Fondé en 2000 par des universitaires de divers horizons – venant aussi bien de l’économie que des sciences sociales ou de l’environnement – l’Institut de Recherche et d’Information Socio-économique (IRIS) fonctionne depuis de manière totalement indépendante. Rattaché à aucun établissement mais géré par ses universitaires, l’IRIS a produit et publié de nombreuses analyses et dépliants, avec toujours en tête le soucis de pédagogie et de diffusion. En rupture avec l’orthodoxie libérale, l’institut se revendique progressiste et crée une matière intellectuelle riche qu’il fallait explorer. Monsieur Guillaume Hébert a accepté de nous répondre pour l’Institut.
Afin de poser les choses, pouvez vous expliquer dans quel contexte et poussé par quels constats l’IRIS s’est-il créé ?
L’IRIS a d’abord été fondé en 2000 par des universitaires diplômés en comptabilité ayant fait leurs premières armes dans une Chaire de recherche basée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ils y avaient côtoyé la figure excentrique du « Prof Lauzon » qui perçait de temps à autres l’univers médiatique, souvent sous un couvert humoristique.
Les fondateurs, ceux que j’appelle les « trois P » (Patenenaude, Petit et Poirier) avaient résolu de former leur propre Institut afin de pousser un cran plus loin le travail de déconstruction du discours hégémonique en économie et d’élargir son champs d’action, alors largement axé sur les privatisations. Ils ont mis l’IRIS sur les rails et ont entrepris de publier des études et de réaliser des contrats. Le travail s’est avéré excessivement lourd pour un Institut sans financement régulier et après quelques années, l’avenir de l’Institut était incertain. Les « trois P »étaient des précurseurs puisqu’ils avaient compris à quel point la désertion du champ économique par ce que je désignerai tout simplement par « la gauche » avait rendu les syndicats, les groupes sociaux et les mouvements sociaux en général dépendant d’une vision de la société largement colonisée par les catégories de la droite économique.
Cette droite, justement, bénéficiait du travail de l’Institut économique de Montréal (IEDM), qui fait a considérablement influencé les débats d’idées au Québec depuis la fin des années 90. Face à la nécessité d’offrir la réplique, les fondateurs de l’IRIS ont débroussaillé le terrain avant de recevoir les renforts d’une deuxième vague de jeunes diplômés dans divers domaines, cette fois imprégnée de l’expérience du Sommet de Québec en 2001 (manifestations contre le projet de ZLÉA) et de la grève étudiante de 2005 (l’ancêtre du « Printemps érable » de 2012) qui repris le flambeau et se donna pour objectif de hisser l’Institut à un niveau de visibilité lui permettant de prendre sa place dans la société québécoise.
L’IRIS se revendique progressiste et assume un positionnement politique – même si non partisan – quand la doxa libérale qui a cours partout fait figure de « science objective ». Est-ce qu’après treize ans de travail poussé, d’une quasi contre-propagande suivant des méthodologies rigoureuses, les analyses de l’IRIS vous semblent trouver plus de place dans l’espace public et médiatique ?
Indéniablement. Nous occupons un terrain sans cesse grandissant et nous avons franchis un certain nombre de plateaux cruciaux. Celui de devenir le vis-à-vis nécessaire de l’IEDM dans nombre de débats, celui d’avoir fondé un blogue économique de gauche qui est le seul à bénéficier d’un trafic important au Québec et d’avoir un impact central dans certains débats de société dont celui de la hausse de frais de scolarité, l’impôt des plus riches ou la critique de l’austérité. Les publications de l’IRIS ont forcé le premier ministre Jean Charest à réagir sur la question du Plan Nord, un projet néoextractivisme dont nous avons questionné les retombés, et ont été un électrochoc lorsque nous avons révélé que les Québécois-e-s ne sont pas nécessairement les plus imposées en Amérique du Nord, un mantra utilisé par la droite ici depuis des décennies.
L’IRIS affirme clairement une orientation de gauche, on entend pourtant souvent que l’économie est une science exacte et qu’il n’y est pas question de choix. Que répondrez à ces tenants d’une « objectivité » et d’un « réalisme » tout particulier ?
D’abord, nous refusons de considérer l’économie comme une science exacte. Il s’agit à nos yeux d’une science humaine et ne débattons même pas de cet aspect tant il nous apparaît fondamental. Nous affirmons que ceux qui prétendent à l’objectivité en matière d’analyse économique ne dévoilent pas tout. Nous, nous le faisons. Nous affirmons d’emblée que nous sommes un institut progressiste et en ce sens, nous sommes plus transparent. L’important ensuite, c’est de faire des études solides, avec une méthodologie tout aussi solide et des références pertinentes. Si les gens veulent nous critiquer, nous les invitons à le faire à ce niveau.
L’IRIS est composée d’un comité de chercheurs assez varié, auxquels s’ajoutent les chercheurs invités sans être rattachée à aucune université. Cette situation particulière n’est-elle pas un frein (et pas seulement financier) à la recherche ? Avec quels partenaires réussissez-vous à faire fonctionner la structure ?
Tous les chercheur-e-s de l’IRIS sont administrateurs et administratrices de l’Institut. Tous ne sont pas affilié à une université, certains sont prof et d’autres sont diplômés sans maintenir de lien désormais. Le financement de l’IRIS vient de contributions individuelles et de partenaires institutionnels, comme les syndicats, les associations étudiantes, les groupes communautaires, féministes et écologistes. Nous réalisons également des contrats de recherche et des conférences pour lesquelles nous sommes rémunérés.
L’IRIS réalise également des partenariats, a des mécènes, mais vous refusez toute organisation commerciale. Ces structures ne sont pourtant pas forcément mauvaises, le choix peut paraître un peu radical…
Nous ne recevons effectivement ni subvention gouvernementale (puisque nous nous trouvons régulièrement à défendre l’action publique, même si nous la critiquons également largement), ni argent venant d’organisations à but lucratif (nous croyons que les modèles d’organisations démocratiques et sans but lucratif sont supérieurs et nous tâchons ce faisant d’être cohérents. Nous ne voulons pas non plus dépendre d’organisations dont l’objectif est de réaliser des profits).
Fait intéressant pour un institut, l’IRIS a une vraie vocation pédagogique et ne se contente pas de rédiger d’obscurs rapports. De nombreux moyens sont mis en œuvre pour simplifier l’accès : capsules vidéos, mise en ligne gratuite de toutes les études, travail conjoint avec un éditeur de bande dessinée alternative pour vulgariser les travaux, etc. Vous proposez aussi l’aide de vos chercheurs pour des travaux de recherche menés par des syndicats, ONG, groupes communautaires… On est loin de l’universitaire dans sa tour d’ivoire.
Tout à fait. Avec la production d’études, l’intervention médiatique spontanée, le réseautage des idées de la gauche économique, l’éducation populaire est l’une de nos missions. De nombreuses idées circulent dans les milieux académiques mais sont portées par des intellectuels qui ne sont pas nécessairement habilité à faire un travail de communication ou de vulgarisation. On ne les blâme pas pour ça et au contraire, on leur propose de collaborer. Et souvent, ça porte fruit. Nous avons effectivement exploré plusieurs méthodes de diffusions dont les vidéos et même la bande dessinées, ce qui en a surpris certain-e-s. Nous faisons aussi beaucoup de conférence dans des groupes populaires œuvrant sur le logement ou la pauvreté et ça implique un grand travail de vulgarisation. Il va de soit pour nous que les premières victimes des politiques néolibérales devraient avoir davantage d’outils pour comprendre d’où vient ce qu’on leur fait subir.
Extrait de La Hausse en question, par Cathon
Vous parlez de la bande dessinée, média qui me touche particulièrement. Il y a eu les collectifs adaptés de vos recherches mais désormais il y a des chroniques régulières. On y voit des auteurs proches de La Mauvaise tête et de Colosse, des structures alternatives et assez audacieuse. Souvent la pédagogie en BD est très lénifiante et illustrative, y compris pour des structures défendant pourtant des alternatives aux discours dominants, un paradoxe que vous avez évité. Comment la rencontre s’est-elle faite et quel accueil reçoivent ces travaux ?
Notre collègues bédéistes ont eux-même pris l’initiative d’illustrer une brochure que nous avions produite et qui démontait 8 arguments utilisés pour justifier une hausse des droits de scolarités. Nous avons trouvé le résultat excellent et nous avons voulu explorer plus avant ce type de collaboration, ne serait-ce que parce que ne parvenons pas suffisamment à honorer notre fonction d’éducation populaire. Nous avons songé que la BD pourrait nous y aider. Nos publications subséquentes ont suscité la surprise puisque les bandes dessinées colorées se distinguaient nettement de la facture plus austère (noir et blanc) de l’Institut, en plus d’amener en récits des études que plusieurs trouvent arides parce que économique, parce que parfois théorique, etc. La diffusion est bonne toutefois et je pense qu’elle satisfait un certain public
Il semble que depuis quelques années, alors que le Québec a toujours navigué entre divers courants plus ou moins progressistes de l’économie libérales, il y ai eu récemment une sorte de grand « boum » de gauche. Que ce soit avec l’entrée de Québec solidaire à l’Assemblée nationale ou la fondation d’Option nationale sur le champ parlementaire, mais aussi avec les grandes mobilisations du Printemps érable – ou l’idée de la gratuité scolaire n’était plus une aberration – et les marches de casseroles contre la corruption. Ressentez-vous cette réalité sur le terrain où est-ce une construction que l’on peut se faire de l’extérieur à travers un spectre réduit ?
D’abord, l’IRIS n’est pas sur le terrain comme tel, c’est nos partenaires qui y sont d’abord et avant tout. Mais vous avez raison de noter cette émergence qui est en fait une ré-émergence depuis le début des années 2000. Comme partout ailleurs en Occident, la gauche a connu un passage à vide durant les années 90 d’abord et avant tout parce qu’elle a adopté partiellement ou complètement les catégories de la droite en matière économique. Mais une fois passé la poudre aux yeux de la fin de l’histoire, une nouvelle génération a vite reconnecté avec une critique socio-économique plus fondamentale et plus stimulante qui finit toujours par percoler dans toute la population. Le Québec est influencé par le monde anglo-saxon, mais il n’en fait pas partie. Le modèle développé par le passé est un mélange de l’État providence scandinave et la filiation politico-culturelle républicaine française. Il est possible aujourd’hui d’invoquer le collectif pour mettre des limites à l’individualisme que promeut le néolibéralisme.
C’est de cette façon qu’on peut comprendre en partie le Printemps érable de 2012 mais aussi, la campagne du gouvernement péquiste pour l’instauration d’une « Charte des valeurs québécoises » qui a vite faire se dresser un sentiment nationaliste contre les femmes musulmanes. Comme je le mentionnais dans un billet de blogue cette semaine, il s’agit d’une invocation assez incohérente du gouvernement qui d’une part fait appel au sentiment national sur une question de valeurs pour régler une crise créée de toute part, mais qui en même temps salue la signature d’un entente de libre-échange avec l’Europe, ce qui réduit les pouvoirs de l’Assemblée nationale face aux investisseurs. Contrairement à la menace islamiste au Québec, cet abandon de pouvoir n’a rien d’imaginaire. Mais l’invocation du collectif est recevable au Québec et c’est cette invocation qui a souvent été de pair avec des revendications et des gains progressistes.
De manière plus personnelle, quels sont vos sujets de recherche de prédilection ?
En théorie, la santé. Mais en pratique, ça s’avère très diversifié : l’accession à la propriété et le logement, la financiarisation de l’économie, la fiscalité québécoise, le milieu communautaire (ou « associatif » en France) québécois, etc.
Entretien réalisé par courriel du 30 octobre au 12 novembre 2013
Pour aller plus loin :
– Le site de l’IRIS ;
– La Hausse en question et Dépasser la ligne, bandes dessinées collectives adaptant les travaux de l’IRIS.