Femmes Autochtones du Québec (FAQ) est une association fondée en 1974 qui représente les femmes de neuf nations autochtones du Québec. Non-violente, féministe, militant pour l’égalité des droits, l’association réclame la reconnaissance du droit à l’égalité pour toutes les femmes autochtones du pays, tant sur le plan législatif que constitutionnel. Idéologiquement proche de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (où FAQ siège), la structure a cependant une voie/voix? et des problématiques propres. Rencontre avec Aurélie Arnaud, responsable des communications de l’association.

Avant de parler spécifiquement de FAQ j’aimerai aborder la question autochtone, mal connue en France et peu évoquée par les pouvoir politiques québécois. J’ai toujours été surpris par la manière dont le Québec, qui est fier d’être une nation à part entière, a du mal à admettre l’existence des Premières Nations. Les choses ont tout de même évolué – que ce soit par les décrets des Nations unies, les conventions, les lois sur les indiens – mais les autochtones vous semblent-ils aujourd’hui assez reconnus et entendus ? Quels sont les problèmes toujours d’actualités que ressentent tous les autochtones ?

Au Canada et au Québec, les nations autochtones sont toujours considérées par la loi comme des mineurs et dépendent, pour la gestion de leurs communautés et territoires, des décisions du Ministère des affaires autochtones et du Nord canadien.

L’histoire enseignée dans les écoles au Canada et au Québec fait très peu de place à l’histoire autochtone. On en entend parler au début de la colonisation, comme des alliés ou des ennemis, avec une vision très ethnologique, puis ils disparaissent, pour réapparaître en 1990, lors de la crise d’Oka (une ville proche de Montréal) : les mohawks de kanesatake contestaient l’octroi d’un terrain leur appartenant par la municipalité d’Oka pour la construction d’un golf. La crise a dégénéré, le gouvernement canadien a envoyé l’armée et le Québec et le Canada se sont tout à coup rendu compte que la relation avec les nations autochtones étaient loin d’être réglée.

Depuis la colonisation, la question du partage du territoire n’a jamais été tranchée, les colonisateurs utilisant plutôt la politique du « plus fort gagne ». Malgré les traités signés établissant les limites des territoires pour chacun des peuples, ces traités ont été constamment violés, les terres utilisées pour permettre l’accroissement des villes ou l’exploration des ressources naturelles. Au Québec, aucun traité n’a été signé jusqu’à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois avec les Cris en 1975. Les autres nations sont en négociation territoriale pour définir leurs territoires depuis plus de 30 ans. Or les peuples autochtones sont les peuples avec la plus forte croissance démographique. Les logements dans les réserves sont surpeuplés et l’exiguïté des territoires « réservés » ne permet pas un véritable développement économique autonome.

La bataille pour l’accès au territoire canadien est à la base du conflit de reconnaissance des peuples autochtones. Les gouvernements canadiens et québécois aiment considérer qu’ils ont le contrôle et le pouvoir d’octroyer des permis d’exploration sur tout le territoire, sans avoir à consulter les peuples autochtones qui y vivent. Cependant, les droits ancestraux des peuples autochtones sont reconnus dans la constitution canadienne et ont été renforcés par de nombreux instruments internationaux, dont la récente Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le chemin à parcourir est encore long avant que l’on puisse parler d’une véritable reconnaissance des peuples autochtones au Canada et au Québec. La Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats indiens révèle aux canadiens depuis à peine 3 ans l’horreur que des centaines de milliers d’enfants autochtones ont subi dans les pensionnats. Mais les peuples autochtones ont une population très jeune, de plus en plus formée et urbaine et la vitalité de cette jeunesse prête à défendre ses droits, son identité et sa culture s’illustre à merveille dans le mouvement Idle No More. Ce mouvement regroupe aussi des non-autochtones qui militent pour que justice soit rendue aux peuples autochtones de ce territoire.

Les Premières Nations sont une minorité au sein du Canada, d’autant qu’il existe de nombreuses nations. FAQ s’intéresse aux femmes, soir un cercle encore plus restreint de cette minorité. Sa longue existence a prouvé que ce n’était pas une lubie. Quelles sont les problématiques particulières aux femmes autochtones ?

Bien que les peuples autochtones constituent une minorité en nombre, leur statut est loin d’être celui d’une minorité. Ce sont des peuples constitutifs du Canada passé et actuel et ils n’ont jamais été vaincus ni n’ont renoncé à leurs droits sur leurs territoires. Donc leurs droits sont d’une nature différente que les droits protégeant une minorité immigrante par exemple.

En ce qui concerne les femmes autochtones, le cadre juridique mis en place par le gouvernement du Canada en 1876 par l’adoption de la Loi sur les Indiens était particulièrement discriminatoire pour les femmes autochtones. En effet, pendant près de 100 ans, lorsqu’une femme autochtone mariait un homme non-autochtone, elle perdait son statut, donc ses droits sur son territoire, d’appartenir à sa bande, et de transmettre son statut à ses enfants. Pendant ce temps, un homme autochtone qui mariait une non-autochtone, ne perdait pas son statut mais le transmettait à sa femme et à ses enfants. Même lorsque les femmes se retrouvaient veuves ou séparées elles ne pouvaient donc pas revenir dans leurs communautés.

Plusieurs femmes autochtones ont porté cette injustice devant les cours canadiennes, mais il a fallu aller jusqu’aux Nations unies pour que le Canada considère la question sérieusement. Pendant ce temps les femmes se sont mobilisées à travers le Canada, créant plusieurs organisations de femmes autochtones, faisant la tournée des communautés pour informer les femmes de leurs droits, etc. En 1985, le Canada change la loi et les femmes et leurs enfants retrouvent leur statut…mais leurs enfants n’obtiennent qu’un demi-statut non-transmissible, contrairement aux enfants de leurs frères mariés à des non-autochtones. Sharon McIvor, une femme autochtone de Colombie Britannique est alors repartie se battre devant les tribunaux, et la loi a de nouveau changé en 2010, leurs enfants et petits-enfants obtenant enfin le même statut que ceux de leurs frères.

Mais les inégalités et les discriminations continuent d’atteindre plus particulièrement les femmes autochtones : elles sont particulièrement victimes de violence domestique, elles bénéficient de moins de services car souvent en région éloignée, ou ayant accès à des services non culturellement adaptés. Encore aujourd’hui, une femme qui ne déclare pas le père de son enfant ne peut transmettre son statut. Le père est considéré comme non-autochtone et l’enfant n’obtiendra qu’un statut non-transmissible.

De nombreux progrès restent à réaliser pour les femmes autochtones et FAQ, qui fête cette année ses 40 ans, s’occupe de justice, de promotion de la non-violence, de santé sexuelle, d’employabilité, de jeunesse, pour que les femmes autochtones aient une voix dans les programmes et les politiques qui les concernent.


FAQ milite pour la défense des droits de femmes issues de toutes les Premières Nations du Québec, qu’elles habitent dans des réserves ou dans des zones urbaines. Si Cette transversalité semble essentielle pour comprendre la question autochtone dans son ensemble, les problématiques doivent être bien différentes selon les nations et lieux de résidences. Comment réussissez-vous à coordonner tout ça ?

Il est certain que FAQ doit composer avec des enjeux géographiques importants. Nos projets doivent composer avec des coûts de déplacement importants pour pouvoir rejoindre nos membres qui se retrouvent aux 4 coins du Québec, parfois seulement accessible en avion, alors que le coût d’un billet Montréal-Schefferville peut être 4 fois plus élevé qu’un billet Montréal-Paris.

Pourtant, les nouvelles technologies de l’information nous permettent de maintenir le contact avec nos membres sur une base quotidienne. Internet est maintenant disponible partout.

Nous organisons des conseils généraux et une assemblée générale chaque année à laquelle participent près de 60 déléguées (6 déléguées pour chacune des 9 nations que FAQ représente – Mohawk, abénaquise, atikamekw, naskapie, crie, innue, mi’qmac, huronne-wendat, algonquine, plus 6 femmes issues du milieu urbain). C’est l’occasion de consulter nos membres sur leurs priorités et leurs besoins. Notre CA est aussi constitué d’une directrice par nation et milieu urbain pour diriger les orientations de l’association.

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Viviane Michel, présidente de FAQ

Pouvez-vous me donner quelques exemples d’actions représentatives de FAQ au cours des dernières années ?

Au cours des dernières années, FAQ a fait pression et a mobilisé ses membres pour que le Canada adopte en 2010 le projet de loi C-3 faisant suite à la victoire en cour de Sharon McIvor afin de redonner leur statut aux enfants et petits-enfants des femmes victimes de la Loi sur les Indiens.

Nous avons fait campagne avec Amnistie internationale et une coalition d’organisations de défense des droits de la personne pour demander au gouvernement du Canada de signer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Déclaration qu’il a finalement signé en 2010, parmi les derniers pays à l’avoir fait.

Nous avons monté une campagne contre la violence sexuelle et offert des dizaines d’ateliers dans toutes les nations autochtones du Québec qui reçoit partout un accueil très chaleureux. Cette formation repense la santé sexuelle en fonction du cercle de médecine et des pratiques traditionnelles liées à chaque peuple pour briser le cycle de violence hérité des pensionnats indiens.

FAQ a lancé une pétition en 2013 et a récolté 4411 signatures pour demander au gouvernement québécois d’inclure l’histoire des peuples autochtones et des pensionnats indiens dans le programme d’histoire nationale enseigné au secondaire (niveau collège) pour améliorer la connaissance des québécois sur les peuples autochtones et ainsi lutter contre les préjugés et les discriminations.

FAQ a offert deux cliniques juridiques gratuites en 2013 pour les femmes autochtones pour leur faciliter l’accès à la justice et leur permettre d’accéder à des conseils d’avocats sur tous les sujets qui les préoccupent (statut, divorce, partage des biens, garde d’enfants, droit du travail, etc.)


Depuis la création de FAQ en 1974 le monde à évolué, les choses vous ont-elles semblé aller dans le bon sens ? Quelles sont les victoires dont vous pouvez être fières et que souhaitez-vous ardemment défendre pour l’avenir ?

Les victoires des lois C-31 en 1985 et C-3 en 2010 sont des grandes victoires juridiques pour les femmes autochtones. Le gouvernement du Canada continue cependant de définir le statut autochtone en décrétant le degré de métissage autorisé pour obtenir son statut. Il s’immisce encore trop dans la vie des femmes par l’imposition de la déclaration obligatoire de paternité et en ôtant aux femmes le pouvoir de transmettre seules leur statut.

Les femmes autochtones sont de plus en plus présentes dans les positions de pouvoir et au sein des conseils de bande. Cependant elles sont plus conseillères que chefs.

Les femmes autochtones ont des taux de retour aux études après un abandon plus élevé que celui des hommes autochtones et même que des femmes non-autochtones qui ont décroché. Elles vont bien souvent chercher de nouvelles compétences après avoir eu des enfants. Les femmes autochtones sont très actives et font partie des forces vives de leurs nations. Elles sont cependant encore 5 fois plus à risquer de mourir des suites de violence que les femmes non-autochtones. Elles sont victimes de violence domestique et sexuelle et le scandale des femmes autochtones disparues et assassinées et là pour nous rappeler qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour qu’elles ne soient plus discriminées et traitées réellement à égalité avec les autres femmes et hommes au Québec et au Canada.

Entretien réalisé par courriel
du 1er au 18 février 2014

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