Histoire : Le Parti égalité

L’actualité n’est pas pauvre en ce moment, mais entre les candidatures à la chefferie du PQ qui continuent, l’austérité toujours plus grande des libéraux et les bilans de fin d’année des ministres, il y a comme une impression de redondance. L’objectif de ce blog étant de ne pas répéter ce qui est dit partout, j’ai eu envie de faire un bon en arrière et de parler d’Histoire. Tout comme il me semble important de jouer le jeu comparatif Québec/France dans mes analyses, il m’apparaît essentiel d’avoir un peu de recul historique pour mieux saisir ce qui existe aujourd’hui. Pour cette première note historique je vais vous brosser le portrait d’un parti défunt et assez original dans son positionnement : le Parti Égalité.

Naissance du parti

À la fin de la 31e législature (1976-1981) il y a cinq partis représentés à l’Assemblée Nationale (Parti Libéral du Québec, Parti Québécois, Union Nationale, Ralliement Créditiste et le Parti national populaire), les élections de 1981 ballayeront cette diversité en instaurant le nouveau bipartisme PQ/PLQ et en rayant l’Union Nationale, ancien grand parti conservateur, de la carte. L’élection suivante (1985) confirmera ce bipartisme, le libéral Robert Bourrassa devenant premier ministre, largement majoritaire avec ses 99 députés face aux 23 péquistes formant l’opposition. Autant dire que l’ambiance est au PLQ triomphant.

Seulement, le PLQ – surtout à cette époque – reste un parti plus “à gauche” que les anciens conservateurs. Surtout, le PLQ revendique la particularité du Québec dans le Canada et contient encore plusieurs membres réellement indépendantistes*, Bourrassa doit donc jongler entre son fédéralisme clair et la revendication nationale des Québécois. Il va donc négocier les accords du Lac Meech, qui vise à faire adhérer le Québec à la Constitution Canadienne en échange de plusieurs concessions comme la reconnaissance de la « Société distincte » Québécoise. Les accords échouent mais marquent les esprits. Bourassa va aussi faire adopter la  « clause nonobstant », qui a permet au Québec d’outrepasser des lois fédérales et de conserver l’intégralité de la Charte de la langue française, notamment l’affichage unilingue.

C’est dans ce contexte que le Parti Égalité est fondé en avril 1989, quelques mois avant les élections générale. Son nom pourrait le faire passer pour un parti de gauche**, ce qui serai une grave erreur. En effet, outre l’égalité linguistique, le PÉ défendra une ligne clairement conservatrice. Mais en 1989 ce sont les questions identitaires qui sont essentielles, et elles jouent à plein, le programme du parti demande notamment :

  • L’affirmation du droit de demeurer Canadien en cas d’indépendance du Québec ;
  • L’obligation de consulter tous les Canadiens et non seulement les Québécois sur un éventuel référendum de partition ;
  • L’abrogation de la 101 (Charte de la langue française imposant le français comme seule langue officielle) ;
  • L’autorisation pour tout Québécois de mettre ses enfants dans une école anglophone (depuis le premier gouvernement péquiste, seuls les enfants d’anglophones ont ce droit) ;
  • La ratification immédiate de la Constitution Canadienne ;
  • Le rejet de la reconnaissance du Québec comme  « Société distincte » ;
  • Une  « responsabilité fiscale »  à tous les échelons, ce qui pourrait se traduire par  « moins d’impôts et moins de fonctionnaires ».

Fort de ce programme très ciblé, le PÉ présente dix-neuf candidats aux élections provinciales de septembre 1989 et, à la surprise générale, obtiennent quatre députés et manquent de peu d’en faire élire cinq autres.

 Les députés du Parti Égalité

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Gordon Atkinson& Neil Cameron

Si le PÉ ne s’attendait sans doute pas à un tel résultat dès le départ, les terres d’élections des députés restent peu surprenantes : il s’agit à chaque fois de circonscriptions montréalaises à très forte majorité anglophones qui votent libéraux sans hésiter depuis les années 60 (certaines depuis toujours). Il est à noter que ça n’a pas beaucoup changé, ainsi la circonscription D’Arcy-McGee est encore aujourd’hui le territoire le plus libéral du Québec, le député PLQ y ayant obtenu… 92,2% lors des dernières élections !

Quatre députés sont donc élus :

  • Gordon Atkinson, ex-militaire de 67 ans devenu journaliste sur les radios anglophones, défait le député sortant de Notre-Dame-de-Grâce avec 43% des voix ;
  • Neil Cameron, professeur d’histoire et chroniqueur cinquantenaire, qui s’impose dans Jacques-Cartier avec lui aussi autour de 43% ;
  • Richard Holden, avocat de 58 ans qui avait déjà tenté sa chance comme indépendant en 1962, puis comme progressiste-conservateur en 1976, et arrache la circonscription de Wesmount avec 40%, juste deux points devant le candidat libéral ;
  • Robert Libman, architecte et chef du parti, qui obtient plus de 57% des voix et devient, à 28 ans, un des plus jeunes députés de l’histoire ;

Le PÉ existe donc fortement à l’issu de ces élection, même s’il n’a pas du tout assez d’élus pour faire la balance du pouvoir. En effet, le PLQ conserve 92 sièges et n’a donc pas besoin de se pencher vers sa droite pour gouverner. Grand bien lui prend d’ailleurs, le PÉ explosant rapidement en vol, sans doute victime de son succès inattendu qui créé de multiples querelles d’ego minant sa crédibilité.

Cela commence en octobre 1991 ou Richard Holden est exclu pour avoir enfreint la discipline du parti. En fait, il défendait ardemment les accords du Lac Meech, contre lesquels le parti s’était en partie créé ! Siégeant comme indépendant, il rejoint le Parti Québécois en août 1992. Un choix pour le moins incongru, qui le brouillera avec sa famille et qui sera évidemment rejeté par la plupart des électeurs. Il est à noter que divers témoignages indiquent qu’il avait auparavant voulu rejoindre les libéraux.

Neil Cameron dépose bien le projet de loi 199, qui vise à faire de l’anglais et du français les deux langues officielles dans la province, en 1993, mais les combats internes rendent l’action inaudible. La violence est telle que Robert Libman – pourtant chef du parti ! -, le quitte en décembre 1993 pour siéger comme indépendant. En mars 1994 c’est Gordon Atkinson qui quitte le navire, laissant Cameron seul pour terminer la mandature.

L’élection de 1994 et l’avenir des élus

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Richard Holden & Robert Libman

Les élections de septembre 1994 sont cuisantes pour les sortants comme pour le parti qui passe de plus de 125 700 voix à à peine plus de 11 500. Pour ce qui est des quatre députés du PÉ, tous virent leur carrière politique s’arrêter brutalement lors des élections de 1994.

Richard Holden se présente pour le PQ dans Verdun (sa circonscription avait en effet changé de contours) et est largement battu par le sortant libéral. Il est cependant nommé à un poste de haut fonctionnaire à la Régie du logement par le gouvernement péquiste. Souffrant de douleurs insupportables aux dos, il se suicide en 2005 à l’âge de 74 ans.

Gordon Atkiston se représente dans sa circonscription comme indépendant mais n’obtient que 5,4% contre 73% au candidat libéral. Neil Cameron, seul resté fidèle au PÉ, n’en tire pas vraiment bénéfice puisqu’il obtient 6,15%, devancé par le PQ et un libéral caracolant en tête avec 83,6% des suffrages. Aucun des deux ne refera le saut en politique. Atkiston, doyen du groupe, décède début 2006 à 83 ans tandis que Neil Cameron continue une carrière de journaliste et chroniqueur – exclusivement dans les médias anglophones bien sûr – et a même un site sur lequel il publie régulièrement recherches et opinions.

Robert Libman est un cas à part car, malgré sa défaite honorable comme candidat indépendant – un peu plus de 30% des voix -, il contine une carrière politique. Une chose pas si étonnante si l’on se rappelle qu’en 1994 il n’a que 33 ans. S’il n’a jamais été à nouveau candidat à un poste provincial, il est maire de la commune de Côte-Saint-Luc de 1998 à 2001, date de sa fusion avec la ville de Montréal. Il devient alors maire de l’arrondissement de Côte-Saint-Luc–Hampstead–Montréal Ouest et, à ce titre, membre du bureau éxécutif de la ville jusqu’en 2005. Intervenant de temps à autres dans le débat public il appelle notamment à voter pour la CAQ en 2012 et est actuellement candidat à l’investiture pour le parti conservateur dans la circonscription de Mont-Royal en vue des élections fédérales de 2015 .

Quelle influence après le déclin ?

Bien que présentant par la suite plus d’une vingtaine de candidats, le PÉ ne réussira jamais à faire réélire un député. Tous sont largement battus et en 2003 le parti récolte à peine plus de 4000 voix pour 21 candidats. Continuant d’être enregistré au près DGEQ pendant plusieurs années, le parti perd finalement sa reconnaissance officielle en 2012.

Le PÉ n’aura donc été qu’un feu de paille, typique incarnation de ce que peut-être la politique québécoise, très prompte à renverser la table sans que cela s’inscrive réellement dans le temps, le passage de l’ADQ en opposition officielle en 2007 en est un autre exemple… Peu influent, le PÉ voit pourtant aujourd’hui ses idées assez portées par des libéraux devenus clairement anti-indépendance, voulant réouvrir le dossier constitutionnel et dont le premier ministre n’hésite plus à ne parler qu’anglais quand il est à l’étranger… On en viendrait presque à regarder Bourassa avec nostalgie.

* En 1994 Mario Dumont quitte le PLQ pour créer l’ADQ, un mouvement autonomiste qui fait campagne pour le oui lors du référendum.
** Un ami québécois peu impliqué en politique m’a avoué avoir voté pour eux parce que l’égalité lui semblait un bon concept.

Pour aller plus loin :
Site (conservé en cache) du Parti égalité
Article de CTV Montréal sur les 25 ans du Parti égalité

Crédit photo : Assemblée nationale du Québec.

Entretien avec Pierre Céré, candidat à la chefferie du PQ

Pierre Céré est avant tout un militant associatif et syndical, particulièrement actif dans la défense des précaires. Coordonnateur du Comité Chômage de Montréal depuis 1997 et porte-parole du Conseil National des Chômeurs et Chômeuses, il a fait le saut en politique pour le Parti Québécois dans Laurier-Dorion en 2014. Sèchement battu, il n’a pas renoncé, a repris son bâton de pèlerin et s’est porté candidat à la chefferie du PQ, défendant un indépendantisme social et inclusif.

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Vous êtes actif dans le milieu communautaire depuis des années, particulièrement auprès des chômeurs dont vous défendez les droits au niveau local et provincial depuis plus de vingt ans. Comment vous êtes vous retrouvé à travailler pour cette population souvent rejetée à la marge ?

En fait, je suis actif dans les mouvements de chômeurs depuis 1979 quand, avec d’autres camarades, nous avons créé le Regroupement des chômeurs et chômeuses de l’Abitibi-Témiscamingue, une région du nord du Québec. Ce sont les circonstances qui m’ont amené là. L’Abitibi est une région minière où le chômage a toujours été très élevé. J’étais déjà actif dans les milieux militants, il y avait ce besoin de créer une organisation de défense des droits des travailleurs en chômage. Nous l’avons fait. Mes appartenances sont là, elles sont toujours demeurées là, avec les travailleurs et les travailleuses, avec leurs problèmes, à défendre leurs droits.

Vous êtes entré en politique lors des élections de 2014, présenté comme un candidat vedette par le Parti Québécois. Comment se lance-t-on en politique quand on est issu du milieu communautaire, n’y avez-vous pas vu un risque ? Comment cette candidature a-t-elle été accueillie par vos collègues, votre environnement et, de l’autre côté, comment vous êtes-vous senti dans l’arène médiatique avec cette autre casquette ?

J’ai acquis cette conviction, au fil des années, que la société que nous avons bâtie au Québec, au cours des dernières décennies, est une société qui vaut la peine que l’on se batte pour elle. On parle du modèle québécois comme d’un modèle de développement économique et social qui nous est propre et qui est fondé en quelque sorte sur la solidarité et le partage d’une partie de la richesse créée. C’est ce qui explique ces outils de développement économique décentralisées et de proximité, réunissant les différentes forces qui animent la société (patrons, syndicats, mouvements sociaux, coopératives, etc.), accordant un rôle accru à l’État; c’est ce qui explique aussi bon nombre de programmes sociaux qui sont propres au Québec, et qui n’ont parfois aucun équivalent dans le reste de l’Amérique. De façon globale, on peut même dire que le Québec a mis en place son propre modèle de développement, souvent à contrecourant du modèle dominant en Amérique du Nord.

En ce moment, avec le nouveau gouvernement élu au printemps dernier, nous avons affaire à une véritable entreprise de démolition de ces acquis. Ce gouvernement, celui du Parti libéral du Québec, dirigé par Philippe Couillard, manifeste une réelle détermination de s’inscrire dans les grands courants conservateurs cherchant à réduire la taille et la portée de l’État.

Est-ce que j’ai vu un risque à me lancer en politique ? Non. Qui n’ose pas, ne risque pas, qui s’enferme dans une certaine routine, se contentant d’un rôle défini et arrêté, participe peu aux changements. La politique devient le prolongement de notre action. Pourquoi laisser la politique aux professionnels de la politique, aux carriéristes et autres « arrangeurs » ? Un célèbre syndicaliste disait que si tu ne t’occupes pas de la politique, c’est elle qui va s’occuper de toi.

Comment ma candidature a-t-elle été accueillie? Par mes collègues d’organisation, très bien. Ils comprenaient le sens de mon engagement. Par d’autres milieux sociaux, portés par d’autres visions politiques? Avec respect je crois. Comment me suis-je senti dans l’arène médiatique avec cette autre casquette? À l’aise, et sans langue de bois.

Avec 15,93% dans Laurier-Dorion, vous êtes largement battu, devancé par le sortant libéral  Gerry Sklavounos (46,19%) et le solidaire Andrés Fontecilla (27,69%). Plusieurs mois après cette défaite, quel regard portez vous sur votre campagne et que feriez-vous différemment ?

Je demeure très fier de la campagne que nous avons menée, des gens qui se sont regroupées autour de ma candidature, du travail que nous avons fait sur le terrain. Il me serait difficile de faire les choses autrement, sinon peut-être de chercher à mieux nous organiser structurellement dès le départ. Sinon, nous avons été emportés par une forte mobilisation de la peur, celle d’un possible référendum sur la souveraineté du Québec, et celle aussi, qui a joué un rôle déterminant dans nos résultats, du projet de charte de laïcité.

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Avec un tel résultat, on aurait pu penser que vous seriez retourné au militantisme, dégoûté de l’action politique. Vous avez pourtant décidé de vous lancer dans la difficile course à la chefferie du Parti Québécois, alors que les candidats ne manquent pas. Quelles raisons principales vous ont poussé à vous engager dans l’arène politique? Par ailleurs, les conditions d’inscription ont évolué mais restent complexes, notamment financièrement; à ce jour pouvez-vous effectivement vous présenter ?

Je suis retourné au militantisme ! J’ai repris mes activités au Comité Chômage de Montréal ainsi qu’au Conseil national des chômeurs (CNC).

Ma candidature à la chefferie s’explique surtout par le fait qu’un groupe de militants et de militantes s’est réuni autour de moi avec cette ferme intention de participer au débat des idées qui animerait le Parti québécois. Et il est devenu clair, au fil des semaines, que participer à ce débat impliquait nécessairement de présenter ma candidature à la direction du Parti québécois. Nous avons réfléchi, écrit, débattu et bâti littéralement nos idées et nos propositions. C’est devenu notre programme. Il est progressiste, il est de justice sociale, il s’inscrit dans ce grand modèle que nous appelons le « modèle québécois ». Nous sommes audacieux, refusons la vieille (comme la petite) politique et croyons que le Parti québécois pour mieux se reconstruire doit impérativement se redéployer dans le mouvement social, se reconnecter sur la population, sur la jeunesse, sur les idées émergentes, finalement sur ce que le Québec est devenu et ce qu’il sera demain.

Notre programme est en ligne : www.pierrecere.org

Les conditions menant à la validation du statut de « candidat » ne sont pas simples. Il nous faut recueillir 2000 signatures en provenance d’au moins 50 circonscriptions et 9 régions du Québec, avec chacune au moins 10 signatures. Cela, sans compter un premier dépôt 10 000$ qui doit être versé avec les signatures au plus tard le 30 janvier.

Je le répète : nous n’avons ni fortune, ni personnel salarié. Nous fonctionnons à l’énergie de l’espoir. Et ça marche ! Nous sommes partout et maintenant confiants d’atteindre la barre des signatures. Pour l’argent, nous lancerons bientôt une campagne citoyenne, 100%, c’est-à-dire 100 personnes donnant chacune 100 $.

Vous êtes un candidat  « surprise » mais vous avez été l’un des premiers à sortir un programme détaillé. Vous y développez une vision d’un Parti Québécois inclusif et socialement juste, ce qui peut paraître s’opposer à la gouvernance passée. Comment jugez-vous la gestion de la Charte des valeurs et de la laïcité, vous qui aviez dénoncé dès 2007 une dérive identitaire du PQ ?

Il est vrai de dire que je suis un candidat « surprise », et je l’assume. Je ne suis pas député, je n’ai jamais fait de la « politique professionnelle ». Je viens des milieux sociaux et je me fais un point d’honneur de rappeler que je viens d’un milieu ouvrier et que mes appartenances sont toujours restées là.

Le projet de société que nous avançons en est un de justice sociale et d’inclusion. C’est aussi un projet indépendantiste qui se conjugue à la diversité culturelle.

Par ailleurs, il est vrai que nous portons un regard très dur sur cette stratégie identitaire qui a animé le Parti québécois depuis 2007. Cette stratégie visait à récupérer à la droite (Action démocratique du Québec) le sentiment identitaire. En faisant du « nous » et du « eux », on a fini par créer ce clivage avec les communautés immigrantes, leur faisant porter le poids d’une menace : celle de notre survie, celle du projet de pays, celle du fanatisme religieux.

Au lieu de travailler à transformer, là où il le faut, nos institutions, nous avons ostracisé. Au lieu de rassembler, nous avons divisé. Le projet de charte de la laïcité aurait pu avoir une approche rassembleuse, on a fait le contraire. Le problème n’était pas d’avancer avec un projet de laïcisation de l’ensemble des institutions d’État, d’établir des balises, mais plutôt dans la forme, dans la façon.

Le Parti Libéral du Québec élabore en ce moment une énorme casse sociale, cependant l’ère Bouchard, puis le mandat de Pauline Marois, ont semblé s’opposer parfois au « principe favorable aux travailleurs » de René Lévesque. D’abord progressiste, on sent aujourd’hui une grande tentation au PQ de séduire les électeurs de la CAQ, partisans de coupes sociales et de l’austérité. Vous vous posez en garant de la justice sociale, que répondez-vous à ceux qui vous disent qu’elle coûte trop cher ou qu’elle est inefficace et comment envisagez vous la redistribution des richesses dans un Québec où vous seriez Premier Ministre ?

Le Parti québécois demeure un parti fondé sur le projet de faire du Québec, un jour, un pays. Il regroupe, sur cette base, des sensibilités plus à gauche, d’autres plus à droite. Il est vrai qu’à l’intérieur du PQ, un courant aimerait un rapprochement avec la CAQ, et donc un alignement marqué à droite. Cela fait partie des tensions normales qui animent un parti politique comme le PQ. Briser l’équilibre existant lui serait fort dommageable.

La redistribution de la richesse, à tout le moins d’une partie de la richesse créée, les instruments économiques et les programmes sociaux que nous avons mis en place comme société demeurent les grands piliers de notre développement. Je poursuivrais clairement dans cette direction : une économie bâtie pour la population, pour ses besoins, construite dans un modèle de développement durable, l’amélioration des conditions de vie. Des propositions comme les « quatre semaines de vacances obligatoires » seraient mises en chantier, d’autres aussi (voir notre programme). Nous nous engagerions de façon très marquée dans une phase de transition visant à nous départir du pétrole, en accélérant le pas pour l’électrification de nos transports. Il y a beaucoup à faire, de nombreux chantiers à mettre en place. Nous formerions un fabuleux gouvernement !

Aux oiseaux du malheur qui nous prédisent toujours les pires cataclysmes, aux idéologues qui préfèrent une réduction de la taille de l’État plutôt qu’un État fort au service de sa population, à ceux qui nous proposent « d’avancer par en arrière », je leur dis : « nous connaissons vos histoires, nous connaissons vos recettes, elles sont sornettes pour l’une et indigestes pour l’autre ».

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Pour ce qui est de l’indépendance, vous proposez de d’abord tenter de négocier un nouveau partenariat avec le Canada, pour plus de dévolution (notamment fiscale), avant de lancer un référendum en cas de refus. N’avez-vous pas peur d’effrayer les plus « pressés », d’autant que rien n’indique que le futur premier-ministre canadien souhaite donner une quelconque autonomie supplémentaire au Québec ?

Notre proposition se résume à l’idée suivante : Souveraineté-association ou Indépendance !

En 1980, nous avons cherché par voie référendaire le mandat de négocier une nouvelle entente fondée sur l’égalité de nos deux peuples (Québec-Canada), par laquelle le Québec devenait le seul responsable de percevoir les impôts et les taxes sur son territoire, acquérant le pouvoir exclusif de faire ses lois et d’établir ses relations extérieures. Nous partons de là, allant chercher ce mandat dans le cadre d’une élection plutôt que par voie référendaire, en d’autres mots, nous éliminons une étape. Une fois élus, nous ouvrons cette négociation à deux, d’égal à égal, de nation à nation. Deux chaises, celle du Québec, celle du Canada. Nous ne négocions pas avec l’ensemble des provinces, comme ce fut le cas lors de l’Accord du lac Meech. Seulement avec Ottawa. L’objectif étant d’en arriver à une entente établissant notre souveraineté dans un cadre associatif. Est-ce que la classe politique à Ottawa aurait suffisamment évolué pour exprimer cette ouverture et mettre en place ce nouveau pacte entre nos deux peuples ? Nous verrions bien.

Mais à défaut de négociation, ou d’en arriver à si peu, devant une possible mauvaise foi, nous fermerons cette avenue après une période d’une année, et engagerons tous nos efforts, toute notre créativité, dans une mobilisation totale vers un référendum appelant à notre indépendance. La question serait simple : « Voulez-vous que le Québec devienne un pays? » Faudrait-il ajouter à pays, le qualificatif « indépendant » ou « souverain » ou tout simplement s’arrêter à « pays » ? Nos militants trancheront !

Notre proposition est claire, notre stratégie se déploiera à visage découvert, au vu et au su de notre population. Nos idées seront exprimées, le chemin que nous voulons prendre sera indiqué. Nous sommes en mode solution et nous comptons arriver à bon port au cours du premier mandat suivant notre élection.

Dans votre programme vous liez fondamentalement emploi et environnement, alors qu’on les oppose souvent. Alors que l’on parle de plus en plus de privatisation de l’électricité et que le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait autorisé l’exploration du pétrole de schiste dans l’île d’Anticosti, quelle est votre position sur ces débats ? Et qu’elle vous semble la priorité en terme de protection de l’environnement ?

L’ensemble de nos sociétés se retrouve au même carrefour, et il nous faut choisir : poursuivre ce même développement économique, en bout de ligne irresponsable et assassin de notre environnement et de notre qualité de vie, ou chercher des alternatives qui s’inscrivent dans un développement durable. Le Québec doit de façon solennelle et irrémédiable s’engager dans une phase transitoire pour se départir des énergies fossiles, et poser des gestes concrets, et importants, dans cette direction. Cela implique de mettre en place les structures de recherche, les mécanismes, l’industrie pour assurer à terme que notre transport, l’ensemble de nos moyens de transport, soient électrifiés. En même temps, sachons que cette transition se fera sur plusieurs décennies (trois, quatre, plus ?).

Pendant cette période, si nous continuons d’utiliser du pétrole et autres énergies fossiles, il nous faudra néanmoins en consommer toujours moins. Il faudra tout de même faire des choix : nous le prendrons où ce pétrole au cours de cette transition ? De l’Algérie ? Du Kazakhstan ? Celui des sables bitumineux de l’Ouest canadien ? Pourrions-nous envisager exploiter un pétrole québécois ? Encore faudrait-il connaître ses qualités, ses quantités, la qualité du sol, les impacts environnementaux et ceux possiblement sur la population, les méthodes d’extraction, etc. Et, surtout, ne jamais improviser sur ces questions. Jamais.

Enfin, ce dernier espace vous est laissé libre afin de développer une mesure phare sur laquelle vous n’avez pas été interrogé et que vous aimeriez développer.

La jeunesse québécoise du printemps 2012 a lancé un immense cri sur l’état de notre démocratie, sur nos pratiques. Elle a questionné les frontières peut-être trop étroites de cette démocratie, questionné nos pratiques, les formes de leadership. Il est de toute première importance de lancer un vaste chantier cherchant une refondation de notre culture et de nos mœurs politiques. En la matière, comme en d’autres, nous avons besoin d’une véritable révolution. Le Québec sait les faire « tranquilles » et à la fois systémiques. Allons-y !

Entretien réalisé par courriel 
en novembre 2014

Pour aller plus loin
Site officiel
Tribune : « Ce que le PQ pourrait être »

Crédit photos : Pierre Céré par Dominic Morissette, site officiel du candidat.

Le futur premier ministre…

Depuis la démission de Pauline Marois les jeux sont faits. Pierre-Karl Péladeau, magnat de l’industrie devenu député de Saint-Jérôme, sera le futur premier ministre du Québec. Tout le monde est d’accord à ce sujet et, d’ailleurs, un sondage qui vient de paraître affirme que PKP est le seul à pouvoir battre Philippe Couillard lors des prochaines élections générales. Attendez… Les prochaines élections générales ? J’ignorais que le gouvernement libéral était minoritaire et qu’il y aurait des élections sous peu.

Ha, que me dit-on dans l’oreille ? Les prochaines élections auront normalement lieu le 1er octobre 2018 ? Faut-il donc que les médias et les commentateurs aient perdu tout sens politique pour centraliser la plupart de leurs articles sur une « vague PKP » qui n’existe pour l’instant que de manière fictive, l’intéressé n’étant pas encore candidat à l’élection (ce qui, il est vrai, est un secret de polichinelle).Je pourrai ici parler de PKP, détailler ma pensée sur le décalage flagrant entre son discours se voulant gauchisant et sa réalité de patron-voyou, ou sur ses dons réguliers au Parti Libéral du Québec jusqu’à ce que le vent tourne et qu’il se sente puissamment indépendantiste et se mette à contribuer à la caisse du PQ – sa fougue gênant au passage un parti de plus en plus attentiste. Je pourrai aussi expliquer en quoi ça ne serai pas forcément si mal, ancrant définitivement le PQ à droite et laissant une place claire pour la gauche indépendantiste, tout en ne comprenant pas comment certains peuvent voir une menace en PKP pour les solidaires.

Mais je n’ai pas envie de faire ça. D’abord parce que tout ça se trouve déjà dans tout un tas d’articles, même si les trois-quarts sont példeau-béats, mais aussi parce que tout ça est fondamentalement absurde.

N’y a-t’il pas plus urgent à penser quand le gouvernement Couillard tente une dangereuse réforme de la santé ? Que le Ministre de l’éducation dit n’importe quoi très régulièrement jusqu’à proposer de ne plus financer les bibliothèques ? Que l’environnement est de plus en plus menacé par les velléités légèrement différentes mais toutes destructrices des conservateurs fédéraux et des libéraux provinciaux ? Que le Québec ferme un nombre énorme, de manière totalement inconséquente, de ses représentations diplomatiques ?

Alors, parce que les sondages c’est bien beau, c’est même formidable, mais qu’ils sont comme les promesses et ils n’engagent que ceux qui les croient je vais juste me permettre quelques rappels.

En janvier 2012 Pauline Marois était sensée être définitivement coulée, incapable de gèrer son parti. C’était bien simple, il n’y avait qu’une solution pour que le PQ ne sombre pas : qu’elle démissionne et que Gilles Duceppe la remplace. Quelques mois plus tard elle devenait premier ministre.

En mars dernier la même a, de manière très opportuniste d’ailleurs, déclenché une élection à une date choisie, afin d’obtenir le gouvernement majoritaire que tous les sondages lui prédisaient. Las, cette tentative s’est soldée par un échec cuisant et une des plus dures défaites connues par le parti, ouvrant la voie à un gouvernement libéral largement majoritaire.

Remontons en février 2011, à l’époque il était acquis pour tous les médias que François Legault serait le prochain premier ministre. Deux élections générales plus tard, il n’est toujours que le chef de la deuxième opposition.

Mieux encore, vous souvenez-vous d’André Boisclair ? Celui qui, en 2007, mena le PQ à sa pire débâcle, le parti terminant derrière le PLQ et l’ADQ. Unanimement décrié pour son leadership défaillant, ses gaffes et ses difficultés, il était pourtant l’un des homme politiques les plus populaires du Québec en 2005, en somme juste avant d’être élu chef du PQ. On trouvait même 71% des électeurs se disant prêt à voter pour lui même s’il était avéré qu’il avait « consommé de la cocaïne alors qu’il était ministre ? », une véritable love story.

On continue ? Je suppose que vous aurez compris l’idée. Je ne sais pas si PKP sera chef du PQ, premier ministre, s’il retournera à son entreprise ou créera un club de majorettes, mais ce qui est certain c’est qu’il est au coeur d’une bulle médiatique qui l’adule et en fait automatiquement le candidat à élire. C’est sans doute agréable mais c’est très fragile et, mis à part l’opinion, il n’y a pas plus versatile amant que les médias.

Alors posons nous, regardons ce que fait le gouvernement actuel, ce que diront les candidats à la course à la chefferie du PQ quand toutes les données seront connues, et cherchons le débat d’idées plutôt que des chiffres qui ne veulent rien dire. Allons bon, on peut bien rêver…

Crédit image : Wikimédia