Le décès de Raymond Gravel me force à sortir de mon silence estival. Je dois dire que j’aurais préféré continuer à me taire. Raymond Gravel était un grand homme, homme politique, homme d’Église et Homme tout court. Avec son parcours atypique, il fut un des premiers députés québécois auquel je me suis intéressé, il y a pas mal d’années de ça puisqu’il était encore élu.
Raymond Gravel n’a été élu que deux ans, député bloquiste de Joliette de 2006 à 2008. Forcé ensuite de choisir entre la députation et la prêtrise, il était revenu à ses ouailles, qu’il n’avait jamais quitté.
Je ne vais pas revenir durant des lignes sur tout son parcours, de sa jeunesses difficile à ses derniers mois en passant par ses combats principaux, deux articles résument bien cela : celui du Huffington Post, qui revient sur ses combats les plus polémiques un par un, et ce très bel entretien/portrait du Bel Âge.
Mais en passant, quelques petites choses. Si l’on a parfois teinté Gravel de combats qui n’étaient pas les siens, son engagement pour les déshérités fut majeur. Souvent en conflit avec sa hiérarchie, il a ainsi pris position très clairement pour le mariage homosexuel ou l’aide médicale à mourir et s’est opposé à faire du fœtus un être vivant – sans être le militant pro-avortement que certains voulaient en faire, et assumant la complexité de ses positions.
Il portait un regard de bienveillance, d’accueil et d’amour bien plus proche du message de l’Évangile que beaucoup que ses collègues figés sur un dogme qu’il fustigeait régulièrement. D’ailleurs, au sein de l’Église même, il a milité pour l’ordination des femmes dans l’Église, le mariage des prêtres et, surtout, l’accueil de ceux que l’institution rejette aujourd’hui : homosexuels, divorcés, femmes ayant avortés. Il n’hésitait pas à dire que l’Église était à la ramasse, accusant Benoît XVI et, fait plus rare, Jean-Paul II, de lui avoir fait prendre « cent ans de retard ».
S’intéressant toujours à ce qui se passait autours de lui, il a pris une position ferme de soutien à la ministre péquiste Véronique Hivon lors de la présentation de la loi 52 offrant le droit à l’aide médicale à mourir. Il se savait condamné à ce moment là et déclarait simplement qu’il ignorait s’il aimerait en profiter. Tout juste disait-il que s’il souffrait, il n’y avait qu’à le laisser décider et s’arranger avec Dieu « une fois de l’autre bord ».
Dans le concert d’hommages – très nombreux et souvent sincères, même si je reste parfois surpris de voir de violents opposants chanter ses louanges – on rappelle moins souvent son opposition à la Charte des valeurs et de la laïcité. Il ne s’agissait pourtant pas pour le prêtre de s’opposer à une laïcité d’État qu’il a toujours défendu, mais de refuser un projet stigmatisant visant en premier lieu certaines communautés religieuse.
Il n’aura jamais vu s’accomplir son rêve d’indépendance mais aura au moins eu le plaisir de voir l’Église évoluer. Lui qui ne se reconnaissait dans aucun des papes de ces cinquante dernières années avait vu d’un très bon œil l’accession de François au sacerdoce suprême. Je ne résiste pas à poster cette croustillante citation de Gravel à propos de la lutte de « son pape » contre le luxe au Vatican : « Il a découvert que la garde-robe d’un cardinal coûte au bas mot 20 000$. Les soutanes haute couture, les souliers de soie et les dentelles vont être abolis. On a fini de voir défiler ces ecclésiastiques comme s’ils formaient une assemblée de poupées Barbie. Au dernier conclave, ils avaient l’air d’une bande de travestis en parade, des vrais drag-queens ! »
Raymond Gravel n’a été élu que deux ans, mais son intérêt allait toujours à « la vie de la cité ». À ce titre, porté par une bonté et une tolérance peu commune, il n’a jamais cessé d’être un homme politique, et est bien un des plus marquant que le Québec ait porté ces dernières années.
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