Entretien avec Halimatou Bah, candidate verte dans Saint-Laurent

Créé en 2001, le Parti vert du Québec a su exister dans le paysage politique sans réussir pour le moment à percer comme on put le faire des partis dans d’autres provinces. Ayant pris depuis 2013 un virage écosocialiste et fédéraliste, il présente des candidats dans la quasi-intégralité des circonscriptions du Québec, et est le parti à la moyenne d’âge la plus basse. S’il peine parfois à se faire entendre dans un pays où le mode de scrutin reste peu tendre pour les petits partis, il était temps que sa parole soit entendue sur ce site. Après avoir observé plusieurs profils de candidats, nous avons choisi d’interroger Halimatou Bah, candidate verte dans Saint-Laurent, dont le profil, le parcours international (d’ailleurs passé par l’ouest de la France) et les combats locaux propres à sa circonscription nous semblaient particulièrement représentatifs.

Avant de débuter, pouvez-vous présenter votre parcours en quelques phrases et ce qui vous a poussé à vous lancer en politique pour la première fois ?

Je suis née et j’ai grandi à Dalaba une préfecture qui se trouve en République de Guinée. Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai été admise à l’université de Rennes 1 en droit. Après ma licence de droit je suis venu m’installer à Montréal ou j’ai obtenu un diplôme de 1er cycle en science politique que j’ai adorée. Actuellement, je finalise une maîtrise en administration publique à l’ENAP (école nationale d’administration publique) de Montréal.

Mon expérience de député junior à l’Assemblée nationale en Guinée m’a fascinée sur la politique et a orienté mon parcours scolaire. Mais le déclic est arrivé pendant un cours en politique et environnement que j’ai eu à l’UQAM (université du Québec à Montréal). En effet, j’ai perçu l’ampleur du dégât que l’homme a fait et continue à faire à l’environnement et aussi l’ampleur du pouvoir des politiques publiques sur les questions environnementales. Ces deux constats m’ont à faire un choix, être spectatrice et laisser une planète détruite à mes enfants ou être actrice en essayant de mettre l’environnement au cœur des enjeux politiques, j’ai choisi la deuxième option. Après avoir passé en revue le programme de tous les partis politiques au Québec, mon choix s’est porté vers le parti vert. C’était le seul parti qui non seulement concordait avec mes valeurs, mais qui prône également un changement important sur nos façons de faire pour protéger notre environnement.

En tant qu’écologiste on entend souvent dire « mais pourquoi vous dîtes vous de gauche, c’est limitant, et puis pourquoi un parti vert alors que tous les partis font de l’écologie », que répondez-vous à cela ?

Les autres partis font de l’écologie que j’appellerais de minimaliste, l’enjeu environnemental n’est jamais au cœur des débats. La preuve lors du dernier débat entre les principaux candidats en lice à la télévision, l’environnement n’était pas dans le sujet du face à face. C’est une honte que l’immigration soit une préoccupation plus grande que l’environnement. Le Parti vert du Québec, à l’inverse des autres partis, fait de l’écologie son cheval de bataille, avec une vision écosocialiste. Cela implique de protéger l’environnement tout en offrant des services publics de qualité à la population.

Le parti vert du Québec, très préoccupé par les inégalités sociales et le besoin de bâtir une société plus juste et plus équitable, a un programme de gauche qui vise la réduction des inégalités sociales. C’est pourquoi on appuie l’augmentation rapide du salaire minimum pour atteindre 15 $/h d’ici le printemps 2019. Cette augmentation du salaire minimum sera combinée avec des modifications au Code de travail, qui interdit aux employeurs de réduire les bénéfices (pauses café, assurances maladie) pour contrer la hausse du salaire minimum. Aussi, nous proposons d’instaurer un revenu minimum garanti de 1200 $ par mois afin de sortir l’ensemble des Québécois-es de la pauvreté. Ce montant sera bonifié pour les personnes atteintes de maladies ou d’un handicap physique ou mental.

Vous avez un parcours qui traverse de nombreux pays, dans votre profession de foi vous insistez d’ailleurs sur l’importance d’une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers. Écologie et internationalisme vont de pairs ?

Le réchauffement climatique montre de façon très concrète qu’écologie et internationalisme vont de pair. En effet, de la même façon, que l’air que nous respirons n’a pas de frontière, les dégâts environnementaux des uns touchent aussi les autres, car, que ça nous plaise ou pas nous partageons tous la même planète. Et si, tous les pays du monde ne travaillent pas d’un commun accord pour limiter les saccages, les conséquences environnementales sont immenses, et les pays pauvres en sont les plus touchées. Le réchauffement climatique ne touche pas qu’un seul pays, mais le monde entier. L’Afrique est le continent qui pollue le moins en termes de gaz à effet de serre et pourtant elle n’est pas épargnée par les ravages faits à l’environnement (sécheresses à foison, inondation à répétition, etc.) et aucune compensation financière ne peut freiner ces dégâts. D’ailleurs, j’ai en tête d’aller dans les pays où les questions environnementales sont moins perçues et compris pour les sensibiliser encore et encore sur l’impact que peuvent avoir nos comportements sur la planète. L’Accord de Paris est clair là-dessus, si nous voulons limiter le réchauffement climatique de 1,5 degré les pays du monde entier devront unir leurs forces pour atteindre la carboneutralité d’ici l’année 2050.

Vous mettez en avant la défense de l’environnement dans le « Technoparc » de Saint-Laurent. Quelles sont les problématiques urgentes sur ce site et quelles réponses souhaitez-vous y apporter ?

Le Technoparc dans l’arrondissement de Saint-Laurent est l’un des plus grands parcs scientifiques au Canada. Trois milieux humides abritant des espèces importantes d’oiseaux et d’animaux aquatiques se trouvant sur le site du Technoparc sont menacés. En effet, la construction prévue de l’éco-campus Hubert-Reeves ainsi que le tracé du futur train du Réseau électrique métropolitain (REM) qui va passer aussi sur ce terrain détruira une bonne partie d’un des marais et asséchera la portion sud du milieu humide. La fonction écologique exercée par les milieux humides est une richesse inestimable pour les espèces qui y vivent.

Le parti vert du Québec veut limiter les interventions sur ces milieux de vie, nous voulons faire en sorte qu’on reconnaisse l’apport des marais dans notre écosystème, enfin, nous estimons qu’un parc nature devrait être créé à cet endroit non seulement pour protéger les espèces qui y vivent, mais aussi pour doter Montréal d’un endroit paisible et vert qui attirera les ornithologues du monde entier et des familles.

 Les élections ont eu lieu, vous êtes député, quel est le premier projet de loi que vous souhaiterez déposer ?

Le premier projet de loi que je souhaite déposer sera un projet de loi sur l’augmentation du prix carbone et l’instauration d’un système de rationnement de combustible fossile.

En effet, l’avis des experts est clair ; pour réduire les gaz à effet de serre et lutter contre les changements climatiques, nous devons poser des gestes concrets pour réduire la consommation d’essence et d’énergies fossiles. C’est pour ces raisons que le parti vert du Québec propose d’augmenter le prix du carbone à 200 $ la tonne en 2019 avec une augmentation de 25 $ par année par la suite. En 2017, le Québec a consommé près de 10 milliards de litres d’essence, surpassant toutes les années précédentes, aussi, les deux tiers des véhicules vendus étaient des VUS ou des camions légers. Le statu quo n’est pas durable, il est temps de poser des gestes concrets pour lutter contre les changements climatiques et les émissions provenant du domaine des transports et en sens j’estime que le bâton peut-être plus efficace que la carotte.

Rencontre avec Elizabeth May, députée et cheffe du Parti Vert du Canada

Lors de mon voyage au Québec et Canada au mois d’avril, j’ai eu la chance de voir nombre d’événements politiques, et d’interviewer plusieurs élu.es. Étant membre d’Europe Écologie – Les Verts, de son conseil fédéral (une sorte de parlement interne) et dont j’étais à l’époque élu (conseiller municipal de Laval, en France, à préciser car la ville a un homonyme qui est la 3ème plus grande ville du Québec !), j’ai proposé d’aller rencontrer la cheffe du parti frère au Canada.

Elizabeth May, dont le parcours de militante environnementale puis de députée ultra-présente, réussissant à gagner des points alors qu’elle est la seule verte à la Chambre des communes, tout en restant impliquée dans les luttes sociales et environnementales, m’a toujours beaucoup impressionné. C’est avec une grande joie (et un peu de fierté) que je suis allé la rencontrer avec une série de questions construite avec le bureau exécutif et la commission transnationale d’EÉLV. Malheur, il y a eu une erreur d’agenda et j’ai raté une partie du rendez-vous, qui fut plus court que prévu, mais Mme May et son équipe m’ont accordé un peu de leur précieux temps et ont accepté de répondre à nos questions, et en français s’il vous plaît !

Petite anecdote avant les questions à proprement parler, les députés ont souvent un ou deux drapeaux devant leurs bureaux. Le plus fréquent est celui du Canada, parfois on voit celui d’une province (j’ai pu voir celui du Nunavut et du Québec, seul présents dans le cas de députés indépendantistes), ou d’une communauté (franco-ontariens par exemple). Devant le bureau de Mme May, tout un symbole, le drapeau Canadien côtoie celui… de la planète Terre !

Vous avez été élue pour la première fois en 2011, sept ans plus tard, quel est le panorama de l’écologie politique au Canada ?
Depuis que j’ai été élue, nous avons vu une dynamique verte croître à travers le pays. Je pense que les Canadiens ont vu la différence qu’un seul député vert peut faire. Au niveau provincial, il y a deux verts élus à l’Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick, et trois verts élus qui ont la balance du pouvoir en Colombie-Britannique. Le chef du Parti vert de l’Ontario mène les sondages dans sa circonscription, une semaine avant l’élection provinciale [il a bien été élu jeudi, devenant le premier élu vert de l’Ontario].

Le CETA a été adopté, malgré l’opposition des écologistes européens et canadiens, vous reste-t-il des perspectives de lutte au Canada ?
Les Verts de tous les parlements de la planète doivent continuer de travailler ensemble à l’élaboration de nouveaux accords commerciaux internationaux en vertu desquels les grandes compagnies devront assumer davantage de responsabilités avant de pouvoir obtenir de nouveaux droits.

Ensemble, nous pouvons éliminer les accords [renfermant de telles dispositions] dont l’objectif est en fait de donner encore plus de pouvoirs à ceux qui en possèdent déjà beaucoup et plus d’argent à ceux qui sont déjà riches. Nous pouvons mettre en place des accords qui protégeront les personnes marginalisées et désavantagées, et travailler à l’élaboration d’accords commerciaux justes et équitables, qui profiteront à l’ensemble des humains.

Dimanche, vous étiez arrêtée lors d’une manifestation contre un pipeline, un type de combat que vous menez régulièrement. Dans les discours le Canada dit vouloir réduire son recours aux énergies fossiles mais alors pourquoi tout ces projets pétroliers ?
Il sera impossible pour le Canada de réduire nos recours aux énergies fossiles et d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris avec  la construction de l’oléoduc Kinder-Morgan. Le Parti libéral avait promis de cesser de subventionner l’industrie des carburants fossiles durant la campagne de 2015 [depuis, le gouvernement a annoncé qu’il rachetait le pipeline face aux hésitations des compagnie, afin de pouvoir revendre l’équipement pétrolier une fois construit].

Les libéraux ont récemment recommencé à attaquer l’ancien gouvernement Harper en vue de l’élection de 2019, mais quelle est la différence ? Avec le gouvernement de Justin Trudeau, les Canadiens croyaient enfin pouvoir compter sur un leadership environnemental – moi-même inclus. Mais c’était un leurre. Les libéraux financent l’industrie pétrolière et décident de soutenir un secteur dont l’économie mondiale veut progressivement se passer.

Quand vous parlez du problème des pipelines, vous abordez souvent le sujet des autochtones, comment liez-vous écologie et premières nations ?
Le Canada a signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En imposant le pipeline de Trans Mountain, le gouvernement canadien contrevient à l’article 32 de cette déclaration. Le gouvernement du Canada entache l’honneur de la Couronne en ignorant les droits des Premières Nations qui sont enchâssés dans la Constitution canadienne. À titre de signataire de cette déclaration, le Canada a l’obligation de « (…) [consulter] les peuples autochtones concernés et (coopérer) avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources (…). »

Cette obligation n’a pas été respectée par le processus d’approbation provisoire des projets de 2016. Le panel de trois personnes chargé d’examiner les préoccupations publiques relatives au pipeline de Kinder Morgan ne respectait pas plus l’engagement d’une prise de décision basée sur des faits ni les droits des peuples autochtones. Le panel de trois personnes n’a pas recommandé l’approbation du projet de pipeline ni contribué aux données scientifiques se rapportant au projet.

De plus, il est impossible de ne pas lier l’écologie et premières nations – au sujet de leurs cultures, santé, droits, terres ancestrales… c’est toujours connecté.

Enfin, on compare souvent Trudeau et Macron. En France on a encore des difficultés à appréhender le cas Macron, vous avez un peu plus de recul depuis 2015. Comment les Verts Canadiens appréhendent-ils cet adversaire jeune, très communicant, qui fait de grands étalages de foi écologiste ?
Le leadership affiché à la COP21 de Paris et la ratification rapide de l’Accord de Paris garantissait une une note positive à Trudeau. L’engagement à l’égard de la tarification du carbone, malgré une certaine résistance des provinces, nous emmène au descriptif ci-dessus.

Mais il est difficile de bien évaluer un gouvernement qui maintient les mêmes faibles cibles climatiques que le précédent gouvernement conservateur. Cette cible – 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2030 – est irréconciliable avec l’Accord de Paris. L’Accord de Paris a fixé l’objectif de limiter la hausse des températures moyennes mondiales à 1,5 oC tout au plus, ce qui exige une cible bien plus exigeante que celle établie par le gouvernement Harper. De plus, comme l’a judicieusement remarqué Julie Gelfand, commissaire à l’environnement du Bureau du vérificateur général, les Libéraux semblent avoir oublié l’engagement de Copenhague – soit une réduction de 17 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2020. Les plans ont tous été conçus pour atteindre la faible cible du gouvernement Harper en 2030, et même cette cible semble hors d’atteinte.

Le programme libéral avait promis de mettre fin aux subventions accordées pour les combustibles fossiles, mais les budgets de 2016 et de 2017 n’ont annoncé aucune mesure du genre. Les Libéraux avaient également promis le rétablissement d’une approche scientifique, mais la science du climat est aussi négligée qu’elle l’a été durant l’ère Harper. Le manque du soutien du gouvernement a provoqué la disparition du réseau pancanadien de la science du climat, le Forum canadien du climat.

Devant l’approbation de projets de gaz naturel liquéfié qui font monter les GES, et la choquante achat de Kinder Morgan, au mépris de ses promesses électorales, il est difficile d’admettre que les Libéraux croient vraiment que « l’environnement et l’économie vont de pair », comme ils se plaisent à le dire. Cette affirmation est pourtant vraie, mais seulement lorsque les décisions ne s’annulent pas les unes les autres.

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