Entretien avec Anne Min-Thu Quach

Anne Min-Thu Quach est une des nombreuses députées élues lors de la « vague orange » de 2011, mais aussi, et c’est plus rare, une députée néodémocrate réélue en 2015. Si elle n’est pas forcément la plus connue du caucus, j’ai souvent apprécié ses prises de position, l’élue s’engageant sur des sujets qui me sont chers : après avoir été porte-parole du caucus sur les questions de santé, puis d’environnement elle est porte-parole du NPD pour la jeunesse depuis novembre 2015. Merci encore à elle et à ses assistants pour l’accueil et la mise en place très rapide (autour de 24h !) de ce rendez-vous.

Anne Minh-Thu Quach à la Chambre des communes en mars 2018.

Avant de débuter sur vos combats propres j’aimerai savoir comment vous vivez l’environnement actuel, comment luttez-vous face à un premier ministre comme Trudeau ?

On continue de se position comme le vrai parti progressiste au Canada. On est le parti qui peut défier le gouvernement sur ses discours à saveur progressiste mais qui sont dans les faits éloignés des revendications des groupes de femmes, des groupes environnementaux, de la société civile, qui ne sont pas satisfaits. Pour cela le sens de mon travail est toujours le même, et ce ne sont pas les conservateurs qui vont se positionner sur ces enjeux en défendant un point de vue progressiste.

Sur les sujets progressistes justement on a un gouvernement qui se dit ouvertement féministe, quelle est votre analyse de ça ?

Pour l’instant c’est dans les paroles, dans le dernier budget je crois qu’on recensait presque 700 fois le mot « équité des genres » mais dans les faits on en est pas là du tout. Oui il y a eu quelques avancées comme le cabinet paritaire ou la loi permettant l’octroi de congés payés par l’employeur pour les femmes victimes de violences conjugales, pour qu’elles puisse se remettre sur pied et trouver une nouvelle place. C’est un enjeu sur lequel on s’en positionné et qu’on défendait, on est content que ça ait été fait.

Mais sur d’autres questions comme l’équité salariale, cela fait presque trois ans que les libéraux disent qu’ils vont proposer une loi proactive là dessus. Dans leur dernier budget ils ont écrit qu’ils allaient faire quelque chose dessus, mais il n’y a toujours pas de projet de loi déposé, et encore moins d’engagement concrets ou de budget attribué, on est donc bien encore que dans les paroles.

Sur d’autres sujets comme le développement de refuges et de logements sociaux pour le femme ou le développement de système de garde universels, comme il y a au Québec mais élargit à tout le Canada, ils refusent d’avancer. Si on veut que les femmes travaillent au même titre que les hommes mais qu’elles n’ont pas la possibilité d’inscrire leurs enfants à un service de garde, alors qu’on sait que cela pousse souvent les femmes à rester à la maison, c’est contradictoire. Beaucoup de choses comme ça, qui remontent directement du terrain, sont inexistantes dans les projets de lois.

Par curiosité, quels sont les équilibres femmes/hommes à la Chambre ? Est-ce qu’il y a des règles de parités sur les candidatures comme en France ou pas du tout ?

On n’est que 26 % de femmes, au Nouveau parti démocratique on est le parti qui s’en approche le plus. On est 42 % je crois, pas juste de candidate mais d’élues, et notre leader Ruth-Ellen Brosseau a demandé à plusieurs reprises au Premier Ministre Trudeau ce qu’il entendait faire au niveau de la législation pour qu’aux prochaines élections il y ait des amélioration mais jusqu’ici elle n’a pas eu de réponses. Et ce ne sera pas réglé avec les listes à la proportionnelle puisque la réforme à la proportionnelle a été abandonnée.

Pour en venir à vos portefeuilles, quelles sont les priorités du NPD sur les questions de droit des femmes et de jeunesse ?

Sur les l’égalité femmes-hommes c’est vraiment l’équité salariale que l’on défend sans cesse. Cela fait juste quatorze ans qu’un rapport est sorti sur cette question, toutes les études et consultations ont été mené, il est chiffré, les recommandations sont là. On ne devrait pas attendre pour en faire une loi mais là ils nous disent qu’ils sont encore en train de consulter alors qu’il y a tout qui est là, et notamment les travaux expliquant combien ce serait positif pour tous. Aujourd’hui une femme touche environ 80 % de ce que touche un homme au Canada, au même poste, c’est pas mal en retard pour un pays du G7 et un gouvernement qui se proclame féministe. Et on lie ça beaucoup avec le programme de garde universel, qui est lié à la jeunesse aussi finalement.

Pour la jeunesse on s’est engagé à réduire très fortement le fardeau des étudiants au niveau des prêt étudiants. En congrès on s’est prononcé très récemment en faveur de la gratuité scolaire pour le niveau collégial et universitaire. C’est une mesure très forte, qui serait un soulagement pour beaucoup de jeunes et aussi une vraie assurance d’égalité.

C’est en effet très important mais y-a-t-il d’autres mesures pour ceux qui ne sont pas étudiants, en primaire ou par exemple pour ceux qui ne peuvent pas faire d’études, qui peinent à s’insérer dans l’emploi ?

On parle beaucoup de précarité de l’emploi présentement, de jeunes qui sont travailleurs autonomes pour des plateformes, ce qui paraît leur seul débouché. On veut développer un plan très fort sur la formation pour leur permettre d’avoir d’autres solutions qui les rendent moins dépendants mais quand j’ai dit ça aux libéraux le ministre des finances m’a dit « get used to it », « il va falloir s’y habituer » donc ils n’ont clairement pas envie de s’y attaquer.

Sinon, là je viens d’une conférence de presse sur le sujet de l’exploitation des jeunes mineures. En 2015 la Chambre des communes a adopté à l’unanimité un projet de loi qui s’appelle C-452 qui fait en sorte que les proxénètes et ceux qui font de la traite et de l’exploitation, souvent à 50 % sexuelle, des femmes, en majorité de jeunes femmes, puissent avoir des sanctions cumulatives et qu’il y ait un renforcement du fardeau de la preuve. On ne peut plus voir des jeunes de quatorze-quinze ans à témoigner en cours pour prouver qu’elles sont des victimes par exemple. Un troisième point ajoutait la traite de personnes à la liste des infractions permettant la confiscation des produits de la criminalité.

On avait adopté ce texte, les libéraux ont voté pour, il a eu la sanction royale mais les libéraux disent qu’ils ont soudainement vu un problème constitutionnel avec les peines cumulatives. Ils ont déposé à projet de loi à eux, qui s’appelle C-38, qu’ils n’ont pas encore mis au débat. Cela fait un an qu’ils en parlent mais pendant ce temps les victimes, elles, attendent toujours, et il n’y a aucun plan de financement pour aider celles qui sont touchées par cette criminalité. C’est une autre aberration qui touche beaucoup les jeunes.

On s’est aussi impliqué sur le projet de loi sur la Marijuana. Le gouvernement considère que la légalisation va tuer le marché noir, et on est d’accord là dessus, mais on pense qu’il faut investir beaucoup plus en prévention sinon les jeunes vont se dire « oh c’est légal, c’est donc que ce n’est pas dangereux ». Au départ les libéraux partaient sur du dix millions sur cinq ans, soit deux millions par années et pas juste pour la Marijuana mais pour toutes les drogues ! Alors qu’on traverse en ce moment une très grave crise sur les opioides. Là on est monté à sept millions, mais par comparaison on cite souvent le Colorado qui investi par années 40 millions pour la prévention. Les policiers, les enseignants, demandent de la formation aussi, et ce qu’on entend c’est surtout le gain financier pour l’état, mais il faut aussi faire de la sensibilisation. Et il y a beaucoup de problématiques auxquelles les libéraux n’ont pas pensés, ils sont encore en train de consulter des experts pour savoir quelle quantité de THC va être autorisées dans quels produits, par exemple pour ce qui risque d’affecter les facultés de conduites.

Sur un autre sujet, j’ai regardé votre activité parlementaire et j’ai vu un projet de loi qui m’intéresse particulièrement en tant qu’écologiste, sans doute lié à vos anciens portefeuilles, sur l’alimentation locale.

Oui, je l’ai déposé lors de la précédente législature, j’étais porte-parole en santé, mais il n’a toujours pas été débattu en Chambre, à l’époque les conservateurs s’y étaient opposé. Il s’agit de demander au ministre de l’agriculture au fédéral de se réunir avec les ministres provinciaux de l’agriculture, d’abord pour définir ce qu’est le « local » : pour certains c’est provincial, pour d’autres à 100km à la ronde, pour d’autres c’est le pays – c’est qui peut faire très éloigné mais toujours moins que si ça vient de Chine. Ensuite, le projet demande de faire en sorte qu’il y ai une quantité minimale d’achats de produits locaux dans les 48000 établissements fédéraux, selon la saison évidemment.

On sait que si individuellement on fait un achat de 5 $ d’aliments locaux à l’épicerie ça aide grandement les agriculteurs, donc si l’état fédéral ça engage ça pourrait tout changer. Ça peut leur permettre simplement de survivre, dans les douze dernières années on a perdu près de 10000 fermes familiales. Au Canada un emploi sur huit est rattaché à l’agroalimentaire, c’est beaucoup d’emploi, en région surtout, et pour les jeunes et la relève agricole c’est essentiel de conserver des fermes familiales.

Quand j’ai déposé ce projet de loi, je n’étais pas rattaché à l’agriculture, mais régulièrement dans les comités les gens me disaient que les personnes âgées et les jeunes n’ont pas accès aux fruits et légumes parce que ça coûte trop cher. En défendant les agriculteurs locaux et leurs conditions de travail cela permettait de contrebalancer ça aussi.

C’est un projet déposé il y a longtemps mais c’est toujours un actuel projet, malheureusement il n’est pas à l’ordre du jour. Pourtant en 2015 quand les conservateurs l’ont refusé les libéraux s’étaient prononcés en faveur du projet de loi, maintenant qu’ils sont au pouvoir ils semblent avoir oublié. J’essaie de le faire revenir dans le projet sur l’alimentation mais à ce qu’ils m’ont dit, ils ne comptent pas l’intégrer.

Sur le site de la chambre des communes je me suis aussi intéressés à vos commissions mais je n’en ai vu aucune dont vous étiez membre, c’est normal ?

Oui, c’est la réalité en ce moment, j’ai eu une petite fille qui a trois ans et je suis dans le bon parti, qui a été très accommodant avec ça. C’est connecté aux autres enjeux au fond. Le NPD m’a laissé réintégrer mes travaux au fur et à mesure, je devais voter aux votes prévisibles mais était dispensés des votes imprévisibles qui sont parfois par surprise. Lors de mes « tours de garde », ces moments dans le caucus où l’on se partage des temps où on doit être cinq heure dans la chambre, ont été pris par d’autres collègues, vraiment c’était super généreux mais c’était d’entrée de jeu proposé. Je ne sais pas si c’est comme ça dans les autres partis.

On s’est battu aussi pour avoir une salle spéciale – il y a une garderie mais il faut que les enfants y soient cinq jours semaines ce qui est impossible avec nos agendas, et c’est à partir de 18 mois –, jusqu’ici nous n’avions pas de salles spécifiques. Christine Moore, une collègue néodémocrate qui a eu deux enfants dans les deux dernières législatures, a fait un accord avec la Chambre des communes pour une nounou privée, qu’elle paie avec ses propres fonds, mais la sécurité est assurée par la Chambre. On a maintenant une salle familiale aussi, on ne l’avait pas avant, pour allaiter on allait dans la « salle des époux » qui est à côté de la chambre. Mais parfois les députés la réservent pour des conférences de presse et dans ce cas les femmes qui allaitent doivent partir, si le bébé est en train de dormir il faut le lever et le déplacer…

On a aussi demandé que les votes aient lieu dès après la période des questions, et pas à finir toujours tard le soir. La semaine dernière on a eu des votes tous les jours en fin de journée, les libéraux disent travailler fortement pour la conciliation travail/famille, ça ne se voit pas ici. Ce sont des anecdotes mais c’est important, c’est ce genre de choses qui font que c’est difficile de convaincre des jeunes, et particulièrement des jeunes femmes, de s’engager en politique. On leur dit « venez, c’est faisable de concilier avec des projets de familles », c’est vrai que c’est faisable, mais est-ce que c’est facile ?, là non.

Il y a quand même quelques commissions sur votre page, j’ai notamment vu que vous apparteniez à un réseau autour de la francophonie. Y représentez vous le Québec ou bien tout le Canada ? Avez-vous travaillé avec des élus français ?

J’en suis membre depuis un an et demi, je fais partie du programme jeunesse de la francophonie. Il a été initié il y a trois ans pour permettre aux jeunes parlementaires de réseauter à travers toute la francophonie des quatre continents pour mieux comprendre les enjeux des autres pays. Et finalement on a trouvé ça tellement enrichissant qu’on s’est dit qu’il faudrait que ça nous survive, car ça devait durer deux ans mais on a consacré la troisième année à pérenniser ça en mettant sur pied le Réseau parlementaire de la jeunesse. Il devrait aboutir en juillet et d’ailleurs il y a un sénateur français qui nous a rejoint récemment, Cyril Pellevat, qui est membre du parti des Républicains.

Ma dernière question est plus personnelle, je suis bibliothécaire et j’ai vu que vous étiez membre du comité d’administration de la bibliothèque parlementaire, en quoi ça consiste ?

J’aimerai pouvoir vous le dire mais j’en suis membre depuis 2015 et ce comité… ne s’est jamais réuni ! Il est censé réunir des députés et sénateurs qui travaillent en appui des bibliothécaires et recherchistes du Parlement afin d’assurer le meilleur fonctionnement de cette formidable ressource mais je n’en sais pas vraiment plus. Depuis quelques années on a plusieurs fois demandé aux président des deux chambres d’organiser un comité, mais sans succès.

C’est réellement dommage parce qu’on utilise beaucoup la bibliothèque et les chercheurs. Trente-huit députés se sont ajoutés en 2015, qui peuvent aller à la bibliothèques et utiliser leurs services, ainsi que leurs assistants, il y a peut-être des besoins d’organisation, de ressources ou des aides à mobiliser. Mais nous ne pouvons donc pas les appuyer alors qu’on sollicite énormément leurs aide.

Enregistré le 29 avril 2018
à Ottawa.

Rencontre avec Elizabeth May, députée et cheffe du Parti Vert du Canada

Lors de mon voyage au Québec et Canada au mois d’avril, j’ai eu la chance de voir nombre d’événements politiques, et d’interviewer plusieurs élu.es. Étant membre d’Europe Écologie – Les Verts, de son conseil fédéral (une sorte de parlement interne) et dont j’étais à l’époque élu (conseiller municipal de Laval, en France, à préciser car la ville a un homonyme qui est la 3ème plus grande ville du Québec !), j’ai proposé d’aller rencontrer la cheffe du parti frère au Canada.

Elizabeth May, dont le parcours de militante environnementale puis de députée ultra-présente, réussissant à gagner des points alors qu’elle est la seule verte à la Chambre des communes, tout en restant impliquée dans les luttes sociales et environnementales, m’a toujours beaucoup impressionné. C’est avec une grande joie (et un peu de fierté) que je suis allé la rencontrer avec une série de questions construite avec le bureau exécutif et la commission transnationale d’EÉLV. Malheur, il y a eu une erreur d’agenda et j’ai raté une partie du rendez-vous, qui fut plus court que prévu, mais Mme May et son équipe m’ont accordé un peu de leur précieux temps et ont accepté de répondre à nos questions, et en français s’il vous plaît !

Petite anecdote avant les questions à proprement parler, les députés ont souvent un ou deux drapeaux devant leurs bureaux. Le plus fréquent est celui du Canada, parfois on voit celui d’une province (j’ai pu voir celui du Nunavut et du Québec, seul présents dans le cas de députés indépendantistes), ou d’une communauté (franco-ontariens par exemple). Devant le bureau de Mme May, tout un symbole, le drapeau Canadien côtoie celui… de la planète Terre !

Vous avez été élue pour la première fois en 2011, sept ans plus tard, quel est le panorama de l’écologie politique au Canada ?
Depuis que j’ai été élue, nous avons vu une dynamique verte croître à travers le pays. Je pense que les Canadiens ont vu la différence qu’un seul député vert peut faire. Au niveau provincial, il y a deux verts élus à l’Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick, et trois verts élus qui ont la balance du pouvoir en Colombie-Britannique. Le chef du Parti vert de l’Ontario mène les sondages dans sa circonscription, une semaine avant l’élection provinciale [il a bien été élu jeudi, devenant le premier élu vert de l’Ontario].

Le CETA a été adopté, malgré l’opposition des écologistes européens et canadiens, vous reste-t-il des perspectives de lutte au Canada ?
Les Verts de tous les parlements de la planète doivent continuer de travailler ensemble à l’élaboration de nouveaux accords commerciaux internationaux en vertu desquels les grandes compagnies devront assumer davantage de responsabilités avant de pouvoir obtenir de nouveaux droits.

Ensemble, nous pouvons éliminer les accords [renfermant de telles dispositions] dont l’objectif est en fait de donner encore plus de pouvoirs à ceux qui en possèdent déjà beaucoup et plus d’argent à ceux qui sont déjà riches. Nous pouvons mettre en place des accords qui protégeront les personnes marginalisées et désavantagées, et travailler à l’élaboration d’accords commerciaux justes et équitables, qui profiteront à l’ensemble des humains.

Dimanche, vous étiez arrêtée lors d’une manifestation contre un pipeline, un type de combat que vous menez régulièrement. Dans les discours le Canada dit vouloir réduire son recours aux énergies fossiles mais alors pourquoi tout ces projets pétroliers ?
Il sera impossible pour le Canada de réduire nos recours aux énergies fossiles et d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris avec  la construction de l’oléoduc Kinder-Morgan. Le Parti libéral avait promis de cesser de subventionner l’industrie des carburants fossiles durant la campagne de 2015 [depuis, le gouvernement a annoncé qu’il rachetait le pipeline face aux hésitations des compagnie, afin de pouvoir revendre l’équipement pétrolier une fois construit].

Les libéraux ont récemment recommencé à attaquer l’ancien gouvernement Harper en vue de l’élection de 2019, mais quelle est la différence ? Avec le gouvernement de Justin Trudeau, les Canadiens croyaient enfin pouvoir compter sur un leadership environnemental – moi-même inclus. Mais c’était un leurre. Les libéraux financent l’industrie pétrolière et décident de soutenir un secteur dont l’économie mondiale veut progressivement se passer.

Quand vous parlez du problème des pipelines, vous abordez souvent le sujet des autochtones, comment liez-vous écologie et premières nations ?
Le Canada a signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En imposant le pipeline de Trans Mountain, le gouvernement canadien contrevient à l’article 32 de cette déclaration. Le gouvernement du Canada entache l’honneur de la Couronne en ignorant les droits des Premières Nations qui sont enchâssés dans la Constitution canadienne. À titre de signataire de cette déclaration, le Canada a l’obligation de « (…) [consulter] les peuples autochtones concernés et (coopérer) avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources (…). »

Cette obligation n’a pas été respectée par le processus d’approbation provisoire des projets de 2016. Le panel de trois personnes chargé d’examiner les préoccupations publiques relatives au pipeline de Kinder Morgan ne respectait pas plus l’engagement d’une prise de décision basée sur des faits ni les droits des peuples autochtones. Le panel de trois personnes n’a pas recommandé l’approbation du projet de pipeline ni contribué aux données scientifiques se rapportant au projet.

De plus, il est impossible de ne pas lier l’écologie et premières nations – au sujet de leurs cultures, santé, droits, terres ancestrales… c’est toujours connecté.

Enfin, on compare souvent Trudeau et Macron. En France on a encore des difficultés à appréhender le cas Macron, vous avez un peu plus de recul depuis 2015. Comment les Verts Canadiens appréhendent-ils cet adversaire jeune, très communicant, qui fait de grands étalages de foi écologiste ?
Le leadership affiché à la COP21 de Paris et la ratification rapide de l’Accord de Paris garantissait une une note positive à Trudeau. L’engagement à l’égard de la tarification du carbone, malgré une certaine résistance des provinces, nous emmène au descriptif ci-dessus.

Mais il est difficile de bien évaluer un gouvernement qui maintient les mêmes faibles cibles climatiques que le précédent gouvernement conservateur. Cette cible – 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2030 – est irréconciliable avec l’Accord de Paris. L’Accord de Paris a fixé l’objectif de limiter la hausse des températures moyennes mondiales à 1,5 oC tout au plus, ce qui exige une cible bien plus exigeante que celle établie par le gouvernement Harper. De plus, comme l’a judicieusement remarqué Julie Gelfand, commissaire à l’environnement du Bureau du vérificateur général, les Libéraux semblent avoir oublié l’engagement de Copenhague – soit une réduction de 17 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2020. Les plans ont tous été conçus pour atteindre la faible cible du gouvernement Harper en 2030, et même cette cible semble hors d’atteinte.

Le programme libéral avait promis de mettre fin aux subventions accordées pour les combustibles fossiles, mais les budgets de 2016 et de 2017 n’ont annoncé aucune mesure du genre. Les Libéraux avaient également promis le rétablissement d’une approche scientifique, mais la science du climat est aussi négligée qu’elle l’a été durant l’ère Harper. Le manque du soutien du gouvernement a provoqué la disparition du réseau pancanadien de la science du climat, le Forum canadien du climat.

Devant l’approbation de projets de gaz naturel liquéfié qui font monter les GES, et la choquante achat de Kinder Morgan, au mépris de ses promesses électorales, il est difficile d’admettre que les Libéraux croient vraiment que « l’environnement et l’économie vont de pair », comme ils se plaisent à le dire. Cette affirmation est pourtant vraie, mais seulement lorsque les décisions ne s’annulent pas les unes les autres.

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Entretien avec Pierre-Luc Dusseault, député NPD de Sherbrooke

Petite rupture estivale pour un entretien avec Pierre-Luc Dusseau, en attendant la rentrée. Député de Sherbrooke, il est un des nombreux élus NPD de la « vague orange » de 2011. Mais contrairement à ce qui a pu être dit sur certains de ses collègues, ce n’est pas un élu par hasard, son engagement politique étant ancien. Il se n’attendait peut-être pas à être élu à 19 ans mais a tout de suite choisi d’assumer sa fonction. Retour sur trois ans de mandat.

En 2011 le NPD a raflé de nombreux sièges au Québec, surprenant de nombreux observateurs et parfois même des candidats. Votre cas est différent, dès le début vous y croyiez et avez fait campagne pour gagner, en vous appuyant sur un bagage politique et un territoire que vous connaissiez. Pouvez-vous me présenter votre parcours et l’origine de votre engagement ?

Je me suis engagé au NPD vers la fin de mon passage au CÉGEP. Pendant ma première année universitaire, j’ai été de plus en plus impliqué avec le NPD : que ce soit en étant un des membres fondateurs du NPD de l’Université de Sherbrooke, en participant aux différentes instances de l’aile québécoise du NPD fédéral ou en devenant Président de l’association de circonscription du NPD Sherbrooke. Je me suis joint au NPD en grande partie pour le message positif et optimiste que portait son chef à cette époque : Jack Layton. De fil en aiguille, j’ai appris à mieux connaître le NPD au point de vouloir mettre mon nom sur le bulletin de vote lorsque l’élection générale de mai 2011 est arrivée.

Ce fût une expérience exigeante mais très instructive. Dès le départ, je souhaitais obtenir le meilleur résultat possible pour notre formation politique dans le comté de Sherbrooke. J’ai fait campagne à temps plein en allant dans des endroits publics distribuer des dépliants, en faisant du porte-à-porte et en participant aux débats des candidats. Ces efforts ont porté leurs fruits, mais il ne faudrait surtout pas sous-estimer le poids que la campagne nationale du NPD, avec Jack Layton, a eu sur nos campagnes locales en tant que candidats du NPD au Québec. Ma campagne active et visible au niveau local conjugué à la popularité de notre chef m’a permis de l’emporter dans un territoire considéré imprenable.

Élu à 19 ans et onze mois, vous êtes le plus jeune député de l’histoire de la Chambre des communes. C’est un atout, mais ça peut aussi être très réducteur : avez-vous ressenti un jugement de certains ? (comme un refus de vous prendre au sérieux, ou des tentatives de vous cantonner aux questions de jeunesse…) Je pense cela autant au sein votre caucus qu’après de vos adversaires ou de vos électeurs.

Être le plus jeune député de l’histoire de la Chambre des communes a fait circuler mon histoire à travers le Canada dans les jours suivants mon élection. Des centaines de jeunes mon contacté pour me dire qu’il était inspiré par mon exploit et que ça leur donnait espoir dans le système politique actuel. Par contre, quand je suis arrivé au Parlement, ma crainte était de ne pas me faire prendre au sérieux et d’avoir de la difficulté à faire ma place. Ce n’est pas ce qui est arrivé. Probablement que si je n’avais pas pris mon travail au sérieux et que je ne m’étais pas montré comme une personne responsable, mes collègues ne m’auraient pas considéré. Mais comme j’ai pris mon travail très au sérieux et que j’ai fait mes preuves, je crois avoir gagné le respect de mes confrères et consœurs députés.

L’une des preuves de cette confiance est certainement lorsque mon chef m’a désigné comme Président d’un comité parlementaire. Ce travail me permet de gagner le respect de mes collègues de tous les côtés de la Chambre également. Est-ce que les jeunes députés ont plus de pression pour performer et démontrer leur sérieux ? Probablement. Il suffit de prendre ses responsabilités et prouver qu’on est tout autant qualifié pour faire ce travail.


Pierre-Luc Dusseault en 2011 lors de son assermentation

Le NPD est un parti progressiste, lors des dernières élections il est pour la première fois devenue opposition officielle mais le gouvernement de Stephen Harper à la majorité absolue. Afin de bien faire comprendra votre positionnement, pourriez vous donner un exemple de loi votée par les conservateurs à laquelle vous vous êtes vivement opposé ?

Le soir du 2 mai 2011, j’ai appris une très bonne et une très mauvaise nouvelle à la fois : j’ai été élu député de Sherbrooke et les conservateurs ont gagné une majorité de sièges. J’ai été amèrement déçu de ce dernier résultat. Par contre, ma réaction à quand même été positive. J’ai décidé de me retrousser les manches et de travailler encore plus fort pour faire avancer mes idées contre un gouvernement diamétralement opposé à mon Parti. Cette réalité parlementaire nous a vite rattrapé lorsque nous avons été à la Chambre des communes devant le gouvernement conservateur.

L’un des premiers combats que nous avons mené a eu lieu dès le premier mois de séance : la défense de Postes Canada. C’est une des joutes parlementaires qui m’a le plus marqué depuis mon élection. Nous avons tenu tête aux conservateurs pendant plus de 3 jours consécutifs de débats pour empêcher une Loi de retour au travail suite au Lock-out décrété par la direction de Postes Canada.

De manière plus personnelle, pouvez-vous présenter un projet de loi que vous êtes le plus fier d’avoir défendu et/ou voté ?

Oui, l’un des projets de Loi que j’ai été le plus fier de défendre a été le Projet de Loi sur le bilinguisme des agents du Parlement, présentée par ma collègue Alexandrine Latendresse. C’est un projet de Loi qui a d’ailleurs reçu la sanction royale depuis et j’en suis très fier.

Vous êtes très présent en ligne, que ce soit sur votre site, facebook, twitter, etc. Est-ce vous qui vous exprimez directement ? Si oui, pensez-vous que cela permette réellement de rapprocher élus et citoyens ?

Oui, je publie la très grande majorité des messages qui sont envoyés sur mes comptes de réseaux sociaux. Considérant les expériences que j’ai eues sur les réseaux sociaux, je peux confirmer que ce canal de communication additionnel est très utile et utilisé par mes concitoyens. C’est un nouveau moyen de communiquer directement, sans intermédiaire, avec les citoyens qui m’ont élu comme leur représentant au Parlement fédéral.

 Entretien réalisé par
courriel en juin 2014

Pour en savoir plus :
Site officiel
Page facebook

 

 

 

Entretien avec André Bellavance, député de Richmond-Arthabaska, candidat à la chefferie du Bloc Québécois

Le premier déclaré des candidats à la chefferie du Bloc Québecois en est aussi l’un des rares élus. Journaliste de carrière, qu’il émaille de quelques postes de collaborateur parlementaire, il a principalement officié à la radio, notamment autours de Victoriaville. En 2004, il réussit à prendre des mains des conservateurs la circonscription de Richmond-Arthabaska. Député apprécié, il est réélu en 2006, en 2008 et est un des quatre survivant des élections de 2011.

Porte-parole du parti en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et leader parlementaire depuis décembre 2011, il a rapidement annoncé ses ambitions lors de la démission de Daniel Paillé. Longtemps seul en lice, il mène campagne depuis des mois, a le soutien des trois autres parlementaires et fait figure de favoris. Premier à nous avoir répondu, nous publions donc son entretien avant celui de Mario Beaulieu, qui paraitra la semaine prochaine.

En 2011, le Bloc a subi sa plus sévère défaite. Comment avez-vous analysé cette défaite et avec quels objectifs souhaitez-vous aborder les élections de 2015 ?

Après l’élection de 2011, nous avons entamé une analyse sérieuse des résultats de la campagne électorale. Nous avons fait ce travail avec rigueur et sans complaisance. Cela nous a conduit à lancer un grand chantier de réflexion auprès de toutes les militantes et de tous les militants afin de redéfinir en profondeur ce qu’est le Bloc Québécois et ce à quoi nous aspirons. Cet exercice audacieux culminera les 23 et 24 mai prochain à Rimouski.

Quant à l’aspect plus technique, avant d’être contraint de quitter pour des raisons de santé, Daniel Paillé a fait un travail important pour moderniser l’organisation et nous donner les moyens d’atteindre notre objectif : montrer aux Québécoises et aux Québécois que seul le Bloc Québécois porte l’ensemble de leurs valeurs, l’ensemble de leurs aspirations et l’ensemble des consensus québécois.

Beaucoup d’électeurs ont de la sympathie pour le Bloc mais se questionnent sur l’utilité d’un parti fédéral qui ne peut pas avoir de majorité. Comment justifiez-vous le sens du Bloc ?

Le Bloc Québécois est le seul parti sur la scène fédérale qui a défendu, et qui défend encore, chacun des consensus de l’Assemblée nationale.

Au sein des partis fédéralistes, même quand l’Assemblée nationale parle d’une seule voix, il s’en trouve toujours pour dire qu’ils connaissent mieux ce qui est bon pour le Québec que le seul Parlement contrôlé par la nation québécoise !

Cependant, ce ne sont pas seulement les partis fédéralistes qui sont à la source du problème. C’est le système fédéral lui-même. Le fossé entre les intérêts du Québec et les intérêts du Canada s’élargit jusqu’à les rendre souvent inconciliables. Pourtant, aucun parti fédéraliste n’est prêt à permettre au Québec de faire ses propres choix, de prendre ses propres décisions.

Vous n’avez jusqu’ici jamais été candidat-e à la chefferie d’un parti, qu’est-ce qui vous a motivé à y aller cette fois-ci ? Et quels sont les axes majeurs de votre candidature ?

Mon ambition a d’abord été d’être un bon député.

Je me considère comme un joueur d’équipe. J’ai appuyé Gilles Duceppe, j’ai appuyé Daniel Paillé, et j’ai toujours cru sincèrement qu’ils étaient en mesure de faire avancer le Québec.

Mais comme dans toute équipe, il faut prendre ses responsabilités, ne pas reculer quand c’est à notre tour de prendre le leadership, quand ce sont nos forces et nos qualités qui sont requises. J’estime avoir la rigueur, l’écoute, l’humilité et la ténacité pour conduire le Bloc Québécois aux prochaines élections.

Dès le 22 avril, j’ai dévoilé les trois axes majeurs qui fondent ma candidature et qui découlent des nombreuses rencontres et discussions tenues avec les militantes et militants depuis les dernières élections fédérales. J’entends démontrer que ce ne sont pas seulement les partis fédéralistes qui sont à la source du problème, mais le système fédéral lui-même ; faire du Bloc Québécois une coalition au sein de laquelle les souverainistes et tous ceux et celles qui croient que le Québec mérite d’être respecté pourront contribuer et favoriser l’implication des élus du Bloc Québécois dans les débats qui touchent directement la population.

bella

Vous êtes élu depuis 2004, avez-été vice-président du caucus et êtes leader parlementaire, dans ce laps de temps quelle sont les projets de lois qui vous ont particulièrement tenus à cœur ? Pourriez-vous présenter des victoires législatives à nos lecteurs ?

Outre les batailles et les victoires du Bloc Québécois sur la reconnaissance de la nation, le déséquilibre fiscal, les commandites, la loi antigang et les mesures contre les fraudeurs, je suis particulièrement fier d’avoir fait adopter à l’unanimité une motion pour la protection de la gestion de l’offre qui empêche encore aujourd’hui le gouvernement de sacrifier les agriculteurs lors des négociations de libre-échange.

Je suis aussi très heureux d’avoir déposé un projet de loi visant à abolir la Loi sur la clarté qui octroi au gouvernement fédéral le dernier mot sur un référendum tenu au Québec. Même si le projet a été battu, cela a été l’occasion pour le Bloc Québécois d’accueillir un nouveau député, Claude Patry, et ça nous a permis de démontrer que tous les partis fédéralistes refusent à la nation québécoise le droit de choisir librement son avenir.

Vous avez-vécu la sévère défaite de 2011, l’exclusion de Mme Mourani, la démission de M. Paillé, la chute de Mme Marois et du PQ… Si vous êtes-élus à la chefferie du Bloc, quelles seront vos premières actions ?

Ce n’est pas parce que le chemin apparaît difficile qu’il est infranchissable, au contraire. Je suis prêt, dès le jour 1, à mettre les efforts qu’il faut pour redonner aux Québécoises et aux Québécois une alternative aux partis fédéralistes.

D’abord, je fais en sorte que le Bloc Québécois se rapproche encore davantage des Québécois, qu’il défende leurs intérêts dans tous les dossiers. Je m’assure que le Bloc Québécois se rebranche sur les préoccupations des citoyens.

Ensuite, je compte faire élire des députés pour qu’on se redonne la force du nombre, les moyens de nos ambitions et pour faire la différence pour les gens, en travaillant pour le Québec, au quotidien.

Parallèlement à notre travail de députés de tous les Québécois, je veux lancer l’idée d’une vaste réflexion sur l’avenir du Québec. Si je deviens chef du Bloc Québécois, je vais initier de nouveaux chantiers de réflexion sur l’avenir du Québec et la souveraineté en 2015.

 

Pour aller plus loin :
Site de campagne d’André Bellavance
Site officiel (hors-campagne) d’André Bellavance
Page facebook d’André Bellavance

Crédits photos : http://www.andrebellavance2014.com

Entretien avec Sadia Groguhé, députée NPD de Saint-Lambert

Sadia Groguhé est née en France en 1962 de parents algériens. Militante associative, elle s’engage lors des municipales d’Istres au côté du Parti Socialiste et devient conseillère municipale chargée de l’intégration en 1995. Elle démissionne en 2000, suite à la naissance de ses enfants, et émigre au Canada en 2005. Après sa naturalisation, elle s’engage logiquement au NPD et est élue députée de Saint-Lambert lors des élections fédérales de 2011. Leader parlementaire adjointe, elle est porte-parole adjointe du NPD en matière d’immigration, de citoyenneté et de multiculturalisme. Depuis le remaniement du cabinet fantôme de l’Opposition officielle en août 2013, elle est désormais whip adjointe du NPD et porte-parole adjointe en matière d’emploi et de développement social.

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Photo officielle de Sadia Groguhé

Fille d’immigrés algériens, française de naissance, émigrée au Canada, vous avez indiqué avoir quitté la France afin que vos enfants ne soient pas l’objet de discriminations liées à leurs origines. Un regard sur les scandaleuses attaques racistes qui ont lieu en France en ce moment semble malheureusement vous donner raison… Vous qui êtes spécialiste de l’intégration comment présenteriez-vous le modèle canadien ?

En ce qui concerne le Canada, on parle de multiculturalisme.  On met de l’avant l’aspect communautaire et chaque communauté peut donner libre cours à sa culture et à ses spécificités dans cet espace inclusif qu’est ce pays.  Les différences sont mises de l’avant et respectées.  Chacun peut  exprimer librement son appartenance communautaire tout en étant canadien, en respectant évidemment le cadre légal de la société d’accueil.

L’intégration est un processus à double sens.  De ce fait, il se produit par l’engagement de l’un vers la société et grâce à l’acceptation des nouveaux arrivants par la société d’accueil dans un tout unificateur ou tous devraient trouver leur place. S’il n’y a pas intégration, il y a exclusion.

La question des discriminations reste entière en France, on n’est pas au bout de cette problématique. Ce ne sont pas seulement des actions qui viendront à bout de cela, mais ça passe par un changement des mentalités. Les préjugés sont malheureusement tenaces et c’est effrayant de voir une femme noire arrivée aux plus hautes sphères de l’État se faire traiter de la sorte. On assiste, à mon avis, à une banalisation civique de ce phénomène qui n’est plus ostracisé ou marginalisé, mais qui, étant en germe depuis des années en France, voit aboutir son expression la plus radicale. Le mal silencieux se fait bruyant et à visage découvert ! C’est extrêmement grave et c’est en soi l’aboutissement de cette xénophobie qui a marqué notre siècle et les siècles d’avant.

Vous êtes franco-canadienne et avez été compagnon de route du Parti Socialiste. François Hollande, deuxième président socialiste de la Ve République était très attendu lors de son élection en 2012, et la déception est palpable dans l’électorat dit de gauche… Avant de parler du Québec pouvez-vous me donner vos impressions sur ces premières années de présidence progressiste après des années de droite dure ? De manière générale continuez-vous à regarder ce qu’il se passe dans la politique française ?

Le Parti socialiste, avec à sa tête François Hollande, est parti de très loin. La France est durement touchée par les problèmes sociaux et économiques et je crois que quel que soit le chef d’État, de droite ou de gauche, il aurait eu beaucoup de difficulté à remonter la barre. Pourtant, la gauche au pouvoir, ne l’oublions pas, peut-être et doit être porteuse d’espoir dans le sens où elle continue de ne laisser personne sur le bas-côté de la route. Le projet de société de la gauche reste un projet réunificateur et doit rassembler plus largement toute la mouvance progressiste. L’économie et le social sont indissociables et doivent être conjointement menés de front.

Je continue de suivre ce qui se passe en France, mais, je l’avoue, de moins en moins, faute de temps.

Vous revendiquez un engagement associatif complémentaire de l’engagement politique, je suppose qu’arrivée au Québec vous vous êtes d’abord penché sur l’engagement communautaire. Pouvez-vous nous raconter votre parcours militant au Canada, ce qui vous a mené à vous engager pour votre nouveau pays jusqu’à en devenir une élue ?

J’ai été très proactive lorsque je suis arrivée au Québec. Je me suis rapproché rapidement du domaine communautaire et j’ai effectué du réseautage là-dedans.  De plus, j’ai pu faire du bénévolat et j’ai participé à des rencontres dans les universités. J’ai pu faire partie de panels sur les questions de l’intégration. C’est essentiel de pouvoir connaître et décoder son environnement pour faire sa place. J’ai donc pris part à des réflexions sur des enjeux qui concordaient avec mon expérience et mes champs d’intérêts.

Mon saut en politique, je l’ai fait car, pour moi, la politique est là pour changer les choses ; tout naturellement, mon choix s’est porté vers le Nouveau Parti démocratique (NPD) à cause des valeurs de ce parti progressiste. J’ai été approchée par le parti et j’ai pris la décision lorsque les élections fédérales ont été déclenchées de me présenter comme candidate. La politique avait continué de faire partie de mes champs d’intérêts et lorsque l’opportunité de remettre le pied à l’étrier s’est présentée, je l’ai saisie.

grog2Entre autres sujets, Mme Groguhé est très engagé sur la Guerre Syrienne. Ici lors d’un rassemblement en soutien aux familles prises dans la guerre.

Vous êtes très engagée sur les questions d’immigration et d’intégration, pour des raisons personnelles que l’on comprend bien, mais ne craignez-vous-pas que l’on vous enferme dans ce sujet par facilité ? Pourquoi est-ce si essentiel à vos yeux au-delà de votre cas propre et quelles sont vos autres priorités pour le Québec ?

Je me considère et continue de le faire comme un être libre ayant des devoirs et des obligations, certes, mais avant tout avec un libre arbitre et une liberté de penser. Je m’investis en général dans ce que j’aime et lorsque notre défunt chef Jack Layton m’a proposé l’immigration, ce fut pour moi une joie immense. Ce dossier ne m’interpelle pas parce que je suis moi-même immigrante, mais essentiellement parce que je me considère comme citoyenne du monde. Il est important de travailler à bâtir une société dans laquelle quelle que soit votre couleur ou vos origines, vous avez votre place.

Ce qui m’importe, c’est de pouvoir travailler pour accroître la justice et pour faire du lieu où l’on décide de s’établir un endroit meilleur pour tous.  À ce sujet, je suis désormais porte-parole adjointe du NPD en matière d’emploi et de développement social.

Conséquemment, mes autres priorités pour le Québec et le Canada sont de lutter contre la pauvreté, de réduire le taux de chômage chez les jeunes, de consolider les services offerts aux familles, de pérenniser les pensions de retraite et de s’assurer que nos aînés puissent vivre dans la dignité.

Pourriez-vous citer une ou deux lois que vous êtes fières d’avoir portés, et votre plus gros regret quant à un projet rejeté faute de majorité ?

Lorsque j’étais porte-parole adjointe de l’Opposition officielle en matière d’immigration, je me suis portée à la défense de ce que nous avons appelé les « Oubliés de Buffalo ».  Il s’agissait surtout de demandeurs de résidence permanente ou temporaire dont les dossiers avaient été égarés par les autorités du bureau de Citoyenneté et Immigration Canada de Buffalo.

Après avoir pris connaissance de cette situation, j’ai directement interpellé le ministre de l’Immigration de l’époque, Monsieur Jason Kenney, afin d’exiger que ces dossiers soient régularisés et traités le plus rapidement possible.  En collaboration avec mes collègues du NPD, nous avons attiré l’attention des médias sur cet enjeu de taille et le ministre s’est finalement engagé à régler chacun des cas dans des délais raisonnables.

Face à un gouvernement majoritaire, qui exerce unilatéralement le pouvoir législatif dans notre système parlementaire d’inspiration anglo-saxonne, une élue de l’opposition peut donc tout de même réussir à infléchir les décisions des dirigeants en mobilisant la société civile.  J’en suis très fière.

grog3Lors d’une table ronde sur l’intégration des femmes au travail

Le NPD est un parti fédéral mais pas défini comme fédéraliste. Quelle est votre conviction personnelle à ce sujet et que pensez-vous des récentes attaques du gouvernement conservateur sur la question de l’autodétermination ?

J’adhère pleinement à la position officielle de notre parti à propos de la question de l’indépendance du Québec.  Nous sommes, bien évidemment, un parti qui fait la promotion de l’unité canadienne. En revanche, nous reconnaissons le caractère distinct du Québec.

Pour cause, le NPD a appuyé la motion du gouvernement fédéral, déposée en 2006, qui affirmait que le « Québec formait une nation au sein d’un Canada uni ».  Je considère que le Québec, dont une majorité de résidents s’expriment quotidiennement en français, contribue considérablement, par sa spécificité culturelle, au dynamisme du Canada.

En 2006, le NPD a aussi adopté, dans son propre programme politique, la Déclaration de Sherbrooke. Dans cette déclaration, « le NPD reconnait le droit du Québec à l’autodétermination, soit de décider de son avenir politique et constitutionnel. Ainsi, la souveraineté est une manifestation de ce droit, mais il peut aussi s’exprimer au sein de la fédération canadienne. » De plus, puisque le Québec a le droit de décider de son avenir, « il s’ensuit que le NPD reconnait que l’Assemblée nationale du Québec a la capacité de rédiger une question référendaire claire. Le NPD s’est donc engagé à respecter un éventuel processus référendaire et à reconnaitre l’expression d’une majorité de Québécois, soit 50% + 1, en faveur d’une modification au statut du Québec au sein de la fédération. »

Je crois que les Québécois peuvent pleinement s’épanouir au sein du Canada et l’approche de notre parti respecte – et respectera – le parcours de la nation québécoise.

Deux ans après votre élection lors de la vague orange, vous êtes à mi-mandat. Quel regard portez-vous sur vos débuts d’élue au Canada et qu’espérez-vous construire à l’avenir ?

J’ai le privilège de siéger à la Chambre des communes depuis 2011 grâce à l’appui de la population de la circonscription de Saint-Lambert.  Depuis mon élection, j’ai pu développer des partenariats avec les organismes communautaires de mon comté et accompagner les résidents dans leurs démarches auprès du gouvernement fédéral.  J’ai su renforcer les liens qui unissent les représentants politiques de la Montérégie, tant au niveau municipal, provincial que fédéral, et j’ai organisé plusieurs événements afin de souligner l’importance de l’implication citoyenne au sein de la société.  Ces étapes cruciales m’ont permis d’être à l’écoute des commettants de ma circonscription et de cibler les enjeux qui nous paraissent prioritaires.  Bien entendu, j’ai développé une expertise en matière d’immigration, d’emploi et de développement social, mais j’ai aussi consolidé mes connaissances en échangeant avec la population.

Je crois sincèrement que le Canada mérite mieux.  J’estime que le gouvernement fédéral se doit d’être solidaire envers les plus démunis et que la justice sociale, au-delà de toute forme de partisannerie, doit être au cœur de notre engagement politique.  L’atteinte du bien commun n’est pas un concept purement théorique.  Il vise à orienter nos actions, non pas pour améliorer les conditions de ceux qui bénéficient des meilleurs conditions de vie, mais pour aspirer à accroître le bonheur du plus grand nombre.  Je suis convaincue que notre équipe et moi-même seront en mesure de remplacer le gouvernement conservateur lors des prochaines élections fédérales.  Nous avons proposé des solutions qui répondent aux réalités de nos concitoyens.  Nous voulons travailler ensemble pour rétablir la respectabilité du Canada sur la scène internationale et pour nous occuper des gens qui nous entourent.

Entretien réalisé par courriel
en novembre/décembre 2013

Pour aller plus loin :
Site de Sadia Groguhé ;
Page facebook officielle ;
Site du NPD.

Photos extraites du site officielle de Sadia Groguhé.