qui sortaient comme candidature potentielle étaient des hommes. J’étais incapable d’accepter que le premier parti politique féministe présente un homme comme première candidature.
C’est donc avec beaucoup d’audace et de candeur que j’ai sauté dans le train. Dès le début de la campagne, j’ai compris que dans les faits, le travail politique n’était que la continuité du travail d’éducation populaire que je faisais depuis une vingtaine d’années. Aller à la rencontre des gens, prendre le temps de leur expliquer comment fonctionne le système dans lequel nous vivons et comment on peut changer les choses. Redonner espoir à celles et ceux qui ne sont jamais considérés par ce système.
De plus, mon travail de militance m’avait formée à analyser, à être critique et à formuler des alternatives. J’étais surtout prête à mener la bataille pour que le mode de scrutin soit plus juste et pour que chaque vote compte. Je suis une grande démocrate et le système québécois actuel est beaucoup trop injuste pour que je dorme tranquille.
Si tu épouses toutes les thèses de Québec Solidaire, quels sont les sujets qui te semblent prioritaires, et que tu défends particulièrement – que ce soit dans et hors du parti.
En premier lieu je dirais l’économie. Québec solidaire a une vision de l’économie qui me réconcilie avec la démocratie représentative. Nous avons abandonné l’économie aux mains des économistes, qui finissent par se convaincre et nous convaincre que l’économie est une science exacte. Le système capitaliste crée beaucoup trop d’abus, d’injustices et de guerres pour que nous restions silencieux-ses. Les gens qui maintiennent ce système en place n’ont pas à cœur l’intérêt collectif, ni le bien commun et ni l’environnement. Quand Québec solidaire parle de justice sociale, il ne fait que s’appuyer sur la nécessaire justice fiscale qui est occultée dans le discours dominant des grands cravatés du capital. Ils ne cessent de dire que nous devons faire notre « juste part », alors qu’ils savent très bien que des milliards de dollars passent annuellement dans des paradis fiscaux, en toute légalité, sans que le peuple en bénéficie pour le financement de ses services publics. Ça m’indigne et me dégoute.
Le deuxième thème est l’environnement. Non pas comme une ressource exploitable, mais en tant que bien commun que nous partageons avec l’ensemble des habitantEs de cette terre. Je me sens très reconnaissante de pouvoir boire de l’eau saine, de respirer de l’air qui ne m’empoisonne pas trop et de pouvoir manger trois repas par jour. Comment puis-je accepter de ne pas tenir compte de tout ça? Pour QS, l’environnement n’est pas quelque chose à exploiter, mais à protéger. La fin de la dépendance au pétrole et le programme d’efficacité énergétique est pour moi d’une grande cohérence avec les valeurs de bien commun qui nous tiennent tant à cœur.
C’est en effet une question fondamentale, d’autant que le Québec est très riche en ressources, mais certaines d’entre-elles sont loin d’être « propre », je pense notamment aux mines d’uranium ou d’amiante. Dans le cas d’un gouvernement solidaire, quelles seraient les priorités pour effectuer la transition écologiques ?
Pour QS, il faut radicalement rompre avec les énergies non renouvelables et tout particulièrement les hydrocarbures. Nous avons été le premier parti à dénoncer l’attitude hypocrite du Québec face à l’amiante en interdisant d’une part son utilisation ici au Québec mais en poursuivant son exportation.
De plus il faut que le gouvernement mette fin à ces mines à ciel ouvert qui détruisent complètement les paysages et les milieux de vie des communautés. Les gens de Malartic dans la région de l’Abitibi en savent quelque chose.
Il est donc urgent de développer une économie au service de l’ensemble de la population et non seulement au profit d’une poignée de gens qui en profite et qui n’ont aucune considération pour l’environnement. Pour ce faire, on ne peut pas continuer dans la logique de surconsommation dans laquelle nous pousse sans cesse le capitalisme néolibéral. Les mines ne sont qu’un exemple.
Portrait-vidéo de Manon Massé lors de la campagne de 2012.
Québec Solidaire présente une option souverainiste de gauche et s’adresse à tous les Québécois, on reproche cependant régulièrement deux choses au parti : être centré sur Montréal, et être de faux-indépendantistes, quelles sont tes réponses à ces attaques récurrentes ?
C’est mal connaître notre parti que de dire que nous sommes centrés sur Montréal. Certes, nos deux élus actuels sont de Montréal, mais les dossiers qu’il et elle portent touchent tout le Québec. Par exemple, dans le dossier des mines, ou dans celui de l’extraction du gaz de schistes ou encore celui de l’exploitation des ressources gazières en Gaspésie, on ne parle pas aux MontréalaisEs. Même chose lorsque l’on défend les personnes à l’aide sociale ; il y en a partout au Québec.
Il faut parler avec les Guy Leclerc d’Abitibi, Patricia Chartier de Gaspésie, Serge Roy de Québec, de Louise Beaudry de Berthier pour voir que notre parti est bien implanté dans l’ensemble du territoire. Reste-t-il encore du travail à faire? Bien sûr. Quoique nous ayons présenté des candidatEs dans chaque comté lors des trois dernières élections générales, et nous entendons faire de même pour la prochaine, enraciner solidement Québec solidaire dans l’ensemble du territoire québécois demeure un objectif.
Je suis excédée de la malhonnêteté intellectuelle des personnes qui nous traitent de faux indépendantistes. Notre engagement est clair : lors de notre premier mandat, faire élire une assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution du Québec grâce à un vaste exercice de participation citoyenne partout à travers le Québec. Au bout de la démarche, les QuébécoisEs seront appelés par voix de référendums à se prononcer sur le document. Que voulez-vous de plus comme preuve de notre désir de faire l’indépendance?
À Québec solidaire, nous croyons à la souveraineté du peuple, c’est pourquoi nous voulons prendre le temps de faire émerger un projet de société qui rassemble les QuébécoisEs avant de le soumettre aux voies. Un projet comme la Charte des valeurs du gouvernement péquiste divise les Québécois et Québecoise et me confirme que ce parti souhaite plus se maintenir au pouvoir que faire du Québec un pays.
Quand j’écoute les discours dominants des indépendantistes, notamment sur le droit des nations à disposer d’eux-même, je suis toujours très surpris par l’oubli des Premières Nations. Le plan Nord, largement combattu par QS, n’était qu’une fausse réponse visant à encore plus déposséder les peuples autochtones, quel est ton regard sur les minorités indiennes et inuit, souvent décriées, et que proposent les solidaires pour cette population ?
C’est vrai que les Premières Nations et leurs droits ancestraux sont très souvent oubliés, pas seulement dans le discours indépendantiste, mais aussi dans l’utilisation du territoire. Pour Québec solidaire, l’autodétermination des Premières nations est une valeur importante.Nous voulons un dialogue peuple à peuple, de façon égalitaire et respectueuse.
Les peuples autochtones doivent être inclus, à part égale, dans tous les débats de société, dont celui de la souveraineté du Québec, du partage des ressources et du territoire. Ce sont nos ancêtres, après tout, et nous les avons isolés, autant physiquement que socialement. Il est donc primordial que le dialogue soit rétabli, dans une perspective de respect et d’inclusion.
Une des fameuses affiches à moustache de Manon
En septembre 2012 un gouvernement péquiste minoritaire a été élu. S’il y a eu quelques gestes forts en début de mandat – fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, abrogation de la loi 78 – aujourd’hui on ressent beaucoup de déception. La faute à un manque de moyen d’action, mais aussi d’un certain courage politique, qui était d’ailleurs un de vos thèmes de campagne. Quel regard portes-tu sur cette année de gouvernance censément progressiste ?
Le PQ gouverne de façon tout à fait prévisible. Depuis longtemps on le voit, dans l’opposition il met de l’avant des propositions de gauche alors qu’une fois au pouvoir, il gouverne dans la pure tradition de la droite. Le peuple québécois l’avait oublié, car cela faisait trop longtemps que le PQ était dans l’opposition.
Il n’y a rien de progressiste dans la façon de gérer du PQ : monsieur Marceau et son austérité budgétaire avec les tarifications des services publics (santé, éducation) qu’on applique, les accords de libre-échange qu’on encense, le pétrole qu’on accueille à bras ouvert qu’il provienne d’Anticosti ou d’Alberta, les redevances minières qu’on ose à peine réclamer, les coupes à l’aide sociale en prétendant une amélioration, le retour de la taxe santé et non de l’imposition du gain de capital….. Je m’arrête là.
Ce gouvernement n’agit pas pour le bien-être de tout le monde et en ce sens, il n’est pas très différent de son prédécesseur. Ceci étant dit, il y a quelques dossiers pour lesquels nous gardons les doigts croisés afin que les députés qui les portent ne soient pas bâillonnés par le ministre des Finances et sa politique d’austérité, notamment ceux de la politique de lutte à l’itinérance et de l’électrification des transports.
En conclusion, j’aimerai que nous parlions de l’actuelle charte de la laïcité. Ce projet propose d’interdire le port de signes religieux ostentatoires à tous les fonctionnaires, ainsi que le port de certains signes religieux en public. Les arguments sont la défense d’une certaine laïcité, l’intégration et la protection des femmes. À contre-courant de ce que certains auraient pu attendre Québec Solidaire s’oppose à ce projet jugé stigmatisant pour des populations déjà minoritaires. Françoise David s’y oppose aussi en tant que féministe, ce qui en a surpris plus d’un. Peux-tu m’expliquer comment tu abordes cette question complexe de la laïcité et de l’intégration ?
Selon moi, le PQ a pris un chemin très dangereux en mettant au jeu au mois de septembre dernier le projet de Charte des valeurs québécoises. Ce projet n’a rien à voir avec la laïcité annoncée, mais parle plutôt de l’identité québécoise tant recherchée et malheureusement, pas encore reconnue. Ce qui m’inquiète profondément, c’est qu’on aborde cette question dans une perspective d’exclusion. Les échanges qui en ont découlé sur la place publique n’ont d’ailleurs pas toujours mis au jour ce qu’il y a de plus beau chez mon peuple!
Ce qui me choque aussi, c’est que le PQ propose une laïcité de l’État à deux vitesses : non aux symboles religieux trop apparents dans la fonction publique, mais oui au crucifix à l’Assemblée nationale, au droit de retrait de certaines institutions, sans dire un mot sur le financement à la hauteur de 60% des écoles privées dont plusieurs sont confessionnelles, et rien non plus sur le congé fiscal pour les organisations religieuses…Quelle hypocrisie!
Comme féministe, je n’en peux plus de voir ce débat se faire sur le dos des femmes. Elles avaient déjà donné avec la commission Bouchard-Taylor. Avec ce projet de charte, au nom de la protection de ces femmes qui portent le foulard, on encadre légalement leur exclusion.
Ni obligation, ni interdiction! Voilà ma conviction. C’est par l’éducation et l’autonomie économique que les femmes, tout comme les Québécoises des années 60, trouveront la liberté que le ministre Drainville et les Jeannettes de ce monde veulent « leur offrir ». Comme féministe, je respecte leur droit d’enlever leur hijab au moment où elles le veulent, si elles le veulent. Dans les années 70 et 80, j’ai scandé : « Nous aurons les enfants que nous voulons », « Mon corps c’est mon corps ». Je ne me mettrai pas aujourd’hui à scander « Ôte ton voile parce qu’il me dérange ».
Ceci étant dit, nous devons agir face aux différentes forment d’extrémismes religieux. Nous les femmes, les lesbiennes et gais, les marginaux, le savons très bien. De l’oppression, il y en a partout, et si j’en crois les statistiques au Québec, l’égalité entre les femmes et les hommes et l’ouverture aux communautés LGBT sont bien plus compromises par la majorité blanche, catholique, hétérosexuelle, que par le faible pourcentage de 2% de musulmanEs.
Fondé en 2000 par des universitaires de divers horizons – venant aussi bien de l’économie que des sciences sociales ou de l’environnement – l’Institut de Recherche et d’Information Socio-économique (IRIS) fonctionne depuis de manière totalement indépendante. Rattaché à aucun établissement mais géré par ses universitaires, l’IRIS a produit et publié de nombreuses analyses et dépliants, avec toujours en tête le soucis de pédagogie et de diffusion. En rupture avec l’orthodoxie libérale, l’institut se revendique progressiste et crée une matière intellectuelle riche qu’il fallait explorer. Monsieur Guillaume Hébert a accepté de nous répondre pour l’Institut.
Afin de poser les choses, pouvez vous expliquer dans quel contexte et poussé par quels constats l’IRIS s’est-il créé ?
L’IRIS a d’abord été fondé en 2000 par des universitaires diplômés en comptabilité ayant fait leurs premières armes dans une Chaire de recherche basée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ils y avaient côtoyé la figure excentrique du « Prof Lauzon » qui perçait de temps à autres l’univers médiatique, souvent sous un couvert humoristique.
Les fondateurs, ceux que j’appelle les « trois P » (Patenenaude, Petit et Poirier) avaient résolu de former leur propre Institut afin de pousser un cran plus loin le travail de déconstruction du discours hégémonique en économie et d’élargir son champs d’action, alors largement axé sur les privatisations. Ils ont mis l’IRIS sur les rails et ont entrepris de publier des études et de réaliser des contrats. Le travail s’est avéré excessivement lourd pour un Institut sans financement régulier et après quelques années, l’avenir de l’Institut était incertain. Les « trois P »étaient des précurseurs puisqu’ils avaient compris à quel point la désertion du champ économique par ce que je désignerai tout simplement par « la gauche » avait rendu les syndicats, les groupes sociaux et les mouvements sociaux en général dépendant d’une vision de la société largement colonisée par les catégories de la droite économique.
Cette droite, justement, bénéficiait du travail de l’Institut économique de Montréal (IEDM), qui fait a considérablement influencé les débats d’idées au Québec depuis la fin des années 90. Face à la nécessité d’offrir la réplique, les fondateurs de l’IRIS ont débroussaillé le terrain avant de recevoir les renforts d’une deuxième vague de jeunes diplômés dans divers domaines, cette fois imprégnée de l’expérience du Sommet de Québec en 2001 (manifestations contre le projet de ZLÉA) et de la grève étudiante de 2005 (l’ancêtre du « Printemps érable » de 2012) qui repris le flambeau et se donna pour objectif de hisser l’Institut à un niveau de visibilité lui permettant de prendre sa place dans la société québécoise.
L’IRIS se revendique progressiste et assume un positionnement politique – même si non partisan – quand la doxa libérale qui a cours partout fait figure de « science objective ». Est-ce qu’après treize ans de travail poussé, d’une quasi contre-propagande suivant des méthodologies rigoureuses, les analyses de l’IRIS vous semblent trouver plus de place dans l’espace public et médiatique ?
Indéniablement. Nous occupons un terrain sans cesse grandissant et nous avons franchis un certain nombre de plateaux cruciaux. Celui de devenir le vis-à-vis nécessaire de l’IEDM dans nombre de débats, celui d’avoir fondé un blogue économique de gauche qui est le seul à bénéficier d’un trafic important au Québec et d’avoir un impact central dans certains débats de société dont celui de la hausse de frais de scolarité, l’impôt des plus riches ou la critique de l’austérité. Les publications de l’IRIS ont forcé le premier ministre Jean Charest à réagir sur la question du Plan Nord, un projet néoextractivisme dont nous avons questionné les retombés, et ont été un électrochoc lorsque nous avons révélé que les Québécois-e-s ne sont pas nécessairement les plus imposées en Amérique du Nord, un mantra utilisé par la droite ici depuis des décennies.
L’IRIS affirme clairement une orientation de gauche, on entend pourtant souvent que l’économie est une science exacte et qu’il n’y est pas question de choix. Que répondrez à ces tenants d’une « objectivité » et d’un « réalisme » tout particulier ?
D’abord, nous refusons de considérer l’économie comme une science exacte. Il s’agit à nos yeux d’une science humaine et ne débattons même pas de cet aspect tant il nous apparaît fondamental. Nous affirmons que ceux qui prétendent à l’objectivité en matière d’analyse économique ne dévoilent pas tout. Nous, nous le faisons. Nous affirmons d’emblée que nous sommes un institut progressiste et en ce sens, nous sommes plus transparent. L’important ensuite, c’est de faire des études solides, avec une méthodologie tout aussi solide et des références pertinentes. Si les gens veulent nous critiquer, nous les invitons à le faire à ce niveau.
Guillaume Hébert
L’IRIS est composée d’un comité de chercheurs assez varié, auxquels s’ajoutent les chercheurs invités sans être rattachée à aucune université. Cette situation particulière n’est-elle pas un frein (et pas seulement financier) à la recherche ? Avec quels partenaires réussissez-vous à faire fonctionner la structure ?
Tous les chercheur-e-s de l’IRIS sont administrateurs et administratrices de l’Institut. Tous ne sont pas affilié à une université, certains sont prof et d’autres sont diplômés sans maintenir de lien désormais. Le financement de l’IRIS vient de contributions individuelles et de partenaires institutionnels, comme les syndicats, les associations étudiantes, les groupes communautaires, féministes et écologistes. Nous réalisons également des contrats de recherche et des conférences pour lesquelles nous sommes rémunérés.
L’IRIS réalise également des partenariats, a des mécènes, mais vous refusez toute organisation commerciale. Ces structures ne sont pourtant pas forcément mauvaises, le choix peut paraître un peu radical…
Nous ne recevons effectivement ni subvention gouvernementale (puisque nous nous trouvons régulièrement à défendre l’action publique, même si nous la critiquons également largement), ni argent venant d’organisations à but lucratif (nous croyons que les modèles d’organisations démocratiques et sans but lucratif sont supérieurs et nous tâchons ce faisant d’être cohérents. Nous ne voulons pas non plus dépendre d’organisations dont l’objectif est de réaliser des profits).
Fait intéressant pour un institut, l’IRIS a une vraie vocation pédagogique et ne se contente pas de rédiger d’obscurs rapports. De nombreux moyens sont mis en œuvre pour simplifier l’accès : capsules vidéos, mise en ligne gratuite de toutes les études, travail conjoint avec un éditeur de bande dessinée alternative pour vulgariser les travaux, etc. Vous proposez aussi l’aide de vos chercheurs pour des travaux de recherche menés par des syndicats, ONG, groupes communautaires… On est loin de l’universitaire dans sa tour d’ivoire.
Tout à fait. Avec la production d’études, l’intervention médiatique spontanée, le réseautage des idées de la gauche économique, l’éducation populaire est l’une de nos missions. De nombreuses idées circulent dans les milieux académiques mais sont portées par des intellectuels qui ne sont pas nécessairement habilité à faire un travail de communication ou de vulgarisation. On ne les blâme pas pour ça et au contraire, on leur propose de collaborer. Et souvent, ça porte fruit. Nous avons effectivement exploré plusieurs méthodes de diffusions dont les vidéos et même la bande dessinées, ce qui en a surpris certain-e-s. Nous faisons aussi beaucoup de conférence dans des groupes populaires œuvrant sur le logement ou la pauvreté et ça implique un grand travail de vulgarisation. Il va de soit pour nous que les premières victimes des politiques néolibérales devraient avoir davantage d’outils pour comprendre d’où vient ce qu’on leur fait subir.
Vous parlez de la bande dessinée, média qui me touche particulièrement. Il y a eu les collectifs adaptés de vos recherches mais désormais il y a des chroniques régulières. On y voit des auteurs proches de La Mauvaise tête et de Colosse, des structures alternatives et assez audacieuse. Souvent la pédagogie en BD est très lénifiante et illustrative, y compris pour des structures défendant pourtant des alternatives aux discours dominants, un paradoxe que vous avez évité. Comment la rencontre s’est-elle faite et quel accueil reçoivent ces travaux ?
Notre collègues bédéistes ont eux-même pris l’initiative d’illustrer une brochure que nous avions produite et qui démontait 8 arguments utilisés pour justifier une hausse des droits de scolarités. Nous avons trouvé le résultat excellent et nous avons voulu explorer plus avant ce type de collaboration, ne serait-ce que parce que ne parvenons pas suffisamment à honorer notre fonction d’éducation populaire. Nous avons songé que la BD pourrait nous y aider. Nos publications subséquentes ont suscité la surprise puisque les bandes dessinées colorées se distinguaient nettement de la facture plus austère (noir et blanc) de l’Institut, en plus d’amener en récits des études que plusieurs trouvent arides parce que économique, parce que parfois théorique, etc. La diffusion est bonne toutefois et je pense qu’elle satisfait un certain public
Il semble que depuis quelques années, alors que le Québec a toujours navigué entre divers courants plus ou moins progressistes de l’économie libérales, il y ai eu récemment une sorte de grand « boum » de gauche. Que ce soit avec l’entrée de Québec solidaire à l’Assemblée nationale ou la fondation d’Option nationale sur le champ parlementaire, mais aussi avec les grandes mobilisations du Printemps érable – ou l’idée de la gratuité scolaire n’était plus une aberration – et les marches de casseroles contre la corruption. Ressentez-vous cette réalité sur le terrain où est-ce une construction que l’on peut se faire de l’extérieur à travers un spectre réduit ?
D’abord, l’IRIS n’est pas sur le terrain comme tel, c’est nos partenaires qui y sont d’abord et avant tout. Mais vous avez raison de noter cette émergence qui est en fait une ré-émergence depuis le début des années 2000. Comme partout ailleurs en Occident, la gauche a connu un passage à vide durant les années 90 d’abord et avant tout parce qu’elle a adopté partiellement ou complètement les catégories de la droite en matière économique. Mais une fois passé la poudre aux yeux de la fin de l’histoire, une nouvelle génération a vite reconnecté avec une critique socio-économique plus fondamentale et plus stimulante qui finit toujours par percoler dans toute la population. Le Québec est influencé par le monde anglo-saxon, mais il n’en fait pas partie. Le modèle développé par le passé est un mélange de l’État providence scandinave et la filiation politico-culturelle républicaine française. Il est possible aujourd’hui d’invoquer le collectif pour mettre des limites à l’individualisme que promeut le néolibéralisme.
C’est de cette façon qu’on peut comprendre en partie le Printemps érable de 2012 mais aussi, la campagne du gouvernement péquiste pour l’instauration d’une « Charte des valeurs québécoises » qui a vite faire se dresser un sentiment nationaliste contre les femmes musulmanes. Comme je le mentionnais dans un billet de blogue cette semaine, il s’agit d’une invocation assez incohérente du gouvernement qui d’une part fait appel au sentiment national sur une question de valeurs pour régler une crise créée de toute part, mais qui en même temps salue la signature d’un entente de libre-échange avec l’Europe, ce qui réduit les pouvoirs de l’Assemblée nationale face aux investisseurs. Contrairement à la menace islamiste au Québec, cet abandon de pouvoir n’a rien d’imaginaire. Mais l’invocation du collectif est recevable au Québec et c’est cette invocation qui a souvent été de pair avec des revendications et des gains progressistes.
De manière plus personnelle, quels sont vos sujets de recherche de prédilection ?
En théorie, la santé. Mais en pratique, ça s’avère très diversifié : l’accession à la propriété et le logement, la financiarisation de l’économie, la fiscalité québécoise, le milieu communautaire (ou « associatif » en France) québécois, etc.
Entretien réalisé par courriel du 30 octobre au 12 novembre 2013
Le grand débat du moment au Québec est une « Charte des valeurs québécoises» que le gouvernement veut à tout prix faire passer. Socle nécessaire d’une affirmation identitaire et laïque pour ses défenseurs, faux-nez d’une charte anti-musulmans ou vecteur de divisions inutiles pour les opposants, certains y voient aussi une simple diversion visant à ressouder l’électorat péquiste derrière sa cheffe.
De fait, on ne parle plus de grand-chose d’autre dans les médias, alors même que la population ne semble pas si passionnée que ça par le sujet. Société multi-culturelle par essence, le Québec avait une certaine habitude du compromis et une tolérance globale des religions bien plus souple que la nôtre, à l’image des peuples anglo-saxons. Mais qu’est-ce que cette charte au juste ? D’où vient-elle et que dit-elle réellement ? Petit tour d’horizon.
Quel contexte ?
Charles Taylor et Gérard Bouchard
La charte des valeurs, qui est plus une charte de la laïcité qu’autre chose, n’est pas née d’hier. Rappelons que le Canada est un état sans religion (même si sa dirigeante, la Reine, dirige l’église anglicane) affirmant en préambule de sa Charte des valeurs et des libertés que le pays « est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la règle de droit ». Il ne s’agit donc pas d’un pays laïque stricto-sensu. Même si l’état ne finance directement aucun groupe religieux, les groupes religieux bénéficient cependant de déductions d’impôts, etc.
Globalement, le Canada affiche un principe de tolérance, de liberté de pratique et de neutralité vis-à-vis de la religion, considérant simplement que les pratiques sont acceptables tant qu’elles ne mettent pas en danger la vie d’autrui: la charte revendique d’ailleurs le multiculturalisme. Arguant que la majorité des cas ne prête pas à débat ou peut se trancher facilement, l’État invite à procéder à des « accommodements raisonnables », notion recouvrant de légères adaptations visant à éviter les discriminations, entre autres religieuses.
Cette procédure souple n’a cependant pas été sans créer de problèmes, et plusieurs controverses ont éclaté à partir des années 2000, notamment au Québec. Parmi elles, voici quelques cas bien différents : des musulmans souhaitant avoir une salle de prière au travail, un élève revendiquant son droit de porter le kirpan (sorte de couteau traditionnel des sikh) à l’école, ou le retrait des crèches de Noël par la ville de Mont-Royal afin de ne pas devoir y ajouter d’autres signes religieux que ceux des chrétiens.
Afin de répondre à ces problème, le premier ministre libéral Jean Charest met sur place une commission codirigée par le philosophe Charles Taylor et le sociologue Gérard Bouchard (frère de l’ancien premier ministre Lucien Bouchard) en février 2007. La commission doit à la foi dresser un état des lieux et élaborer des recommandations afin d’adapter la loi, d’éviter des problèmes récurrents et de trancher plus facilement les cas complexes. Au bout d’un an, la commission publie un rapport globalement salué mais rejeté par le gouvernement libéral, notamment parce qu’il demande d’interdire les prières d’ouverture dans les conseils municipaux ou de retirer le crucifix de la chambre bleue de l’Assemblée nationale. Le rapport demandait aussi à ce que les garants de l’autorité de l’État1 ne portent pas de signe religieux et que les non-chrétiens puissent plus facilement obtenir des jours de congés pour les fêtes religieuses, afin d’équilibrer avec les jours fériés.
Le PLQ enterre donc le projet jugeant qu’il est urgent de ne rien faire. Élu, le PQ a annoncé qu’il relançait le projet, chargeant Bernard Drainville, ministre des institutions démocratiques et de la participation citoyenne, d’élaborer une Charte des valeurs québécoise et de la laïcité. L’idée affichée était de faire une loi consensuelle, affirmant l’identité québécoise et forçant les politiques au compromis. Finalement, le projet aura été très clivant, a fait la une des médias et n’a cessé de diviser, y compris au sein des rang souverainistes, tous n’étant pas toujours à l’aise avec ce qui ressemblait parfois à une stigmatisation des étrangers et – tiens, tiens… – particulièrement des musulmans.
Mais la Charte du PQ n’est pas l’émanation directe du rapport. Faisons le point.
Quel projet pour quel effet ?
Bernard Drainville, Ministre responsable des
Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne
Initialement, la Charte du parti québécois reprenait une bonne partie du rapport Bouchard/Taylor en allant souvent plus loin, en gros en interdisant le port de signes religieux à tous les fonctionnaires, du magistrat à la secrétaire administrative. Les péquistes s’appuient d’ailleurs sur l’exemple français, qui applique cette règle en allant même plus loin puisqu’il interdit le port de signes ostentatoires dans les écoles par les usagers mêmes. Le reproche fait aux péquistes est simple : prétexter la laïcité pour stigmatiser des populations minoritaires, reniant ainsi le principe de multiculturalisme à l’origine de tous les pays d’Amérique du Nord. Les fédéralistes arguent qu’en agissant ainsi le PQ cherche juste à cliver en désignant des cibles du doigt afin de resserrer les rangs indépendantistes, qui tiennent beaucoup à une affirmation identitaire et se dispersaient vers d’autres partis auparavant. Ce d’autant que la Charte est actuellement en débat et que des rumeurs d’élections à l’automne bruissaient, rumeur démenties dernièrement, Pauline Marois indiquant qu’elle fera voter la Charte avant les élections afin d’en dégager toutes arrières-pensées électoralistes.
Bizarrement le PQ souhaite conserver le crucifix dans la chambre parlementaire, le considérant comme une pièce historique et non religieuse. Ce sujet relativement anecdotique à déclenché une petite bronca dans les forces de gauches, soulignant que le crucifix était relativement récent2 et qu’il pouvait très bien être mis dans le musée de l’Assemblée, dénonçant ainsi une laïcité à deux vitesses entre chrétiens et autres croyants. Le PQ a évolué sur sa position, indiquant qu’il était prêt à des concessions sur ce sujet.
La charte des valeurs n’est cependant pas une lubie sortie de nulle part, elle était clairement annoncée lors des élections de 2012, mais son contenu en a surpris plus d’un, y compris au sein des indépendantistes3. Contrairement à la France où l’acception de la laïcité est son exclusion de l’espace public, au Québec on entend plutôt la possibilité pour chacun d’exercer librement sa religion. Ainsi, quasiment personne au Québec ne voit de problème à ce qu’une secrétaire de mairie ou une infirmière soit voilée si elle fait bien son boulot. Une antienne avec laquelle je serai d’ailleurs plutôt d’accord tant qu’il n’y a pas de prosélytisme sur le lieu de travail et que les agents de l’État exerçant l’autorité restent neutres. Reste à placer le curseur de l’autorité. Personnellement, je pense que les enseignants sont porteurs de l’autorité de l’État et doivent être neutres, ce qui est une position assez minoritaire chez mes camarades indépendantistes et ne cesse de m’étonner (sans doute que je pense en bon gros Français).
Pour résumer la charte, elle se base sur cinq piliers – comme l’Islam mais je doute que ce soit volontaire –, présentés comme tels quel par le gouvernement et commentés par mes soins :
– « Modifier la charte québécoise des droits et libertés de la personne » pour y inscrire la neutralité religieuse de l’État et l’égalité homme-femme : difficile de ne pas être d’accord quand on est laïc convaincu (ce qui n’est pas une obligation, certes) ;
– « Énoncer un devoir de réserve et de neutralité pour le personnel de l’État » visant à interdire de manière claire le prosélytisme religieux lors de l’exercice de ses fonctions, comme cela existe déjà pour les opinions politiques, ce qui semble assez normal ;
– « Encadrer le port des signes religieux ostentatoires » : première mesure réellement polémique, elle vise à interdire à un certain nombre de fonctionnaires de porter des signes religieux, et cela va bien plus loin que la Commission Bouchard/Taylor4. Au delà de choix contestés quant aux types de fonctionnaires choisis, le ministère à eu la très mauvaise idée de permettre aux conseils d’administration des structures d’éducation, de santé et aux municipalités de voter des dérogations à la loi. Ainsi le gouvernement semble dire que cette liste de fonctionnaires devant être neutres n’est pas si réelle que ça. Cela engendre donc une autre frange de protestations refusant ce principe de dérogations et disant qu’il faut soit interdire, soit autoriser mais pas faire un peu tout et n’importe quoi. Dans une Charte visant à poser des balises claires sur les accommodements raisonnables, le flou est difficile à comprendre ;
– « Rendre obligatoire le visage à découvert lorsqu’on donne ou reçoit un service de l’État » n’est pas forcément reprochable en soit mais la formulation fait tout de suite penser aux musulmanes voilées. S’il s’agit simplement de s’assurer que le visage et bien le visage (comme stipulé, mais on peu se méfier) est concerné alors cela semble normal, ne serait-ce que pour que l’on s’assure que la personne est la bonne, mais il faudra veiller à ce que ça ne déborde pas plus loin ;
– « Établir une politique de mise en œuvre pour les organismes de l’État » est la mesure la plus administrative, qui indique qu’il faut se donner les moyens dans tous les ministères et organismes d’État d’appliquer la Charte, de mettre en œuvre des accommodements et d’assurer leur fonctionnement. Rien que du logique, on se demande presque pourquoi cela vaut un point spécifique.
Le projet de loi finalement déposé le 07 novembre autorise cette possibilité de dérogation mais uniquement pour une durée de cinq ans non-renouvelable, afin de prendre le temps de mettre tout en place, ce qui est très différent. Le Gouvernement ayant accepté que le projet soit l’objet d’une consultation générale en commission parlementaire débutant début 2014, le texte ne sera pas voté tout de suite et des amendements sont tout à fait possibles.
Le crucifix de l’Assemblée Nationale
Les réactions politiques
Tout les partis provinciaux admettent l’importance d’une clarification du droit mais les réactions sont très différentes. Les plus virulents sont les libéraux qui ont clairement annoncé qu’ils ne voteraient pas la Charte du PQ, fustigée comme étant électoraliste et discriminatoire. Québec solidaire s’oppose de son côté à la Charte en l’état, considérant que sa rédaction est partiale et vise avant tout les musulmanes et jugeant que des lois plus restrictives ne feraient qu’empêcher encore plus les femmes brimées de sortir de chez elles. Le parti salue toutefois la volonté d’affirmer un État laïc.
Au niveau fédéral le NPD comme le Parti Libéral du Canada s’opposent à la Charte au nom des droits de l’homme. Le parti Conservateur, au pouvoir au Canada, également. Il a, de plus, refusé l’idée d’une Charte spécifiquement québécoise et le gouvernement fédéral a annoncé être près à aller en justice si nécessaire. Sans surprise le Bloc fait corps derrière le PQ, allant jusqu’à exclure sans coup férir une de leur rare députée parce qu’elle avait critiqué le projet.
Au niveau associatif, de nombreux groupes ont dénoncé des mesures affaiblissant des populations déjà faibles. Des organisations importantes comme la la Fédération des femmes du Québec utilisent des mots très durs. Ainsi, sa présidente Alexa Conradi déclare que « le gouvernement officialise la discrimination au nom des valeurs québécoises » quand la Ligue des Droits et libertés parle d’un « recul pour les droits humains ». La plupart des associations scolaires y sont aussi opposées.
Enfin, il est à noter que Gérald Bouchard et Charles Taylor ont tous deux dénoncé la Charte censément issue de leurs travaux. Le premier décrit un projet nuisible aux Québécois parce qu’il les divise au lieu de les unir, ainsi que nuisible au Québec car salissant son image à l’étranger. Le second parle tout simplement de projet de loi « catastrophique ».
Il existe bien sûr des associations favorables au projet comme la Coalition pour la laïcité ou les Janettes, mais elles sont clairement minoritaires.
***
Voilà en quoi consistent les problèmes relatifs à la Charte. C’est une question certes complexe, où l’intérêt général et le jeu politique se confondent, comme souvent. Comme d’ordinaire n’hésitez pas à poster un commentaire pour compléter où à m’envoyer un message, comme certains l’ont fait la semaine dernière.
1 Désignant ainsi les policiers, magistrats, procureurs, gardiens de prisons, présidents et vice-président de l’Assemblée Nationale. Mais ils ne visent pas les enseignants, les députés ni les fonctionnaire non-titulaire d’une autorité directe.
2 Il avait été mis en place par le ministre unioniste (conservateur) Maurice Duplessis en 1936 afin d’indiquer les liens étroits entre l’église catholique et le Québec.
3 Par exemple, Catherine Dorion s’en est étonnée, Québec Solidaire a aussi manifesté son rejet d’une laïcité à deux vitesses, etc.
4 À savoir : le personnel de l’État exerçant un pouvoir de sanction (juges nommés par le Québec, procureurs et magistrats, membres d’un corps policier, agentes et agents correctionnels) comme le recommandait la commission mais aussi le personnel des ministères et organismes ; le personnel des centres de la petite enfance (CPE) et celui des garderies privées subventionnées ; le personnel des commissions scolaires, dont celui des écoles primaires et secondaires publiques ; le personnel des cégeps et des universités ; le personnel du réseau public de santé et services sociaux et le personnel des municipalités. Soit une grosse partie des fonctionnaires mais pas tous les fonctionnaires comme on peut le lire (par exemple, les salariés d’Hydro-Québec ne sont pas concernés).
Comédienne, autrice, militante avant tout, Catherine Dorion a le cœur à gauche et vibre pour le Québec. Fervente indépendantiste, elle participe à la fondation d’Option Nationale, dont elle est la candidate dans Taschereau (ville de Québec) aux élections de 2012. Auteure d’une vidéo de campagne où elle explique avec simplicité, humour et second degré son attachement à la cause souverainiste et sa foi en un avenir de progrès, elle créé un buzz retentissant en obtenant rapidement plus de 100.000 vues sur Youtube. Devenue icône d’un parti encore méconnu elle obtient 7,37 % des voix, soit le deuxième plus gros score du parti, derrière celui de Jean-Martin Aussant. Si elle est un peu moins visible depuis, elle continue plus que jamais à s’investir dans le parti et partage ses opinions et coups de gueule sur son blog avec un public toujours plus grand.
Pour commencer par la base, avant même de parler partis, peux-tu nous expliquer le fondement de ton engagement indépendantiste ?
Je ne le saisis moi-même que petit à petit à mesure que les années passent. Je crois que j’ai toujours souhaité pour mon peuple cette attitude qui, dans ma vie personnelle, n’a jamais menti, n’a jamais failli : le courage d’être soi-même et de suivre son désir, sans donner de crédit aux prophètes de malheur et à tous ceux qui, à force d’avoir peur, meurent vivants. Sans donner de crédit à ceux qui nous répètent partout que nous devrions être davantage ceci, moins cela, davantage autres, moins nous-mêmes. J’expérimente dans ma vie le succès de cette posture et c’est pour ça que je souhaite cette posture à mon peuple, comme je la souhaiterais à mon meilleur ami.
Avant de rejoindre Option Nationale tu as mené nombre de projets engagés, notamment des performances théâtrales, du slam, la rédactions de textes… Je te définirai comme une activiste culturelle, qui milite autant sur le fond que sur la forme (un certain type de théâtre), comment te positionnes-tu par rapport à ça ?
Je déteste avoir à me positionner dans un débat pré-déterminé par d’autres (les médias traditionnels, souvent), où les pour et les contre sont déjà étiquetés, les idées déjà classées en groupes et sous-groupes, et dans lesquels on me demande de me jeter juste pour aller grossir le nombre de telle ou telle équipe ou sous-équipe. Oui, je milite donc également sur la forme : ce n’est pas comme ça que notre politique devrait se faire. Il ne devrait pas s’agir que de lancer une idée contre une autre et de regarder le combat de coqs qui s’ensuit ainsi que les applaudissements ou huées des « experts » à la télévision. Il n’y a pas pire vecteur de désengagement de la population : nous, à qui on répète que nous vivons en démocratie, dans le meilleur système du monde et de l’histoire, sommes réduits à des spectateurs télévisuels d’une partie de hockey qui n’a plus aucun lien avec nos réels désirs et besoins! Nous nous désengageons, remplis d’un sentiment justifié d’impuissance et d’absence de sens, et nous nous laissons organiser par d’autres qui en profitent pour… pour profiter, quoi.
Pour changer quoi que ce soit et nous redonner à nous-mêmes notre politique, il faudra que nous nous en emparions. Et nous cherchons comment faire, à tâtons, nous cherchons. À un moment donné, nous tomberons sur une idée, sur un filon, sur une manière d’exprimer le politique qui nous rassemblera tous, nous éveillera, nous donnera le courage collectif nécessaire à la réappropriation de notre politique. En attendant, à l’intérieur de chacun de nous, le désenchantement et l’indignation s’installent, prennent de la place, accumulent le gaz dont nous aurons besoin pour nous lever tous ensemble. Militer, pour moi, c’est ça : préparer le terrain pour le moment où l’éveil collectif prendra forme.
Quand je remonte un peu dans tes travaux je retrouve toujours la question de l’indépendance, je te sens aussi viscéralement progressiste. Quand Jean-Martin Aussant a lancé Option Nationale en 2012 il semble que tu l’ai rejoint très naturellement, peux-tu nous expliquer le cheminement qui t’as mené à entrer et à prendre des responsabilités dans le parti ?
Nous avons eu l’idée du parti ensemble, à deux, dans un resto de Montréal, en marge du dernier congrès du PQ auquel nous assistions, moi comme observatrice et lui comme député péquiste. Nous l’avons plus tard fondé ensemble et avons fait toutes les premières démarches ensemble. Lui, qui avait beaucoup plus d’expérience que moi en politique active, a dirigé toutes les étapes. Moi, je regardais, j’apprenais, j’allais chercher du monde, des gens inspirés et passionnants qui n’avaient jamais fait de politique et qui savaient porter notre enthousiasme naissant d’une manière créative, attirante, à contre-sens de la fausseté habituelle des politiciens.
Tu as été une des révélations de l’élection de 2012, un buzz énorme a suivi la publication de ta vidéo, et tu as sans doute plus fait pour la reconnaissance d’Option Nationale que n’importe quel article ou émission. Du jour au lendemain tu as du recevoir énormément d’invitations, tu as tenu un blog sur L’actualité, à donné beaucoup d’entretiens et finalement obtenu un très bon score pour une jeune formation. Avec un recul d’un an, comment vois-tu cette reconnaissance et les conséquences de cet imprévisible succès ?
Comme un signe que le cynisme des gens face à la politique est aussi une ressource incroyable : le jour où des sincères investiront le plancher du politique au Québec, les gens sauront les reconnaître. Il ne suffira plus, pour nous, que de trouver des moyens de nous faire voir. Internet nous aide beaucoup dans ce sens-là. Je crois que tu as déjà, dans ta question, saisi les conséquences de ça, très positives pour nous. Évidemment, ça ne se fait pas en un an. Il faudra travailler…!
En attendant, ce que les gens savent reconnaître à coup sûr, ce sont ceux qui sont en politique pour le pouvoir ou l’argent. Ça, on connaît, on reconnaît, on se tient loin de ça, on vote pour le moins pire d’entre eux à contrecœur, en haussant les sourcils, en nous demandant si nous sommes en train d’accomplir le devoir du citoyen ou un acte assez débile d’humiliation citoyenne…
Catherine Dorion et Sol Zanetti
Après les élections de 2012, malgré la défaite des libéraux et la défaite de Jean Charest, les résultats laissaient un goût amer : un gouvernement péquiste très minoritaire, des libéraux encore puissants et la défaite de Jean-Martin Aussant. Un coup dur pour un jeune parti, d’autant plus que quelques mois plus tard il a décidé de quitter la direction d’ON. Quel regard portes-tu sur la démission de JMA ? Pourquoi n’as-tu pas souhaité le remplacer et quelles sont les raisons de ton soutien à Sol Zanetti ?
Je porte un regard ambivalent sur la démission de Jean-Martin : d’un côté je le comprends, c’est mon ami, je l’ai vu avec ses enfants, absent malgré lui, pris par les incessantes questions politiques, obligé de gérer le fonctionnement interne d’un parti qui grandissait plus vite que ses capacités organisationnelles alors que sa passion était de parler aux non-convaincus, de convaincre, de changer en profondeur les pré-conceptions des gens pour que, tranquillement, ses idées fassent leur place dans la population et s’y réenracinent avec solidité. Je pense que, face aux défis d’organisation partisane, mon ami trouvait la vie dure, lui qui, malgré ses lunettes et son génie économique, carbure à la passion. Il ne cessait jamais de travailler pour le parti, jusque tard dans la nuit, il avait toujours des trucs à régler, à penser, des militants à apaiser. Ses jeunes enfants n’avaient pas beaucoup de père…
C’est parce que j’ai constaté ça en le suivant de près que j’ai décidé de ne pas me présenter à la chefferie. Je savais que, avec mon bébé d’un an et demi, je finirais comme lui épuisée, éloignée de ce qui m’avait attirée en politique, vidée de ma passion et de mon énergie. Et je ne pouvais pas me faire élire et risquer de démissionner un an plus tard de la même manière que lui, ça aurait été un double coup trop difficile pour le parti en si peu de temps. Sol, quant à lui, était décidé, ferme, solide, et il avait autant envie d’organiser et d’unir les troupes dans un même élan que de convaincre la population du Québec de la logique de l’indépendantisme. J’ai senti que, moralement, c’était un pilier, qui avait le sens des responsabilités très développé, et que c’était lui qu’il nous fallait, surtout à ce moment-ci de notre histoire et dans la situation dans laquelle nous nous trouvions, affaiblis par le départ du chef fondateur.
De l’autre côté, je trouve que Jean-Martin a manqué de patience. Il n’aurait pas eu à attendre quinze ans avant que quelque chose se passe. Cinq, six ans, et ça devenait foutrement intéressant pour ON. Notre succès était époustouflant, dérangeant, merveilleux. Mais bon. Un sondage récent nous donnait 4% d’intentions de vote, le même pourcentage qu’avant la démission de Jean-Martin. Qui sait? Peut-être son rôle à lui n’aura-t-il été que de rassembler tous ces gens décomplexés qui ont envie d’arrêter d’avoir honte d’être eux-mêmes et qui savent communiquer leur fierté.
Quand ont te lit et t’écoute, on te sent éminemment progressiste. Je comprend bien que le rattachement au Canada lie les mains des québécois, qu’un gouvernement vraiment de gauche serait toujours préférable à des souverainistes centristes (par ailleurs peu pressés de faire l’indépendance) comme c’est le cas aujourd’hui ?
Les souverainistes centristes, tu parles du Parti Québécois? Mais ce parti, en tant qu’institution, n’est ni centriste, ni gauchiste, ni indépendantiste, ni fédéraliste. Ce parti n’est plus qu’une chose : électoraliste. Certains de ceux qui le composent ont des convictions réelles, mais ils se retrouvent pris dans une machine lourde, contre-productive, non-militante.
René Lévesque le disait : les partis vieillissent mal et ne devraient pas durer plus d’une génération. Au-delà de ça, ils deviennent trop attractifs pour les opportunistes, les carriéristes et tous ceux qui veulent profiter d’une idée ou d’un mouvement plutôt que d’y apporter leur appui pour le renforcer.
Quant à un gouvernement de gauche au Québec, ça serait pas mal, mais que peut faire un gouvernement provincial de gauche lorsque la moitié la plus importante de la politique, des ressources et des impôts de son peuple est gérée par un autre peuple sur lequel il n’a pas de prise? À quoi bon être de gauche (ou de droite) si notre budget provincial est pris à la gorge par les besoins en santé et en éducation, qui bouffent tout? Nous n’avons pas de réelle liberté d’action politique en tant que province.
L’indépendance du Québec n’est pas la seule mais la première des choses logiques à faire. La lutte gauche-droite aura toujours lieu. Il n’y a pas de système parfait qui, une fois instauré, assurerait à tout le monde que les malhonnêtes ne se retrouveront jamais au pouvoir en position d’exploiter les ressources du peuple, que ce système soit de gauche ou de droite. Hannah Arendt a beaucoup écrit là-dessus. Il faudra toujours se battre contre l’injustice et l’exploitation parce que ça risquera toujours d’arriver. L’indépendance politique du Québec, quant à elle, est réalisable et elle est un outil dans cette lutte qu’il faudra sans cesse mener. Quel peut être l’avantage de laisser un gouvernement élu par un autre peuple gérer la moitié la plus significative de notre politique?
Nous ne sommes responsables de rien, n’apprenons rien de ces décisions que nous ne prenons pas. Il est plus important d’avoir la possibilité d’être soi-même, au risque de se tromper, que d’être « du bon côté » ou d’avoir « les bonnes idées », qu’elles soient de gauche ou de droite. Comme pour l’individu, c’est la base de la confiance en soi : nous sommes tous différents; il n’y a que moi qui sache vraiment ce qui est bon pour moi. Je dois essayer, avancer, me tromper, ressentir, apprendre, réorienter, réussir, me fatiguer, me relever, etc. Être responsable. Être.
De manière plus générale, je me demande comment Option Nationale peut défendre l’idée « une fois élu, nous sommes indépendants » alors que dans les faits Ottawa en arrive même à remettre en cause la légalité d’un référendum à 50%+1…
Les sécessions sont du domaine du droit international. Et le droit international en matière de sécession repose sur la coutume et sur les traités internationaux. Les deux militent en faveur d’une reconnaissance d’un Québec indépendant à 50%+1 du vote. Ottawa peut bien faire ce qu’il veut, ce n’est pas lui qui a le pouvoir de légiférer en la matière.
Option nationale défend l’idée qu’une fois élus après une campagne claire, focussée entièrement sur l’indépendance, nous aurons un mandat électoral très fort de la démocratie québécoise en faveur de gestes de rapatriement au Québec de nos lois, de nos impôts, de nos traités. Évidemment, Ottawa risque de ne pas rester tranquille, mais il aura à faire face à cette patate chaude que sera cette population québécoise qui aura élu un parti très ouvertement indépendantiste et qui attendra de pied ferme toute fermeture d’Ottawa. Et tout ça à un moment où le parti au pouvoir à Québec sera prêt à faire un référendum n’importe quand et que toute radicalisation du débat par Ottawa risquera de favoriser les indépendantistes…
En gros, l’idée, c’est de nous mettre dans une win-win situation.
Même si Option Nationale défend l’indépendance avant tout, le parti est loin de ne pas avoir de programme social. Avec Québec Solidaire, Option Nationale est une des rares formations politique à avoir pris part active aux manifestations étudiantes de 2012, à arborer sans honte le « carré rouge » et à défendre la gratuité scolaire, sur d’autres sujets comme la santé, les institutions ou l’environnement il y a aussi de fortes convergences. J’ai lu ton texte expliquant la différence entre les deux partis mais vu le système électoral, je ne comprend pas pourquoi des alliances et soutiens réciproques ne sont pas envisagés dans un certain nombre de circonscriptions (comme cela avait eu lieu pour Jean-Martin Aussant et Françoise David) ? Il ne s’agit pas de nier les différences ou de supprimer les partis, mais juste de soutenir les forces progressistes-indépendantistes sans attendre que les partis dominants installent une proportionnelle dont ils ne veulent pas…
Des alliances et soutiens réciproques sont envisagées. Je suis de celles qui militent pour ça à l’intérieur de mon parti. J’ai des homologues à QS. D’autres militants de QS sont davantage « partisans » et ont peur des collaborations. Dernièrement, ON a fait une offre de collaboration électorale à QS, qui a été refusée par ce dernier en congrès…
De notre côté, à ON, pour éviter tout danger de faire passer le parti avant la cause, nous avons inscrit dans nos statuts qu’ « Option nationale affichera une ouverture permanente à collaborer, voire fusionner, avec toute autre formation politique dont la démarche est aussi clairement et concrètement souverainiste que la sienne ».
Outre ton engagement artistique, une autre de tes particularité sont tes nombreux voyages, souvent mis en avant quand on parle de toi, et notamment des études dans des pays aussi différents que le Chili ou la Russie. Cette façon de forger ta pensée montre un esprit inclusif, très loin de la vision d’indépendantiste fermée sur elle-même. C’est une image récurrente, régulièrement véhiculée par les fédéralistes, que l’actuel débat sur les « valeurs » n’améliore pas. Comment penses-tu qu’on puisse convaincre les étrangers, migrants, voire non-francophones, du bien fondé de l’indépendance ? Que la « culture de l’identité », dont tu parles souvent, n’a rien à voir avec un repli communautaire ?
En en parlant dans des assemblées de cuisine (j’en ai fait une avec 90 immigrants issus de divers pays ouest-africains il y a quelques mois).
En faisant grossir le nombre de militants qui ont la même vision moderne de l’indépendance que moi. Ma communauté de pensée est immense, mais elle n’est pas encore majoritairement militante. Le printemps érable et la croissance fulgurante d’ON depuis ses débuts ont tous deux contribué à faire grossir leur nombre dans les réseaux d’activistes. La politisation continue. Ce n’est pas un mouvement qui est en voie de reculer. Cette politisation fait d’ailleurs partie d’une mouvance mondiale qui ne s’arrêtera pas de sitôt, comme c’était le cas dans les années 60-70.
Des rumeurs d’élections générales bruissent, le parti est-il prêt à les affronter? De ton côté, penses-tu de nouveau être candidate ?
Just watch us, comme dirait Trudeau. 😉
[NDA: Le 7 novembre, Catherine a annoncé sa candidature dans Taschereau pour les prochaines élections].
Entretien réalisé par courriel du 21 au 29 octobre 2013
Dans mon introduction à ce blog j’expliquais ce qui m’avait mené à le créer : la conjonction de ma passion pour la Québec et pour la politique, j’évoquais au passage ma troisième passion – la bande dessinée – en n’excluant pas un mélange de tout ça. En voici la première incarnation avec cette lecture tardive d’un gros collectif publié par La Boîte à bulle fin 2012.
Je me souviendrai – 2012, mouvement social au Québec est un gros collectif lancé à l’initiative de Soulman, dessinateur de BD et designer à Montréal dans la foulée du Printemps Érable. Pour ceux qui l’ignoreraient, on appelle ainsi un ensemble de manifestations et actions qui se sont étendues de février à septembre 2012, près de huit mois de lutte déclenchée par une hallucinante déclaration du gouvernement libéral : augmenter les droits de scolarité universitaires de 75% sur cinq ans, certaines études plus globales (prenant en compte les frais afférents des étudiants) tablant jusqu’à 143%. Huit mois de manif et de grève quasi-générale (surtout à Montréal et à Québec tout de même) dans une province où la tradition n’est pas à la contestation systématique c’est pour le moins impressionnant. L’arrogance et le mépris du gouvernement, qui accumula fautes sur fautes, n’arrangea rien et le conflit s’élargit à une contestation de le corruption généralisée, avec les marches de casseroles, à une remise en cause de l’ordre politique et à la lutte contre la répression policière… Cette grève étudiante – qui était bien plus que ça – a été la plus longue de l’histoire du Québec, et ne s’est achevée qu’avec la chute du gouvernement libéral.
Moment majeur de l’histoire politique récente, il y a eu en cette période une effervescence absolue, où plusieurs revendications se joignirent pour inventer un autre monde. Comme souvent, le bouillonnement idéologique était soutenu par les artistes et nombre de textes, affiches, bandes dessinée ou court-métrages l’accompagnèrent. C’est cet esprit que Soulman a souhaité compiler, non pas pour le figer mais pour qu’une trace reste, que tout ce beau combat ne soit pas oublié. C’est bien la mémoire qui est au cœur du livre, une volonté affichée dès le titre, amusant détournement de la devise nationale. Pour ce faire, les différents travaux ont été structurés par sections, suivant l’évolution du conflit au jour le jour à l’aide d’une chronologie détaillée situant régulièrement les événements.
Le contenu suit cette ligne, en compilant de nombreux travaux réalisés pendant le conflit et publié ici où là ainsi que de nombreux inédits. Évidemment, comme dans tous les recueils les travaux sont inégaux, mais ici encore plus qu’ailleurs cela fait sens : à l’image des militants venant d’univers tous différents et qui soudain se sont rencontrés, ce sont des pratiques très diverses qui se croisent ici, et comme lors du Printemps érable le résultat est beau. Bien sûr il y a quelques dessins pontifiants semblant peu pertinents, mais c’est le passage obligé de toute anthologie et les quelque deux cent cinquante pages sont majoritairement passionnantes : un défi pour le coup relevé par peu de collectifs.
Parmi les morceaux de premiers choix, citons les extraits des très bon journaux dessinés d’Antoine Corriveau ou de Julie Delporte, Passionrougeman de Philippe Girard, la douceur épistolaire de Miguel Bouchard, l’humour didactique d’Estelle Bachelard, la belle réflexion sur la violence de Nicolas Lachappelle, le texte éclairant du sociologue Éric Pineault, la lucidité d’Adib Alkhalidey, le carré noir de Normand Baillargeon, la douceur (dans ce monde de brutes) de Jimmy Beaulieu ou le rire essentiel de la Banane Rebelle…
Je me souviendrai réussi donc à compiler sans paresse, avec des choix clairs et affirmés, et témoigne d’une vitalité nécessaire et que l’on espère toujours présente, même si les manifestations sont arrêtées. Pierre d’achoppement indispensable pour celui qui s’intéresse aux liens entre artistes et mouvement sociaux, le livre est aussi un tremplin vers les œuvres complètes. Le curieux ira donc fouiner, et est invité à se pencher plus en avant encore sur le journal de grève d’Antoine Corriveau cité plus haut mais aussi sur les collectifs La Hausse en question et Dépasser la ligne dont l’importance pédagogique fut réelle. Il pourra aussi aller voir Je marche à nous, joli court-métrage de Samuel Matteau habilement intégré dans le livre, avant d’aller arpenter les rues en beuglant à tue-tête la chanson d’Anarchopanda.
Je me souviendrai, 2012 mouvement social au Québec
Collectif dirigé par Soulman
La Boîte à bulles, coll. « Contre-coeur »
Automne 2012, 256 pages, 21 €
EAN : 9782849531600 Fiche sur le site de l’éditeur
Crédit images : Couverture du livre par Thomas B. Martin, Extrait d'On est + que 50 d'Antoine Corriveau.
C’est une vraie question, d’ailleurs nombreux sont les amis dans mon entourage qui ne comprennent pas cet étrange intérêt, qui n’a à leurs yeux rien de rationnel.
De nombreuses raisons plus où moins objectives me donnent pourtant envie de m’y mettre, parmi elles :
1) J’aime la politique, j’aime le Québec, il était logique que ces deux sujets qui me passionnent se retrouvent. Certains me diront « Tu es aussi passionné de BD, pourquoi ne pas plutôt parler de la BD québécoise en ce cas ? ». Et bien je le fais, mais ailleurs (par exemple là, là ou là). Quand à la BD politique je l’étudie par ailleurs mais j’en parlerai plus tard. Et je ne m’interdis pas de parler de BD politique québécoise sur ce blog.
2) Il y a une effervescence. Le Québec c’est évidemment la question indépendantiste, mais ce n’est pas la seule, et elle évolue depuis des années en se complexifiant. Il y a notamment la création et l’affirmation de différents partis de gauche (indépendantistes aussi d’ailleurs) qui réussissent à obtenir des élus, une certaine résistance au bipartisme et aussi un grand brassage permettant à certains partis alors minoritaires de prendre leur envol… et parfois de s’écraser rapidement, c’était le cas de l’ADQ, mais il y a quelque chose de stimulant, comme si des choses s’essayaient. Au-delà des partis, cette effervescence s’est largement ressentie lors du Printemps érable, qui fut un moment bien plus intéressant que de nombreuses élections, et qui a sans doute été trop vite enterré.
3) Il y a quelque chose de réjouissant dans cette parcelle francophone d’Amérique du nord (même si ce n’est pas la seule), il y a une nation qui électoralement joue une partition très différente du Canada et qui s’en distingue pour plein de raisons, il y a d’incroyables réserves de ressources naturelles, un questionnement qu’il m’intéresserait de creuser sur les premières nations, etc. Ce n’est certainement pas par chauvinisme que le Québec doit nous intéresser, mais parce qu’il y a au Québec une culture propre, aux confluences de nombreuses identités (et pas un simple mix de culture française, anglaise et américaine comme on pourrait paresseusement le croire).
4) Soyons vendeurs, il y a de l’actu. Le gouvernement péquiste étant minoritaire il y aura sans doute des élections cette année, ou en tous cas sous peu. La campagne sera en tous cas très courte, certains évoquant même des élections avant Noël.
Ce blog se voudra donc à la fois espace pédagogique, pour vous faire découvrir les arcanes de la politique québécoise dont le mode de fonctionnement est très différent du nôtre, mais aussi espace d’analyse et de parole. J’ai en effet bon espoir de vous présenter des articles de fonds sur des partis ou faits méconnus, et aussi (surtout ?) des entretiens, que j’espère nombreux, avec des personnalités québécoises où françaises pouvant vous éclairer et nourrir votre intérêt.
Ce blog s’adresse aux français, notamment dans ses volontés pédagogiques, mais aussi à mes amis québécois qui pourront sans doute y trouver un intérêt et que j’encourage à enrichir les articles dans les commentaires, voire à corriger si nécessaire (en espérant que ça n’arrive pas trop souvent).
Photo : L'Assemblée Nationale du Québec, par Christophe.Finot (wikipédia).