Comédienne, autrice, militante avant tout, Catherine Dorion a le cœur à gauche et vibre pour le Québec. Fervente indépendantiste, elle participe à la fondation d’Option Nationale, dont elle est la candidate dans Taschereau (ville de Québec) aux élections de 2012. Auteure d’une vidéo de campagne où elle explique avec simplicité, humour et second degré son attachement à la cause souverainiste et sa foi en un avenir de progrès, elle créé un buzz retentissant en obtenant rapidement plus de 100.000 vues sur Youtube. Devenue icône d’un parti encore méconnu elle obtient 7,37 % des voix, soit le deuxième plus gros score du parti, derrière celui de Jean-Martin Aussant. Si elle est un peu moins visible depuis, elle continue plus que jamais à s’investir dans le parti et partage ses opinions et coups de gueule sur son blog avec un public toujours plus grand.
Pour commencer par la base, avant même de parler partis, peux-tu nous expliquer le fondement de ton engagement indépendantiste ?
Je ne le saisis moi-même que petit à petit à mesure que les années passent. Je crois que j’ai toujours souhaité pour mon peuple cette attitude qui, dans ma vie personnelle, n’a jamais menti, n’a jamais failli : le courage d’être soi-même et de suivre son désir, sans donner de crédit aux prophètes de malheur et à tous ceux qui, à force d’avoir peur, meurent vivants. Sans donner de crédit à ceux qui nous répètent partout que nous devrions être davantage ceci, moins cela, davantage autres, moins nous-mêmes. J’expérimente dans ma vie le succès de cette posture et c’est pour ça que je souhaite cette posture à mon peuple, comme je la souhaiterais à mon meilleur ami.
Avant de rejoindre Option Nationale tu as mené nombre de projets engagés, notamment des performances théâtrales, du slam, la rédactions de textes… Je te définirai comme une activiste culturelle, qui milite autant sur le fond que sur la forme (un certain type de théâtre), comment te positionnes-tu par rapport à ça ?
Je déteste avoir à me positionner dans un débat pré-déterminé par d’autres (les médias traditionnels, souvent), où les pour et les contre sont déjà étiquetés, les idées déjà classées en groupes et sous-groupes, et dans lesquels on me demande de me jeter juste pour aller grossir le nombre de telle ou telle équipe ou sous-équipe. Oui, je milite donc également sur la forme : ce n’est pas comme ça que notre politique devrait se faire. Il ne devrait pas s’agir que de lancer une idée contre une autre et de regarder le combat de coqs qui s’ensuit ainsi que les applaudissements ou huées des « experts » à la télévision. Il n’y a pas pire vecteur de désengagement de la population : nous, à qui on répète que nous vivons en démocratie, dans le meilleur système du monde et de l’histoire, sommes réduits à des spectateurs télévisuels d’une partie de hockey qui n’a plus aucun lien avec nos réels désirs et besoins! Nous nous désengageons, remplis d’un sentiment justifié d’impuissance et d’absence de sens, et nous nous laissons organiser par d’autres qui en profitent pour… pour profiter, quoi.
Pour changer quoi que ce soit et nous redonner à nous-mêmes notre politique, il faudra que nous nous en emparions. Et nous cherchons comment faire, à tâtons, nous cherchons. À un moment donné, nous tomberons sur une idée, sur un filon, sur une manière d’exprimer le politique qui nous rassemblera tous, nous éveillera, nous donnera le courage collectif nécessaire à la réappropriation de notre politique. En attendant, à l’intérieur de chacun de nous, le désenchantement et l’indignation s’installent, prennent de la place, accumulent le gaz dont nous aurons besoin pour nous lever tous ensemble. Militer, pour moi, c’est ça : préparer le terrain pour le moment où l’éveil collectif prendra forme.
Quand je remonte un peu dans tes travaux je retrouve toujours la question de l’indépendance, je te sens aussi viscéralement progressiste. Quand Jean-Martin Aussant a lancé Option Nationale en 2012 il semble que tu l’ai rejoint très naturellement, peux-tu nous expliquer le cheminement qui t’as mené à entrer et à prendre des responsabilités dans le parti ?
Nous avons eu l’idée du parti ensemble, à deux, dans un resto de Montréal, en marge du dernier congrès du PQ auquel nous assistions, moi comme observatrice et lui comme député péquiste. Nous l’avons plus tard fondé ensemble et avons fait toutes les premières démarches ensemble. Lui, qui avait beaucoup plus d’expérience que moi en politique active, a dirigé toutes les étapes. Moi, je regardais, j’apprenais, j’allais chercher du monde, des gens inspirés et passionnants qui n’avaient jamais fait de politique et qui savaient porter notre enthousiasme naissant d’une manière créative, attirante, à contre-sens de la fausseté habituelle des politiciens.
Tu as été une des révélations de l’élection de 2012, un buzz énorme a suivi la publication de ta vidéo, et tu as sans doute plus fait pour la reconnaissance d’Option Nationale que n’importe quel article ou émission. Du jour au lendemain tu as du recevoir énormément d’invitations, tu as tenu un blog sur L’actualité, à donné beaucoup d’entretiens et finalement obtenu un très bon score pour une jeune formation. Avec un recul d’un an, comment vois-tu cette reconnaissance et les conséquences de cet imprévisible succès ?
Comme un signe que le cynisme des gens face à la politique est aussi une ressource incroyable : le jour où des sincères investiront le plancher du politique au Québec, les gens sauront les reconnaître. Il ne suffira plus, pour nous, que de trouver des moyens de nous faire voir. Internet nous aide beaucoup dans ce sens-là. Je crois que tu as déjà, dans ta question, saisi les conséquences de ça, très positives pour nous. Évidemment, ça ne se fait pas en un an. Il faudra travailler…!
En attendant, ce que les gens savent reconnaître à coup sûr, ce sont ceux qui sont en politique pour le pouvoir ou l’argent. Ça, on connaît, on reconnaît, on se tient loin de ça, on vote pour le moins pire d’entre eux à contrecœur, en haussant les sourcils, en nous demandant si nous sommes en train d’accomplir le devoir du citoyen ou un acte assez débile d’humiliation citoyenne…
Catherine Dorion et Sol Zanetti
Après les élections de 2012, malgré la défaite des libéraux et la défaite de Jean Charest, les résultats laissaient un goût amer : un gouvernement péquiste très minoritaire, des libéraux encore puissants et la défaite de Jean-Martin Aussant. Un coup dur pour un jeune parti, d’autant plus que quelques mois plus tard il a décidé de quitter la direction d’ON. Quel regard portes-tu sur la démission de JMA ? Pourquoi n’as-tu pas souhaité le remplacer et quelles sont les raisons de ton soutien à Sol Zanetti ?
Je porte un regard ambivalent sur la démission de Jean-Martin : d’un côté je le comprends, c’est mon ami, je l’ai vu avec ses enfants, absent malgré lui, pris par les incessantes questions politiques, obligé de gérer le fonctionnement interne d’un parti qui grandissait plus vite que ses capacités organisationnelles alors que sa passion était de parler aux non-convaincus, de convaincre, de changer en profondeur les pré-conceptions des gens pour que, tranquillement, ses idées fassent leur place dans la population et s’y réenracinent avec solidité. Je pense que, face aux défis d’organisation partisane, mon ami trouvait la vie dure, lui qui, malgré ses lunettes et son génie économique, carbure à la passion. Il ne cessait jamais de travailler pour le parti, jusque tard dans la nuit, il avait toujours des trucs à régler, à penser, des militants à apaiser. Ses jeunes enfants n’avaient pas beaucoup de père…
C’est parce que j’ai constaté ça en le suivant de près que j’ai décidé de ne pas me présenter à la chefferie. Je savais que, avec mon bébé d’un an et demi, je finirais comme lui épuisée, éloignée de ce qui m’avait attirée en politique, vidée de ma passion et de mon énergie. Et je ne pouvais pas me faire élire et risquer de démissionner un an plus tard de la même manière que lui, ça aurait été un double coup trop difficile pour le parti en si peu de temps. Sol, quant à lui, était décidé, ferme, solide, et il avait autant envie d’organiser et d’unir les troupes dans un même élan que de convaincre la population du Québec de la logique de l’indépendantisme. J’ai senti que, moralement, c’était un pilier, qui avait le sens des responsabilités très développé, et que c’était lui qu’il nous fallait, surtout à ce moment-ci de notre histoire et dans la situation dans laquelle nous nous trouvions, affaiblis par le départ du chef fondateur.
De l’autre côté, je trouve que Jean-Martin a manqué de patience. Il n’aurait pas eu à attendre quinze ans avant que quelque chose se passe. Cinq, six ans, et ça devenait foutrement intéressant pour ON. Notre succès était époustouflant, dérangeant, merveilleux. Mais bon. Un sondage récent nous donnait 4% d’intentions de vote, le même pourcentage qu’avant la démission de Jean-Martin. Qui sait? Peut-être son rôle à lui n’aura-t-il été que de rassembler tous ces gens décomplexés qui ont envie d’arrêter d’avoir honte d’être eux-mêmes et qui savent communiquer leur fierté.
Quand ont te lit et t’écoute, on te sent éminemment progressiste. Je comprend bien que le rattachement au Canada lie les mains des québécois, qu’un gouvernement vraiment de gauche serait toujours préférable à des souverainistes centristes (par ailleurs peu pressés de faire l’indépendance) comme c’est le cas aujourd’hui ?
Les souverainistes centristes, tu parles du Parti Québécois? Mais ce parti, en tant qu’institution, n’est ni centriste, ni gauchiste, ni indépendantiste, ni fédéraliste. Ce parti n’est plus qu’une chose : électoraliste. Certains de ceux qui le composent ont des convictions réelles, mais ils se retrouvent pris dans une machine lourde, contre-productive, non-militante.
René Lévesque le disait : les partis vieillissent mal et ne devraient pas durer plus d’une génération. Au-delà de ça, ils deviennent trop attractifs pour les opportunistes, les carriéristes et tous ceux qui veulent profiter d’une idée ou d’un mouvement plutôt que d’y apporter leur appui pour le renforcer.
Quant à un gouvernement de gauche au Québec, ça serait pas mal, mais que peut faire un gouvernement provincial de gauche lorsque la moitié la plus importante de la politique, des ressources et des impôts de son peuple est gérée par un autre peuple sur lequel il n’a pas de prise? À quoi bon être de gauche (ou de droite) si notre budget provincial est pris à la gorge par les besoins en santé et en éducation, qui bouffent tout? Nous n’avons pas de réelle liberté d’action politique en tant que province.
L’indépendance du Québec n’est pas la seule mais la première des choses logiques à faire. La lutte gauche-droite aura toujours lieu. Il n’y a pas de système parfait qui, une fois instauré, assurerait à tout le monde que les malhonnêtes ne se retrouveront jamais au pouvoir en position d’exploiter les ressources du peuple, que ce système soit de gauche ou de droite. Hannah Arendt a beaucoup écrit là-dessus. Il faudra toujours se battre contre l’injustice et l’exploitation parce que ça risquera toujours d’arriver. L’indépendance politique du Québec, quant à elle, est réalisable et elle est un outil dans cette lutte qu’il faudra sans cesse mener. Quel peut être l’avantage de laisser un gouvernement élu par un autre peuple gérer la moitié la plus significative de notre politique?
Nous ne sommes responsables de rien, n’apprenons rien de ces décisions que nous ne prenons pas. Il est plus important d’avoir la possibilité d’être soi-même, au risque de se tromper, que d’être « du bon côté » ou d’avoir « les bonnes idées », qu’elles soient de gauche ou de droite. Comme pour l’individu, c’est la base de la confiance en soi : nous sommes tous différents; il n’y a que moi qui sache vraiment ce qui est bon pour moi. Je dois essayer, avancer, me tromper, ressentir, apprendre, réorienter, réussir, me fatiguer, me relever, etc. Être responsable. Être.
De manière plus générale, je me demande comment Option Nationale peut défendre l’idée « une fois élu, nous sommes indépendants » alors que dans les faits Ottawa en arrive même à remettre en cause la légalité d’un référendum à 50%+1…
Les sécessions sont du domaine du droit international. Et le droit international en matière de sécession repose sur la coutume et sur les traités internationaux. Les deux militent en faveur d’une reconnaissance d’un Québec indépendant à 50%+1 du vote. Ottawa peut bien faire ce qu’il veut, ce n’est pas lui qui a le pouvoir de légiférer en la matière.
Option nationale défend l’idée qu’une fois élus après une campagne claire, focussée entièrement sur l’indépendance, nous aurons un mandat électoral très fort de la démocratie québécoise en faveur de gestes de rapatriement au Québec de nos lois, de nos impôts, de nos traités. Évidemment, Ottawa risque de ne pas rester tranquille, mais il aura à faire face à cette patate chaude que sera cette population québécoise qui aura élu un parti très ouvertement indépendantiste et qui attendra de pied ferme toute fermeture d’Ottawa. Et tout ça à un moment où le parti au pouvoir à Québec sera prêt à faire un référendum n’importe quand et que toute radicalisation du débat par Ottawa risquera de favoriser les indépendantistes…
En gros, l’idée, c’est de nous mettre dans une win-win situation.
Même si Option Nationale défend l’indépendance avant tout, le parti est loin de ne pas avoir de programme social. Avec Québec Solidaire, Option Nationale est une des rares formations politique à avoir pris part active aux manifestations étudiantes de 2012, à arborer sans honte le « carré rouge » et à défendre la gratuité scolaire, sur d’autres sujets comme la santé, les institutions ou l’environnement il y a aussi de fortes convergences. J’ai lu ton texte expliquant la différence entre les deux partis mais vu le système électoral, je ne comprend pas pourquoi des alliances et soutiens réciproques ne sont pas envisagés dans un certain nombre de circonscriptions (comme cela avait eu lieu pour Jean-Martin Aussant et Françoise David) ? Il ne s’agit pas de nier les différences ou de supprimer les partis, mais juste de soutenir les forces progressistes-indépendantistes sans attendre que les partis dominants installent une proportionnelle dont ils ne veulent pas…
Des alliances et soutiens réciproques sont envisagées. Je suis de celles qui militent pour ça à l’intérieur de mon parti. J’ai des homologues à QS. D’autres militants de QS sont davantage « partisans » et ont peur des collaborations. Dernièrement, ON a fait une offre de collaboration électorale à QS, qui a été refusée par ce dernier en congrès…
De notre côté, à ON, pour éviter tout danger de faire passer le parti avant la cause, nous avons inscrit dans nos statuts qu’ « Option nationale affichera une ouverture permanente à collaborer, voire fusionner, avec toute autre formation politique dont la démarche est aussi clairement et concrètement souverainiste que la sienne ».
Outre ton engagement artistique, une autre de tes particularité sont tes nombreux voyages, souvent mis en avant quand on parle de toi, et notamment des études dans des pays aussi différents que le Chili ou la Russie. Cette façon de forger ta pensée montre un esprit inclusif, très loin de la vision d’indépendantiste fermée sur elle-même. C’est une image récurrente, régulièrement véhiculée par les fédéralistes, que l’actuel débat sur les « valeurs » n’améliore pas. Comment penses-tu qu’on puisse convaincre les étrangers, migrants, voire non-francophones, du bien fondé de l’indépendance ? Que la « culture de l’identité », dont tu parles souvent, n’a rien à voir avec un repli communautaire ?
Avec des vidéos comme celui-là, que j’ai réalisé et qui a été vu environ 20,000 fois sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=hpimcHrCLrQ
En en parlant dans des assemblées de cuisine (j’en ai fait une avec 90 immigrants issus de divers pays ouest-africains il y a quelques mois).
En faisant grossir le nombre de militants qui ont la même vision moderne de l’indépendance que moi. Ma communauté de pensée est immense, mais elle n’est pas encore majoritairement militante. Le printemps érable et la croissance fulgurante d’ON depuis ses débuts ont tous deux contribué à faire grossir leur nombre dans les réseaux d’activistes. La politisation continue. Ce n’est pas un mouvement qui est en voie de reculer. Cette politisation fait d’ailleurs partie d’une mouvance mondiale qui ne s’arrêtera pas de sitôt, comme c’était le cas dans les années 60-70.
Des rumeurs d’élections générales bruissent, le parti est-il prêt à les affronter? De ton côté, penses-tu de nouveau être candidate ?
Just watch us, comme dirait Trudeau. 😉
[NDA: Le 7 novembre, Catherine a annoncé sa candidature dans Taschereau pour les prochaines élections].
Entretien réalisé par courriel du 21 au 29 octobre 2013
Pour aller plus loin :
– Blog de Catherine Dorion
– Son compte twitter
– Un bon entretien sur Mlle.ca
– Site d’Option Nationale
Crédits photos : Site d'Option Nationale Taschereau et Lapresse.ca.