D’octobre 2013 à juin 2015 je tenais un blog sur la politique québécoise et canadienne, blog au succès sans doute mitigé mais plutôt satisfaisant. Durant ces deux ans, j’avais pu interroger nombre d’acteurs et actrices politiques, dont les destins ont évolué (de la défaite à la victoire), pu également tenter d’éclairer les français sur le système d’outre-Atlantique et faire des chroniques d’opinion. Je m’engageais évidemment parfois pour tel ou tel – je reste fermement convaincu que le Québec doit être indépendant et de gauche (pas l’un ou l’autre) – mais a posteriori ce sont vraiment les textes dont l’objet était de comparer les systèmes (ainsi de l’article sur les suppléants, ou sur le Front national et l’indépendance) qui me semblent les plus intéressants.
En cette année électorale pour le Québec, où l’on dépasse le mi-mandat pour Trudeau au Canada, et où la France se pose des questions constitutionnelles (avec notamment la question du référendum d’indépendance en Nouvelle-Calédonie) l’envie me prend de relancer ce projet.
Beaucoup de choses ont changé depuis 2015, mais mon intérêt (expliqué dans ce premier post en 2013) n’a pas changé et l’objectif non plus, vous trouverez ici des articles, chroniques, notes de lectures et entretiens autour de la politique québécoise et canadienne. L’axe est ouvertement militant, c’est un militant écologiste, de gauche et indépendantiste qui vous parle, ce qui n’empêchera pas de recevoir des personnes hors de ce spectre.
J’ai rechargé sur cette plateforme la majorité de l’ancien site, pas tout car c’est long, mais l’essentiel y est (notamment tous les entretiens). On retrouve toujours les textes sur la plateforme originelle, à l’abandon.
Pierre Céré est avant tout un militant associatif et syndical, particulièrement actif dans la défense des précaires. Coordonnateur du Comité Chômage de Montréal depuis 1997 et porte-parole du Conseil National des Chômeurs et Chômeuses, il a fait le saut en politique pour le Parti Québécois dans Laurier-Dorion en 2014. Sèchement battu, il n’a pas renoncé, a repris son bâton de pèlerin et s’est porté candidat à la chefferie du PQ, défendant un indépendantisme social et inclusif.
Vous êtes actif dans le milieu communautaire depuis des années, particulièrement auprès des chômeurs dont vous défendez les droits au niveau local et provincial depuis plus de vingt ans. Comment vous êtes vous retrouvé à travailler pour cette population souvent rejetée à la marge ?
En fait, je suis actif dans les mouvements de chômeurs depuis 1979 quand, avec d’autres camarades, nous avons créé le Regroupement des chômeurs et chômeuses de l’Abitibi-Témiscamingue, une région du nord du Québec. Ce sont les circonstances qui m’ont amené là. L’Abitibi est une région minière où le chômage a toujours été très élevé. J’étais déjà actif dans les milieux militants, il y avait ce besoin de créer une organisation de défense des droits des travailleurs en chômage. Nous l’avons fait. Mes appartenances sont là, elles sont toujours demeurées là, avec les travailleurs et les travailleuses, avec leurs problèmes, à défendre leurs droits.
Vous êtes entré en politique lors des élections de 2014, présenté comme un candidat vedette par le Parti Québécois. Comment se lance-t-on en politique quand on est issu du milieu communautaire, n’y avez-vous pas vu un risque ? Comment cette candidature a-t-elle été accueillie par vos collègues, votre environnement et, de l’autre côté, comment vous êtes-vous senti dans l’arène médiatique avec cette autre casquette ?
J’ai acquis cette conviction, au fil des années, que la société que nous avons bâtie au Québec, au cours des dernières décennies, est une société qui vaut la peine que l’on se batte pour elle. On parle du modèle québécois comme d’un modèle de développement économique et social qui nous est propre et qui est fondé en quelque sorte sur la solidarité et le partage d’une partie de la richesse créée. C’est ce qui explique ces outils de développement économique décentralisées et de proximité, réunissant les différentes forces qui animent la société (patrons, syndicats, mouvements sociaux, coopératives, etc.), accordant un rôle accru à l’État; c’est ce qui explique aussi bon nombre de programmes sociaux qui sont propres au Québec, et qui n’ont parfois aucun équivalent dans le reste de l’Amérique. De façon globale, on peut même dire que le Québec a mis en place son propre modèle de développement, souvent à contrecourant du modèle dominant en Amérique du Nord.
En ce moment, avec le nouveau gouvernement élu au printemps dernier, nous avons affaire à une véritable entreprise de démolition de ces acquis. Ce gouvernement, celui du Parti libéral du Québec, dirigé par Philippe Couillard, manifeste une réelle détermination de s’inscrire dans les grands courants conservateurs cherchant à réduire la taille et la portée de l’État.
Est-ce que j’ai vu un risque à me lancer en politique ? Non. Qui n’ose pas, ne risque pas, qui s’enferme dans une certaine routine, se contentant d’un rôle défini et arrêté, participe peu aux changements. La politique devient le prolongement de notre action. Pourquoi laisser la politique aux professionnels de la politique, aux carriéristes et autres « arrangeurs » ? Un célèbre syndicaliste disait que si tu ne t’occupes pas de la politique, c’est elle qui va s’occuper de toi.
Comment ma candidature a-t-elle été accueillie? Par mes collègues d’organisation, très bien. Ils comprenaient le sens de mon engagement. Par d’autres milieux sociaux, portés par d’autres visions politiques? Avec respect je crois. Comment me suis-je senti dans l’arène médiatique avec cette autre casquette? À l’aise, et sans langue de bois.
Avec 15,93% dans Laurier-Dorion, vous êtes largement battu, devancé par le sortant libéral Gerry Sklavounos (46,19%) et le solidaire Andrés Fontecilla (27,69%). Plusieurs mois après cette défaite, quel regard portez vous sur votre campagne et que feriez-vous différemment ?
Je demeure très fier de la campagne que nous avons menée, des gens qui se sont regroupées autour de ma candidature, du travail que nous avons fait sur le terrain. Il me serait difficile de faire les choses autrement, sinon peut-être de chercher à mieux nous organiser structurellement dès le départ. Sinon, nous avons été emportés par une forte mobilisation de la peur, celle d’un possible référendum sur la souveraineté du Québec, et celle aussi, qui a joué un rôle déterminant dans nos résultats, du projet de charte de laïcité.
Avec un tel résultat, on aurait pu penser que vous seriez retourné au militantisme, dégoûté de l’action politique. Vous avez pourtant décidé de vous lancer dans la difficile course à la chefferie du Parti Québécois, alors que les candidats ne manquent pas. Quelles raisons principales vous ont poussé à vous engager dans l’arène politique? Par ailleurs, les conditions d’inscription ont évolué mais restent complexes, notamment financièrement; à ce jour pouvez-vous effectivement vous présenter ?
Je suis retourné au militantisme ! J’ai repris mes activités au Comité Chômage de Montréal ainsi qu’au Conseil national des chômeurs (CNC).
Ma candidature à la chefferie s’explique surtout par le fait qu’un groupe de militants et de militantes s’est réuni autour de moi avec cette ferme intention de participer au débat des idées qui animerait le Parti québécois. Et il est devenu clair, au fil des semaines, que participer à ce débat impliquait nécessairement de présenter ma candidature à la direction du Parti québécois. Nous avons réfléchi, écrit, débattu et bâti littéralement nos idées et nos propositions. C’est devenu notre programme. Il est progressiste, il est de justice sociale, il s’inscrit dans ce grand modèle que nous appelons le « modèle québécois ». Nous sommes audacieux, refusons la vieille (comme la petite) politique et croyons que le Parti québécois pour mieux se reconstruire doit impérativement se redéployer dans le mouvement social, se reconnecter sur la population, sur la jeunesse, sur les idées émergentes, finalement sur ce que le Québec est devenu et ce qu’il sera demain.
Les conditions menant à la validation du statut de « candidat » ne sont pas simples. Il nous faut recueillir 2000 signatures en provenance d’au moins 50 circonscriptions et 9 régions du Québec, avec chacune au moins 10 signatures. Cela, sans compter un premier dépôt 10 000$ qui doit être versé avec les signatures au plus tard le 30 janvier.
Je le répète : nous n’avons ni fortune, ni personnel salarié. Nous fonctionnons à l’énergie de l’espoir. Et ça marche ! Nous sommes partout et maintenant confiants d’atteindre la barre des signatures. Pour l’argent, nous lancerons bientôt une campagne citoyenne, 100%, c’est-à-dire 100 personnes donnant chacune 100 $.
Vous êtes un candidat « surprise » mais vous avez été l’un des premiers à sortir un programme détaillé. Vous y développez une vision d’un Parti Québécois inclusif et socialement juste, ce qui peut paraître s’opposer à la gouvernance passée. Comment jugez-vous la gestion de la Charte des valeurs et de la laïcité, vous qui aviez dénoncé dès 2007 une dérive identitaire du PQ ?
Il est vrai de dire que je suis un candidat « surprise », et je l’assume. Je ne suis pas député, je n’ai jamais fait de la « politique professionnelle ». Je viens des milieux sociaux et je me fais un point d’honneur de rappeler que je viens d’un milieu ouvrier et que mes appartenances sont toujours restées là.
Le projet de société que nous avançons en est un de justice sociale et d’inclusion. C’est aussi un projet indépendantiste qui se conjugue à la diversité culturelle.
Par ailleurs, il est vrai que nous portons un regard très dur sur cette stratégie identitaire qui a animé le Parti québécois depuis 2007. Cette stratégie visait à récupérer à la droite (Action démocratique du Québec) le sentiment identitaire. En faisant du « nous » et du « eux », on a fini par créer ce clivage avec les communautés immigrantes, leur faisant porter le poids d’une menace : celle de notre survie, celle du projet de pays, celle du fanatisme religieux.
Au lieu de travailler à transformer, là où il le faut, nos institutions, nous avons ostracisé. Au lieu de rassembler, nous avons divisé. Le projet de charte de la laïcité aurait pu avoir une approche rassembleuse, on a fait le contraire. Le problème n’était pas d’avancer avec un projet de laïcisation de l’ensemble des institutions d’État, d’établir des balises, mais plutôt dans la forme, dans la façon.
Le Parti Libéral du Québec élabore en ce moment une énorme casse sociale, cependant l’ère Bouchard, puis le mandat de Pauline Marois, ont semblé s’opposer parfois au « principe favorable aux travailleurs » de René Lévesque. D’abord progressiste, on sent aujourd’hui une grande tentation au PQ de séduire les électeurs de la CAQ, partisans de coupes sociales et de l’austérité. Vous vous posez en garant de la justice sociale, que répondez-vous à ceux qui vous disent qu’elle coûte trop cher ou qu’elle est inefficace et comment envisagez vous la redistribution des richesses dans un Québec où vous seriez Premier Ministre ?
Le Parti québécois demeure un parti fondé sur le projet de faire du Québec, un jour, un pays. Il regroupe, sur cette base, des sensibilités plus à gauche, d’autres plus à droite. Il est vrai qu’à l’intérieur du PQ, un courant aimerait un rapprochement avec la CAQ, et donc un alignement marqué à droite. Cela fait partie des tensions normales qui animent un parti politique comme le PQ. Briser l’équilibre existant lui serait fort dommageable.
La redistribution de la richesse, à tout le moins d’une partie de la richesse créée, les instruments économiques et les programmes sociaux que nous avons mis en place comme société demeurent les grands piliers de notre développement. Je poursuivrais clairement dans cette direction : une économie bâtie pour la population, pour ses besoins, construite dans un modèle de développement durable, l’amélioration des conditions de vie. Des propositions comme les « quatre semaines de vacances obligatoires » seraient mises en chantier, d’autres aussi (voir notre programme). Nous nous engagerions de façon très marquée dans une phase de transition visant à nous départir du pétrole, en accélérant le pas pour l’électrification de nos transports. Il y a beaucoup à faire, de nombreux chantiers à mettre en place. Nous formerions un fabuleux gouvernement !
Aux oiseaux du malheur qui nous prédisent toujours les pires cataclysmes, aux idéologues qui préfèrent une réduction de la taille de l’État plutôt qu’un État fort au service de sa population, à ceux qui nous proposent « d’avancer par en arrière », je leur dis : « nous connaissons vos histoires, nous connaissons vos recettes, elles sont sornettes pour l’une et indigestes pour l’autre ».
Pour ce qui est de l’indépendance, vous proposez de d’abord tenter de négocier un nouveau partenariat avec le Canada, pour plus de dévolution (notamment fiscale), avant de lancer un référendum en cas de refus. N’avez-vous pas peur d’effrayer les plus « pressés », d’autant que rien n’indique que le futur premier-ministre canadien souhaite donner une quelconque autonomie supplémentaire au Québec ?
Notre proposition se résume à l’idée suivante : Souveraineté-association ou Indépendance !
En 1980, nous avons cherché par voie référendaire le mandat de négocier une nouvelle entente fondée sur l’égalité de nos deux peuples (Québec-Canada), par laquelle le Québec devenait le seul responsable de percevoir les impôts et les taxes sur son territoire, acquérant le pouvoir exclusif de faire ses lois et d’établir ses relations extérieures. Nous partons de là, allant chercher ce mandat dans le cadre d’une élection plutôt que par voie référendaire, en d’autres mots, nous éliminons une étape. Une fois élus, nous ouvrons cette négociation à deux, d’égal à égal, de nation à nation. Deux chaises, celle du Québec, celle du Canada. Nous ne négocions pas avec l’ensemble des provinces, comme ce fut le cas lors de l’Accord du lac Meech. Seulement avec Ottawa. L’objectif étant d’en arriver à une entente établissant notre souveraineté dans un cadre associatif. Est-ce que la classe politique à Ottawa aurait suffisamment évolué pour exprimer cette ouverture et mettre en place ce nouveau pacte entre nos deux peuples ? Nous verrions bien.
Mais à défaut de négociation, ou d’en arriver à si peu, devant une possible mauvaise foi, nous fermerons cette avenue après une période d’une année, et engagerons tous nos efforts, toute notre créativité, dans une mobilisation totale vers un référendum appelant à notre indépendance. La question serait simple : « Voulez-vous que le Québec devienne un pays? » Faudrait-il ajouter à pays, le qualificatif « indépendant » ou « souverain » ou tout simplement s’arrêter à « pays »? Nos militants trancheront !
Notre proposition est claire, notre stratégie se déploiera à visage découvert, au vu et au su de notre population. Nos idées seront exprimées, le chemin que nous voulons prendre sera indiqué. Nous sommes en mode solution et nous comptons arriver à bon port au cours du premier mandat suivant notre élection.
Dans votre programme vous liez fondamentalement emploi et environnement, alors qu’on les oppose souvent. Alors que l’on parle de plus en plus de privatisation de l’électricité et que le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait autorisé l’exploration du pétrole de schiste dans l’île d’Anticosti, quelle est votre position sur ces débats ? Et qu’elle vous semble la priorité en terme de protection de l’environnement ?
L’ensemble de nos sociétés se retrouve au même carrefour, et il nous faut choisir : poursuivre ce même développement économique, en bout de ligne irresponsable et assassin de notre environnement et de notre qualité de vie, ou chercher des alternatives qui s’inscrivent dans un développement durable. Le Québec doit de façon solennelle et irrémédiable s’engager dans une phase transitoire pour se départir des énergies fossiles, et poser des gestes concrets, et importants, dans cette direction. Cela implique de mettre en place les structures de recherche, les mécanismes, l’industrie pour assurer à terme que notre transport, l’ensemble de nos moyens de transport, soient électrifiés. En même temps, sachons que cette transition se fera sur plusieurs décennies (trois, quatre, plus ?).
Pendant cette période, si nous continuons d’utiliser du pétrole et autres énergies fossiles, il nous faudra néanmoins en consommer toujours moins. Il faudra tout de même faire des choix : nous le prendrons où ce pétrole au cours de cette transition? De l’Algérie ? Du Kazakhstan ? Celui des sables bitumineux de l’Ouest canadien ? Pourrions-nous envisager exploiter un pétrole québécois ? Encore faudrait-il connaître ses qualités, ses quantités, la qualité du sol, les impacts environnementaux et ceux possiblement sur la population, les méthodes d’extraction, etc. Et, surtout, ne jamais improviser sur ces questions. Jamais.
Enfin, ce dernier espace vous est laissé libre afin de développer une mesure phare sur laquelle vous n’avez pas été interrogé et que vous aimeriez développer.
La jeunesse québécoise du printemps 2012 a lancé un immense cri sur l’état de notre démocratie, sur nos pratiques. Elle a questionné les frontières peut-être trop étroites de cette démocratie, questionné nos pratiques, les formes de leadership. Il est de toute première importance de lancer un vaste chantier cherchant une refondation de notre culture et de nos mœurs politiques. En la matière, comme en d’autres, nous avons besoin d’une véritable révolution. Le Québec sait les faire « tranquilles » et à la fois systémiques. Allons-y !
Fondé en 2011 suite à la rupture du député Jean-Martin Aussant avec le Parti Québécois, Option nationale (ON) a pour volonté de rompre avec la « gouvernance souverainiste » pour remettre l’indépendance au cœur. Loin de se limiter à cette ligne, le parti adopte une ligne progressiste, accompagne les manifestations étudiantes, prend des engagements environnementaux… Lors des élections de 2012, Aussant échoue de peu à se faire réélire quand le parti obtient 1,89% au niveau provincial. L’année suivante, le chef démissionne pour se consacrer à sa famille, laissant ses troupes orphelines. Suite à une course à la chefferie, Sol Zanetti, enseignant en philosophie, a été élu pour lui succéder. Partisan d’un discours assumé, il incarne aussi une certaine jeunesse et une volonté débattre et de réfléchir qui a sans doute manqué ces derniers temps sur la scène partisane.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous vous présenter, à travers votre parcours et ce qui vous a mené à rejoindre Option nationale, puis à candidater à sa chefferie ? Je m’y suis impliqué parce que j’avais confiance en M. Aussant et en ceux qui l’entouraient. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu au Québec un homme politique mettre sa tête sur le billot pour l’indépendance. M. Aussant, en quittant la finance pour la vie de député, avait prouvé qu’il n’était pas là pour l’argent. En rompant avec le PQ qui se dérobait devant sa mission indépendantiste et en fondant un nouveau parti, il mettait son siège et sa carrière politique en jeu. L’engagement clair en faveur de l’indépendance, le discours intelligent et les positions audacieuses d’Option nationale en matière de progrès social et d’environnement m’ont enthousiasmé.
Avant de parler de fonds, parlons résultats électoraux. Malgré un enthousiasme réel (médiatique et militant) Option nationale a subi un rude échec en 2012 avec la défaite de M. Aussant. Le score, faible mais prometteur (1,89%) du parti a encore diminué en 2014 en tombant à 0,73%. Vous êtes connu pour une parole sincère, est-ce que ça a été une déception ? Quelle est votre analyse de ce scrutin ? On ne s’attendait pas à avoir moins de 1 %, c’est clair. On a été déçus par la faible couverture médiatique de notre parti. Alors que durant la campagne 2012 nous n’avions eu que 1,5% du poids médiatique de la campagne, notre couverture est descendue à 0,21% durant la campagne de 2014. Suite au départ d’Aussant, tous les médias annonçaient notre disparition depuis un an et ça a laissé des traces dans la perception publique. Certains médias avaient pris la décision de ne pas nous couvrir. Ça a été dur, ça nous a mis à l’épreuve, mais ça a forgé notre persévérance. Le lendemain matin de l’élection, j’étais dans une école secondaire pour faire la promotion de l’indépendance devant 200 élèves. Option nationale, c’est comme Rocky Balboa, ça se relève toujours.
Vous êtes enseignant en philosophie, Option nationale a justement mis au cœur de son travail la réflexion sur l’indépendance et la pédagogie. Quel travail mettez-vous en place, où vous semble-t-il nécessaire, pour transmettre l’idéal d’indépendance ? C’est assez simple. En démocratie, lorsqu’on veut augmenter les appuis à notre projet, on doit en faire la promotion. On doit rendre l’argumentaire accessible, s’adresser à l’intelligence des gens et être fier des idées pour lesquelles on se bat. Et il faut le faire même lorsque les sondages sont contre nous. Ça paraît peut-être évident, mais au Québec, ça faisait un moment que le mouvement indépendantiste dérivait. Il essayait de se faire élire pour d’autres raisons que celle qui devait être sa raison d’être, comme quelqu’un qui tente de plaire en se travestissant pour être plus populaire. Option nationale, c’est le début d’un retour aux sources pour tous les indépendantistes.
Option nationale est un mouvement jeune : parce qu’il a été fondé récemment, mais aussi parce que la moyenne d’âge des militants est très basse. Ce à tel point qu’on a vu le Bloc ou l’aile jeunesse du PQ dire vouloir s’inspirer de vos méthodes. Comment parler à cette jeunesse d’après-95, qui n’a jamais eu à choisir sur le sujet de son avenir ? Il y a un jeune en chacun de nous. Pour le réveiller chez autrui, il faut soi-même faire preuve de courage. Il faut parler franchement, prendre des risques quand on s’adresse au public, prendre des risques lorsqu’on prend position, se mettre en jeu, montrer qu’on n’a pas peur de perdre. Il faut prendre le risque de l’authenticité. La prise de risque, c’est ce qui suscite la confiance du jeune qui parfois sommeille en chaque citoyen.
À mes yeux, une chose qui distingue Option nationale est sa grande ouverture au monde, à rebours des clichés présentant les indépendantistes comme des sectaires xénophobes. Pouvez-vous développer cette idée d’indépendance inclusive qui vous semble chère ?
Le Québec, à l’image de l’Amérique, a toujours été une terre d’accueil pour les immigrants. Nous sommes un peuple fortement métissé. Métissé avec les Autochtones, mais aussi avec les Irlandais, les Écossais, les Italiens, les Allemands, les Grecs, les Vietnamiens, les Haïtiens, les peuples du Maghreb, de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, etc. Par exemple, 50% des Québécois ont du sang autochtone. C’est par la force de notre culture que nous parviendrons à faire en sorte que les enfants d’immigrants reconnaissent le Québec comme leur patrie et qu’ils veuillent participer à construire son histoire.
Cette ouverture au monde se manifeste notamment par une attention accrue à ce qui se passe en dehors des frontières du Québec, notamment au sein des mouvements indépendantistes européens (Catalogne & Écosse) ou récemment en Palestine… Bien sûr, nous suivons de près les démarches de tous les peuples en lutte pour leur liberté. Les avancées de chacun sont pour nous un encouragement et une source d’espoir. Nos situations sont différentes, mais l’enjeu démocratique fondamental est le même : toutes les nations ont le droit d’avoir leur pays, de prendre elles-mêmes entièrement les décisions qui vont façonner leur avenir. C’est fondamental. Le nationalisme est souvent mal vu par la gauche des nations qui ont déjà leur État. Le nationalisme y est associé, souvent avec raison, à la droite conservatrice. Mais le nationalisme des résistants, de ceux qui se battent pour préserver leur différence et accéder à une plus grande démocratie, est au contraire très progressiste.
Option nationale s’affirme aussi comme progressiste. Au-delà de l’indépendance, vos positions sur l’éducation, l’économie ou l’environnement sont également en rupture avec le Parti québécois. Pourquoi ce besoin d’affirmer un axe politique au-delà de la seule indépendance ? Nous sommes avant tout un parti de coalition, mais il faut tout de même proposer des projets de société emballant aux Québécois, des projets susceptibles de mobiliser les citoyens. Le programme d’Option nationale est centré sur l’intérêt national. Les mesures qui y sont proposées visent à la fois la prospérité et la protection de l’environnement, de la culture et de nos intérêts stratégiques. C’est un programme qui se défend bien du point de vue de l’intérêt collectif des Québécois. Bien sûr, il n’existe pas de programme qui parvienne à plaire à tout le monde. L’essentiel, c’est d’être clair sur notre objectif principal, qui est de faire un pays.
Vous vous êtes engagé, avec de nombreux militants d’Option nationale, dans la course à la chefferie du Bloc Québécois en soutenant activement Mario Beaulieu. À la surprise de nombreux cadres et journalistes, il a été élu. Pourquoi cet engagement à ses côtés et comment regardez-vous ses premiers mois de direction ? Nous l’avons appuyé parce qu’il voulait faire du Bloc Québécois, qui est pourtant un parti fédéral, un véhicule de promotion de l’indépendance au Québec. Il incarnait cette volonté de retour aux sources qui anime le mouvement indépendantiste depuis quelques temps. J’ai été surpris de voir à quelle résistance il a dû faire face au sein même de son parti. Ça en dit long sur l’état du mouvement indépendantiste actuellement. Je pense qu’il est en voie de tenir ses promesses, ce qui est bon signe.
Depuis votre création, beaucoup soulignent des similitudes entre votre programme et celui de Québec Solidaire. S’il y a des différences, plusieurs initiatives ont eu lieu pour que les partis travaillent ensemble, il y a même eu des « pactes de non-agressions » ponctuels en 2012 (pas de candidat ON face à Mme David, pas de QS face à M. Aussant). Êtes-vous favorable, ou au moins ouvert, à des genre de « primaires d’indépendantistes » dans certaines circonscriptions ou la division du vote peut être fatale aux positions de la majorité des citoyens ? Nous avons toujours été ouverts à la collaboration avec n’importe quel parti qui déciderait de prendre l’engagement clair de faire l’indépendance. C’est même inscrit dans nos statuts. Le problème c’est que le manque de confiance s’est installé profondément dans le mouvement indépendantiste depuis 1995 et les partis ont développé des stratégies complexes et tordues qui rendent hypothétique l’engagement à faire du Québec un pays. Lorsqu’ils sortiront de cette confusion, nous serons ravis de travailler avec eux.
Plus largement, le système électoral vous satisfait-il dans sa forme actuelle et que proposez-vous pour rapprocher le citoyen du politique, au-delà même de la question indépendantiste ? Il est évident que notre mode de scrutin archaïque, non-proportionnel et hérité de la monarchie britannique favorise un bipartisme conservateur malsain. Il faut vite inclure une dimension de proportionnalité dans notre mode de scrutin. Cela favoriserait l’émergence d’idées nouvelles et aiderait en enrayer le cynisme ambiant. Pour ce qui est de revaloriser la politique, il n’y a pas de solution miracle, il faut que les politiciens fassent preuve d’un authentique courage. Et s’ils n’y arrivent pas, c’est aux citoyens de s’impliquer et de montrer l’exemple.
Entretien réalisé par courriel
en août/septembre 2014
Dans un territoire gouverné par des élus masculins cinquantenaires, Catherine Fournier dénote. Jeune femme indépendantiste, membre du Bloc Québécois de longue date, elle a tenu un blog sur le site du Huffington Post où elle fait très régulièrement œuvre de pédagogie sur ses sujets de prédilection : économie, jeunesse, réappropriation des ressources, etc. Le 17 juin, elle a annoncé sa candidature à l’investiture pour le Bloc québécois dans Montarville. Le but avoué : être la future députée de cette circonscription de reconquête.
Pour commencer, peux-tu présenter ton parcours, qu’il soit professionnel/scolaire et militant, et pourquoi avoir décidé d’être candidate à l’investiture pour le Bloc dans cette circonscription ?
J’ai décidé de me lancer à l’investiture du Bloc Québécois dans Montarville, car je ne vois pas comment je pourrais mieux assouvir cette volonté de servir ma communauté, de faire une différence dans mon milieu, de changer les choses. En cette ère de l’individualisme triomphant, c’est à ce jour le meilleur moyen que j’ai trouvé pour passer du « je » au « nous ».
Plusieurs choisissent la politique par opportunisme. Quant à moi, malgré ce que diront certains de mon jeune âge, j’aime à dire que je ne ferai pas de la politique de carrière, mais de la politique de conviction. Car au-delà des belles formules de responsabilité citoyenne, c’est avant tout parce que j’ai des idées que je choisis de faire de la politique.
Je porte en moi un idéal, un projet partagé par bon nombre de mes concitoyens à travers l’histoire, ici comme ailleurs. Je souhaite que le Québec aille plus loin, qu’il aspire à plus que ce que lui restreint le cadre canadien. Je souhaite que le Québec prenne en main tous les leviers nécessaires à son plein développement. Je souhaite que le Québec devienne un pays.
C’est ainsi que j’ai commencé à m’impliquer en politique, du haut de mes 18 ans, d’abord en assistant à des événements çà et là, puis en prenant ma carte de membre du Parti Québécois dans les jours suivant la débandade du Bloc Québécois en mai 2011. À ce moment-là, je n’étais plus certaine quant aux perspectives d’avenir du Bloc Québécois, à l’instar de beaucoup de militants en ces temps difficiles. C’est pourquoi j’ai préféré débuter mon implication au pallier provincial en tant que représentante jeune sur le comité exécutif de Marguerite-d’Youville, circonscription dont Monique Richard était la députée. Avec le redécoupage électoral, j’ai eu tôt fait de déplacer mon militantisme au Parti Québécois de Verchères avec Stéphane Bergeron. Par la suite, mes implications se sont vite multipliées et succédées, qu’elles soient au sein de mon comité de programme au cégep, au mouvement étudiant de 2012 ; auprès d’étudiants étrangers, de nouveaux arrivants ou davantage liées à la politique, tant dans la société civile que dans la politique partisane à proprement parler. À ce propos, je cumule notamment les postes de présidente du Mouvement des étudiants souverainistes de l’Université de Montréal (MÉSUM), de conseillère générale à la Société St-Jean-Baptiste de Montréal, de vice-présidente aux communications de la Fondation Équipe-Québec et de conseillère au Réseau Cap sur l’indépendance. En outre, je siège sur l’exécutif national du Forum jeunesse du Bloc Québécois depuis l’été 2013, étant représentante jeune pour le Bloc Québécois de Verchères-Les Patriotes depuis le début de cette même année, Daniel Paillé m’en ayant convaincue à l’occasion de son passage à l’Université de Montréal dans le cadre de la Semaine de la Souveraineté organisée par le MÉSUM, à cette époque présidé par Jean-François Daoust.
Bref, j’ai rapidement compris que malgré sa mauvaise réputation, la politique permet un contact humain privilégié comme nul autre domaine. C’est un moyen de faire des rencontres, de créer des liens, de parler à travers différentes tribunes, de conscientiser. J’ai envie de redonner espoir à ma génération, à toutes celles qui nous précèdent et à toutes celles qui nous suivront. J’ai l’ardent désir de faire la lutte au cynisme grandissant et d’insuffler le goût d’un projet de société. Je suis convaincue que je peux porter ce rôle de modèle de façon constructive et positive. En tant que jeune, en tant que femme et en tant que citoyenne. Du Québec, mais aussi du monde. Et c’est justement pour faire partie intégrante de ce monde que je nous souhaite un pays. C’est essentiellement pour cela que j’ai décidé de me présenter à l’investiture du Bloc Québécois dans Montarville.
On dit toujours que les jeunes québécois ne croient plus en l’indépendance, qu’ils n’en voient pas l’intérêt. Quelle analyse portes-tu sur les chiffres régulièrement donnés dans la presse ? Et quelle stratégie comptes-tu mettre en place pour conquérir cette jeunesse ?
Le plus récent sondage produit chez Léger Marketing montre pourtant un bond de 10 points dans l’appui à l’indépendance chez les jeunes de 18 à 24 ans au cours du dernier mois, pour atteindre 48%. Le sondeur indique que cela est probablement l’effet de la couverture médiatique importante accordée au référendum écossais. Cela renforce l’idée que les jeunes ne sont pas moins indépendantistes qu’avant, ils n’ont simplement pas été politisés autour de ce débat. Lorsque l’indépendance réapparaitra dans l’espace public, qu’on recommencera à en débattre réellement et qu’on arrêtera de s’attarder à la seule mécanique référendaire, je n’ai aucun doute que les jeunes seront aussi nombreux qu’avant à soutenir l’option indépendantiste. L’indépendance, ça concerne l’avenir et donc avant tout les jeunes. En Écosse, 71% des 16 à 18 ans ont voté OUI lors du référendum du 18 septembre dernier. C’est tout dire ! Il faut donc reprendre le contrôle des termes du débat public sur l’indépendance, recommencer à en parler sur le plus grand nombre de tribunes possibles, à chaque occasion. C’est ce que j’ai commencé et compte continuer à faire sans relâche.
Le sujet étant devenu une sorte de tabou au Québec, il ne faut plus se sentir mal à l’aise de le ramener sur la table, sans quoi on continuera à s’engouffrer. De plus, les jeunes se reconnaissent davantage en les jeunes, par simple principe de modèle. Une jeune parlant d’indépendance est donc nécessairement plus interpellant pour eux que lorsque le projet leur est exclusivement expliqué par des baby-boomers. En ce sens, l’ambition de plusieurs jeunes de se porter candidat pour le Bloc Québécois l’an prochain est une excellente nouvelle pour l’option indépendantiste.
Il y a deux arguments que l’on entend régulièrement contre l’indépendance. Le premier est culturel, expliquant que défendre l’idée de nation est être xénophobe et anachronique dans le monde actuel. L’autre est économique, expliquant que le Québec ne peut survivre seul et qu’il serait entièrement dépendant de la perfusion de la péréquation. Qu’as-tu à répondre à ces arguments, parfois brandis de bonne foi ?
Je pourrais en dire long sur ces deux arguments pour le moins pernicieux. Pour faire court, d’abord en ce qui concerne l’argument culturel, aussi belle puisse paraître l’idée d’une « terre sans frontières », celle-ci ne résiste pas à l’analyse politique fondamentale. En effet, le concept d’État-nation est loin d’être dépassé, étant même en recrudescence à l’échelle planétaire. On n’a qu’à penser aux cas écossais et catalan. La raison est simple : il est normal pour un peuple de vouloir contrôler tous les outils de son développement. Aucun rapport avec une quelconque xénophobie. Devenir un pays indépendant, ce n’est pas un geste de fermeture, au contraire, c’est ce qui permet de s’ouvrir sur le monde. On sait que les décisions se prennent de plus en plus aux niveaux supranationaux. Comment participer au monde si on ne siège pas sur les instances internationales ? Seul un pays peut le faire. Une province n’a aucun pouvoir dans un monde globalisé, ou si peu.
En ce qui concerne ensuite l’argument économique, la péréquation est souvent un mythe mis de l’avant par les fédéralistes pour susciter la peur envers le projet d’indépendance. Pourtant, bien que le chèque reçu annuellement par le Québec soit indubitablement élevé, il faut savoir que le Québec contribue à la cagnotte de la péréquation. Ainsi, le montant net est beaucoup moins élevé que ce que l’on voudrait nous faire croire. De plus, le principe de la péréquation est de compenser les investissements que fait le gouvernement fédéral dans les autres provinces canadiennes. Depuis des dizaines d’années, ce sont l’Ontario et l’Alberta qui sont favorisées par Ottawa via de généreuses subventions à l’industrie automobile et à la production pétrolière. Au final, notons aussi que selon les calculs effectués par l’économiste Stéphane Gobeil, si on ajoute tous les transferts effectués par rapport à la provision de biens et services, le Québec perd au change en faisant partie du Canada. Indépendant, il économiserait 2 milliards de dollars par année, en ajoutant l’effacement des dédoublements administratifs. Cela est sans compter les multiples avantages que conférerait l’indépendance au plan économique : fin du déséquilibre fiscal, administration publique plus efficace, politiques économiques définies selon les seuls intérêts québécois, développement régional stimulé, éventuel contrôle de la politique monétaire avec la création d’une monnaie québécoise, et j’en passe !
La jeunesse en politique était une denrée rare. Quoi que l’on pense de la vague orange de 2011, elle a permis l’élection d’un grand nombre de députés de moins de 30 ans. Quel regard portes-tu là-dessus ?
Sincèrement, j’ai été très critique de l’élection de tous ces jeunes en 2011. La plupart d’entre eux n’était en effet pas prêts pour la politique. D’ailleurs, ils ne cherchaient pas non plus à être élus puisque la grande majorité n’a pas fait campagne. On ne peut donc pas leur reprocher leur élection, il va sans dire. Bien que certains jeunes députés néo-démocrates aient rempli leur mandat avec brio, certains autres ont complètement failli à leur tâche de député. Il faut comprendre qu’ils n’y étaient pas préparés. Dans mon cas, et dans celui de plusieurs autres jeunes qui seront candidats pour le Bloc Québécois l’an prochain, c’est une éventualité qui me motive énormément et que je prépare depuis quelques mois déjà. Lors de l’élection fédérale, le 19 octobre 2015, cela fera près d’un an et demi que je travaillerai sans relâche dans cette perspective. En ce sens, je ne doute aucunement de mes moyens et de mes capacités, malgré mon âge. Je suis certaine que je ferai une excellente députée pour les citoyens de la circonscription de Montarville. Je fixe des attentes très élevées par rapport à mon travail et je suis convaincue que j’y arriverai, avec beaucoup d’ardeur mais aussi, de cœur.
On ne peut pas dire que le Bloc soit au meilleur de sa forme depuis quelques temps. De la sévère défaite de 2011 aux départs de deux députés en passant par la démission du chef en cours de mandat… Quelle leçon tirer de ces moments difficiles et comment redonner espoir dans le Bloc ?
Je crois que dans l’état actuel du moment indépendantiste, c’était en quelque sorte un malheureux passage obligé. Depuis le référendum de 1995, les partis politiques indépendantistes se sont éloignés de leur option au point où aujourd’hui, celle-ci est près de deux fois plus populaire que les principaux partis la portant, le Parti Québécois et le Bloc Québécois.
Avec Mario Beaulieu, chef du Bloc, lors d'une manifestation de soutien au peuple Palestinien
Tu as commencé à tracter, rencontrer des citoyens, tenir des assemblées… Comment ta candidature est perçue et quel accueil ton projet et ta jeunesse reçoivent-ils ?
Tout se passe au-delà de mes attentes. Je croyais que ma candidature, puisque je suis jeune, serait accueillie plus froidement par un allégué « manque d’expérience ». Pourtant, les citoyens et les militants semblent particulièrement enthousiasmés du fait que je sois jeune, justement. Puisque je suis bien connue de la communauté et que je suis présente et impliquée, cela doit probablement les rassurer. Ils savent que je suis là pour les bonnes raisons, c’est-à-dire mes convictions avant tout. J’ai le cœur à la bonne place et j’imagine que ça doit se sentir.
Le Bloc a longtemps été vu comme le pendant fédéral du Parti Québécois. Aujourd’hui il existe plusieurs partis indépendantistes au niveau provincial, que faut-il faire pour tous les réunir derrière le Bloc ? La manière dont le parti a soutenu la Charte des valeurs jusqu’à exclure une des leurs (qui a certes, renié ses convictions quelques semaines après) ne risque-t-elle pas de le couper d’une partie de ses électeurs naturels ?
La question de la Charte des valeurs québécoises a effectivement été névralgique pour le Bloc Québécois. À l’époque, l’ancien chef Daniel Paillé avait décidé d’appuyer sans réserve le Parti Québécois dans ce dossier pour le moins épineux. Bien que j’aie compris ce choix, étant moi-même assez favorable au projet de loi (du moins, à son esprit, pas tant à son mode d’application), je crois que c’était une décision questionnable puisqu’à mon sens, le Bloc Québécois doit avoir comme priorité de rassembler tous les indépendantistes, alors que la Charte menait facilement à la division des troupes. Cependant, avec le résultat de l’élection québécoise du 7 avril dernier et les grands changements à la tête du parti, je crois que ce dossier est bel et bien derrière le Bloc Québécois et qu’il peut désormais vraiment aspirer à rassembler les péquistes, les onistes et les solidaires en son sein puisque sa mission a été recentrée sur l’indépendance du Québec avant tout. Il est d’ailleurs le seul parti politique fédéral à promouvoir cette orientation et ainsi, faire valoir les réels intérêts du Québec.
Bien évidemment toutefois, le Parti Québécois demeure le plus grand parti indépendantiste sur la scène politique québécoise et il est dès lors manifeste que le Bloc Québécois doit entretenir une relation particulière avec lui, d’autant plus que plusieurs militants chevauchent les deux organisations.
Imaginons que tu sois investie, puis que tu remportes l’élection, sur quels dossiers souhaiterais-tu te positionner en priorité ?
D’abord, sur tous les dossiers concernant le gouvernement fédéral, je souhaite faire une pédagogie soutenue et continue de l’indépendance en expliquant aux citoyens québécois pourquoi le Québec gagnerait à être un pays. Cela m’apparait essentiel pour démocratiser le projet et le rendre plus concret aux yeux de la population. Il est évident que les enjeux de nature économique m’interpellent particulièrement étant donné que c’est mon domaine (je termine actuellement mon baccalauréat en sciences économiques à l’Université de Montréal). Je suis également très sensible à tous les dossiers qui touchent l’environnement et je m’intéresse beaucoup aux questions internationales. Ensuite, plus spécifiquement pour ma circonscription, je souhaite porter les dossiers importants du transport pétrolier, du pont Champlain, ainsi que de l’aéroport de Saint-Hubert, pour ne nommer que ceux-là. Il est d’ailleurs très important pour moi de rencontrer les administrations municipales afin d’établir mes priorités. C’est un travail que j’ai déjà commencé en rencontrant les maires et conseillers des municipalités de ma circonscription et en assistant aux séances des conseils de ville. Je compte poursuivre en ce sens dans les semaines à venir.
Entretien réalisé par courriel
en septembre-octobre 2014
Après avoir interviewé les deux candidats à la course à la chefferie du Bloc Québécois, il était désormais de mon devoir d’adhérent du parti (et oui) de faire mon choix. J’ai soupesé leurs réponses, mais aussi beaucoup regardé et lu leurs autres interventions, cherchés quelles étaient leurs priorités pour le parti comme pour le Québec. Vous trouverez ci-après une tribune publiée parallèlement sur le Huffington Post Québec expliquant mon choix.
Cela fait des années que je m’intéresse au Québec, d’abord en tant que critique de bande dessinée, puis comme visiteur acharné, et enfin comme analyste politique sur un blog dédié. C’est un peu étrange, sans doute, de voir un français prendre part au débat politique québécois, mais je le fais en camarade et non en colon. Quand j’ai choisi de rejoindre Québec Solidaire en 2008 c’était pour soutenir un projet global – mettant à égalité social, écologie et indépendance – pour un Pays que je rêve de voir exister, quand bien même je n’y résiderai pas. Je voulais aider un petit parti qui n’avait alors qu’un député, et je ne le regrette pas.
J’ai pris ma carte au Bloc plus tardivement, parce que je voyais mal l’utilité de députés fédéraux indépendantistes, parce que l’attitude méprisante du parti envers d’autres formations que le PQ me déplaisait. Aussi parce que le parti était ultra-dominant, et n’avait pas besoin de moi. En 2011 la sonnette d’alarme a été tirée, la sévère défaite du Bloc – pour tout un tas de raisons déjà bien analysées – m’a poussé à m’y intéresser, jusqu’à rejoindre le parti en 2013. Car quand on se penche sur les travaux des députés bloquistes on voit l’importance qu’ils ont eu pour le Québec, on voit le sérieux de leur travail, leur volonté progressiste, et que la violence du rejet était assez injuste. J’avais donc envie de soutenir ce Bloc là.
La course à la chefferie créé par la démission surprise a longtemps failli ne pas avoir lieu. André Bellavance, ultra-favoris, voyait ses concurrents potentiels se désister et semblait courir droit vers le poste. Ses qualités sont indéniables et il les prouve chaque jour, à l’Assemblée comme ailleurs. Mais après de nombreux événements douloureux – du départ de Mme Mourani au retour des libéraux après un an de péquisme –, le débat semble plus que jamais nécessaire. Pas un débat histoire de brasser de l’air, mais un vrai débat, stratégique, mettant en valeur les propositions du Bloc et certaines divergences qui existent en son sein. Accepter des opinions différentes à partir d’un corpus commun n’est pas un défaut, c’est signe de sanité démocratique, pas de division, et c’est ce qu’a offert la candidature de Mario Beaulieu.
Militant de longue date de la cause indépendantiste M. Beaulieu a expliqué s’être lancé dans la course pour éviter que le Bloc ne fasse la même erreur que le PQ : celui de la « bonne gouvernance ». Et ce ne sont pas des paroles en l’air, le risque est là, et l’on trouve d’étonnant parallèle à ce sujet entre le Québec et la France.
Au Québec le PQ a décidé depuis longtemps de ne pas porter haut l’indépendance, se cachant derrière une politique du petit pas, excluant avec frayeur tout référendum, préférant créer les conditions d’un pays. Pourquoi pas ? Mais outre que cela semble dire que les conditions ne sont pas là – or, elles y sont – , force est de constater que la recette de fonctionne pas. Élue sur la détestation de Jean Charest en 2012, Pauline Marois n’a pas réussi à transformer l’essai dans une campagne qui s’est transformée en jeu de massacre quand les candidats péquistes ont commencé à expliquer qu’ils voulaient un pays. Mais n’est-ce pas normal quand on est dans un parti indépendantistes ? Loin d’attirer les personnes réticentes quand à l’indépendance, cette position tiède ne fait qu’en repousser les militants.
On trouve un peu la même chose en France ou le Parti Socialiste s’est fait élire en 2012 sur un programme de lutte contre la finance et de réorientation de l’Europe, sans oublier là aussi une détestation du sortant. À peine élu le président Hollande enterra ses promesses, se posant en gestionnaire face aux marchés financiers, en solitaire de gauche dans une Europe de droite ne pouvant rien faire d’autres que de suivre une ligne libérale en acceptant du bout des doigts quelques réformes sociétales. Bref, en impuissant, en tiède. Le résultat ne s’est pas fait attendre : aux municipales les socialistes ont subit une défaite historique, pas tant que la droite ait progressé en voix, mais les électeurs de gauche ne voyaient pas pourquoi voter pour un parti menant la même politique que le précédent gouvernement, tandis que ceux de droite préféraient l’original à la copie.
La réponse d’Hollande à cette sanction du peuple de gauche fut de nommer premier ministre le plus à droite de ses cadres, accentuant encore ce fossé, confirmant la chute aux européennes ou le PS obtint le pire score de son histoire et le Front National, parti d’extrême droite xénophobe, se pavana en première place.
Quand j’entends M. Bellavance appeler les non-indépendantistes à voter pour le Bloc car c’est pour lui le meilleur moyen de servir le Québec je ressens le même non-sens. Alors que les électeurs ont sévèrement sanctionné le flou de madame Marois sur la question du référendum, André Bellavance prône la même stratégie. Mais nous connaissons son résultat : on ne peut qu’échouer en reniant son ADN.
Mario Beaulieu, alors que tous les sondages montrent un décrochage de l’option souverainiste, propose de remettre ce débat au cœur. « Hérésie ! » crient certains, mais c’est pourtant ce qui semble la seule solution logique. Si les partis indépendantistes renoncent à porter fièrement ce combat, qui pourra le faire ? Si l’option souverainiste baisse, n’est-ce pas justement parce que plus personne ne la porte fièrement, en expliquant pourquoi c’est non seulement possible, mais aussi souhaitable ? Mario Beaulieu propose d’investir sur l’avenir, en reprenant le grand travail de réflexion et de pédagogie sur le sujet. Il souhaite faire du Bloc le porte-voix des nombreuses initiatives citoyennes sur l’indépendance, fructueuses, riches, mais peu audibles. Il souhaite tout simplement mettre les moyens du parti au service de son but premier. Une évidence me direz-vous ? Je suis d’accord, mais ce n’est malheureusement pas ce que propose son adversaire.
C’est d’abord dans l’Imaginaire collectif qu’un pays s’impose, c’est en s’affirmant peuple qu’on le devient et ce n’est pas en cachant ses convictions qu’on peut les partager. J’ai décidé de soutenir Mario Beaulieu dans la course à la chefferie du Bloc Québécois parce que je veux pas voir le pays Québec disparaître des esprits, et que je veux revoir des citoyens de tous âges porter avec enthousiasme cet espoir. Français mais solidaire de toutes les nations sans état, en amour du Québec depuis des années, mon choix est fait pour que le Bloc et ses idées résonnent à nouveau.
Militante féministe et pour l’égalité des droits, travailleuse communautaire, Manon Massé est une vieille amie de Françoise David, avec qui elle a organisée la marche mondiale des femmes et cofondatrice le mouvement politique Option Citoyenne. Se revendiquant « de gauche, féministe, écologiste et altermondialiste », le mouvement fusionnera avec l’Union des Forces Progressistes en 2006 pour donner naissance à Québec Solidaire. Première candidate du parti, lors d’une partielle dans Sainte-Marie–Saint-Jacques en 2006, elle s’y représente à chaque élection et voit son score s’améliorer à chaque fois. De plus en plus mise sur le devant de la scène, c’est une figure marquante du parti et sans doute une de leurs futures députées.
[Edit. avril 2014 : Quelques mois après cet entretien, Manon est devenue députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques]
Manon Massé par Cindy Boyce.
On te présente souvent comme une féministe, une travailleuse communautaire ou une militante politique. Trois affirmations justes, mais qui ne peuvent limiter ton parcours. Peux-tu le présenter les sources de ton engagement aux lecteurs ?
Je suis une femme qui carbure à l’injustice. Ça me met en action. Issue de la classe populaire, j’ai été élevée dans une famille très croyante, pour qui « prendre soin de l’autre », particulièrement du plus vulnérable, était très important. Très jeune je me suis dédiée à « l’amour du prochain », pas par hypocrisie, pas par obligation ou par pitié, mais parce que l’autre est comme moi un « enfant de Dieu » et nous sommes donc toutes et tous égaux. Sans suivre les mêmes pistes que mes parents, j’ai énormément appris de ces grandes valeurs.
J’ai commencé mon processus de politisation au début de la vingtaine dans les années 80, au contact de « l’éducation populaire ». J’ai commencé à comprendre les systèmes d’oppression qui m’infligeaient des souffrances en tant que femme, lesbienne et pauvre. Tout s’en est suivi. Mon engagement réside depuis toujours en ma conviction viscérale que tous les êtres humains naissent libres et égaux, en dignité et en droits. Malheureusement, trop de profiteurs ne veulent pas reconnaître ce fait et agissent à l’encontre de ce principe en abusant de leur semblable.
Une facilité pourrait faire dire que tu es passée du militantisme associatif au politique. Bien sûr tu n’as pas quitté le champ associatif et ton activité a toujours été politique, mais malgré tout il y a bien eu un virage quand tu es devenue la première candidate de Québec Solidaire, lors de l’élection partielle de Sainte-Marie–Saint-Jacques en avril 2006. Comment as-tu abordé cette nouvelle forme d’engagement, et pourquoi avoir franchi le pas ?
C’est la féministe en moi qui m’a amenée à faire le choix de me présenter comme candidate. Depuis les débuts, j’ai travaillé à la mise sur pied d’Option citoyenne et à la fusion avec l’Union des forces progressistes. Je me suis impliquée dans la création de Québec solidaire dans l’objectif très clair et nommé de faire élire Françoise David, une leader extraordinaire avec laquelle je travaillais depuis une dizaine d’années.
Un mois avant le congrès de fondation de QS, nous savions que le gouvernement allait déclencher une élection partielle dans mon comté, laissé libre par André Boulerice quelques mois auparavant. Les seuls noms qui sortaient comme candidature potentielle étaient des hommes. J’étais incapable d’accepter que le premier parti politique féministe présente un homme comme première candidature.
C’est donc avec beaucoup d’audace et de candeur que j’ai sauté dans le train. Dès le début de la campagne, j’ai compris que dans les faits, le travail politique n’était que la continuité du travail d’éducation populaire que je faisais depuis une vingtaine d’années. Aller à la rencontre des gens, prendre le temps de leur expliquer comment fonctionne le système dans lequel nous vivons et comment on peut changer les choses. Redonner espoir à celles et ceux qui ne sont jamais considérés par ce système.
De plus, mon travail de militance m’avait formée à analyser, à être critique et à formuler des alternatives. J’étais surtout prête à mener la bataille pour que le mode de scrutin soit plus juste et pour que chaque vote compte. Je suis une grande démocrate et le système québécois actuel est beaucoup trop injuste pour que je dorme tranquille.
Si tu épouses toutes les thèses de Québec Solidaire, quels sont les sujets qui te semblent prioritaires, et que tu défends particulièrement – que ce soit dans et hors du parti.
En premier lieu je dirais l’économie. Québec solidaire a une vision de l’économie qui me réconcilie avec la démocratie représentative. Nous avons abandonné l’économie aux mains des économistes, qui finissent par se convaincre et nous convaincre que l’économie est une science exacte. Le système capitaliste crée beaucoup trop d’abus, d’injustices et de guerres pour que nous restions silencieux-ses. Les gens qui maintiennent ce système en place n’ont pas à cœur l’intérêt collectif, ni le bien commun et ni l’environnement. Quand Québec solidaire parle de justice sociale, il ne fait que s’appuyer sur la nécessaire justice fiscale qui est occultée dans le discours dominant des grands cravatés du capital. Ils ne cessent de dire que nous devons faire notre « juste part », alors qu’ils savent très bien que des milliards de dollars passent annuellement dans des paradis fiscaux, en toute légalité, sans que le peuple en bénéficie pour le financement de ses services publics. Ça m’indigne et me dégoute.
Le deuxième thème est l’environnement. Non pas comme une ressource exploitable, mais en tant que bien commun que nous partageons avec l’ensemble des habitantEs de cette terre. Je me sens très reconnaissante de pouvoir boire de l’eau saine, de respirer de l’air qui ne m’empoisonne pas trop et de pouvoir manger trois repas par jour. Comment puis-je accepter de ne pas tenir compte de tout ça? Pour QS, l’environnement n’est pas quelque chose à exploiter, mais à protéger. La fin de la dépendance au pétrole et le programme d’efficacité énergétique est pour moi d’une grande cohérence avec les valeurs de bien commun qui nous tiennent tant à cœur.
C’est en effet une question fondamentale, d’autant que le Québec est très riche en ressources, mais certaines d’entre-elles sont loin d’être « propre », je pense notamment aux mines d’uranium ou d’amiante. Dans le cas d’un gouvernement solidaire, quelles seraient les priorités pour effectuer la transition écologiques ?
Pour QS, il faut radicalement rompre avec les énergies non renouvelables et tout particulièrement les hydrocarbures. Nous avons été le premier parti à dénoncer l’attitude hypocrite du Québec face à l’amiante en interdisant d’une part son utilisation ici au Québec mais en poursuivant son exportation.
De plus il faut que le gouvernement mette fin à ces mines à ciel ouvert qui détruisent complètement les paysages et les milieux de vie des communautés. Les gens de Malartic dans la région de l’Abitibi en savent quelque chose.
Il est donc urgent de développer une économie au service de l’ensemble de la population et non seulement au profit d’une poignée de gens qui en profite et qui n’ont aucune considération pour l’environnement. Pour ce faire, on ne peut pas continuer dans la logique de surconsommation dans laquelle nous pousse sans cesse le capitalisme néolibéral. Les mines ne sont qu’un exemple.
Portrait-vidéo de Manon Massé lors de la campagne de 2012.
Québec Solidaire présente une option souverainiste de gauche et s’adresse à tous les Québécois, on reproche cependant régulièrement deux choses au parti : être centré sur Montréal, et être de faux-indépendantistes, quelles sont tes réponses à ces attaques récurrentes ?
C’est mal connaître notre parti que de dire que nous sommes centrés sur Montréal. Certes, nos deux élus actuels sont de Montréal, mais les dossiers qu’il et elle portent touchent tout le Québec. Par exemple, dans le dossier des mines, ou dans celui de l’extraction du gaz de schistes ou encore celui de l’exploitation des ressources gazières en Gaspésie, on ne parle pas aux MontréalaisEs. Même chose lorsque l’on défend les personnes à l’aide sociale ; il y en a partout au Québec.
Il faut parler avec les Guy Leclerc d’Abitibi, Patricia Chartier de Gaspésie, Serge Roy de Québec, de Louise Beaudry de Berthier pour voir que notre parti est bien implanté dans l’ensemble du territoire. Reste-t-il encore du travail à faire? Bien sûr. Quoique nous ayons présenté des candidatEs dans chaque comté lors des trois dernières élections générales, et nous entendons faire de même pour la prochaine, enraciner solidement Québec solidaire dans l’ensemble du territoire québécois demeure un objectif.
Je suis excédée de la malhonnêteté intellectuelle des personnes qui nous traitent de faux indépendantistes. Notre engagement est clair : lors de notre premier mandat, faire élire une assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution du Québec grâce à un vaste exercice de participation citoyenne partout à travers le Québec. Au bout de la démarche, les QuébécoisEs seront appelés par voix de référendums à se prononcer sur le document. Que voulez-vous de plus comme preuve de notre désir de faire l’indépendance?
À Québec solidaire, nous croyons à la souveraineté du peuple, c’est pourquoi nous voulons prendre le temps de faire émerger un projet de société qui rassemble les QuébécoisEs avant de le soumettre aux voies. Un projet comme la Charte des valeurs du gouvernement péquiste divise les Québécois et Québecoise et me confirme que ce parti souhaite plus se maintenir au pouvoir que faire du Québec un pays.
Quand j’écoute les discours dominants des indépendantistes, notamment sur le droit des nations à disposer d’eux-même, je suis toujours très surpris par l’oubli des Premières Nations. Le plan Nord, largement combattu par QS, n’était qu’une fausse réponse visant à encore plus déposséder les peuples autochtones, quel est ton regard sur les minorités indiennes et inuit, souvent décriées, et que proposent les solidaires pour cette population ?
C’est vrai que les Premières Nations et leurs droits ancestraux sont très souvent oubliés, pas seulement dans le discours indépendantiste, mais aussi dans l’utilisation du territoire. Pour Québec solidaire, l’autodétermination des Premières nations est une valeur importante.Nous voulons un dialogue peuple à peuple, de façon égalitaire et respectueuse.
Les peuples autochtones doivent être inclus, à part égale, dans tous les débats de société, dont celui de la souveraineté du Québec, du partage des ressources et du territoire. Ce sont nos ancêtres, après tout, et nous les avons isolés, autant physiquement que socialement. Il est donc primordial que le dialogue soit rétabli, dans une perspective de respect et d’inclusion.
Une des fameuses affiches à moustache de Manon
En septembre 2012 un gouvernement péquiste minoritaire a été élu. S’il y a eu quelques gestes forts en début de mandat – fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, abrogation de la loi 78 – aujourd’hui on ressent beaucoup de déception. La faute à un manque de moyen d’action, mais aussi d’un certain courage politique, qui était d’ailleurs un de vos thèmes de campagne. Quel regard portes-tu sur cette année de gouvernance censément progressiste ?
Le PQ gouverne de façon tout à fait prévisible. Depuis longtemps on le voit, dans l’opposition il met de l’avant des propositions de gauche alors qu’une fois au pouvoir, il gouverne dans la pure tradition de la droite. Le peuple québécois l’avait oublié, car cela faisait trop longtemps que le PQ était dans l’opposition.
Il n’y a rien de progressiste dans la façon de gérer du PQ : monsieur Marceau et son austérité budgétaire avec les tarifications des services publics (santé, éducation) qu’on applique, les accords de libre-échange qu’on encense, le pétrole qu’on accueille à bras ouvert qu’il provienne d’Anticosti ou d’Alberta, les redevances minières qu’on ose à peine réclamer, les coupes à l’aide sociale en prétendant une amélioration, le retour de la taxe santé et non de l’imposition du gain de capital….. Je m’arrête là.
Ce gouvernement n’agit pas pour le bien-être de tout le monde et en ce sens, il n’est pas très différent de son prédécesseur. Ceci étant dit, il y a quelques dossiers pour lesquels nous gardons les doigts croisés afin que les députés qui les portent ne soient pas bâillonnés par le ministre des Finances et sa politique d’austérité, notamment ceux de la politique de lutte à l’itinérance et de l’électrification des transports.
En conclusion, j’aimerai que nous parlions de l’actuelle charte de la laïcité. Ce projet propose d’interdire le port de signes religieux ostentatoires à tous les fonctionnaires, ainsi que le port de certains signes religieux en public. Les arguments sont la défense d’une certaine laïcité, l’intégration et la protection des femmes. À contre-courant de ce que certains auraient pu attendre Québec Solidaire s’oppose à ce projet jugé stigmatisant pour des populations déjà minoritaires. Françoise David s’y oppose aussi en tant que féministe, ce qui en a surpris plus d’un. Peux-tu m’expliquer comment tu abordes cette question complexe de la laïcité et de l’intégration ?
Selon moi, le PQ a pris un chemin très dangereux en mettant au jeu au mois de septembre dernier le projet de Charte des valeurs québécoises. Ce projet n’a rien à voir avec la laïcité annoncée, mais parle plutôt de l’identité québécoise tant recherchée et malheureusement, pas encore reconnue. Ce qui m’inquiète profondément, c’est qu’on aborde cette question dans une perspective d’exclusion. Les échanges qui en ont découlé sur la place publique n’ont d’ailleurs pas toujours mis au jour ce qu’il y a de plus beau chez mon peuple!
Ce qui me choque aussi, c’est que le PQ propose une laïcité de l’État à deux vitesses : non aux symboles religieux trop apparents dans la fonction publique, mais oui au crucifix à l’Assemblée nationale, au droit de retrait de certaines institutions, sans dire un mot sur le financement à la hauteur de 60% des écoles privées dont plusieurs sont confessionnelles, et rien non plus sur le congé fiscal pour les organisations religieuses…Quelle hypocrisie!
Comme féministe, je n’en peux plus de voir ce débat se faire sur le dos des femmes. Elles avaient déjà donné avec la commission Bouchard-Taylor. Avec ce projet de charte, au nom de la protection de ces femmes qui portent le foulard, on encadre légalement leur exclusion.
Ni obligation, ni interdiction! Voilà ma conviction. C’est par l’éducation et l’autonomie économique que les femmes, tout comme les Québécoises des années 60, trouveront la liberté que le ministre Drainville et les Jeannettes de ce monde veulent « leur offrir ». Comme féministe, je respecte leur droit d’enlever leur hijab au moment où elles le veulent, si elles le veulent. Dans les années 70 et 80, j’ai scandé : « Nous aurons les enfants que nous voulons », « Mon corps c’est mon corps ». Je ne me mettrai pas aujourd’hui à scander « Ôte ton voile parce qu’il me dérange ».
Ceci étant dit, nous devons agir face aux différentes forment d’extrémismes religieux. Nous les femmes, les lesbiennes et gais, les marginaux, le savons très bien. De l’oppression, il y en a partout, et si j’en crois les statistiques au Québec, l’égalité entre les femmes et les hommes et l’ouverture aux communautés LGBT sont bien plus compromises par la majorité blanche, catholique, hétérosexuelle, que par le faible pourcentage de 2% de musulmanEs.
Comédienne, autrice, militante avant tout, Catherine Dorion a le cœur à gauche et vibre pour le Québec. Fervente indépendantiste, elle participe à la fondation d’Option Nationale, dont elle est la candidate dans Taschereau (ville de Québec) aux élections de 2012. Auteure d’une vidéo de campagne où elle explique avec simplicité, humour et second degré son attachement à la cause souverainiste et sa foi en un avenir de progrès, elle créé un buzz retentissant en obtenant rapidement plus de 100.000 vues sur Youtube. Devenue icône d’un parti encore méconnu elle obtient 7,37 % des voix, soit le deuxième plus gros score du parti, derrière celui de Jean-Martin Aussant. Si elle est un peu moins visible depuis, elle continue plus que jamais à s’investir dans le parti et partage ses opinions et coups de gueule sur son blog avec un public toujours plus grand.
Pour commencer par la base, avant même de parler partis, peux-tu nous expliquer le fondement de ton engagement indépendantiste ?
Je ne le saisis moi-même que petit à petit à mesure que les années passent. Je crois que j’ai toujours souhaité pour mon peuple cette attitude qui, dans ma vie personnelle, n’a jamais menti, n’a jamais failli : le courage d’être soi-même et de suivre son désir, sans donner de crédit aux prophètes de malheur et à tous ceux qui, à force d’avoir peur, meurent vivants. Sans donner de crédit à ceux qui nous répètent partout que nous devrions être davantage ceci, moins cela, davantage autres, moins nous-mêmes. J’expérimente dans ma vie le succès de cette posture et c’est pour ça que je souhaite cette posture à mon peuple, comme je la souhaiterais à mon meilleur ami.
Avant de rejoindre Option Nationale tu as mené nombre de projets engagés, notamment des performances théâtrales, du slam, la rédactions de textes… Je te définirai comme une activiste culturelle, qui milite autant sur le fond que sur la forme (un certain type de théâtre), comment te positionnes-tu par rapport à ça ?
Je déteste avoir à me positionner dans un débat pré-déterminé par d’autres (les médias traditionnels, souvent), où les pour et les contre sont déjà étiquetés, les idées déjà classées en groupes et sous-groupes, et dans lesquels on me demande de me jeter juste pour aller grossir le nombre de telle ou telle équipe ou sous-équipe. Oui, je milite donc également sur la forme : ce n’est pas comme ça que notre politique devrait se faire. Il ne devrait pas s’agir que de lancer une idée contre une autre et de regarder le combat de coqs qui s’ensuit ainsi que les applaudissements ou huées des « experts » à la télévision. Il n’y a pas pire vecteur de désengagement de la population : nous, à qui on répète que nous vivons en démocratie, dans le meilleur système du monde et de l’histoire, sommes réduits à des spectateurs télévisuels d’une partie de hockey qui n’a plus aucun lien avec nos réels désirs et besoins! Nous nous désengageons, remplis d’un sentiment justifié d’impuissance et d’absence de sens, et nous nous laissons organiser par d’autres qui en profitent pour… pour profiter, quoi.
Pour changer quoi que ce soit et nous redonner à nous-mêmes notre politique, il faudra que nous nous en emparions. Et nous cherchons comment faire, à tâtons, nous cherchons. À un moment donné, nous tomberons sur une idée, sur un filon, sur une manière d’exprimer le politique qui nous rassemblera tous, nous éveillera, nous donnera le courage collectif nécessaire à la réappropriation de notre politique. En attendant, à l’intérieur de chacun de nous, le désenchantement et l’indignation s’installent, prennent de la place, accumulent le gaz dont nous aurons besoin pour nous lever tous ensemble. Militer, pour moi, c’est ça : préparer le terrain pour le moment où l’éveil collectif prendra forme.
Quand je remonte un peu dans tes travaux je retrouve toujours la question de l’indépendance, je te sens aussi viscéralement progressiste. Quand Jean-Martin Aussant a lancé Option Nationale en 2012 il semble que tu l’ai rejoint très naturellement, peux-tu nous expliquer le cheminement qui t’as mené à entrer et à prendre des responsabilités dans le parti ?
Nous avons eu l’idée du parti ensemble, à deux, dans un resto de Montréal, en marge du dernier congrès du PQ auquel nous assistions, moi comme observatrice et lui comme député péquiste. Nous l’avons plus tard fondé ensemble et avons fait toutes les premières démarches ensemble. Lui, qui avait beaucoup plus d’expérience que moi en politique active, a dirigé toutes les étapes. Moi, je regardais, j’apprenais, j’allais chercher du monde, des gens inspirés et passionnants qui n’avaient jamais fait de politique et qui savaient porter notre enthousiasme naissant d’une manière créative, attirante, à contre-sens de la fausseté habituelle des politiciens.
Tu as été une des révélations de l’élection de 2012, un buzz énorme a suivi la publication de ta vidéo, et tu as sans doute plus fait pour la reconnaissance d’Option Nationale que n’importe quel article ou émission. Du jour au lendemain tu as du recevoir énormément d’invitations, tu as tenu un blog sur L’actualité, à donné beaucoup d’entretiens et finalement obtenu un très bon score pour une jeune formation. Avec un recul d’un an, comment vois-tu cette reconnaissance et les conséquences de cet imprévisible succès ?
Comme un signe que le cynisme des gens face à la politique est aussi une ressource incroyable : le jour où des sincères investiront le plancher du politique au Québec, les gens sauront les reconnaître. Il ne suffira plus, pour nous, que de trouver des moyens de nous faire voir. Internet nous aide beaucoup dans ce sens-là. Je crois que tu as déjà, dans ta question, saisi les conséquences de ça, très positives pour nous. Évidemment, ça ne se fait pas en un an. Il faudra travailler…!
En attendant, ce que les gens savent reconnaître à coup sûr, ce sont ceux qui sont en politique pour le pouvoir ou l’argent. Ça, on connaît, on reconnaît, on se tient loin de ça, on vote pour le moins pire d’entre eux à contrecœur, en haussant les sourcils, en nous demandant si nous sommes en train d’accomplir le devoir du citoyen ou un acte assez débile d’humiliation citoyenne…
Catherine Dorion et Sol Zanetti
Après les élections de 2012, malgré la défaite des libéraux et la défaite de Jean Charest, les résultats laissaient un goût amer : un gouvernement péquiste très minoritaire, des libéraux encore puissants et la défaite de Jean-Martin Aussant. Un coup dur pour un jeune parti, d’autant plus que quelques mois plus tard il a décidé de quitter la direction d’ON. Quel regard portes-tu sur la démission de JMA ? Pourquoi n’as-tu pas souhaité le remplacer et quelles sont les raisons de ton soutien à Sol Zanetti ?
Je porte un regard ambivalent sur la démission de Jean-Martin : d’un côté je le comprends, c’est mon ami, je l’ai vu avec ses enfants, absent malgré lui, pris par les incessantes questions politiques, obligé de gérer le fonctionnement interne d’un parti qui grandissait plus vite que ses capacités organisationnelles alors que sa passion était de parler aux non-convaincus, de convaincre, de changer en profondeur les pré-conceptions des gens pour que, tranquillement, ses idées fassent leur place dans la population et s’y réenracinent avec solidité. Je pense que, face aux défis d’organisation partisane, mon ami trouvait la vie dure, lui qui, malgré ses lunettes et son génie économique, carbure à la passion. Il ne cessait jamais de travailler pour le parti, jusque tard dans la nuit, il avait toujours des trucs à régler, à penser, des militants à apaiser. Ses jeunes enfants n’avaient pas beaucoup de père…
C’est parce que j’ai constaté ça en le suivant de près que j’ai décidé de ne pas me présenter à la chefferie. Je savais que, avec mon bébé d’un an et demi, je finirais comme lui épuisée, éloignée de ce qui m’avait attirée en politique, vidée de ma passion et de mon énergie. Et je ne pouvais pas me faire élire et risquer de démissionner un an plus tard de la même manière que lui, ça aurait été un double coup trop difficile pour le parti en si peu de temps. Sol, quant à lui, était décidé, ferme, solide, et il avait autant envie d’organiser et d’unir les troupes dans un même élan que de convaincre la population du Québec de la logique de l’indépendantisme. J’ai senti que, moralement, c’était un pilier, qui avait le sens des responsabilités très développé, et que c’était lui qu’il nous fallait, surtout à ce moment-ci de notre histoire et dans la situation dans laquelle nous nous trouvions, affaiblis par le départ du chef fondateur.
De l’autre côté, je trouve que Jean-Martin a manqué de patience. Il n’aurait pas eu à attendre quinze ans avant que quelque chose se passe. Cinq, six ans, et ça devenait foutrement intéressant pour ON. Notre succès était époustouflant, dérangeant, merveilleux. Mais bon. Un sondage récent nous donnait 4% d’intentions de vote, le même pourcentage qu’avant la démission de Jean-Martin. Qui sait? Peut-être son rôle à lui n’aura-t-il été que de rassembler tous ces gens décomplexés qui ont envie d’arrêter d’avoir honte d’être eux-mêmes et qui savent communiquer leur fierté.
Quand ont te lit et t’écoute, on te sent éminemment progressiste. Je comprend bien que le rattachement au Canada lie les mains des québécois, qu’un gouvernement vraiment de gauche serait toujours préférable à des souverainistes centristes (par ailleurs peu pressés de faire l’indépendance) comme c’est le cas aujourd’hui ?
Les souverainistes centristes, tu parles du Parti Québécois? Mais ce parti, en tant qu’institution, n’est ni centriste, ni gauchiste, ni indépendantiste, ni fédéraliste. Ce parti n’est plus qu’une chose : électoraliste. Certains de ceux qui le composent ont des convictions réelles, mais ils se retrouvent pris dans une machine lourde, contre-productive, non-militante.
René Lévesque le disait : les partis vieillissent mal et ne devraient pas durer plus d’une génération. Au-delà de ça, ils deviennent trop attractifs pour les opportunistes, les carriéristes et tous ceux qui veulent profiter d’une idée ou d’un mouvement plutôt que d’y apporter leur appui pour le renforcer.
Quant à un gouvernement de gauche au Québec, ça serait pas mal, mais que peut faire un gouvernement provincial de gauche lorsque la moitié la plus importante de la politique, des ressources et des impôts de son peuple est gérée par un autre peuple sur lequel il n’a pas de prise? À quoi bon être de gauche (ou de droite) si notre budget provincial est pris à la gorge par les besoins en santé et en éducation, qui bouffent tout? Nous n’avons pas de réelle liberté d’action politique en tant que province.
L’indépendance du Québec n’est pas la seule mais la première des choses logiques à faire. La lutte gauche-droite aura toujours lieu. Il n’y a pas de système parfait qui, une fois instauré, assurerait à tout le monde que les malhonnêtes ne se retrouveront jamais au pouvoir en position d’exploiter les ressources du peuple, que ce système soit de gauche ou de droite. Hannah Arendt a beaucoup écrit là-dessus. Il faudra toujours se battre contre l’injustice et l’exploitation parce que ça risquera toujours d’arriver. L’indépendance politique du Québec, quant à elle, est réalisable et elle est un outil dans cette lutte qu’il faudra sans cesse mener. Quel peut être l’avantage de laisser un gouvernement élu par un autre peuple gérer la moitié la plus significative de notre politique?
Nous ne sommes responsables de rien, n’apprenons rien de ces décisions que nous ne prenons pas. Il est plus important d’avoir la possibilité d’être soi-même, au risque de se tromper, que d’être « du bon côté » ou d’avoir « les bonnes idées », qu’elles soient de gauche ou de droite. Comme pour l’individu, c’est la base de la confiance en soi : nous sommes tous différents; il n’y a que moi qui sache vraiment ce qui est bon pour moi. Je dois essayer, avancer, me tromper, ressentir, apprendre, réorienter, réussir, me fatiguer, me relever, etc. Être responsable. Être.
De manière plus générale, je me demande comment Option Nationale peut défendre l’idée « une fois élu, nous sommes indépendants » alors que dans les faits Ottawa en arrive même à remettre en cause la légalité d’un référendum à 50%+1…
Les sécessions sont du domaine du droit international. Et le droit international en matière de sécession repose sur la coutume et sur les traités internationaux. Les deux militent en faveur d’une reconnaissance d’un Québec indépendant à 50%+1 du vote. Ottawa peut bien faire ce qu’il veut, ce n’est pas lui qui a le pouvoir de légiférer en la matière.
Option nationale défend l’idée qu’une fois élus après une campagne claire, focussée entièrement sur l’indépendance, nous aurons un mandat électoral très fort de la démocratie québécoise en faveur de gestes de rapatriement au Québec de nos lois, de nos impôts, de nos traités. Évidemment, Ottawa risque de ne pas rester tranquille, mais il aura à faire face à cette patate chaude que sera cette population québécoise qui aura élu un parti très ouvertement indépendantiste et qui attendra de pied ferme toute fermeture d’Ottawa. Et tout ça à un moment où le parti au pouvoir à Québec sera prêt à faire un référendum n’importe quand et que toute radicalisation du débat par Ottawa risquera de favoriser les indépendantistes…
En gros, l’idée, c’est de nous mettre dans une win-win situation.
Même si Option Nationale défend l’indépendance avant tout, le parti est loin de ne pas avoir de programme social. Avec Québec Solidaire, Option Nationale est une des rares formations politique à avoir pris part active aux manifestations étudiantes de 2012, à arborer sans honte le « carré rouge » et à défendre la gratuité scolaire, sur d’autres sujets comme la santé, les institutions ou l’environnement il y a aussi de fortes convergences. J’ai lu ton texte expliquant la différence entre les deux partis mais vu le système électoral, je ne comprend pas pourquoi des alliances et soutiens réciproques ne sont pas envisagés dans un certain nombre de circonscriptions (comme cela avait eu lieu pour Jean-Martin Aussant et Françoise David) ? Il ne s’agit pas de nier les différences ou de supprimer les partis, mais juste de soutenir les forces progressistes-indépendantistes sans attendre que les partis dominants installent une proportionnelle dont ils ne veulent pas…
Des alliances et soutiens réciproques sont envisagées. Je suis de celles qui militent pour ça à l’intérieur de mon parti. J’ai des homologues à QS. D’autres militants de QS sont davantage « partisans » et ont peur des collaborations. Dernièrement, ON a fait une offre de collaboration électorale à QS, qui a été refusée par ce dernier en congrès…
De notre côté, à ON, pour éviter tout danger de faire passer le parti avant la cause, nous avons inscrit dans nos statuts qu’ « Option nationale affichera une ouverture permanente à collaborer, voire fusionner, avec toute autre formation politique dont la démarche est aussi clairement et concrètement souverainiste que la sienne ».
Outre ton engagement artistique, une autre de tes particularité sont tes nombreux voyages, souvent mis en avant quand on parle de toi, et notamment des études dans des pays aussi différents que le Chili ou la Russie. Cette façon de forger ta pensée montre un esprit inclusif, très loin de la vision d’indépendantiste fermée sur elle-même. C’est une image récurrente, régulièrement véhiculée par les fédéralistes, que l’actuel débat sur les « valeurs » n’améliore pas. Comment penses-tu qu’on puisse convaincre les étrangers, migrants, voire non-francophones, du bien fondé de l’indépendance ? Que la « culture de l’identité », dont tu parles souvent, n’a rien à voir avec un repli communautaire ?
En en parlant dans des assemblées de cuisine (j’en ai fait une avec 90 immigrants issus de divers pays ouest-africains il y a quelques mois).
En faisant grossir le nombre de militants qui ont la même vision moderne de l’indépendance que moi. Ma communauté de pensée est immense, mais elle n’est pas encore majoritairement militante. Le printemps érable et la croissance fulgurante d’ON depuis ses débuts ont tous deux contribué à faire grossir leur nombre dans les réseaux d’activistes. La politisation continue. Ce n’est pas un mouvement qui est en voie de reculer. Cette politisation fait d’ailleurs partie d’une mouvance mondiale qui ne s’arrêtera pas de sitôt, comme c’était le cas dans les années 60-70.
Des rumeurs d’élections générales bruissent, le parti est-il prêt à les affronter? De ton côté, penses-tu de nouveau être candidate ?
Just watch us, comme dirait Trudeau. 😉
[NDA: Le 7 novembre, Catherine a annoncé sa candidature dans Taschereau pour les prochaines élections].
Entretien réalisé par courriel du 21 au 29 octobre 2013