Laïcité mon amour

Laïcité mon amour, ma vieille camarade, j’ai un peu mal au coeur de te voir tant dévoyée et utilisée à tout bout de champ… La France, mon pays, a connu un drame il y a peu, un acte monstrueux, terrible, tout ce qu’on veut. Un acte stupide, qui offrait tout un pan de haine à toute une partie de mon pays, ravis de trouver une nouvelle manière de taper sur les musulmans. Après les attaques de mosquées il y a eu divers actes, plus insidieux, puis ce délire sécuritaire menant à emmener des gamins de huit ans devant des policiers pour répondre d’« apologie du terrorisme »…Sur facebook je voyais des amis québécois poster sur le thème du « je vous l’avais bien dit », envoyant des piques aux « inclusifs » qui s’étaient si naïvement opposés à la Charte des valeurs – du moins la version qui en a toujours été présenté. Quel drame, quelle erreur, quand justement ces drames semblent montrer tout l’inverse.

Il faut le répéter, la majorité de ceux qui s’opposaient à la Charte étaient contre cette Charte, mais pas contre un renforcement de la laïcité. La version autoritaire et volontiers ostracisante portée par Bernard Drainville était alors la seule possible pour la plupart du personnel politique…Il reste que pour des raisons historique la France a une politique encore plus restrictive que celle proposée en 2012, pour faire simple voici quelques exemples, plus ou moins récents :

  • aucun fonctionnaire n’a le droit de porter un signe ostentatoire (hormis des petits bijoux décoratifs) ;

  • le port de signes religieux distinctifs est formellement interdit à tout élèves de l’école ou du lycée (le cas des université est différents) ;

  • La burqa est totalement interdite dans l’espace public.

Ces règles sont sans nul doute cent fois plus restrictives que la Charte des valeurs, elles enflamment régulièrement les discussions, et tant pis si le port de la burqa ne concerne que moins de 500 femmes sur le territoire. De la même manière il y a eu récemment un ardent débat pour interdire à des mères de familles voilées d’accompagner leurs enfants lors de sorties scolaires. Là aussi, tant pis si cela risque avant tout d’exclure des personnes d’un processus d’inclusion, de les marquer du sceau de l’infamie, alors qu’il s’agissait de volontaires prêts à donner de leur temps pour aider l’école… Heureusement le gouvernement a fini par sonner la fin de la récré, mais cela montre bien que la situation française est à des lieux de la situation québécoise.

J’ai donc du mal à comprendre que des camarades Québécois analyse la situation française pour dire « haro sur l’inclusion ». Rappelons que les trois meurtriers étaient tous français, étaient nés en France, deux avaient été directement élevés par la France (l’assistance publique)… Leur radicalisation est donc avant tout la preuve d’un échec total de l’inclusion. La raison ? C’est évidemment complexe et je n’ai pas la réponse. Mais je doute très fortement qu’enfermer des femmes en burqa chez elles ou qu’empêcher des mères d’accompagner leurs enfants en sorties change quelque chose. Surtout, je ne vois pas en quoi la laïcité est un problème dans tout ça…

La laïcité selon la loi de 1905, rappelons le, c’est d’assurer la neutralité absolue de l’état sur la question religieuse et de permettre à tout le monde de vivre sans religion sans discrimination. C’est donc très loin de lois ponctuelles, généralement amenées par l’ignorance et des faits-divers, qui stigmatisent largement des innocents. On se retrouve avec de délirantes situations où un président en campagne affirme que le premier sujet de préoccupation des français est le halal tandis que l’on a des jours fériés religieux (sans parler de Noël ou de Pâques on compte aussi l’Ascension, la Pentecôté ou l’Assomption…) et que de nombreuses cantines servent du poisson le vendredi sans que personne ne s’en émeuve.

La meilleure réponse à ces dramatiques événements est sans nul doute celle proférée par Jens Stoltenberg, premier ministre norvégien après les attentats d’Utoya et Oslo (70 morts, au nom de la race blanche et de la foi chrétienne) : « Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. » Cela c’est rappeler qu’en France ou au Québec il ne doit pas y avoir de citoyens de seconde zones, c’est adopter une grande réforme de la politique carcérale pour éviter que la prison soit une machine à récidive, c’est aussi combattre l’ignorance, de tous côtés. L’ignorance de ce qu’est la religion musulmane, juive, ou toute autre, sans doute aussi grande chez la plupart des français que chez ces pseudos fou-d’Allah…

À ce titre une vraie réforme laïque rappellerait qu’il n’est pas nécessaire de durcir des lois françaises déjà délirantes. Pour ma part je regarde avec une pointe de jalousie la société inclusive canado-québécoise, je me prend à espérer un jour ou la France comprendra que l’immigration est son avenir et qu’elle doit chercher à évoluer aux côté de ses néo-habitants plutôt que de se renfermer vers des réflexes identitaires1. Une fusion des deux positions pourrait amener à une réflexion plus mesurée, ou les tenant de l’autorité de l’État (policiers, juges et -je sais que ça fait débat- enseignants) devraient être absolument neutre tout en veillant à discuter plutôt qu’à punir. Ainsi, on évitera de faire de faits très mineurs pouvant se désamorcer par des échanges des clivages indépassables faisant trembler le gouvernement…

Puis, quand on voudra vraiment causer du sens profond de la laïcité plutôt que de stigmatiser l’Islam à tout prix, on pourra se pencher vers des propositions allant dans le sens de la lettre de la lois de 1905. Vous savez, ce genre de discussions scandaleuses qui font pourtant hurler les pseudo-laïcard quand ils se rendent comptent que ça ne touchent plus uniquement les musulmans… Quand Eva Joly a proposé, lors de la campagne présidentielle de 2012, que les employés puissent choisir leur jour férié religieux au lieu de se voir imposer les jours chrétiens (les athées pourront aller à la pêche) part exemple. Ou plus récemment quand Esther Benbassa, sénatrice écologiste et spécialiste de l’histoire juive, demande au sein d’un passionnant rapport contre les discriminations qu’un enseignement laïque du « fait religieux » existe au sein de l’école publique, l’instruction étant le meilleur rempart contre l’embrigadement…

Image : Le crucifix de l'Assemblée Nationale du Québec

1. À ce titre, je réjouis vraiment que Pierre Céré ait réussi à passer le cap nécessaire à la candidature à la chefferie du PQ, ne serait-ce que pour porter ce discours inclusif qui semble si démodé à certains.

 

Pour Raymond Gravel

Le décès de Raymond Gravel me force à sortir de mon silence estival. Je dois dire que j’aurais préféré continuer à me taire. Raymond Gravel était un grand homme, homme politique, homme d’Église et Homme tout court. Avec son parcours atypique, il fut un des premiers députés québécois auquel je me suis intéressé, il y a pas mal d’années de ça puisqu’il était encore élu.

Raymond Gravel n’a été élu que deux ans, député bloquiste de Joliette de 2006 à 2008. Forcé ensuite de choisir entre la députation et la prêtrise, il était revenu à ses ouailles, qu’il n’avait jamais quitté.

Je ne vais pas revenir durant des lignes sur tout son parcours, de sa jeunesses difficile à ses derniers mois en passant par ses combats principaux, deux articles résument bien cela : celui du Huffington Post, qui revient sur ses combats les plus polémiques un par un, et ce très bel entretien/portrait du Bel Âge.

Mais en passant, quelques petites choses. Si l’on a parfois teinté Gravel de combats qui n’étaient pas les siens, son engagement pour les déshérités fut majeur. Souvent en conflit avec sa hiérarchie, il a ainsi pris position très clairement pour le mariage homosexuel ou l’aide médicale à mourir et s’est opposé à faire du fœtus un être vivant – sans être le militant pro-avortement que certains voulaient en faire, et assumant la complexité de ses positions.

Il portait un regard de bienveillance, d’accueil et d’amour bien plus proche du message de l’Évangile que beaucoup que ses collègues figés sur un dogme qu’il fustigeait régulièrement. D’ailleurs, au sein de l’Église même, il a milité pour l’ordination des femmes dans l’Église, le mariage des prêtres et, surtout, l’accueil de ceux que l’institution rejette aujourd’hui : homosexuels, divorcés, femmes ayant avortés. Il n’hésitait pas à dire que l’Église était à la ramasse, accusant Benoît XVI et, fait plus rare, Jean-Paul II, de lui avoir fait prendre « cent ans de retard ».

S’intéressant toujours à ce qui se passait autours de lui, il a pris une position ferme de soutien à la ministre péquiste Véronique Hivon lors de la présentation de la loi 52 offrant le droit à l’aide médicale à mourir. Il se savait condamné à ce moment là et déclarait simplement qu’il ignorait s’il aimerait en profiter. Tout juste disait-il que s’il souffrait, il n’y avait qu’à le laisser décider et s’arranger avec Dieu « une fois de l’autre bord ».

Dans le concert d’hommages – très nombreux et souvent sincères, même si je reste parfois surpris de voir de violents opposants chanter ses louanges – on rappelle moins souvent son opposition à la Charte des valeurs et de la laïcité. Il ne s’agissait pourtant pas pour le prêtre de s’opposer à une laïcité d’État qu’il a toujours défendu, mais de refuser un projet stigmatisant visant en premier lieu certaines communautés religieuse.

Il n’aura jamais vu s’accomplir son rêve d’indépendance mais aura au moins eu le plaisir de voir l’Église évoluer. Lui qui ne se reconnaissait dans aucun des papes de ces cinquante dernières années avait vu d’un très bon œil l’accession de François au sacerdoce suprême. Je ne résiste pas à poster cette croustillante citation de Gravel à propos de la lutte de « son pape » contre le luxe au Vatican : « Il a découvert que la garde-robe d’un cardinal coûte au bas mot 20 000$. Les soutanes haute couture, les souliers de soie et les dentelles vont être abolis. On a fini de voir défiler ces ecclésiastiques comme s’ils formaient une assemblée de poupées Barbie. Au dernier conclave, ils avaient l’air d’une bande de travestis en parade, des vrais drag-queens ! »

Raymond Gravel n’a été élu que deux ans, mais son intérêt allait toujours à « la vie de la cité ». À ce titre, porté par une bonté et une tolérance peu commune, il n’a jamais cessé d’être un homme politique, et est bien un des plus marquant que le Québec ait porté ces dernières années.

Crédit photo : Wikimedia