Universitaire, passionné d’Europe, militant fédéraliste et compagnon de route de nombreuses associations écologistes et humanitaires, André Gattolin a été élu sénateur écologiste en 2011. Passionné par les questions internationales (il est un des rares élus à revendiquer une « action sans frontières » sur son site), très engagé sur la question tibétaine, c’est aussi un amoureux du Québec, pour des raisons tant personnelles que professionnelles. Secrétaire de la commission des affaires européennes, membre du groupe d’amitié France-Canada et secrétaire de celui consacré aux relations France-Québec, il nous éclaire sur l’utilité de ces groupes et l’importance de la diplomatie parlementaire.
Lors du Salon de la Culture tibétaine 2012
Avant de parler en détail de tes fonctions peux-tu nous expliquer d’où vient ton intérêt pour le Québec ? Je sais que tu es très investi sur la question tibétaine, si bien sûr ces deux peuples n’ont rien à voir du point de vue de l’oppression je perçois un intérêt pour les « nations sans états ».
Mon premier voyage au Québec date de 1977, en pleine période de revendication souverainiste. Avant ce voyage, j’avais une image assez distordue et un peu idyllique de la belle province, portée par mon goût pour les poètes, écrivains et musiciens québécois très en vogue en France à cette époque. Ma découverte du pays a véritablement été un choc : je ne m’attendais pas à découvrir une société aussi américanisée dans ses modes de vie et avec un tel contraste dans ses revendications politiques, culturelles et linguistiques. C’est surtout au cours des dix dernières années que j’ai appris à mieux connaître et comprendre le Québec car je m’y rends très régulièrement. Entre mes voyages à titre privé et mes déplacements es fonctions, je passe environ deux mois par an au Canada. J’ai ainsi la chance de fréquenter de nombreux intellectuels et politiques québécois et d’avoir une assez bonne expérience de la vie quotidienne au Québec. Mes interlocuteurs s’amusent souvent à me présenter comme le plus québécois des parlementaires français. C’est à ce titre notamment que j’ai eu l’occasion d’accompagner Jean-Marc Ayrault, puis Jean-Pierre Bel, le Président du Sénat, lors de leurs visites officielles au Québec l’an passé.
Concernant mon engagement en faveur du Tibet, il est très lié à mon engagement de très longue date dans les domaines de l’écologie, de la défense des droits de l’Homme et de la défense des peuples autochtones. Mon élection au Sénat en septembre 2011 m’a permis de démultiplier mon implication en faveur du Tibet, car mes contacts sont facilités par ma fonction de parlementaire. Il est vrai que la très large majorité des parlementaires français ne s’intéresse guère aux questions extérieures à l’Hexagone et lorsque c’est le cas, ils le font de manière souvent anecdotique et de façon excessivement institutionnelle. Il est en effet peu courant de voir un sénateur manifester dans la rue aux côtés des militants de la cause tibétaine, aux côtés des Amérindiens du mouvement Idle No More, aux côtés des étudiants du Printemps érable ou encore du côté des défenseurs des libertés civiles en Russie et des protecteurs de l’Arctique… Mon engagement politique national a toujours été indissociable de mes engagements transnationaux : c’est la moindre des choses dans un monde globalisé où seuls les politiques vivent encore à l’heure un peu archaïque des frontières de l’Etat-nation.
Alors, il y a évidemment une cohérence dans l’ensemble de mes engagements, y compris entre ceux qui se rapportent au Québec et ceux qui concernent le Tibet. La situation globale du Québec est évidemment assez fondamentalement différente de celle du Tibet. Dans le premier cas, il s’agit d’une province qui dispose de nombre de compétences propres dans le cadre d’un état fédéral et démocratique. S’agissant du Tibet, nous sommes dans le cas d’une nation qui voit sa culture, sa langue et ses droits fondamentaux niés par une puissance autoritaire et authentiquement impérialiste. Le dalaï-lama ne demande pas l’indépendance pour son peuple, mais l’autonomie que la constitution chinoise est censée accorder aux régions qui compose la République populaire de Chine. Pour autant, nous sommes effectivement dans le cas de deux nations sans état. Ma culture libertaire et mondialiste me conduit toujours à me méfier des états-nations au sens où on l’entend depuis le XIXe siècle. En tant qu’écologiste, j’ai toujours certaines réticences à l’égard des revendications d’indépendance, au nom de la nécessité de bâtir une structure étatique, conduisent leurs défenseurs à envisager une exploitation déraisonnable des richesses naturelles contenues dans leur sous-sol… Le cas actuel du Groenland et de la Nouvelle-Calédonie qui souhaitent financer leur indépendance par une extraction renforcée de leurs richesses minières m’inquiètent. Concernant le Québec, je souhaite et milite pour qu’on ne dévaste pas le Grand Nord au nom de la raison d’état et de l’aspiration à la souveraineté.
Les groupes d’amitiés parlementaires sont souvent décriés comme étant opaques et sans fonction réelle. C’est vrai que l’on en perçoit pas forcément bien les travaux, peux-tu nous expliquer l’utilité de ces groupes et présenter exemples d’actions ?
Oui, les groupes parlementaires ont souvent été décriés et à juste titre car certains en faisaient un usage plus touristique que véritablement politique. Certains élus nourrissent au travers de ceux-ci des relations d’influence douteuses avec des pays aux régimes peu recommandables. Mais la situation au cours des dernières années s’est considérablement assainie. Les déplacements sont désormais très limités en nombre, les groupes d’amitiés ont vu leurs budgets singulièrement réduits et les parlementaires doivent contribuer à hauteur du quart du prix des voyages (ce qui freine les ardeurs). Ces groupes sont cependant essentiels à plusieurs titres s’ils sont correctement administrés car, d’une part, ils ouvrent un peu l’esprit de nos parlementaires sur des réalités internationales qu’ils méconnaissent souvent et, d’autre part, parce qu’ils peuvent constituer une base pour la création d’une diplomatie parlementaire telle qu’il en existe dans d’autres pays et qui permettent des échanges et des rapports diplomatiques plus directs et moins empreints de realpolitik que ceux généralement développés par les chancelleries.
Personnellement, je m’implique beaucoup dans divers groupes d’amitiés du Sénat (Canada, Québec, Tibet, Mongolie, Croatie, Italie…) car ce sont des pays que je connais bien et où j’ai tissé des liens forts bien avant de devenir sénateur. Au Québec, nous avons fait un très intéressant voyage l’an passé sur les problématiques de la foresterie et de la santé hospitalière. C’était un séjour très dense qui nous a permis de nouer des contacts étroits avec de nombreux parlementaires, experts et universitaires. Mais dans les groupes d’amitiés qui fonctionnent bien, les voyages ne sont qu’une petite partie du travail que nous conduisons. Nous accueillons beaucoup de délégations (pas seulement politiques), nous discutons et intervenons beaucoup auprès des ambassades, nous suivons les manifestations culturelles et intellectuelles organisées par ces pays en France. Personnellement, je n’ai pas de limite en matière de droit d’ingérence et je rencontre souvent à titre personnel les partis, les mouvements et les ONG des pays concernés. J’ai récemment organisé au Sénat la projection suivie d’un débat d’un excellent documentaire sur les sables bitumineux en collaboration avec les Amis de la Terre.
Il existe aussi un groupe d’amitié France–Québec à l’Assemblée nationale or il n’y a qu’une chambre parlementaire au Québec, donc un même interlocuteur. Je suppose que vous travaillez ensemble, comment faites-vous pour que les groupes ne se court-circuitent pas ?
Je suis à la fois vice-président du groupe d’amitié France-Canada, vice-président du groupe d’amitié du groupe France-Québec et membre depuis un an de l’assemblée interparlementaire franco-canadienne. Cette dernière est une assemblée instituée par un traité entre nos deux pays qui regroupent des sénateurs et des députés des deux pays. Nous recevons et auditionnons des ministres fédéraux assez régulièrement et ceux-ci répondent avec beaucoup de sérieux à nos questions.
Concernant les deux groupes France-Québec (celui du Sénat et celui de l’Assemblée nationale), nous nous connaissons bien et nous évitons de traiter en même temps des mêmes sujets. L’Assemblée nationale du Québec qui est notre interlocuteur commun veille à la bonne gestion des déplacements et évite les doublons excessifs. Il faut dire aussi qu’en France, même s’il y a deux chambres, nous nous rencontrons souvent entre députés et sénateurs et donc personne ne cherche à court-circuiter l’autre. C’est d’ailleurs avec la même intelligence que nos deux groupes d’information sur le Tibet travaillent ensemble. Derrière les rivalités d’opérette, il faut savoir que les parlementaires ont des rapports très civilisés entre eux par delà les clivages politiques. Bref, ce n’est pas la guerre civile entre nous !
La position diplomatique de la France sur la question indépendantiste est la même depuis des années : « non ingérence, non indifférence ». Pourtant en créant un groupe d’amitié France – Québec en plus du groupe France – Canada, il y une volonté de parler d’état à état, comment l’expliques-tu ?
Oui, l’existence de ces deux groupes est un peu une bizarrerie, mais elle résulte d’une histoire très étroite et très intense entre la France et le Québec, surtout depuis une certaine déclaration du général de Gaulle. Volonté de parler d’état à état ? Je ne pense pas que cela aille jusque-là … Les traités et les conventions internationales cadrent beaucoup nos relations. J’ai souvenir en avril dernier quand j’ai accompagné Jean-Marc Ayrault lors de son voyage officiel au Canada. Je l’avais prévenu quand il a déclaré à son départ que cela ferait des vagues à Ottawa quand il a déclaré qu’il venait en voyage officiel « au Canada et au Québec ». Cela n’a pas manqué à son arrivée dans la capitale fédérale où le Premier Ministre Harper et surtout la presse anglophone l’a un peu battu froid… Mais l’incident a vite été oublié. Les officiels canadiens ou québécois sont habitués aux bourdes de nos hommes et femmes politiques!!! A quelques exceptions près, mes collègues et la plupart des ministres ont le même niveau de connaissance réelle de pays que celui que j’avais lorsque je me suis rendu la première fois au Québec (et au Canada!) il y a plus de 35 ans.
Concernant la question indépendantiste, je suis favorable à une autonomie renforcée du Québec mais je ne suis pas partisan de l’indépendance. Je suis un fédéraliste et je ne crois guère à la pleine indépendance d’un Etat de 8 millions d’habitants surtout quand il est aussi étroitement enchassé dans le continent, l’économie et la culture nord-américaine et qu’il est au cœur de la compétition mondiale. Je pense que si le Québec voulait réellement prendre ses distances avec le reste du Canada et avec les Etats-Unis, il devrait immédiatement passer un accord de coopération renforcée avec l’Union européenne. Mais je crois que nous en sommes loin…
Tu as été élu en 2011 et a donc connu la période d’élection générales de 2012, avec la grande crise étudiante qui a précédé. Était-il possible dans ces conditions de travailler avec les parlementaires québécois ?
Je suis venu une fois en voyage officiel au Québec durant le Printemps érable et 3 autres fois lors de voyages privés. J’ai vu le mouvement naître notamment dans les départements d’anthropologie et de sociologie à l’UQAM ainsi qu’à l’UDeM. J’ai pu discuter avec les étudiants et les manifestants. J’ai échangé à ce sujet avec Pauline Marois et son entourage au moment où le mouvement commençait à prendre un peu d’ampleur. Elle nous a écouté avec beaucoup d’attention, même si elle avait beaucoup de distance à ce moment-là avec les revendications étudiantes. Il faut dire qu’en France nous avons une certaine expérience des mouvements étudiants… Cela m’a beaucoup amusé lorsque la Sécurité du Québec voulait m’empêcher (« pour ma sécurité personnelle ») de rejoindre un groupe d’étudiants qui squattaient gentiment dans le froid devant l’Assemblée nationale du Québec alors que j’étais dans la rue avec les manifestants quelques jours plus tôt à Montréal ! Je devais aussi rencontrer Amir Khadir, mais un empêchement personnel ne lui a pas permis de me voir à ce moment-là. Ce n’est que tardivement et surtout à la suite de la loi spéciale 78 promulguée par le gouvernement de Jean Charest que le Parti québécois a pris des positions plus claires à l’égard du mouvement de contestation qui s’élargissait notamment en direction de son électorat traditionnel. J’ai assisté et participé à de nombreuses manifestations spontanées durant cette période et je dois dire qu’elles m’ont profondément marqué. Oui, les parlementaires québécois étaient largement dépassé par ce qu’il se passait… un peu comme mes collègues français lorsqu’il y a une importante mobilisation de la jeunesse. C’est malheureusement un classique du genre !
De manière plus personnelle, sans que ça n’engage le groupe parlementaire, on peut voir sur ton facebook public un certain nombres de soutiens à des mouvements (les grandes manifestations étudiantes de l’été 2012) ou à des partis et élus (du Parti Vert mais aussi, de manière plus surprenante, Québec Solidaire). Quand tu regardes la scène politique québécoise, quels sont les partis ou personnalités vers qui ton cœur balance ?
Honnêtement, je ne suis pas fasciné par la scène politique québécoise, pas plus que je ne trouve la scène politique française particulièrement excitante… Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens bien ici ou là, mais globalement nous sommes quand même dans une grande période désespérance où il n’y a guère de politiques qui cultivent une vision du monde en correspondance avec les grands enjeux de ce siècle débutant.
Qui porte un véritable discours sur les grands enjeux écologiques et climatiques que nous devons affronter, sur les bouleversements de la production, de la consommation et de la distribution engendrés par l’explosion des nouvelles technologies de l’information ? Qui s’interroge sur le devenir du social dans un monde globalisé et excessivement dérégulé ? Qui propose une redéfinition de la gouvernance à l’échelle de la planète et à l’échelle du local en reformulant un authentique pacte démocratique ? Personne. La tâche est rude et elle nécessite une capacité de reformulation collective dont ne disposent pas les formations politiques actuelles… Ce qui me désespère le plus, c’est la quasi-absence de réflexion géopolitique de nos dirigeants politiques. Ils gèrent au quotidien leur circonscription – leur terrain d’élection au sens propre et au sens figuré – et ils ont bien du mal à définir l’intérêt général à l’échelle d’un pays ou d’une province… Alors peut-on leur demander de penser l’intérêt général et le bien commun à l’échelle globale ou même à l’échelle d’un continent ? Si je suis écologiste, c’est parce que c’est encore le seul endroit où certains tentent de poser les bonnes questions, mais pour les réponses apportées nous sommes encore très loin du compte. Nous avons, je crois, beaucoup de bonnes idées, mais elles sont encore assez mal articulées entre elles et, surtout, il reste encore des trous béants sur des sujets très importants. Depuis deux ans et demi que je suis parlementaire et que nous disposons d’un groupe au Sénat, nous sommes forcés de prendre des positions sur tous les sujets qui émergent dans le champ politique. Avant – quand nous ne disposions pas d’un temps de parole sur tous les sujets – c’était relativement facile : nous nous concentrions sur nos thèmes fétiches, souvent sans nous poser la question de savoir si nous pouvions et voulions être en mesure de convaincre une majorité politique de nous suivre…
Oui, j’ai un certain intérêt pour Québec Solidaire qui a une vision plus ouverte du monde que d’autres partis politiques québécois. Au passage, je suis atterré quand je regarde les infos TV au Canada ou que je lis la presse québécoise, tant elle accorde peu de place aux questions internationales ! Québec Solidaire me rappelle un peu les Verts français, avec une vraie préoccupation concernant le social et l’international, en plus des questions environnementales et écologistes. Mais comme les Verts, je trouve que Québec Solidaire pêche par son absence de réflexion véritablement autonome par rapport à la gauche classique sur les questions sociales. C’est une des grandes faiblesses de l’écologie politique que de se mettre à la remorque de la pensée socialiste lorsqu’il s’agit d’appréhender les questions économiques et sociales pour construire ses positions. En France, cela s’explique par le fait que la majorité des militants et des élus écologistes ne proviennent pas des luttes environnementalistes, mais le plus souvent sont d’anciens militants d’extrême gauche engagés de longue date dans le champ du social et du sociétal. Du coup, ils tendent à coller leur ancienne matrice d’analyse sur tous ces sujets. Personnellement, les origines de mes engagements sont libertaires, profondément enracinés dans une lecture non-marxiste de la société et du rapport à la politique. C’est sans doute la raison pour laquelle je peine à trouver l’âme sœur en politique…
Pour aller plus loin :
– Le site d’André Gattolin ;
– Le site du groupe écolo au Sénat.
Crédit images : extraits du profil facebook d'André Gattolin.