Entretien avec Alexandre Leduc : un an de mandat

Dès le soir de sa défaite en 2014, Alexandre Leduc annonçait qu’il souhaitait reporter les couleurs de Québec solidaire (QS) dans Hochelaga-Maisonneuve (HM), et revenait sur sa campagne pour notre site. En octobre 2018, il a bien été candidat et a fait partie de cette petite vague de néo-députés solidaires, avec dans son cas une très confortable avance : plus de 7000 voix sur la députée péquiste sortante. Retour une première année de session parlementaire.

Il y a un an, les résultats ont été très bon pour Québec solidaire, empochant des circonscriptions espérées – et mêmes quelques inespérées -, réussissant notamment à percer hors de Montréal. Quelle a été ta perception de ces résultats dans ton comté (où tu obtiens 50 % des suffrages et donc une majorité d’électeurs, chose rare dans le système à un tour) et dans la province ? Et quelle a été ta première impression une fois réuni en caucus ou dans le salon bleu, enfin élu après trois candidatures  ?
Au déclenchement de la campagne, QS avait de grandes ambitions et j’étais assez confiant à propos de chance de l’emporter dans HM, mais dans l’absolu rien n’est joué et tout peut s’effondrer rapidement. Cependant, à mesure que la campagne avançait, quelques indices confirmaient qu’on se dirigeait vers une victoire dans mon quartier. Tout d’abord, nous avions un nombre record de personnes qui installaient une pancarte sur leur balcon. Il y en avait au moins une dans chaque rue du quartier, c’était impressionnant. Ensuite, j’obtenais beaucoup plus de succès auprès des indécis à qui je parlais que les élections précédentes. Finalement, la bourde monumentale du chef péquiste lors du deuxième débat des chefs a scellé la chose dans HM. Le résultat a malgré tout été passablement plus fort que nous l’avions projeté. On s’attendait à gagner avec des appuis alentour de 40%. Le 50,05% fût donc une agréable surprise et aussi une sérieuse obligation d’être à a hauteur de la situation.
Nous avons tenu notre premier caucus 4 jours après le vote. C’était un moment très fébrile, car nous étions tous encore sur un nuage. De plus, c’était des occasions de premières rencontres pour certains et certaines d’entre nous. En effet, j’avais rencontré qu’une seule fois Émilise Lessard-Therrien (Rouyn-Noranda-Témiscamingue) et je n’avais jamais rencontré Christine Labrie (Sherbrooke). J’étais un ami de Sol Zanetti (Jean-Lesage) et Catherine Dorion (Taschereau), mais je ne les avais pas du tout vus de la campagne. Je me demandais donc ce qu’il et elle venaient de vivre comme expérience électorale dans la ville de Québec, réputée très conservatrice.
Le moment le plus émotif était le tour de table. Chaque nouveau député se présentait en disant son nom suivi de son nouveau statut (i.e. bonjour je suis Alexandre Leduc, député de Hochelaga-Maisonneuve). C’était donc des cris de joie à chaque présentation d’un nouveau député.
Le caucus a surtout servi à discuter des prochaines étapes, de conseils pour mener à bien les embauches dans les différents bureaux de circonscription, commencer à réfléchir à nos intérêts pour le partage des dossiers et discuter de la cérémonie d’assermentation.
J’avais déjà eu affaire au parlement dans le passé dans des simulations parlementaires et comme conseiller du président de mon syndicat dans le cadre d’auditions de commissions parlementaires. J’étais donc assez familier avec l’endroit. Cependant, lorsque tu ouvres la porte de ton bureau pour la première fois et lorsque tu vois ton nom sur ton pupitre au salon bleu, il y a bien sûr une charge émotive qui accompagne le moment. Le sens des responsabilités t’envahit et tu espères être à la hauteur du défi.

Tu es assez logiquement (avant son élection, M. Leduc était conseiller syndical sur les questions de droit du travail) membre de la commission de l’économie et du travail. François Legault se vante d’être un manager, un chef d’entreprise, l’économie est censée être son pré-carré. Quel bilan tires-tu du début de mandat sur cette question précise ?
Le dossier du travail est malheureusement peu couvert en dehors des grands conflits de travail. À preuve, des deux grands dossiers Travail de la précédente session parlementaire – lock-out d’ABI à Bécancour et réforme de la loi sur l’équité salariale (LÉS) – les médias n’ont couvert que le premier.
Dans les deux scénarios, le gouvernement Legault a adopté une attitude hostile au mouvement syndical. Il a pris parti pour l’entreprise ABI (bien qu’elle bénéficiait déjà d’un rapport de force inégale en raison d’une ridicule clause de force majeure dans son contrat d’électricité avec la société d’État Hydro-Québec). Son implication dans le dossier fût très négative et a permis à l’employeur de jouer l’horloge jusqu’à l’épuisement des troupes. Paradoxalement, la CAQ avait obtenu un fort appui dans la région où est située l’usine. Parions que cet appui ne sera pas le même en 2022.
La réforme de la LÉS était une réponse à un jugement de la Cour suprême qui obligeait le gouvernement à réécrire sa loi, car elle était discriminatoire. La nouvelle mouture comportait encore des défauts, mais réglait les principaux irritants. Le scandale est qu’elle ne s’applique pas aux anciennes plaintes déposées avant la réforme. Les anciennes plaintes seront traitées par l’ancienne loi… que la Cour vient de juger discriminatoire. Il y aura donc une nouvelle ronde judiciaire menée par le mouvement syndical pour démontrer que la nouvelle LÉS ne répond pas adéquatement au jugement.
Dans les deux scénarios, le gouvernement agit en gestionnaire qui prend fait et partie pour le capital et ses propres intérêts comme État-employeur plutôt que de penser au rehaussement des conditions de vie des travailleurs et travailleuses du Québec.
Nous attendons une importante réforme en santé et sécurité au travail et une autre sur les services essentiels. Je ne m’attends malheureusement pas à un changement d’attitude de la part du gouvernement.

Le fait d’avoir un groupe reconnu donne des moyens à QS, mais vous n’êtes malgré tout que dix. As-tu l’impression de réellement pouvoir exercer ton travail de député face à une majorité caquiste écrasante ? Le député a t-il un réel pouvoir ? Si oui peux-tu donner un ou deux exemples d’impact concret des députés d’opposition ?
Passant de 3 à 10 députés, on peut maintenant à peu près tout couvrir et être présent partout où sont normalement les autres partis. C’est tout un changement par rapport à la précédente dynamique où les trois élus devaient constamment faire des choix déchirants concernant les interventions médiatiques à préparer, les commissions parlementaires à couvrir, les invitations à accepter ou refuser, etc.
Ce n’est donc pas moins de travail que lorsque nous étions trois, mais une meilleure présence dans l’ensemble des dossiers.
Un député d’opposition n’a pas plus ou moins de pouvoir qu’un député du parti au pouvoir qui n’est pas ministre. Un député d’arrière-ban peut parfois avoir plus de problèmes qu’un bon député d’opposition pour avoir accès à un ministre. Tout dépend de sa capacité à mener ses dossiers, sa crédibilité et les relations tissées avec les ministres.
Localement mon équipe et moi avons mené quelques dossiers où j’ai participé à obtenir des subventions pour des groupes, débloquer un important dossier d’agrandissement de garderie et réussi à mettre la main (via une demande d’accès à l’information) sur les plans autoroutiers du ministère des Transports sur un secteur industriel en développement.
Ce sont de petites victoires qui s’ajoutent aux dizaines d’autres petites victoires sur des dossiers de citoyens et citoyennes qui viennent cogner à la porte du bureau de circonscription. Là-dessus, tout le crédit revient à mes collègues attachées politiques qui font tout ce travail essentiel.

Alexndre Leduc au lancement de sa campagne en 2018 /
AndréLegault – Wikicommons

Pourrais-tu me donner un exemple de chose qui t’a surpris lors de cette session, en négatif et en positif ?
J’ai été surpris négativement par le peu de décorum au salon bleu. C’est pire que ce qu’on perçoit à la télévision où le téléspectateur entend parfois un brouhaha. Quand tu es assis au centre de l’action, tu vois ce que la caméra ne voit pas et tu entends ce que le micro n’entend pas. Ce n’est pas joli. Les élus du PLQ sont de loin les plus indisciplinés. Certains ministres de la CAQ (surtout des hommes, bien entendu) étaient un peu trop contents d’avoir gagné en début de législature. Je trouve que ces comportements ne sont pas à la hauteur de notre fonction.
D’un autre côté, en dehors des moments plus « spectacle » de la politique (période des questions, commissions, entrevues, etc.) il règne une surprenante convivialité à l’Assemblée, en particulier entre les élus. Ça se tutoie très rapidement, les ministres sont très accessibles et l’ambiance est bon-enfant. Le contraste entre ces moments et ceux relevant du spectacle est donc total. Cela fait en sorte que deux députés sont capables de s’engueuler pendant la période de questions, mais de régler des dossiers 15 minutes après dans la file d’attente de la cafétéria.

La majorité du travail parlementaire est en fait assez mal connu, quelle action discrète – pas forcément dépendant uniquement de toi, mais qui te semble essentielle – voudrais-tu faire mieux connaître du grand public ?
J’éprouve beaucoup de frustration devant ma difficulté certaine à faire parler de mes dossiers locaux dans les médias. Mes collègues qui sont hors Montréal ont tous des médias régionaux qui s’intéresse de près à leurs travaux. À Montréal, il n’y a que des médias nationaux et il est difficile d’attirer l’attention sur un quartier en particulier. Je crains que cela donne l’impression aux résidents de ma circonscription que je ne fais pas grand-chose pour le quartier. Il y avait un média local citoyen pendant quelques années dans le quartier, mais il a fermé faute d’implication. Nous cherchons des solutions, mais ce n’est pas simple.
Nous faisons face à un important phénomène de gentrification (embourgeoisement) dans HM et cela a des conséquences insoupçonnées, notamment sur le financement des écoles et plus spécifiquement sur le financement de la « mesure alimentaire », un programme de collation gratuite et de dîner à 1$ pour les enfants de familles à faible revenu dans les écoles du quartier. La disparition de ces programmes ne touche pas seulement mon quartier donc il a été difficile d’attirer l’attention des journalistes sur le sujet. On a donc tourné notre propre reportage qu’on a mis en ligne [voir https://www.facebook.com/LeducAlexandreQS/videos/418350962341311].

Déjà en 2014 tu indiquais ne pas être membre de parti fédéral ni vouloir te positionner publiquement au nom de la séparation entre les échelons électoraux. Mais sans appeler à voter pour tel ou tel parti, quelle est ton analyse du mandat Trudeau et des dynamiques en cours (notamment l’arrivée de pouvoirs conservateurs dans tous le Canada) ?
En effet, au Québec il n’y a pas de liens organiques entre les partis fédéraux, provinciaux et les rares partis municipaux. Québec solidaire a donc pris position il y a quelques mois pour affirmer son désir de ne pas soutenir un parti ou un autre dans la course fédérale. De fait, aucun parti fédéral ne nous rejoint sur l’ensemble de nos positions. De toute manière, l’ère des consignes de vote est révolue, car même les centrales syndicales ne procèdent plus ainsi.
Je connais certains membres de QS impliqués au Bloc, d’autres au NPD ou encore au Parti vert. Je leur souhaite bonne campagne!

Le Grand retour

D’octobre 2013 à juin 2015 je tenais un blog sur la politique québécoise et canadienne, blog au succès sans doute mitigé mais plutôt satisfaisant. Durant ces deux ans, j’avais pu interroger nombre d’acteurs et actrices politiques, dont les destins ont évolué (de la défaite à la victoire), pu également tenter d’éclairer les français sur le système d’outre-Atlantique et faire des chroniques d’opinion. Je m’engageais évidemment parfois pour tel ou tel – je reste fermement convaincu que le Québec doit être indépendant et de gauche (pas l’un ou l’autre) – mais a posteriori ce sont vraiment les textes dont l’objet était de comparer les systèmes (ainsi de l’article sur les suppléants, ou sur le Front national et l’indépendance) qui me semblent les plus intéressants.

En cette année électorale pour le Québec, où l’on dépasse le mi-mandat pour Trudeau au Canada, et où la France se pose des questions constitutionnelles (avec notamment la question du référendum d’indépendance en Nouvelle-Calédonie) l’envie me prend de relancer ce projet.

Beaucoup de choses ont changé depuis 2015,  mais mon intérêt (expliqué dans ce premier post en 2013) n’a pas changé et l’objectif non plus, vous trouverez ici des articles, chroniques, notes de lectures et entretiens autour de la politique québécoise et canadienne. L’axe est ouvertement militant, c’est un militant écologiste, de gauche et indépendantiste qui vous parle, ce qui n’empêchera pas de recevoir des personnes hors de ce spectre.

J’ai rechargé sur cette plateforme la majorité de l’ancien site, pas tout car c’est long, mais l’essentiel y est (notamment tous les entretiens). On retrouve toujours les textes sur la plateforme originelle, à l’abandon.

PKP : Fin du « suspens »… et après ?

Après des mois de campagne dont les seuls points saillants ont été le retrait de trois candidats pour des raisons diverses, Pierre-Karl Péladeau est donc devenu chef du Parti Québécois hier. Avec 57,58% et une forte participation, sa légitimité est totale. Même si ses équipe visaient au départ de la campagne un score au delà des 70%, son résultat est conforme aux attentes des derniers sondages qui, cette fois, ont été globalement fiables pour tout le monde (29,21% pour Cloutier et 13,21% pour Ouellet).

Maintenant que le PQ s’est doté d’un chef, quel avenir ? Quelles perspectives ? Je suis de ceux qui ne comprennent pas que la clinquant médiatique d’un PKP ai pu à ce point emballer un PQ à la recherche d’un sauveur suprême. De fait, faute de passé politique, les seuls faits d’armes du nouveau leader sont à charge : patron voyou responsable d’un lock-out historique, dons financiers au Parti Libéral et à l’ADQ1, gaffes multiples quasiment à chaque expression publique… Mais PKP a levé le poing, parlé d’indépendance (tout en conservant un flou total sur le processus) et emballé les foules.

Je ne crois pas une minute aux envolées sociales démocrates du nouveau leader – les promesses n’engageant que ceux qui les croient -, son accession à la tête du PQ sonne la rupture définitive avec ce qui fut le parti de l’a-priori positif aux travailleurs et est d’abord la victoire des médias de masse. Mais curieusement, contrairement à beaucoup d’observateurs horrifiés, cela me semble plutôt une bonne nouvelle.

Pas une bonne nouvelle pour la pensée politique, définitivement battue par le bling bling, mais pour le spectre politique, en ce qu’elle clarifie les choses. Il y a désormais un PQ clairement de droite et de centre-droit, lorgnant sur la CAQ et son électorat, qui agitera la « crédibilité économique » et la question identitaire comme axes centraux. Très bien, c’était déjà ce qu’avait fait le gouvernement Marois dans les faits, dans la droite ligne de la gouvernance libérale de Lucien Bouchard, sauf que tout ça ne s’actait pas, on trouvait encore des gens sincèrement progressistes au PQ, un peu comme on en trouve encore au sein du Parti Socialiste Français….

Beaucoup on imaginé que la victoire de PKP effrayait Québec Solidaire et que c’est pour ça que le parti attaquait le magnat de la presse. Sauf que les études d’opinions montrent bien que ce n’est pas du tout sur les solidaires que le PQ-libéral rogne en majorité, la gauche aurait même tendance à en profiter. Il faut alors admettre que c’est simplement deux visions du monde qui s’affrontent, entre une gouvernance-Québécor marqué par l’autoritarisme (que l’on retrouve en politique contre ses concurrents ou les journalistes) et une vision globalisante et inclusive de l’indépendance, pensant aussi bien en terme de mieux-être social que d’environnement ou de redistribution.

À cet effet, si le choix des péquistes m’attriste il ne me surprend pas et à le mérite de poser les choses. Aux prochaines élections, dans trois ans, on verra si la bulle PKP s’est dégonflée (comme tant d’autres avant elle) ou s’il aura réussi à surprendre et gagner une crédibilité à ce jour absente. En tous les cas les projets s’affronteront clairement et sans confusion possible ce qui, malgré un scrutin vicié, c’est toujours une bonne chose.

On me criera qu’il s’agit encore de division du vote indépendantiste, je suis très sceptique à ce sujet. Si demain PKP arrive au pouvoir et veut faire l’indépendance, deux choses hypothétiques, il trouvera nécessairement tous les indépendantistes derrière lui, de gauche comme de droite, de la même manière que les indépendantistes républicains écossais ont soutenu l’indépendance monarchiste du SNP.

Pour le reste, heureusement, être indépendantiste ne veut pas dire uniforme et il reste des gens pour croire que l’indépendance est aussi (avant tout ?) celle montrée face aux lobbies, aux minières, aux puissances financières… sans lesquels elle ne restera qu’une incantation creuse et sans fondement.

1. Ses défenseurs mettent en avant qu’il donnait aux « trois partis » par principe de neutralité. Outre qu’il n’y a pas que trois partis, cela montre bien l’image qu’à de la politique un entrepreneur trouvant nécessaire de financer tout potentiel parti de pouvoir « au cas où »... Ce qui n'a rien de rassurant !
2. Sur ce sujet lire l’excellent billet de Sébastien Sinclair « Passer l’arme à droite ».

Crédit image : wikimédia

Entretien avec Sol Zanetti, chef d’Option Nationale

Fondé en 2011 suite à la rupture du député Jean-Martin Aussant avec le Parti Québécois, Option nationale (ON) a pour volonté de rompre avec la « gouvernance souverainiste » pour remettre l’indépendance au cœur. Loin de se limiter à cette ligne, le parti adopte une ligne progressiste, accompagne les manifestations étudiantes, prend des engagements environnementaux… Lors des élections de 2012, Aussant échoue de peu à se faire réélire quand le parti obtient 1,89% au niveau provincial. L’année suivante, le chef démissionne pour se consacrer à sa famille, laissant ses troupes orphelines. Suite à une course à la chefferie, Sol Zanetti, enseignant en philosophie, a été élu pour lui succéder. Partisan d’un discours assumé, il incarne aussi une certaine jeunesse et une volonté débattre et de réfléchir qui a sans doute manqué ces derniers temps sur la scène partisane.

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Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous vous présenter, à travers votre parcours et ce qui vous a mené à rejoindre Option nationale, puis à candidater à sa chefferie ?
Je m’y suis impliqué parce que j’avais confiance en M. Aussant et en ceux qui l’entouraient. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu au Québec un homme politique mettre sa tête sur le billot pour l’indépendance. M. Aussant, en quittant la finance pour la vie de député, avait prouvé qu’il n’était pas là pour l’argent. En rompant avec le PQ qui se dérobait devant sa mission indépendantiste et en fondant un nouveau parti, il mettait son siège et sa carrière politique en jeu. L’engagement clair en faveur de l’indépendance, le discours intelligent et les positions audacieuses d’Option nationale en matière de progrès social et d’environnement m’ont enthousiasmé.

Avant de parler de fonds, parlons résultats électoraux. Malgré un enthousiasme réel (médiatique et militant) Option nationale a subi un rude échec en 2012 avec la défaite de M. Aussant. Le score, faible mais prometteur (1,89%) du parti a encore diminué en 2014 en tombant à 0,73%. Vous êtes connu pour une parole sincère, est-ce que ça a été une déception ? Quelle est votre analyse de ce scrutin ?
On ne s’attendait pas à avoir moins de 1 %, c’est clair. On a été déçus par la faible couverture médiatique de notre parti. Alors que durant la campagne 2012 nous n’avions eu que 1,5% du poids médiatique de la campagne, notre couverture est descendue à 0,21% durant la campagne de 2014. Suite au départ d’Aussant, tous les médias annonçaient notre disparition depuis un an et ça a laissé des traces dans la perception publique. Certains médias avaient pris la décision de ne pas nous couvrir. Ça a été dur, ça nous a mis à l’épreuve, mais ça a forgé notre persévérance. Le lendemain matin de l’élection, j’étais dans une école secondaire pour faire la promotion de l’indépendance devant 200 élèves. Option nationale, c’est comme Rocky Balboa, ça se relève toujours.

Vous êtes enseignant en philosophie, Option nationale a justement mis au cœur de son travail la réflexion sur l’indépendance et la pédagogie. Quel travail mettez-vous en place, où vous semble-t-il nécessaire, pour transmettre l’idéal d’indépendance ?
C’est assez simple. En démocratie, lorsqu’on veut augmenter les appuis à notre projet, on doit en faire la promotion. On doit rendre l’argumentaire accessible, s’adresser à l’intelligence des gens et être fier des idées pour lesquelles on se bat. Et il faut le faire même lorsque les sondages sont contre nous. Ça paraît peut-être évident, mais au Québec, ça faisait un moment que le mouvement indépendantiste dérivait. Il essayait de se faire élire pour d’autres raisons que celle qui devait être sa raison d’être, comme quelqu’un qui tente de plaire en se travestissant pour être plus populaire. Option nationale, c’est le début d’un retour aux sources pour tous les indépendantistes.

Option nationale est un mouvement jeune : parce qu’il a été fondé récemment, mais aussi parce que la moyenne d’âge des militants est très basse. Ce à tel point qu’on a vu le Bloc ou l’aile jeunesse du PQ dire vouloir s’inspirer de vos méthodes. Comment parler à cette jeunesse d’après-95, qui n’a jamais eu à choisir sur le sujet de son avenir ?
Il y a un jeune en chacun de nous. Pour le réveiller chez autrui, il faut soi-même faire preuve de courage. Il faut parler franchement, prendre des risques quand on s’adresse au public, prendre des risques lorsqu’on prend position, se mettre en jeu, montrer qu’on n’a pas peur de perdre. Il faut prendre le risque de l’authenticité. La prise de risque, c’est ce qui suscite la confiance du jeune qui parfois sommeille en chaque citoyen.

À mes yeux, une chose qui distingue Option nationale est sa grande ouverture au monde, à rebours des clichés présentant les indépendantistes comme des sectaires xénophobes. Pouvez-vous développer cette idée d’indépendance inclusive qui vous semble chère ?

Le Québec, à l’image de l’Amérique, a toujours été une terre d’accueil pour les immigrants. Nous sommes un peuple fortement métissé. Métissé avec les Autochtones, mais aussi avec les Irlandais, les Écossais, les Italiens, les Allemands, les Grecs, les Vietnamiens, les Haïtiens, les peuples du Maghreb, de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, etc. Par exemple, 50% des Québécois ont du sang autochtone. C’est par la force de notre culture que nous parviendrons à faire en sorte que les enfants d’immigrants reconnaissent le Québec comme leur patrie et qu’ils veuillent participer à construire son histoire.

Cette ouverture au monde se manifeste notamment par une attention accrue à ce qui se passe en dehors des frontières du Québec, notamment au sein des mouvements indépendantistes européens (Catalogne & Écosse) ou récemment en Palestine…
Bien sûr, nous suivons de près les démarches de tous les peuples en lutte pour leur liberté. Les avancées de chacun sont pour nous un encouragement et une source d’espoir. Nos situations sont différentes, mais l’enjeu démocratique fondamental est le même : toutes les nations ont le droit d’avoir leur pays, de prendre elles-mêmes entièrement les décisions qui vont façonner leur avenir. C’est fondamental. Le nationalisme est souvent mal vu par la gauche des nations qui ont déjà leur État. Le nationalisme y est associé, souvent avec raison, à la droite conservatrice. Mais le nationalisme des résistants, de ceux qui se battent pour préserver leur différence et accéder à une plus grande démocratie, est au contraire très progressiste.

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Option nationale s’affirme aussi comme progressiste. Au-delà de l’indépendance, vos positions sur l’éducation, l’économie ou l’environnement sont également en rupture avec le Parti québécois. Pourquoi ce besoin d’affirmer un axe politique au-delà de la seule indépendance ?
Nous sommes avant tout un parti de coalition, mais il faut tout de même proposer des projets de société emballant aux Québécois, des projets susceptibles de mobiliser les citoyens. Le programme d’Option nationale est centré sur l’intérêt national. Les mesures qui y sont proposées visent à la fois la prospérité et la protection de l’environnement, de la culture et de nos intérêts stratégiques. C’est un programme qui se défend bien du point de vue de l’intérêt collectif des Québécois. Bien sûr, il n’existe pas de programme qui parvienne à plaire à tout le monde. L’essentiel, c’est d’être clair sur notre objectif principal, qui est de faire un pays.

Vous vous êtes engagé, avec de nombreux militants d’Option nationale, dans la course à la chefferie du Bloc Québécois en soutenant activement Mario Beaulieu. À la surprise de nombreux cadres et journalistes, il a été élu. Pourquoi cet engagement à ses côtés et comment regardez-vous ses premiers mois de direction ?
Nous l’avons appuyé parce qu’il voulait faire du Bloc Québécois, qui est pourtant un parti fédéral, un véhicule de promotion de l’indépendance au Québec. Il incarnait cette volonté de retour aux sources qui anime le mouvement indépendantiste depuis quelques temps. J’ai été surpris de voir à quelle résistance il a dû faire face au sein même de son parti. Ça en dit long sur l’état du mouvement indépendantiste actuellement. Je pense qu’il est en voie de tenir ses promesses, ce qui est bon signe.

Depuis votre création, beaucoup soulignent des similitudes entre votre programme et celui de Québec Solidaire. S’il y a des différences, plusieurs initiatives ont eu lieu pour que les partis travaillent ensemble, il y a même eu des « pactes de non-agressions » ponctuels en 2012 (pas de candidat ON face à Mme David, pas de QS face à M. Aussant). Êtes-vous favorable, ou au moins ouvert, à des genre de « primaires d’indépendantistes » dans certaines circonscriptions ou la division du vote peut être fatale aux positions de la majorité des citoyens ?
Nous avons toujours été ouverts à la collaboration avec n’importe quel parti qui déciderait de prendre l’engagement clair de faire l’indépendance. C’est même inscrit dans nos statuts. Le problème c’est que le manque de confiance s’est installé profondément dans le mouvement indépendantiste depuis 1995 et les partis ont développé des stratégies complexes et tordues qui rendent hypothétique l’engagement à faire du Québec un pays. Lorsqu’ils sortiront de cette confusion, nous serons ravis de travailler avec eux.

Plus largement, le système électoral vous satisfait-il dans sa forme actuelle et que proposez-vous pour rapprocher le citoyen du politique, au-delà même de la question indépendantiste ?
Il est évident que notre mode de scrutin archaïque, non-proportionnel et hérité de la monarchie britannique favorise un bipartisme conservateur malsain. Il faut vite inclure une dimension de proportionnalité dans notre mode de scrutin. Cela favoriserait l’émergence d’idées nouvelles et aiderait en enrayer le cynisme ambiant. Pour ce qui est de revaloriser la politique, il n’y a pas de solution miracle, il faut que les politiciens fassent preuve d’un authentique courage. Et s’ils n’y arrivent pas, c’est aux citoyens de s’impliquer et de montrer l’exemple.

Entretien réalisé par courriel
en août/septembre 2014

Pour aller plus loin
Site d’Option Nationale
Entretien avec Catherine Dorion

Crédit photo : photos officielle issue du facebook de M. Zanetti

Entretien avec Alexandre Leduc, ancien (et futur) candidat solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve

Historien de formation, ancien militant étudiant, Alexandre Leduc travaille aujourd’hui comme organisateur syndical à l’Alliance de la fonction publique du Canada. Très impliqué dans les luttes sociales, c’est aussi un fervent indépendantiste, ce qui l’amène assez naturellement à rejoindre Québec solidaire. En 2012 et du haut de ses 27 ans, il se jette dans l’arène politique. Candidat dans Hochelaga-Maisonneuve, un fief péquiste de Montréal, il emporte un des plus hauts scores du Québec (23,69 %), terminant deuxième et devenant « l’opposition officielle » locale.

En 2013 il est candidat au poste de porte-parole-président de Québec solidaire mais est battu par Andrès Fontecilla, son voisin de Laurier-Dorion. Loin d’être démotivé par cette défaite, il repart à l’assaut d’Hochelaga-Maisonneuve en 2014, augmentant son score de près de 10% et manquant de peu l’élection. Bien parti pour venir augmenter le caucus orange à l’Assemblée dans quatre ans, il profite du temps donné pour quadriller le terrain et réfléchir à l’action politique.

campagnePhoto de la campagne de 2014

Avant de commencer l’entretien peux-tu présenter ton parcours et ce qui t’as amené à t’investir au sein de Québec Solidaire jusqu’à en porter les couleurs ?

Je suis issu d’une famille de la classe ouvrière qui a pu survivre en partie grâce au filet social de l’État (frais de scolarité bas, éducation gratuite, santé publique, salaire minimum, etc). Je ne viens pas d’une famille à tradition militante quoiqu’elle avait des valeurs de partage et de solidarité très fortes basées sur le vieux fond judéo-chrétien qui caractérise encore une partie de la social-démocratie québécoise contemporaine.

C’est vraiment à l’université que je me suis réalisé politiquement, à travers mes études en histoire (au cours desquels j’ai été en contact avec les théories marxistes) et le mouvement étudiant (où j’ai développé des pratiques militantes). J’ai approfondi ces apprentissages dans le mouvement syndical par la suite où j’ai pu militer ouvertement à Québec solidaire, le seul parti qui représentait l’ensemble de mes valeurs : progressisme, indépendantisme, écologisme, féminisme.

Vu de l’extérieur, le tissu syndical a encore l’air solide au Québec, pourtant les gouvernements successifs ont pris des mesures très violentes. Dans la fonction publique, on sabre des emplois de manière drastique. Je pense notamment à Hydro-Québec où le PQ a fait des coupes très violentes. Toi qui es à leur contact tous les jours, comment le vivent les salariés ? Et y a-t-il des impacts sur les services ressentis par les usagers ?

Au Québec, environ 40% des travailleurs sont syndiqués. C’est le plus haut taux de syndicalisation en Amérique du Nord. Pour la gauche, c’est la raison pour laquelle nous avons au Québec une des sociétés les moins inégalitaires de cette région du monde. C’est d’ailleurs au Québec que la contestation contre la réforme du gouvernement fédéral sur l’assurance-emploi est la plus forte.

Le démantèlement de l’État est un projet partagé autant par le PLQ, la CAQ et le PQ. Bien sûr, ces trois partis savent qu’ils ne peuvent pas le mettre en pratique de manière frontale, donc ils utilisent la technique du goulot d’étranglement. En prenant comme excuse l’austérité, vous réduisez substantiellement le financement des services publics, rendant presque impossible le maintien de leurs services et l’accomplissement de leur mission, ce qui frustre les citoyens et l’opinion publique. Le fruit est mûr pour les privatisations partielles et encore plus de coupures.

Les salariés du secteur public livrent bataille. Les centrales syndicales développent des solidarités dans le cadre d’un Front commun qui donne des résultats inégaux. En ce moment, une très grosse bataille se prépare sur le front des fonds de retraite que le gouvernement veut charcuter, notamment à cause de quelques maires de municipalités en manque d’attention médiatique.

Cela dit, un des principaux défis du mouvement syndicat dans les prochaines années sera de s’assurer une relève et d’intégrer des travailleurs issus de l’immigration dans ses structures.

Une critique constante faite à Québec Solidaire serait d’être, dans le meilleur des cas, totalement utopiste voire, dans d’autres cas, violemment opposé à l’entrepreneuriat. Que réponds-tu à ces assertions et quelles propositions portent QS pour l’entreprise ?

C’est le lot de plusieurs partis de gauche en Occident. Dès qu’on parle de mieux redistribuer la richesse, on se fait accuser de ne pas être sensible au fait de devoir en créer d’abord. Pour QS, il est possible de faire les deux en même temps.

Nous avons des propositions intéressantes dans notre programme à ce sujet, notamment en matière de délocalisation d’entreprise. C’est un non-sens économique complet de laisser une entreprise rentable fermer ses portes dans un quartier ou dans une ville et de la regarder partir ailleurs les bras croisés. Après une étude économique qui démontre la rentabilité de l’entreprise, QS propose de mettre en place un cadre législatif qui faciliterait la reprise d’entreprise en la transférant à une coopérative de travail.

Nous voulons également soutenir les PME via l’augmentation du pouvoir d’achat de l’ensemble des citoyens. Que ce soit en augmentant le salaire minimum ou en facilitant l’accès à la syndicalisation, nous croyons être en mesure de stimuler la consommation et ainsi augmenter les revenus des PME.

Avec son plan de sortie du pétrole, QS vise à stabiliser le huard (dollar canadien), qui est en ce moment complètement dopé par l’exploitation et l’exportation du pétrole sale albertain. Les économistes appellent ce phénomène le « mal hollandais » Il nuit fortement à ce qu’il reste du tissu industriel québécois qui doit, en matière d’exportations internationales, composer avec une devise trop forte par rapport à l’économie réelle.

Un de tes axes de combat pour le porte-parolat de Québec Solidaire était de mettre en avant la question d’indépendance. Malgré un programme clairement indépendantiste, on reproche en effet souvent à QS sa tiédeur sur le sujet. Comment l’expliques-tu et comment souhaites-tu le combattre ?

C’est en effet un constat que je mettais de l’avant durant la course interne à QS. S’il faut reconnaître que QS a un problème sur le sujet, il faut également reconnaître que c’est un problème de perception. Si on analyse le discours et les textes émanant du parti depuis sa création, il faut vraiment être de mauvaise foi pour plaider que QS n’est pas vraiment indépendantiste. La nuance est la suivante : QS n’est pas SEULEMENT indépendantiste. Il est également de gauche, écologiste et féministe. Pour certaines personnes, ces valeurs sont de trop et viennent déclasser l’indépendance dans leur hiérarchie des luttes à mener. À notre avis, une telle hiérarchie n’existe pas et en créer une est contre-productive.

L’arrivée du multimillionnaire Pierre-Karl Péladeau comme candidat péquiste durant l’élection de 2014 aura été l’occasion pour notre formation de préciser notre pensée à ce sujet. Bien sûr, lors du prochain référendum, nous allons faire campagne pour le « oui » avec tous les souverainistes, ce qui inclut Péladeau, Lucien Bouchard et autres conservateurs. Mais non, nous n’allons pas travailler avec eux sur le reste des sujets. Bien au contraire, nous allons nous opposer vertement à leur austérité, leur politique antisyndicale, à leur pétrophilie.

À ce propos, as-tu observé la course à la chefferie du Bloc Québécois ? Le moins que l’on puisse dire est que l’indépendance est revenue au cœur de leurs débats.

Oui, mais de loin. Je ne suis pas membre d’aucun parti politique fédéral et mon exécutif local m’a demandé de demeurer neutre sur la question. La seule chose que je dirai est qu’il est agréable de constater que la question de l’indépendance est en effet revenue au devant de la scène. De plus, j’ai été agréablement surpris de voir que les débats avaient également porté sur la place des autres partis politiques au sein du Bloc. Cela fait longtemps que le Bloc est accusé de n’être rien d’autre que l’aile fédérale du PQ, alors que les militants de QS et d’ON étaient laissés de côté. À chaque élection provinciale, il était coutume de voir le chef du Bloc faire une conférence de presse conjointe avec le chef du PQ pour dire qu’ils allaient appuyer le PQ. En tant que militant de QS, le message était : on ne veut pas de vous. Il sera intéressant de voir ce que sera l’attitude de Mario Beaulieu en 2018.

Sur l’indépendance, tu mets souvent en avant un travail auprès des communautés culturelles étrangères, qui sont souvent hostiles à un projet vu comme excluant. Le même processus était à l’œuvre lors du débat sur la Charte des valeurs, à laquelle Québec Solidaire s’est opposé. Une laïcité d’état paraît pourtant un vrai enjeu mais le débat a semblé étouffé par des postures avant tout stigmatisantes. Quelles sont les propositions du parti et ta position sur ces sujets ?

On entend parfois de la part de certains Canadiens anglais que les Québécois seraient plus racistes et moins ouverts à la diversité culturelle. C’est bien sûr une immense fausseté. L’histoire de la société québécoise est traversée par l’immigration depuis la fondation de la colonie par la France au 17e siècle. La plus récente immigration arabo-musulmane a généré son lot de défis et de tensions que le PQ a tenté d’exploiter politiquement avec son projet de charte des valeurs.

Mon parti a développé une position nuancée basée sur les résultats de la commission Bouchard-Taylor qui s’était penchée sur le phénomène des accommodements raisonnables. Partisans d’une approche interculturelle plutôt que multiculturelle, nous avons proposé notre propre projet de Charte dont on peut résumer l’essence par : laïcité des institutions de l’État, liberté des individus.

Malheureusement, la manipulation grossière de l’enjeu identitaire par le PQ a fait en sorte d’éloigner considérablement la communauté arabo-musulmane de la souveraineté, alors que c’était la communauté la plus proche de ce projet. Sur ce plan, tout est à reconstruire et QS doit jouer un rôle important car la réputation du PQ est foutue pour au moins une bonne décennie.

 ledAlexandre Leduc en avril 2014 avec Manon Massé et Amir Khadir

Tu étais candidat dans une circonscription potentiellement gagnable, et le score final a été réellement serré. Si Québec solidaire voit ses scores progresser partout on ne peut nier que son centre électoral se trouve à Montréal, les trois députés du parti sont dans des circonscriptions voisines de la tienne et de Laurier-Dorion, où vous obtenez aussi un très bon score. Si avoir un fief n’est pas un mal, comment faire pour décupler l’influence de QS en région ?

Le fait que les votes progressistes soient plus concentrés dans les grands centres urbains n’est pas un phénomène propre à QS ou au Québec. On observe la même chose au Canada, en France ou ailleurs. Ce n’est donc pas surprenant que QS ait fait élire ses premiers députés dans les quartiers centraux de Montréal. La droite a exactement le même problème, mais à l’inverse. Il n’y a en effet aucun député de la CAQ dans les nombreuses circonscriptions montréalaises.

Cependant, il est faux de dire que QS ne croît pas en dehors de Montréal. Une analyse plus pointue des données électorales démontre une croissance importante, notamment à Rimouski.

Le défi de QS repose plutôt dans sa capacité à faire résonner sur la scène nationale les bons discours que ses candidats ont déjà développés dans leurs régions respectives. Par exemple, les candidats de la région de Québec avaient développé une plateforme régionale très précise. De plus, l’équipe dans Rimouski a fait de Marie-Neige Besner une candidate au rayonnement régional et même national.

Cela étant dit, des réflexions ont lieu en ce moment sur la possibilité de cibler une circonscription hors Montréal et d’investir plus de temps et d’énergie pour y faire élire un ou une nouvelle solidaire. Rimouski pourrait être ce terrain propice. La ville est réputée plutôt progressiste et est le lieu de résidence de plusieurs étudiants (cégep et université) qui sont, en général, plus susceptibles d’être sympathiques aux idées de Québec solidaire.

Finalement battu, tu as annoncé vouloir te représenter en 2018. Tu as forgé le concept d’« opposition officielle locale », peux-tu nous dire ce que cela signifie pour toi et ce que tu comptes mettre en œuvre pour obtenir ton entrée à l’Assemblée nationale dans quatre ans ?

À peine 1000 voix nous séparaient de la victoire dans Hochelaga-Maisonneuve. J’ai pris la décision de me représenter en 2018 au courant de la dernière semaine de campagne pour différentes raisons : 1) j’avais beaucoup apprécié mon expérience de 2012 et de 2014, 2) j’étais très fier du travail accompli par notre équipe, 3) je crois qu’il est important d’avoir une certaine stabilité dans les candidatures, 4) j’avais le goût de continuer à incarner une certaine relève dans le parti. J’en ai donc fait l’annonce le soir même du vote ce qui a été, je le souhaite, un léger baume pour les militants.

Nous avons développé le concept d’opposition officielle locale après l’élection de 2012 ou nous sommes arrivés bons deuxièmes. Le PQ règne sans partage sur Hochelaga depuis 1970. Il n’y a jamais eu de force politique organisée qui, entre les élections, remette en question le travail de la députée dans le quartier. Nous avons voulu incarner cette opposition officielle entre 2012 et 2014 et j’estime que cela a relativement bien fonctionné. Nous avons réussi à critiquer publiquement la députée Carole Poirier sur les dossiers du transport en commun et des écoles contaminées. Cela a tellement bien fonctionné que, durant cette période, nous avons eu plus de couverture médiatique que la députée elle-même.

Dans l’immédiat, mon équipe et moi-même allons prendre du repos et un peu de recul, mais ce ne sera que pour revenir en force dans quelques mois avec la ferme intention de mener des dossiers de front, de faire du bon travail de terrain et de construire maintenant notre victoire de 2018.

Entretien réalisé par courriel
en août 2014

Pour aller plus loin :
Blog d’Alexandre Leduc
Page facebook d’Alexandre Leduc
Québec solidaire

Entretien avec Audrey Boisvert, militante multi-fonctionnelle

Si elle s’est fait discrète depuis quelques années, Audrey Boisvert reste ancrée dans la mémoire des électeurs de Laval et du Québec. En 2005, à 18 ans, elle se présente face à l’inamovible Gilles Vaillancourt et obtient 18% des voix, les médias suivent de près cette jeune femme aux convictions bien accrochées qui n’a pas peur de se jeter dans l’arène. Une seconde étape est franchie quand elle est candidate, en 2008, pour Québec Solidaire dans Vimont en 2008 (4,3 %). Puis elle s’en va vers la Gaspésie et quitte la vie publique pour se consacrer à l’écologie concrète, une autre forme de politique. Entretien avec une militante qui n’a cessé de se battre.

Avant de parler strictement politique, peux-tu te présenter à nos lecteurs, expliquer d’où-tu viens, quelle est ta formations, quelles sont tes valeurs clefs, ce que tu fais aujourd’hui, etc. ?

Tout d’abord, je suis native de Laval, la troisième plus grande ville au Québec. Sa caractéristique principale est qu’elle est la banlieue de Montréal. Jusqu’à 16 ans, je ne me suis pas trop questionnée sur mon environnement ayant grandie dans une famille bienfaisante.

C’est entre 16 et 18 ans que j’ai premièrement acquis un esprit critique face à ma ville et à la société en général. Je me suis impliquée dans un organisme qui s’appelle le Forum Jeunesse de Laval et qui gérait de grosses sommes d’argent pour des projets jeunesses. C’est grâce à eux, entre autres, que je me suis de plus en plus intéressés à la vie politique municipale. À peu près au même âge, je suis entrée au Cégep Ahuntsic pour faire deux ans d’études en sciences humaines. J’ai participé à recréer le comité d’environnement étudiant.

En 2005, une grève étudiante s’est déroulée partout au Québec et ce fût une expérience super enrichissante qui m’a permis de rencontrer des gens ayant les mêmes valeurs que moi et aussi de participer de façon active aux événements militants. Nous avons fait la grève pendant 10 jours, dormant au cégep et participant à des manifestations tous les jours. C’était le début d’une conscience sociale et d’un devoir de participer à l’amélioration des conditions de vie pour tous et toutes.

Ensuite, en 2007, je suis allée à l’université en travail social. Ces études allaient dans le sens d’une plus grande justice sociale, d’une meilleure compréhension des enjeux sociaux actuels et d’une augmentation des outils pour réussir à faire une différence. Après mon BAC, en 2010, direction Gaspésie, région éloignée du Québec. Je me suis installée et j’ai travaillé pour le gouvernement et pour un organisme sans but lucratif. J’y ai rencontré de fabuleuses personnes! Je me suis impliquée dans plusieurs projets et organismes dont le centre de femmes de mon village Femmes en Mouvement et les soirées de slam/poésie.

Pendant mon séjour à Bonaventure, avec des amis, nous avons démarré un projet de communauté intentionnel qui s’appelle le Manoir. ( www.triple-brain.org/manoir)

Présentement, après avoir voyagé un peu partout au Québec au début 2014, je me suis installée depuis le mois de mai aux États-Unis, en Virginie, dans une communauté intentionnelle vivant et partageant mes revenus avec 100 autres personnes. Cette communauté s’appelle Twin Oaks et a des valeurs d’égalité, de féminisme et de non-violence.

Tu as dit que ta candidature en 2005 avait « marqué l’imaginaire collectif », ce qui est indéniable. Au delà de ton âge, le fait de n’avoir pas d’expérience politique et d’être une femme étaient autant de handicap dans un monde politique macho, vieillissant et peu ouvert, et pourtant tu as obtenu un score très honorable. Comment est-née cette candidature, et comment as-tu décidé d’y aller ?

Cette candidature est née surtout à cause d’un excellent momentum entre ma vie, mes implications, mes amiEs et la politique de ce temps-là. Avec des amis, au printemps 2005, nous étions allés à une simulation du conseil municipal lavallois organisé par le forum jeunesse de Laval (dont je faisais partie) Après cette scéance, nous nous étions amusés à imaginer les prochaines élections municipales (en novembre 2005) en présentant 200 candidatEs. Vu qu’il faut seulement 200 signatures pour se présenter aux élections, on pensait que chaque personne pourrait signer pour les 199 autres! C’est de là qu’est partie l’idée.

Donc, on arrive en septembre où j’obtiens facilement 200 signatures de personnes de mon cégep. Je me suis donc présentée au greffier de la ville qui recevait les candidatures. Rendue là-bas, le monsieur m‘a dit: es-tu certaine de vouloir faire cela? Ça engendre des coûts aux lavallois!! Dans ma tête, je pensais :  »Oui, oui, la démocratie, ça l’a un coût monsieur, vous avez raison. » Lui, il prenait pour Gilles Vaillancourt. Je me demande ce qu’il est devenu maintenant!

Quelques heures après être allée porter ma candidature, je me demandais: Mais comment je vais faire pour que les lavalloisEs sachent que Gilles Vaillancourt n’est plus la seule option? Je me disais que j’allais peut-être organiser une conférence de presse à un moment donné. Dans tous les cas, je ne devais pas dépenser d’argent puisque j’avais un budget 0. Finalement, un journaliste m’a contacté la journée même pour me poser des questions sur ma candidature. Le lendemain, plus de journalistes m’ont contactés. Finalement, quand je revenais de l’école, j’avais souvent des messages d’une dizaine de journalistes.

Je trouvais important de répondre aux journalistes, pour permettre aux gens de savoir qu’il y avait une alternative. Je n’ai jamais pensé gagner et je ne voulais pas être mairesse de Laval non plus. Mais, c’était primordial de militer en faveur d’un meilleur urbanisme, d’une démocratie saine ainsi que d’une meilleure protection de l’environnement.

Ta candidature a soulevé l’intérêt de tes concitoyens, puisque tu as obtenus 18% des voix, mais aussi des médias. Comment as-tu géré cette soudaine « célébrité », ne t’es-tu pas souvent sentie réduite au rôle de « candidate la plus jeune du Québec » ? Aujourd’hui quel bilan tires-tu de cette campagne ?

En fait j’ai eu 16% des voix. Ce qui équivaut à environ 12 600 personnes.

On peut donc dire que j’ai marqué l’imaginaire de mes concitoyen-nes, des médias et aussi des habitant-e-s du Québec. Cette campagne électorale n’en était pas vraiment une. Je n’ai pas serré de mains, je ne suis pas allée dans un centre de personnes âgées, j’avais 0$ de budget. Dans le fond, je participais activement à ce qui m’était proposé par les journalistes.

Sérieusement, depuis cette expérience, je pense que les médias influencent à au moins 16% les votes. Les gens ne me connaissaient pas, ils auraient pu voter pour les 4 autres candidats qui se présentaient en même temps que moi, mais les médias parlaient surtout de moi. Il était donc plus simple, si on ne voulait pas du maire sortant, de voter pour la personne qui avait le plus de visibilité.

En repensant à la campagne, je pense aussi à tous les mauvais articles de journaux qui sont sortis sur moi avec plein d’erreurs à l’intérieur. C’est un peu troublant d’avoir une conversation avec un journaliste qui, par après, écrit un article avec des phrases que je n’ai pas dites ou des informations fausses. Ça me questionne vraiment sur la véracité de ce qui sort dans les journaux ou à la télévision !

2010-05-19-10-09-10-4bf3f1066da34AngBoisvert_-Audrey en 2008 lors de la campagne provinciale
(Article sur le site du 
Courrier de Laval)

En 2008, tu rejoins Québec Solidaire pour les élections provinciales et te présentes dans Vimont, une décision commentée et vue comme une « belle prise ». Mais au-delà de cette réduction médiatique, qu’est-ce qui t’as fait rejoindre QS et où en es-tu avec ce parti aujourd’hui ?

En 2008, j’habitais encore à Laval et le parti de Québec Solidaire n’était pas un parti très connu. Avant les élections, aucun député n’avait été élu. C’est en 2008 que le parti a reçu environ 5% des votes et a eu son premier député: Amir Khadir. Dans le fond, je m’intéressai à ce parti dès sa formation, puisque c’était celui-ci qui me rejoignait le plus dans mes valeurs. Étant à Laval, je savais que je n’avais aucune chance d’être élue et c’était tant mieux parce que je ne voulais pas rester 4 ans de plus à la banlieue !

Encore aujourd’hui, QS est le parti qui est le plus prêt de moi. Avec son plan de sortie du pétrole, ses prises de décisions humanistes, féministes et pour un Québec plus égalitaire, c’est aussi dans ce sens-là que j’ai le goût d’aller pour la société. C’est sûr que le système électoral tel qu’on le connaît a fait ses preuves quant à son incapacité à résoudre la crise environnementale et à répondre aux besoins fondamentaux de tous et toutes. Québec Solidaire participe à ce système lui aussi, mais il est surtout une petite roche dans l’engrenage bien huilée.

Présentement, en 2014, 3 députés de QS ont été élus et je suis sûre que leur travail sera bénéfique pour la société en général. Pendant les élections en mars 2014 j’étais en Gaspésie et j’ai aidé la candidate de QS, Patricia Chartier, dans sa campagne. Notamment à écrire ses discours pour les débats publics. J’étais contente d’aider une telle candidate, très à gauche dans le parti. Après avoir eu les résultats des élections qui indiquaient que les libéraux étaient majoritaires, Patricia mentionnait qu’on devrait retourner dans la rue pour faire valoir nos intérêts, parce que c’est comme ça que les libéraux nous avaient habitués. J’ai aimé ce discours et oui, il faut s’organiser entre les élections !

Au delà-de cet engagement politique, ta vie en Gaspésie est aussi au plus près de tes convictions, notamment écologistes. Peux-tu nous expliquer ce qui a décidé ton départ de Laval et ce que tu construis à Bonnaventure ?

Mon départ de Laval s’est fait graduellement. C’est en 2008 que je suis partie de Laval pour déménager à Montréal dans un collectif (coop sur généreux). Ensuite, après mes études en travail social, j’ai décidé d’aller vivre en campagne puisque c’était un rêve que je chérissais depuis plusieurs années. Pour moi, la banlieue (Laval est le paroxysme de ce concept) n’est pas fait pour moi puisque c’est un endroit où l’individualisme, la culture de consommation et la non-valorisation de l’environnement dominent l’espace. J’avais le goût que mon mode de vie soit plus ancré avec mes valeurs.

La Gaspésie m’attirait particulièrement, tout le monde y passe ses vacances, pourquoi je ne passerais pas un bout de ma vie là-bas? Alors, depuis 2010, mon domicile stable (quand je ne suis pas en voyage) est situé dans le village de 3000 habitants de Bonaventure. J’ai pu créer un jardin, avoir des poules, cueillir des champignons sauvages, aller à la pêche, fabriquer une toilette compostable chez moi. Toutes ces choses et même plus encore sont possibles puisque j’habite en campagne.

À Bonaventure, j’ai travaillé comme travailleuse sociale et intervenante pour les jeunes. J’ai aussi vécue avec plusieurs personnes dont 8 à l’été 2013. J’ai toujours aimé vivre en commun et je pense que le faire peut être un acte politique. Vivre ensemble, c’est éloigner un peu plus l’individualisme de ma vie et nous rendre tous et toutes plus fort-e-s. Je ne me suis pas impliquée beaucoup en politique dans les quatre dernières années. Mais je ne suis pas restée indifférente à ce qu’il se passait autour de moi et même plus loin, à Montréal pour la grève étudiante de 2012 par exemple.

Bien que retirée des affaires publiques, tu y es brièvement revenue l’an dernier, quand Gilles Vaillancourt et une grande partie de son conseil sont tombés pour corruption. Par un slam et un entretien au Devoir tu as appelé les citoyens de Laval à se réveiller. Pourquoi as-tu ressenti le besoin de sortir ainsi de te réserve ? Et penses-tu un jour revenir en politique active ?

Lorsque Gilles Vaillancourt a été accusé de gangstérisme, j’étais très contente qu’enfin il se passe quelque chose sur ce sujet. Les lavallois-e-s en parlaient depuis plusieurs années. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de comparution, mais j’ai très hâte de voir comment cela va se passer. Avec tout l’argent qu’il s’est fait, on peut facilement croire qu’il pourra se payer les meilleurs avocats pour se défendre !

Pour moi, cette histoire d’élection municipale de 2005 est chose du passée et c’est un journaliste du Devoir qui m’a contacté pour une entrevue. Je trouve ça important de répondre aux journalistes, ça donne une voix à une autre façon de voir la politique, du moins à Laval ! Par hasard, quelques semaines avant cette entrevue, j’avais écrit un slam sur Laval, ma ville natale pour nos soirées de slam à Bonaventure. Je l’ai proposé au journaliste qui a tout de suite voulu le publier. (vous pourrez bientôt visionner un court extrait de mon slam dans le film l’Espouère de Moïse Marcoux-Chabot)

Outre cet événement médiatique anecdotique, je ne pense pas vraiment retourner en politique-électorale- active. Je vois la politique avec un œil différent où les citoyen-ne-s ont aussi du pouvoir sur les décisions des députés et ministres. Je suis politisée, active dans mes réflexions et essayant de mettre à l’avant des manières alternatives de vivre. Je pense pouvoir aider parfois le parti de Québec Solidaire puisqu’eux seuls peuvent être une roche dans l’engrenage si bien huilée du système électoral québécois. (je veux enlever la dernière phrase.)

Personnellement, je ne pense pas me représenter comme candidate pour bon nombre d’années encore. Néanmoins, je ne veux pas mettre de côté la possibilité d’être un jour candidate dans mon village avec une équipe de gens voulant vivre différemment.

Entretien réalisé
en mai-juin 2014

Pour aller plus loin :
– Slam et rencontre avec Audrey après la démission de Gilles Vaillancourt ;
Lespouère, film de Moïse Marcoux-Chabot où l’on croise la communauté où Audrey vit actuellement.

Crédits photos : Audrey Boisvert en 2013 et Courrier de Laval

Entretien avec André Gattolin, sénateur écologiste français, secrétaire du groupe d’amitié France-Québec

Universitaire, passionné d’Europe, militant fédéraliste et compagnon de route de nombreuses associations écologistes et humanitaires, André Gattolin a été élu sénateur écologiste en 2011. Passionné par les questions internationales (il est un des rares élus à revendiquer une « action sans frontières » sur son site), très engagé sur la question tibétaine, c’est aussi un amoureux du Québec, pour des raisons tant personnelles que professionnelles. Secrétaire de la commission des affaires européennes, membre du groupe d’amitié France-Canada et secrétaire de celui consacré aux relations France-Québec, il nous éclaire sur l’utilité de ces groupes et l’importance de la diplomatie parlementaire.

tibet
Lors du Salon de la Culture tibétaine 2012

Avant de parler en détail de tes fonctions peux-tu nous expliquer d’où vient ton intérêt pour le Québec ? Je sais que tu es très investi sur la question tibétaine, si bien sûr ces deux peuples n’ont rien à voir du point de vue de l’oppression je perçois un intérêt pour les « nations sans états ».

Mon premier voyage au Québec date de 1977, en pleine période de revendication souverainiste. Avant ce voyage, j’avais une image assez distordue et un peu idyllique de la belle province, portée par mon goût pour les poètes, écrivains et musiciens québécois très en vogue en France à cette époque. Ma découverte du pays a véritablement été un choc : je ne m’attendais pas à découvrir une société aussi américanisée dans ses modes de vie et avec un tel contraste dans ses revendications politiques, culturelles et linguistiques. C’est surtout au cours des dix dernières années que j’ai appris à mieux connaître et comprendre le Québec car je m’y rends très régulièrement. Entre mes voyages à titre privé et mes déplacements es fonctions, je passe environ deux mois par an au Canada. J’ai ainsi la chance de fréquenter de nombreux intellectuels et politiques québécois et d’avoir une assez bonne expérience de la vie quotidienne au Québec. Mes interlocuteurs s’amusent souvent à me présenter comme le plus québécois des parlementaires français. C’est à ce titre notamment que j’ai eu l’occasion d’accompagner Jean-Marc Ayrault, puis Jean-Pierre Bel, le Président du Sénat, lors de leurs visites officielles au Québec l’an passé.

Concernant mon engagement en faveur du Tibet, il est très lié à mon engagement de très longue date dans les domaines de l’écologie, de la défense des droits de l’Homme et de la défense des peuples autochtones. Mon élection au Sénat en septembre 2011 m’a permis de démultiplier mon implication en faveur du Tibet, car mes contacts sont facilités par ma fonction de parlementaire. Il est vrai que la très large majorité des parlementaires français ne s’intéresse guère aux questions extérieures à l’Hexagone et lorsque c’est le cas, ils le font de manière souvent anecdotique et de façon excessivement institutionnelle. Il est en effet peu courant de voir un sénateur manifester dans la rue aux côtés des militants de la cause tibétaine, aux côtés des Amérindiens du mouvement Idle No More, aux côtés des étudiants du Printemps érable ou encore du côté des défenseurs des libertés civiles en Russie et des protecteurs de l’Arctique… Mon engagement politique national a toujours été indissociable de mes engagements transnationaux : c’est la moindre des choses dans un monde globalisé où seuls les politiques vivent encore à l’heure un peu archaïque des frontières de l’Etat-nation.

Alors, il y a évidemment une cohérence dans l’ensemble de mes engagements, y compris entre ceux qui se rapportent au Québec et ceux qui concernent le Tibet. La situation globale du Québec est évidemment assez fondamentalement différente de celle du Tibet. Dans le premier cas, il s’agit d’une province qui dispose de nombre de compétences propres dans le cadre d’un état fédéral et démocratique. S’agissant du Tibet, nous sommes dans le cas d’une nation qui voit sa culture, sa langue et ses droits fondamentaux niés par une puissance autoritaire et authentiquement impérialiste. Le dalaï-lama ne demande pas l’indépendance pour son peuple, mais l’autonomie que la constitution chinoise est censée accorder aux régions qui compose la République populaire de Chine. Pour autant, nous sommes effectivement dans le cas de deux nations sans état. Ma culture libertaire et mondialiste me conduit toujours à me méfier des états-nations au sens où on l’entend depuis le XIXe siècle. En tant qu’écologiste, j’ai toujours certaines réticences à l’égard des revendications d’indépendance, au nom de la nécessité de bâtir une structure étatique, conduisent leurs défenseurs à envisager une exploitation déraisonnable des richesses naturelles contenues dans leur sous-sol… Le cas actuel du Groenland et de la Nouvelle-Calédonie qui souhaitent financer leur indépendance par une extraction renforcée de leurs richesses minières m’inquiètent. Concernant le Québec, je souhaite et milite pour qu’on ne dévaste pas le Grand Nord au nom de la raison d’état et de l’aspiration à la souveraineté.

Les groupes d’amitiés parlementaires sont souvent décriés comme étant opaques et sans fonction réelle. C’est vrai que l’on en perçoit pas forcément bien les travaux, peux-tu nous expliquer l’utilité de ces groupes et présenter exemples d’actions ? 

Oui, les groupes parlementaires ont souvent été décriés et à juste titre car certains en faisaient un usage plus touristique que véritablement politique. Certains élus nourrissent au travers de ceux-ci des relations d’influence douteuses avec des pays aux régimes peu recommandables. Mais la situation au cours des dernières années s’est considérablement assainie. Les déplacements sont désormais très limités en nombre, les groupes d’amitiés ont vu leurs budgets singulièrement réduits et les parlementaires doivent contribuer à hauteur du quart du prix des voyages (ce qui freine les ardeurs). Ces groupes sont cependant essentiels à plusieurs titres s’ils sont correctement administrés car, d’une part, ils ouvrent un peu l’esprit de nos parlementaires sur des réalités internationales qu’ils méconnaissent souvent et, d’autre part, parce qu’ils peuvent constituer une base pour la création d’une diplomatie parlementaire telle qu’il en existe dans d’autres pays et qui permettent des échanges et des rapports diplomatiques plus directs et moins empreints de realpolitik que ceux généralement développés par les chancelleries.

Personnellement, je m’implique beaucoup dans divers groupes d’amitiés du Sénat (Canada, Québec, Tibet, Mongolie, Croatie, Italie…) car ce sont des pays que je connais bien et où j’ai tissé des liens forts bien avant de devenir sénateur. Au Québec, nous avons fait un très intéressant voyage l’an passé sur les problématiques de la foresterie et de la santé hospitalière. C’était un séjour très dense qui nous a permis de nouer des contacts étroits avec de nombreux parlementaires, experts et universitaires. Mais dans les groupes d’amitiés qui fonctionnent bien, les voyages ne sont qu’une petite partie du travail que nous conduisons. Nous accueillons beaucoup de délégations (pas seulement politiques), nous discutons et intervenons beaucoup auprès des ambassades, nous suivons les manifestations culturelles et intellectuelles organisées par ces pays en France. Personnellement, je n’ai pas de limite en matière de droit d’ingérence et je rencontre souvent à titre personnel les partis, les mouvements et les ONG des pays concernés. J’ai récemment organisé au Sénat la projection suivie d’un débat d’un excellent documentaire sur les sables bitumineux en collaboration avec les Amis de la Terre.

Il existe aussi un groupe d’amitié France–Québec à l’Assemblée nationale or il n’y a qu’une chambre parlementaire au Québec, donc un même interlocuteur. Je suppose que vous travaillez ensemble, comment faites-vous pour que les groupes ne se court-circuitent pas ?

Je suis à la fois vice-président du groupe d’amitié France-Canada, vice-président du groupe d’amitié du groupe France-Québec et membre depuis un an de l’assemblée interparlementaire franco-canadienne. Cette dernière est une assemblée instituée par un traité entre nos deux pays qui regroupent des sénateurs et des députés des deux pays. Nous recevons et auditionnons des ministres fédéraux assez régulièrement et ceux-ci répondent avec beaucoup de sérieux à nos questions.

Concernant les deux groupes France-Québec (celui du Sénat et celui de l’Assemblée nationale), nous nous connaissons bien et nous évitons de traiter en même temps des mêmes sujets. L’Assemblée nationale du Québec qui est notre interlocuteur commun veille à la bonne gestion des déplacements et évite les doublons excessifs. Il faut dire aussi qu’en France, même s’il y a deux chambres, nous nous rencontrons souvent entre députés et sénateurs et donc personne ne cherche à court-circuiter l’autre. C’est d’ailleurs avec la même intelligence que nos deux groupes d’information sur le Tibet travaillent ensemble. Derrière les rivalités d’opérette, il faut savoir que les parlementaires ont des rapports très civilisés entre eux par delà les clivages politiques. Bref, ce n’est pas la guerre civile entre nous !

La position diplomatique de la France sur la question indépendantiste est la même depuis des années : « non ingérence, non indifférence ». Pourtant en créant un groupe d’amitié France – Québec en plus du groupe France – Canada, il y une volonté de parler d’état à état, comment l’expliques-tu ? 

Oui, l’existence de ces deux groupes est un peu une bizarrerie, mais elle résulte d’une histoire très étroite et très intense entre la France et le Québec, surtout depuis une certaine déclaration du général de Gaulle. Volonté de parler d’état à état ? Je ne pense pas que cela aille jusque-là … Les traités et les conventions internationales cadrent beaucoup nos relations. J’ai souvenir en avril dernier quand j’ai accompagné Jean-Marc Ayrault lors de son voyage officiel au Canada. Je l’avais prévenu quand il a déclaré à son départ que cela ferait des vagues à Ottawa quand il a déclaré qu’il venait en voyage officiel « au Canada et au Québec ». Cela n’a pas manqué à son arrivée dans la capitale fédérale où le Premier Ministre Harper et surtout la presse anglophone l’a un peu battu froid… Mais l’incident a vite été oublié. Les officiels canadiens ou québécois sont habitués aux bourdes de nos hommes et femmes politiques!!! A quelques exceptions près, mes collègues et la plupart des ministres ont le même niveau de connaissance réelle de pays que celui que j’avais lorsque je me suis rendu la première fois au Québec (et au Canada!) il y a plus de 35 ans.

Concernant la question indépendantiste, je suis favorable à une autonomie renforcée du Québec mais je ne suis pas partisan de l’indépendance. Je suis un fédéraliste et je ne crois guère à la pleine indépendance d’un Etat de 8 millions d’habitants surtout quand il est aussi étroitement enchassé dans le continent, l’économie et la culture nord-américaine et qu’il est au cœur de la compétition mondiale. Je pense que si le Québec voulait réellement prendre ses distances avec le reste du Canada et avec les Etats-Unis, il devrait immédiatement passer un accord de coopération renforcée avec l’Union européenne. Mais je crois que nous en sommes loin…

Tu as été élu en 2011 et a donc connu la période d’élection générales de 2012, avec la grande crise étudiante qui a précédé. Était-il possible dans ces conditions de travailler avec les parlementaires québécois ?

Je suis venu une fois en voyage officiel au Québec durant le Printemps érable et 3 autres fois lors de voyages privés. J’ai vu le mouvement naître notamment dans les départements d’anthropologie et de sociologie à l’UQAM ainsi qu’à l’UDeM. J’ai pu discuter avec les étudiants et les manifestants. J’ai échangé à ce sujet avec Pauline Marois et son entourage au moment où le mouvement commençait à prendre un peu d’ampleur. Elle nous a écouté avec beaucoup d’attention, même si elle avait beaucoup de distance à ce moment-là avec les revendications étudiantes. Il faut dire qu’en France nous avons une certaine expérience des mouvements étudiants… Cela m’a beaucoup amusé lorsque la Sécurité du Québec voulait m’empêcher (« pour ma sécurité personnelle ») de rejoindre un groupe d’étudiants qui squattaient gentiment dans le froid devant l’Assemblée nationale du Québec alors que j’étais dans la rue avec les manifestants quelques jours plus tôt à Montréal ! Je devais aussi rencontrer Amir Khadir, mais un empêchement personnel ne lui a pas permis de me voir à ce moment-là. Ce n’est que tardivement et surtout à la suite de la loi spéciale 78 promulguée par le gouvernement de Jean Charest que le Parti québécois a pris des positions plus claires à l’égard du mouvement de contestation qui s’élargissait notamment en direction de son électorat traditionnel. J’ai assisté et participé à de nombreuses manifestations spontanées durant cette période et je dois dire qu’elles m’ont profondément marqué. Oui, les parlementaires québécois étaient largement dépassé par ce qu’il se passait… un peu comme mes collègues français lorsqu’il y a une importante mobilisation de la jeunesse. C’est malheureusement un classique du genre !

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De manière plus personnelle, sans que ça n’engage le groupe parlementaire, on peut voir sur ton facebook public un certain nombres de soutiens à des mouvements (les grandes manifestations étudiantes de l’été 2012) ou à des partis et élus (du Parti Vert mais aussi, de manière plus surprenante, Québec Solidaire). Quand tu regardes la scène politique québécoise, quels sont les partis ou personnalités vers qui ton cœur balance ? 

Honnêtement, je ne suis pas fasciné par la scène politique québécoise, pas plus que je ne trouve la scène politique française particulièrement excitante… Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens bien ici ou là, mais globalement nous sommes quand même dans une grande période désespérance où il n’y a guère de politiques qui cultivent une vision du monde en correspondance avec les grands enjeux de ce siècle débutant.

Qui porte un véritable discours sur les grands enjeux écologiques et climatiques que nous devons affronter, sur les bouleversements de la production, de la consommation et de la distribution engendrés par l’explosion des nouvelles technologies de l’information ? Qui s’interroge sur le devenir du social dans un monde globalisé et excessivement dérégulé ? Qui propose une redéfinition de la gouvernance à l’échelle de la planète et à l’échelle du local en reformulant un authentique pacte démocratique ? Personne. La tâche est rude et elle nécessite une capacité de reformulation collective dont ne disposent pas les formations politiques actuelles… Ce qui me désespère le plus, c’est la quasi-absence de réflexion géopolitique de nos dirigeants politiques. Ils gèrent au quotidien leur circonscription – leur terrain d’élection au sens propre et au sens figuré – et ils ont bien du mal à définir l’intérêt général à l’échelle d’un pays ou d’une province… Alors peut-on leur demander de penser l’intérêt général et le bien commun à l’échelle globale ou même à l’échelle d’un continent ? Si je suis écologiste, c’est parce que c’est encore le seul endroit où certains tentent de poser les bonnes questions, mais pour les réponses apportées nous sommes encore très loin du compte. Nous avons, je crois, beaucoup de bonnes idées, mais elles sont encore assez mal articulées entre elles et, surtout, il reste encore des trous béants sur des sujets très importants. Depuis deux ans et demi que je suis parlementaire et que nous disposons d’un groupe au Sénat, nous sommes forcés de prendre des positions sur tous les sujets qui émergent dans le champ politique. Avant – quand nous ne disposions pas d’un temps de parole sur tous les sujets – c’était relativement facile : nous nous concentrions sur nos thèmes fétiches, souvent sans nous poser la question de savoir si nous pouvions et voulions être en mesure de convaincre une majorité politique de nous suivre…

Oui, j’ai un certain intérêt pour Québec Solidaire qui a une vision plus ouverte du monde que d’autres partis politiques québécois. Au passage, je suis atterré quand je regarde les infos TV au Canada ou que je lis la presse québécoise, tant elle accorde peu de place aux questions internationales ! Québec Solidaire me rappelle un peu les Verts français, avec une vraie préoccupation concernant le social et l’international, en plus des questions environnementales et écologistes. Mais comme les Verts, je trouve que Québec Solidaire pêche par son absence de réflexion véritablement autonome par rapport à la gauche classique sur les questions sociales. C’est une des grandes faiblesses de l’écologie politique que de se mettre à la remorque de la pensée socialiste lorsqu’il s’agit d’appréhender les questions économiques et sociales pour construire ses positions. En France, cela s’explique par le fait que la majorité des militants et des élus écologistes ne proviennent pas des luttes environnementalistes, mais le plus souvent sont d’anciens militants d’extrême gauche engagés de longue date dans le champ du social et du sociétal. Du coup, ils tendent à coller leur ancienne matrice d’analyse sur tous ces sujets. Personnellement, les origines de mes engagements sont libertaires, profondément enracinés dans une lecture non-marxiste de la société et du rapport à la politique. C’est sans doute la raison pour laquelle je peine à trouver l’âme sœur en politique…

Pour aller plus loin :
– Le site d’André Gattolin ;
– Le site du groupe écolo au Sénat.

Crédit images : extraits du profil facebook d'André Gattolin.

Entretien avec Manon Massé, candidate de Québec Solidaire dans Sainte-Marie–Saint-Jacques

Militante féministe et pour l’égalité des droits, travailleuse communautaire, Manon Massé est une vieille amie de Françoise David, avec qui elle a organisée la marche mondiale des femmes et cofondatrice le mouvement politique Option Citoyenne. Se revendiquant « de gauche, féministe, écologiste et altermondialiste », le mouvement fusionnera avec l’Union des Forces Progressistes en 2006 pour donner naissance à Québec Solidaire. Première candidate du parti, lors d’une partielle dans Sainte-Marie–Saint-Jacques en 2006, elle s’y représente à chaque élection et voit son score s’améliorer à chaque fois. De plus en plus mise sur le devant de la scène, c’est une figure marquante du parti et sans doute une de leurs futures députées.

[Edit. avril 2014 : Quelques mois après cet entretien, Manon est devenue députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques]


Manon Massé par Cindy Boyce.

On te présente souvent comme une féministe, une travailleuse communautaire ou une militante politique. Trois affirmations justes, mais qui ne peuvent limiter ton parcours. Peux-tu le présenter les sources de ton engagement aux lecteurs ?

Je suis une femme qui carbure à l’injustice. Ça me met en action. Issue de la classe populaire, j’ai été élevée dans une famille très croyante, pour qui « prendre soin de l’autre », particulièrement du plus vulnérable, était très important. Très jeune je me suis dédiée à « l’amour du prochain », pas par hypocrisie, pas par obligation ou par pitié, mais parce que l’autre est comme moi un « enfant de Dieu » et nous sommes donc toutes et tous égaux. Sans suivre les mêmes pistes que mes parents, j’ai énormément appris de ces grandes valeurs.

J’ai commencé mon processus de politisation au début de la vingtaine dans les années 80, au contact de « l’éducation populaire ». J’ai commencé à comprendre les systèmes d’oppression qui m’infligeaient des souffrances en tant que femme, lesbienne et pauvre. Tout s’en est suivi. Mon engagement réside depuis toujours en ma conviction viscérale que tous les êtres humains naissent libres et égaux, en dignité et en droits. Malheureusement, trop de profiteurs ne veulent pas reconnaître ce fait et agissent à l’encontre de ce principe en abusant de leur semblable.

Une facilité pourrait faire dire que tu es passée du militantisme associatif au politique. Bien sûr tu n’as pas quitté le champ associatif et ton activité a toujours été politique, mais malgré tout il y a bien eu un virage quand tu es devenue la première candidate de Québec Solidaire, lors de l’élection partielle de Sainte-Marie–Saint-Jacques en avril 2006. Comment as-tu abordé cette nouvelle forme d’engagement, et pourquoi avoir franchi le pas ?

C’est la féministe en moi qui m’a amenée à faire le choix de me présenter comme candidate. Depuis les débuts, j’ai travaillé à la mise sur pied d’Option citoyenne et à la fusion avec l’Union des forces progressistes. Je me suis impliquée dans la création de Québec solidaire dans l’objectif très clair et nommé de faire élire Françoise David, une leader extraordinaire avec laquelle je travaillais depuis une dizaine d’années.

Un mois avant le congrès de fondation de QS, nous savions que le gouvernement allait déclencher une élection partielle dans mon comté, laissé libre par André Boulerice quelques mois auparavant. Les seuls noms qui sortaient comme candidature potentielle étaient des hommes. J’étais incapable d’accepter que le premier parti politique féministe présente un homme comme première candidature.

C’est donc avec beaucoup d’audace et de candeur que j’ai sauté dans le train. Dès le début de la campagne, j’ai compris que dans les faits, le travail politique n’était que la continuité du travail d’éducation populaire que je faisais depuis une vingtaine d’années. Aller à la rencontre des gens, prendre le temps de leur expliquer comment fonctionne le système dans lequel nous vivons et comment on peut changer les choses. Redonner espoir à celles et ceux qui ne sont jamais considérés par ce système.

De plus, mon travail de militance m’avait formée à analyser, à être critique et à formuler des alternatives. J’étais surtout prête à mener la bataille pour que le mode de scrutin soit plus juste et pour que chaque vote compte. Je suis une grande démocrate et le système québécois actuel est beaucoup trop injuste pour que je dorme tranquille.

Si tu épouses toutes les thèses de Québec Solidaire, quels sont les sujets qui te semblent prioritaires, et que tu défends particulièrement – que ce soit dans et hors du parti.

En premier lieu je dirais l’économie. Québec solidaire a une vision de l’économie qui me réconcilie avec la démocratie représentative. Nous avons abandonné l’économie aux mains des économistes, qui finissent par se convaincre et nous convaincre que l’économie est une science exacte. Le système capitaliste crée beaucoup trop d’abus, d’injustices et de guerres pour que nous restions silencieux-ses. Les gens qui maintiennent ce système en place n’ont pas à cœur l’intérêt collectif, ni le bien commun et ni l’environnement. Quand Québec solidaire parle de justice sociale, il ne fait que s’appuyer sur la nécessaire justice fiscale qui est occultée dans le discours dominant des grands cravatés du capital. Ils ne cessent de dire que nous devons faire notre « juste part », alors qu’ils savent très bien que des milliards de dollars passent annuellement dans des paradis fiscaux, en toute légalité, sans que le peuple en bénéficie pour le financement de ses services publics. Ça m’indigne et me dégoute.

Le deuxième thème est l’environnement. Non pas comme une ressource exploitable, mais en tant que bien commun que nous partageons avec l’ensemble des habitantEs de cette terre. Je me sens très reconnaissante de pouvoir boire de l’eau saine, de respirer de l’air qui ne m’empoisonne pas trop et de pouvoir manger trois repas par jour. Comment puis-je accepter de ne pas tenir compte de tout ça? Pour QS, l’environnement n’est pas quelque chose à exploiter, mais à protéger. La fin de la dépendance au pétrole et le programme d’efficacité énergétique est pour moi d’une grande cohérence avec les valeurs de bien commun qui nous tiennent tant à cœur.

C’est en effet une question fondamentale, d’autant que le Québec est très riche en ressources, mais certaines d’entre-elles sont loin d’être « propre », je pense notamment aux mines d’uranium ou d’amiante. Dans le cas d’un gouvernement solidaire, quelles seraient les priorités pour effectuer la transition écologiques ?

Pour QS, il faut radicalement rompre avec les énergies non renouvelables et tout particulièrement les hydrocarbures. Nous avons été le premier parti à dénoncer l’attitude hypocrite du Québec face à l’amiante en interdisant d’une part son utilisation ici au Québec mais en poursuivant son exportation.

De plus il faut que le gouvernement mette fin à ces mines à ciel ouvert qui détruisent complètement les paysages et les milieux de vie des communautés. Les gens de Malartic dans la région de l’Abitibi en savent quelque chose.

Il est donc urgent de développer une économie au service de l’ensemble de la population et non seulement au profit d’une poignée de gens qui en profite et qui n’ont aucune considération pour l’environnement. Pour ce faire, on ne peut pas continuer dans la logique de surconsommation dans laquelle nous pousse sans cesse le capitalisme néolibéral. Les mines ne sont qu’un exemple.

Portrait-vidéo de Manon Massé lors de la campagne de 2012.

Québec Solidaire présente une option souverainiste de gauche et s’adresse à tous les Québécois, on reproche cependant régulièrement deux choses au parti : être centré sur Montréal, et être de faux-indépendantistes, quelles sont tes réponses à ces attaques récurrentes ?

C’est mal connaître notre parti que de dire que nous sommes centrés sur Montréal. Certes, nos deux élus actuels sont de Montréal, mais les dossiers qu’il et elle portent touchent tout le Québec. Par exemple, dans le dossier des mines, ou dans celui de l’extraction du gaz de schistes ou encore celui de l’exploitation des ressources gazières en Gaspésie, on ne parle pas aux MontréalaisEs. Même chose lorsque l’on défend les personnes à l’aide sociale ; il y en a partout au Québec.

Il faut parler avec les Guy Leclerc d’Abitibi, Patricia Chartier de Gaspésie, Serge Roy de Québec, de Louise Beaudry de Berthier pour voir que notre parti est bien implanté dans l’ensemble du territoire. Reste-t-il encore du travail à faire? Bien sûr. Quoique nous ayons présenté des candidatEs dans chaque comté lors des trois dernières élections générales, et nous entendons faire de même pour la prochaine, enraciner solidement Québec solidaire dans l’ensemble du territoire québécois demeure un objectif.

Je suis excédée de la malhonnêteté intellectuelle des personnes qui nous traitent de faux indépendantistes. Notre engagement est clair : lors de notre premier mandat, faire élire une assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger la constitution du Québec grâce à un vaste exercice de participation citoyenne partout à travers le Québec. Au bout de la démarche, les QuébécoisEs seront appelés par voix de référendums à se prononcer sur le document. Que voulez-vous de plus comme preuve de notre désir de faire l’indépendance?

À Québec solidaire, nous croyons à la souveraineté du peuple, c’est pourquoi nous voulons prendre le temps de faire émerger un projet de société qui rassemble les QuébécoisEs avant de le soumettre aux voies. Un projet comme la Charte des valeurs du gouvernement péquiste divise les Québécois et Québecoise et me confirme que ce parti souhaite plus se maintenir au pouvoir que faire du Québec un pays.

Quand j’écoute les discours dominants des indépendantistes, notamment sur le droit des nations à disposer d’eux-même, je suis toujours très surpris par l’oubli des Premières Nations. Le plan Nord, largement combattu par QS, n’était qu’une fausse réponse visant à encore plus déposséder les peuples autochtones, quel est ton regard sur les minorités indiennes et inuit, souvent décriées, et que proposent les solidaires pour cette population ?

C’est vrai que les Premières Nations et leurs droits ancestraux sont très souvent oubliés, pas seulement dans le discours indépendantiste, mais aussi dans l’utilisation du territoire. Pour Québec solidaire, l’autodétermination des Premières nations est une valeur importante.Nous voulons un dialogue peuple à peuple, de façon égalitaire et respectueuse.

Les peuples autochtones doivent être inclus, à part égale, dans tous les débats de société, dont celui de la souveraineté du Québec, du partage des ressources et du territoire. Ce sont nos ancêtres, après tout, et nous les avons isolés, autant physiquement que socialement. Il est donc primordial que le dialogue soit rétabli, dans une perspective de respect et d’inclusion.

Une des fameuses affiches à moustache de Manon

En septembre 2012 un gouvernement péquiste minoritaire a été élu. S’il y a eu quelques gestes forts en début de mandat – fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, abrogation de la loi 78 – aujourd’hui on ressent beaucoup de déception. La faute à un manque de moyen d’action, mais aussi d’un certain courage politique, qui était d’ailleurs un de vos thèmes de campagne. Quel regard portes-tu sur cette année de gouvernance censément progressiste ?

Le PQ gouverne de façon tout à fait prévisible. Depuis longtemps on le voit, dans l’opposition il met de l’avant des propositions de gauche alors qu’une fois au pouvoir, il gouverne dans la pure tradition de la droite. Le peuple québécois l’avait oublié, car cela faisait trop longtemps que le PQ était dans l’opposition.

Il n’y a rien de progressiste dans la façon de gérer du PQ : monsieur Marceau et son austérité budgétaire avec les tarifications des services publics (santé, éducation) qu’on applique, les accords de libre-échange qu’on encense, le pétrole qu’on accueille à bras ouvert qu’il provienne d’Anticosti ou d’Alberta, les redevances minières qu’on ose à peine réclamer, les coupes à l’aide sociale en prétendant une amélioration, le retour de la taxe santé et non de l’imposition du gain de capital….. Je m’arrête là.

Ce gouvernement n’agit pas pour le bien-être de tout le monde et en ce sens, il n’est pas très différent de son prédécesseur. Ceci étant dit, il y a quelques dossiers pour lesquels nous gardons les doigts croisés afin que les députés qui les portent ne soient pas bâillonnés par le ministre des Finances et sa politique d’austérité, notamment ceux de la politique de lutte à l’itinérance et de l’électrification des transports.

En conclusion, j’aimerai que nous parlions de l’actuelle charte de la laïcité. Ce projet propose d’interdire le port de signes religieux ostentatoires à tous les fonctionnaires, ainsi que le port de certains signes religieux en public. Les arguments sont la défense d’une certaine laïcité, l’intégration et la protection des femmes. À contre-courant de ce que certains auraient pu attendre Québec Solidaire s’oppose à ce projet jugé stigmatisant pour des populations déjà minoritaires. Françoise David s’y oppose aussi en tant que féministe, ce qui en a surpris plus d’un. Peux-tu m’expliquer comment tu abordes cette question complexe de la laïcité et de l’intégration ?

Selon moi, le PQ a pris un chemin très dangereux en mettant au jeu au mois de septembre dernier le projet de Charte des valeurs québécoises. Ce projet n’a rien à voir avec la laïcité annoncée, mais parle plutôt de l’identité québécoise tant recherchée et malheureusement, pas encore reconnue. Ce qui m’inquiète profondément, c’est qu’on aborde cette question dans une perspective d’exclusion. Les échanges qui en ont découlé sur la place publique n’ont d’ailleurs pas toujours mis au jour ce qu’il y a de plus beau chez mon peuple!

Ce qui me choque aussi, c’est que le PQ propose une laïcité de l’État à deux vitesses : non aux symboles religieux trop apparents dans la fonction publique, mais oui au crucifix à l’Assemblée nationale, au droit de retrait de certaines institutions, sans dire un mot sur le financement à la hauteur de 60% des écoles privées dont plusieurs sont confessionnelles, et rien non plus sur le congé fiscal pour les organisations religieuses…Quelle hypocrisie!

Comme féministe, je n’en peux plus de voir ce débat se faire sur le dos des femmes. Elles avaient déjà donné avec la commission Bouchard-Taylor. Avec ce projet de charte, au nom de la protection de ces femmes qui portent le foulard, on encadre légalement leur exclusion.

Ni obligation, ni interdiction! Voilà ma conviction. C’est par l’éducation et l’autonomie économique que les femmes, tout comme les Québécoises des années 60, trouveront la liberté que le ministre Drainville et les Jeannettes de ce monde veulent « leur offrir ». Comme féministe, je respecte leur droit d’enlever leur hijab au moment où elles le veulent, si elles le veulent. Dans les années 70 et 80, j’ai scandé : « Nous aurons les enfants que nous voulons », « Mon corps c’est mon corps ». Je ne me mettrai pas aujourd’hui à scander « Ôte ton voile parce qu’il me dérange ».

Ceci étant dit, nous devons agir face aux différentes forment d’extrémismes religieux. Nous les femmes, les lesbiennes et gais, les marginaux, le savons très bien. De l’oppression, il y en a partout, et si j’en crois les statistiques au Québec, l’égalité entre les femmes et les hommes et l’ouverture aux communautés LGBT sont bien plus compromises par la majorité blanche, catholique, hétérosexuelle, que par le faible pourcentage de 2% de musulmanEs.

Pour aller plus loin :
Facebook de Manon Massé ;
–  Site de Québec Solidaire ;
Site de Québec Solidaire Sainte-Marie-Saint-Jacques.

 

Charte des valeurs et laïcité

Le grand débat du moment au Québec est une « Charte des valeurs québécoises» que le gouvernement veut à tout prix faire passer. Socle nécessaire d’une affirmation identitaire et laïque pour ses défenseurs, faux-nez d’une charte anti-musulmans ou vecteur de divisions inutiles pour les opposants, certains y voient aussi une simple diversion visant à ressouder l’électorat péquiste derrière sa cheffe.

De fait, on ne parle plus de grand-chose d’autre dans les médias, alors même que la population ne semble pas si passionnée que ça par le sujet. Société multi-culturelle par essence, le Québec avait une certaine habitude du compromis et une tolérance globale des religions bien plus souple que la nôtre, à l’image des peuples anglo-saxons. Mais qu’est-ce que cette charte au juste ? D’où vient-elle et que dit-elle réellement ? Petit tour d’horizon.

Quel contexte ?

bouchardCharles Taylor et Gérard Bouchard

La charte des valeurs, qui est plus une charte de la laïcité qu’autre chose, n’est pas née d’hier. Rappelons que le Canada est un état sans religion (même si sa dirigeante, la Reine, dirige l’église anglicane) affirmant en préambule de sa Charte des valeurs et des libertés que le pays « est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la règle de droit ». Il ne s’agit donc pas d’un pays laïque stricto-sensu. Même si l’état ne finance directement aucun groupe religieux, les groupes religieux bénéficient cependant de déductions d’impôts, etc.

Globalement, le Canada affiche un principe de tolérance, de liberté de pratique et de neutralité vis-à-vis de la religion, considérant simplement que les pratiques sont acceptables tant qu’elles ne mettent pas en danger la vie d’autrui: la charte revendique d’ailleurs le multiculturalisme. Arguant que la majorité des cas ne prête pas à débat ou peut se trancher facilement, l’État invite à procéder à des « accommodements raisonnables », notion recouvrant de légères adaptations visant à éviter les discriminations, entre autres religieuses.

Cette procédure souple n’a cependant pas été sans créer de problèmes, et plusieurs controverses ont éclaté à partir des années 2000, notamment au Québec. Parmi elles, voici quelques cas bien différents : des musulmans souhaitant avoir une salle de prière au travail, un élève revendiquant son droit de porter le kirpan (sorte de couteau traditionnel des sikh) à l’école, ou le retrait des crèches de Noël par la ville de Mont-Royal afin de ne pas devoir y ajouter d’autres signes religieux que ceux des chrétiens.

Afin de répondre à ces problème, le premier ministre libéral Jean Charest met sur place une commission codirigée par le philosophe Charles Taylor et le sociologue Gérard Bouchard (frère de l’ancien premier ministre Lucien Bouchard) en février 2007. La commission doit à la foi dresser un état des lieux et élaborer des recommandations afin d’adapter la loi, d’éviter des problèmes récurrents et de trancher plus facilement les cas complexes. Au bout d’un an, la commission publie un rapport globalement salué mais rejeté par le gouvernement libéral, notamment parce qu’il demande d’interdire les prières d’ouverture dans les conseils municipaux ou de retirer le crucifix de la chambre bleue de l’Assemblée nationale. Le rapport demandait aussi à ce que les garants de l’autorité de l’État1 ne portent pas de signe religieux et que les non-chrétiens puissent plus facilement obtenir des jours de congés pour les fêtes religieuses, afin d’équilibrer avec les jours fériés.

Le PLQ enterre donc le projet jugeant qu’il est urgent de ne rien faire. Élu, le PQ a annoncé qu’il relançait le projet, chargeant Bernard Drainville, ministre des institutions démocratiques et de la participation citoyenne, d’élaborer une Charte des valeurs québécoise et de la laïcité. L’idée affichée était de faire une loi consensuelle, affirmant l’identité québécoise et forçant les politiques au compromis. Finalement, le projet aura été très clivant, a fait la une des médias et n’a cessé de diviser, y compris au sein des rang souverainistes, tous n’étant pas toujours à l’aise avec ce qui ressemblait parfois à une stigmatisation des étrangers et – tiens, tiens… – particulièrement des musulmans.

Mais la Charte du PQ n’est pas l’émanation directe du rapport. Faisons le point.

Quel projet pour quel effet ?

bdBernard Drainville, Ministre responsable des
Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne

Initialement, la Charte du parti québécois reprenait une bonne partie du rapport Bouchard/Taylor en allant souvent plus loin, en gros en interdisant le port de signes religieux à tous les fonctionnaires, du magistrat à la secrétaire administrative. Les péquistes s’appuient d’ailleurs sur l’exemple français, qui applique cette règle en allant même plus loin puisqu’il interdit le port de signes ostentatoires dans les écoles par les usagers mêmes. Le reproche fait aux péquistes est simple : prétexter la laïcité pour stigmatiser des populations minoritaires, reniant ainsi le principe de multiculturalisme à l’origine de tous les pays d’Amérique du Nord. Les fédéralistes arguent qu’en agissant ainsi le PQ cherche juste à cliver en désignant des cibles du doigt afin de resserrer les rangs indépendantistes, qui tiennent beaucoup à une affirmation identitaire et se dispersaient vers d’autres partis auparavant. Ce d’autant que la Charte est actuellement en débat et que des rumeurs d’élections à l’automne bruissaient, rumeur démenties dernièrement, Pauline Marois indiquant qu’elle fera voter la Charte avant les élections afin d’en dégager toutes arrières-pensées électoralistes.

Bizarrement le PQ souhaite conserver le crucifix dans la chambre parlementaire, le considérant comme une pièce historique et non religieuse. Ce sujet relativement anecdotique à déclenché une petite bronca dans les forces de gauches, soulignant que le crucifix était relativement récent2 et qu’il pouvait très bien être mis dans le musée de l’Assemblée, dénonçant ainsi une laïcité à deux vitesses entre chrétiens et autres croyants. Le PQ a évolué sur sa position, indiquant qu’il était prêt à des concessions sur ce sujet.

La charte des valeurs n’est cependant pas une lubie sortie de nulle part, elle était clairement annoncée lors des élections de 2012, mais son contenu en a surpris plus d’un, y compris au sein des indépendantistes3. Contrairement à la France où l’acception de la laïcité est son exclusion de l’espace public, au Québec on entend plutôt la possibilité pour chacun d’exercer librement sa religion. Ainsi, quasiment personne au Québec ne voit de problème à ce qu’une secrétaire de mairie ou une infirmière soit voilée si elle fait bien son boulot. Une antienne avec laquelle je serai d’ailleurs plutôt d’accord tant qu’il n’y a pas de prosélytisme sur le lieu de travail et que les agents de l’État exerçant l’autorité restent neutres. Reste à placer le curseur de l’autorité. Personnellement, je pense que les enseignants sont porteurs de l’autorité de l’État et doivent être neutres, ce qui est une position assez minoritaire chez mes camarades indépendantistes et ne cesse de m’étonner (sans doute que je pense en bon gros Français).

Pour résumer la charte, elle se base sur cinq piliers – comme l’Islam mais je doute que ce soit volontaire –, présentés comme tels quel par le gouvernement et commentés par mes soins :

– « Modifier la charte québécoise des droits et libertés de la personne » pour y inscrire la neutralité religieuse de l’État et l’égalité homme-femme : difficile de ne pas être d’accord quand on est laïc convaincu (ce qui n’est pas une obligation, certes) ;

– « Énoncer un devoir de réserve et de neutralité pour le personnel de l’État » visant à interdire de manière claire le prosélytisme religieux lors de l’exercice de ses fonctions, comme cela existe déjà pour les opinions politiques, ce qui semble assez normal ;

– « Encadrer le port des signes religieux ostentatoires » : première mesure réellement polémique, elle vise à interdire à un certain nombre de fonctionnaires de porter des signes religieux, et cela va bien plus loin que la Commission Bouchard/Taylor4. Au delà de choix contestés quant aux types de fonctionnaires choisis, le ministère à eu la très mauvaise idée de permettre aux conseils d’administration des structures d’éducation, de santé et aux municipalités de voter des dérogations à la loi. Ainsi le gouvernement semble dire que cette liste de fonctionnaires devant être neutres n’est pas si réelle que ça. Cela engendre donc une autre frange de protestations refusant ce principe de dérogations et disant qu’il faut soit interdire, soit autoriser mais pas faire un peu tout et n’importe quoi. Dans une Charte visant à poser des balises claires sur les accommodements raisonnables, le flou est difficile à comprendre ;

– « Rendre obligatoire le visage à découvert lorsqu’on donne ou reçoit un service de l’État » n’est pas forcément reprochable en soit mais la formulation fait tout de suite penser aux musulmanes voilées. S’il s’agit simplement de s’assurer que le visage et bien le visage (comme stipulé, mais on peu se méfier) est concerné alors cela semble normal, ne serait-ce que pour que l’on s’assure que la personne est la bonne, mais il faudra veiller à ce que ça ne déborde pas plus loin ;

– « Établir une politique de mise en œuvre pour les organismes de l’État » est la mesure la plus administrative, qui indique qu’il faut se donner les moyens dans tous les ministères et organismes d’État d’appliquer la Charte, de mettre en œuvre des accommodements et d’assurer leur fonctionnement. Rien que du logique, on se demande presque pourquoi cela vaut un point spécifique.

Le projet de loi finalement déposé le 07 novembre autorise cette possibilité de dérogation mais uniquement pour une durée de cinq ans non-renouvelable, afin de prendre le temps de mettre tout en place, ce qui est très différent. Le Gouvernement ayant accepté que le projet soit l’objet d’une consultation générale en commission parlementaire débutant début 2014, le texte ne sera pas voté tout de suite et des amendements sont tout à fait possibles.

crucLe crucifix de l’Assemblée Nationale

Les réactions politiques

Tout les partis provinciaux admettent l’importance d’une clarification du droit mais les réactions sont très différentes. Les plus virulents sont les libéraux qui ont clairement annoncé qu’ils ne voteraient pas la Charte du PQ, fustigée comme étant électoraliste et discriminatoire. Québec solidaire s’oppose de son côté à la Charte en l’état, considérant que sa rédaction est partiale et vise avant tout les musulmanes et jugeant que des lois plus restrictives ne feraient qu’empêcher encore plus les femmes brimées de sortir de chez elles. Le parti salue toutefois la volonté d’affirmer un État laïc.

La CAQ est le seul parti a avoir ouvertement soutenu le projet gouvernemental, même si François Legault souhaiterait que seules les catégories désignées par la commission Bouchard/Taylor soient concernées. Il a appelé à des réunions entre chefs de partis sur ce sujet afin de trouver un compromis, proposition rejeté par le Gouvernement. Jugeant le sujet mineur comparativement à l’économie, Legault souhaite aujourd’hui surtout en finir avec ce débat.

Au niveau fédéral le NPD comme le Parti Libéral du Canada s’opposent à la Charte au nom des droits de l’homme. Le parti Conservateur, au pouvoir au Canada, également. Il a, de plus, refusé l’idée d’une Charte spécifiquement québécoise et le gouvernement fédéral a annoncé être près à aller en justice si nécessaire. Sans surprise le Bloc fait corps derrière le PQ, allant jusqu’à exclure sans coup férir une de leur rare députée parce qu’elle avait critiqué le projet.

Au niveau associatif, de nombreux groupes ont dénoncé des mesures affaiblissant des populations déjà faibles. Des organisations importantes comme la la Fédération des femmes du Québec utilisent des mots très durs. Ainsi, sa présidente Alexa Conradi déclare que « le gouvernement officialise la discrimination au nom des valeurs québécoises » quand la Ligue des Droits et libertés parle d’un « recul pour les droits humains ». La plupart des associations scolaires y sont aussi opposées.

Enfin, il est à noter que Gérald Bouchard et Charles Taylor ont tous deux dénoncé la Charte censément issue de leurs travaux. Le premier décrit un projet nuisible aux Québécois parce qu’il les divise au lieu de les unir, ainsi que nuisible au Québec car salissant son image à l’étranger. Le second parle tout simplement de projet de loi « catastrophique ».

Il existe bien sûr des associations favorables au projet comme la Coalition pour la laïcité ou les Janettes, mais elles sont clairement minoritaires.

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Voilà en quoi consistent les problèmes relatifs à la Charte. C’est une question certes complexe, où l’intérêt général et le jeu politique se confondent, comme souvent. Comme d’ordinaire n’hésitez pas à poster un commentaire pour compléter où à m’envoyer un message, comme certains l’ont fait la semaine dernière.

Pour aller plus loin :
Le texte de loi ;
Le site du gouvernement ;
Dossier regroupant les articles sur la Charte sur le site du Devoir ;
Chronique de Catherine Dorion, qui rappelle que bon, tout ça est-il bien si important ? ;
Site « Laïcité féministe » à la foi féministe, laïque et opposé à certains points de la Charte ;
– Deux tribunes d’intellectuels, une en soutien à la Charte et une en opposition frontale

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1 Désignant ainsi les policiers, magistrats, procureurs, gardiens de prisons, présidents et vice-président de l’Assemblée Nationale. Mais ils ne visent pas les enseignants, les députés ni les fonctionnaire non-titulaire d’une autorité directe.

2 Il avait été mis en place par le ministre unioniste (conservateur) Maurice Duplessis en 1936 afin d’indiquer les liens étroits entre l’église catholique et le Québec.

3 Par exemple, Catherine Dorion s’en est étonnée, Québec Solidaire a aussi manifesté son rejet d’une laïcité à deux vitesses, etc.

4 À savoir : le personnel de l’État exerçant un pouvoir de sanction (juges nommés par le Québec, procureurs et magistrats, membres d’un corps policier, agentes et agents correctionnels) comme le recommandait la commission mais aussi le personnel des ministères et organismes ; le personnel des centres de la petite enfance (CPE) et celui des garderies privées subventionnées ; le personnel des commissions scolaires, dont celui des écoles primaires et secondaires publiques ; le personnel des cégeps et des universités ; le personnel du réseau public de santé et services sociaux et le personnel des municipalités. Soit une grosse partie des fonctionnaires mais pas tous les fonctionnaires comme on peut le lire (par exemple, les salariés d’Hydro-Québec ne sont pas concernés).

Crédit photos : Taylor/Bouchard © Ivanoh Demers/Archives La Presse, Bernard Drainville est issu de wikimedia, Crucifix © Francis Vachon/Presse Canadienne.

Entretien avec Catherine Dorion, militante et ex-candidate d’Option Nationale dans Taschereau

Comédienne, autrice, militante avant tout, Catherine Dorion a le cœur à gauche et vibre pour le Québec. Fervente indépendantiste, elle participe à la fondation d’Option Nationale, dont elle est la candidate dans Taschereau (ville de Québec) aux élections de 2012. Auteure d’une vidéo de campagne où elle explique avec simplicité, humour et second degré son attachement à la cause souverainiste et sa foi en un avenir de progrès, elle créé un buzz retentissant en obtenant rapidement plus de 100.000 vues sur Youtube. Devenue icône d’un parti encore méconnu elle obtient 7,37 % des voix, soit le deuxième plus gros score du parti, derrière celui de Jean-Martin Aussant. Si elle est un peu moins visible depuis, elle continue plus que jamais à s’investir dans le parti et partage ses opinions et coups de gueule sur son blog avec un public toujours plus grand.

Pour commencer par la base, avant même de parler partis, peux-tu nous expliquer le fondement de ton engagement indépendantiste ?

Je ne le saisis moi-même que petit à petit à mesure que les années passent. Je crois que j’ai toujours souhaité pour mon peuple cette attitude qui, dans ma vie personnelle, n’a jamais menti, n’a jamais failli : le courage d’être soi-même et de suivre son désir, sans donner de crédit aux prophètes de malheur et à tous ceux qui, à force d’avoir peur, meurent vivants. Sans donner de crédit à ceux qui nous répètent partout que nous devrions être davantage ceci, moins cela, davantage autres, moins nous-mêmes. J’expérimente dans ma vie le succès de cette posture et c’est pour ça que je souhaite cette posture à mon peuple, comme je la souhaiterais à mon meilleur ami.

Avant de rejoindre Option Nationale tu as mené nombre de projets engagés, notamment des performances théâtrales, du slam, la rédactions de textes… Je te définirai comme une activiste culturelle, qui milite autant sur le fond que sur la forme (un certain type de théâtre), comment te positionnes-tu par rapport à ça ?

Je déteste avoir à me positionner dans un débat pré-déterminé par d’autres (les médias traditionnels, souvent), où les pour et les contre sont déjà étiquetés, les idées déjà classées en groupes et sous-groupes, et dans lesquels on me demande de me jeter juste pour aller grossir le nombre de telle ou telle équipe ou sous-équipe. Oui, je milite donc également sur la forme : ce n’est pas comme ça que notre politique devrait se faire. Il ne devrait pas s’agir que de lancer une idée contre une autre et de regarder le combat de coqs qui s’ensuit ainsi que les applaudissements ou huées des « experts » à la télévision. Il n’y a pas pire vecteur de désengagement de la population : nous, à qui on répète que nous vivons en démocratie, dans le meilleur système du monde et de l’histoire, sommes réduits à des spectateurs télévisuels d’une partie de hockey qui n’a plus aucun lien avec nos réels désirs et besoins! Nous nous désengageons, remplis d’un sentiment justifié d’impuissance et d’absence de sens, et nous nous laissons organiser par d’autres qui en profitent pour… pour profiter, quoi.

Pour changer quoi que ce soit et nous redonner à nous-mêmes notre politique, il faudra que nous nous en emparions. Et nous cherchons comment faire, à tâtons, nous cherchons. À un moment donné, nous tomberons sur une idée, sur un filon, sur une manière d’exprimer le politique qui nous rassemblera tous, nous éveillera, nous donnera le courage collectif nécessaire à la réappropriation de notre politique. En attendant, à l’intérieur de chacun de nous, le désenchantement et l’indignation s’installent, prennent de la place, accumulent le gaz dont nous aurons besoin pour nous lever tous ensemble. Militer, pour moi, c’est ça : préparer le terrain pour le moment où l’éveil collectif prendra forme.

Quand je remonte un peu dans tes travaux je retrouve toujours la question de l’indépendance, je te sens aussi viscéralement progressiste. Quand Jean-Martin Aussant a lancé Option Nationale en 2012 il semble que tu l’ai rejoint très naturellement, peux-tu nous expliquer le cheminement qui t’as mené à entrer et à prendre des responsabilités dans le parti ?

Nous avons eu l’idée du parti ensemble, à deux, dans un resto de Montréal, en marge du dernier congrès du PQ auquel nous assistions, moi comme observatrice et lui comme député péquiste. Nous l’avons plus tard fondé ensemble et avons fait toutes les premières démarches ensemble. Lui, qui avait beaucoup plus d’expérience que moi en politique active, a dirigé toutes les étapes. Moi, je regardais, j’apprenais, j’allais chercher du monde, des gens inspirés et passionnants qui n’avaient jamais fait de politique et qui savaient porter notre enthousiasme naissant d’une manière créative, attirante, à contre-sens de la fausseté habituelle des politiciens.

Tu as été une des révélations de l’élection de 2012, un buzz énorme a suivi la publication de ta vidéo, et tu as sans doute plus fait pour la reconnaissance d’Option Nationale que n’importe quel article ou émission. Du jour au lendemain tu as du recevoir énormément d’invitations, tu as tenu un blog sur L’actualité, à donné beaucoup d’entretiens et finalement obtenu un très bon score pour une jeune formation. Avec un recul d’un an, comment vois-tu cette reconnaissance et les conséquences de cet imprévisible succès ?

Comme un signe que le cynisme des gens face à la politique est aussi une ressource incroyable : le jour où des sincères investiront le plancher du politique au Québec, les gens sauront les reconnaître. Il ne suffira plus, pour nous, que de trouver des moyens de nous faire voir. Internet nous aide beaucoup dans ce sens-là. Je crois que tu as déjà, dans ta question, saisi les conséquences de ça, très positives pour nous. Évidemment, ça ne se fait pas en un an. Il faudra travailler…!

En attendant, ce que les gens savent reconnaître à coup sûr, ce sont ceux qui sont en politique pour le pouvoir ou l’argent. Ça, on connaît, on reconnaît, on se tient loin de ça, on vote pour le moins pire d’entre eux à contrecœur, en haussant les sourcils, en nous demandant si nous sommes en train d’accomplir le devoir du citoyen ou un acte assez débile d’humiliation citoyenne…

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Catherine Dorion et Sol Zanetti

Après les élections de 2012, malgré la défaite des libéraux et la défaite de Jean Charest, les résultats laissaient un goût amer : un gouvernement péquiste très minoritaire, des libéraux encore puissants et la défaite de Jean-Martin Aussant. Un coup dur pour un jeune parti, d’autant plus que quelques mois plus tard il a décidé de quitter la direction d’ON. Quel regard portes-tu sur la démission de JMA ? Pourquoi n’as-tu pas souhaité le remplacer et quelles sont les raisons de ton soutien à Sol Zanetti ?

Je porte un regard ambivalent sur la démission de Jean-Martin : d’un côté je le comprends, c’est mon ami, je l’ai vu avec ses enfants, absent malgré lui, pris par les incessantes questions politiques, obligé de gérer le fonctionnement interne d’un parti qui grandissait plus vite que ses capacités organisationnelles alors que sa passion était de parler aux non-convaincus, de convaincre, de changer en profondeur les pré-conceptions des gens pour que, tranquillement, ses idées fassent leur place dans la population et s’y réenracinent avec solidité. Je pense que, face aux défis d’organisation partisane, mon ami trouvait la vie dure, lui qui, malgré ses lunettes et son génie économique, carbure à la passion. Il ne cessait jamais de travailler pour le parti, jusque tard dans la nuit, il avait toujours des trucs à régler, à penser, des militants à apaiser. Ses jeunes enfants n’avaient pas beaucoup de père…

C’est parce que j’ai constaté ça en le suivant de près que j’ai décidé de ne pas me présenter à la chefferie. Je savais que, avec mon bébé d’un an et demi, je finirais comme lui épuisée, éloignée de ce qui m’avait attirée en politique, vidée de ma passion et de mon énergie. Et je ne pouvais pas me faire élire et risquer de démissionner un an plus tard de la même manière que lui, ça aurait été un double coup trop difficile pour le parti en si peu de temps. Sol, quant à lui, était décidé, ferme, solide, et il avait autant envie d’organiser et d’unir les troupes dans un même élan que de convaincre la population du Québec de la logique de l’indépendantisme. J’ai senti que, moralement, c’était un pilier, qui avait le sens des responsabilités très développé, et que c’était lui qu’il nous fallait, surtout à ce moment-ci de notre histoire et dans la situation dans laquelle nous nous trouvions, affaiblis par le départ du chef fondateur.

De l’autre côté, je trouve que Jean-Martin a manqué de patience. Il n’aurait pas eu à attendre quinze ans avant que quelque chose se passe. Cinq, six ans, et ça devenait foutrement intéressant pour ON. Notre succès était époustouflant, dérangeant, merveilleux. Mais bon. Un sondage récent nous donnait 4% d’intentions de vote, le même pourcentage qu’avant la démission de Jean-Martin. Qui sait? Peut-être son rôle à lui n’aura-t-il été que de rassembler tous ces gens décomplexés qui ont envie d’arrêter d’avoir honte d’être eux-mêmes et qui savent communiquer leur fierté.

Quand ont te lit et t’écoute, on te sent éminemment progressiste. Je comprend bien que le rattachement au Canada lie les mains des québécois, qu’un gouvernement vraiment de gauche serait toujours préférable à des souverainistes centristes (par ailleurs peu pressés de faire l’indépendance) comme c’est le cas aujourd’hui ?

Les souverainistes centristes, tu parles du Parti Québécois? Mais ce parti, en tant qu’institution, n’est ni centriste, ni gauchiste, ni indépendantiste, ni fédéraliste. Ce parti n’est plus qu’une chose : électoraliste. Certains de ceux qui le composent ont des convictions réelles, mais ils se retrouvent pris dans une machine lourde, contre-productive, non-militante.

René Lévesque le disait : les partis vieillissent mal et ne devraient pas durer plus d’une génération. Au-delà de ça, ils deviennent trop attractifs pour les opportunistes, les carriéristes et tous ceux qui veulent profiter d’une idée ou d’un mouvement plutôt que d’y apporter leur appui pour le renforcer.

Quant à un gouvernement de gauche au Québec, ça serait pas mal, mais que peut faire un gouvernement provincial de gauche lorsque la moitié la plus importante de la politique, des ressources et des impôts de son peuple est gérée par un autre peuple sur lequel il n’a pas de prise? À quoi bon être de gauche (ou de droite) si notre budget provincial est pris à la gorge par les besoins en santé et en éducation, qui bouffent tout? Nous n’avons pas de réelle liberté d’action politique en tant que province.

L’indépendance du Québec n’est pas la seule mais la première des choses logiques à faire. La lutte gauche-droite aura toujours lieu. Il n’y a pas de système parfait qui, une fois instauré, assurerait à tout le monde que les malhonnêtes ne se retrouveront jamais au pouvoir en position d’exploiter les ressources du peuple, que ce système soit de gauche ou de droite. Hannah Arendt a beaucoup écrit là-dessus. Il faudra toujours se battre contre l’injustice et l’exploitation parce que ça risquera toujours d’arriver. L’indépendance politique du Québec, quant à elle, est réalisable et elle est un outil dans cette lutte qu’il faudra sans cesse mener. Quel peut être l’avantage de laisser un gouvernement élu par un autre peuple gérer la moitié la plus significative de notre politique?

Nous ne sommes responsables de rien, n’apprenons rien de ces décisions que nous ne prenons pas. Il est plus important d’avoir la possibilité d’être soi-même, au risque de se tromper, que d’être « du bon côté » ou d’avoir « les bonnes idées », qu’elles soient de gauche ou de droite. Comme pour l’individu, c’est la base de la confiance en soi : nous sommes tous différents; il n’y a que moi qui sache vraiment ce qui est bon pour moi. Je dois essayer, avancer, me tromper, ressentir, apprendre, réorienter, réussir, me fatiguer, me relever, etc. Être responsable. Être.

De manière plus générale, je me demande comment Option Nationale peut défendre l’idée « une fois élu, nous sommes indépendants » alors que dans les faits Ottawa en arrive même à remettre en cause la légalité d’un référendum à 50%+1…

Les sécessions sont du domaine du droit international. Et le droit international en matière de sécession repose sur la coutume et sur les traités internationaux. Les deux militent en faveur d’une reconnaissance d’un Québec indépendant à 50%+1 du vote. Ottawa peut bien faire ce qu’il veut, ce n’est pas lui qui a le pouvoir de légiférer en la matière.

Option nationale défend l’idée qu’une fois élus après une campagne claire, focussée entièrement sur l’indépendance, nous aurons un mandat électoral très fort de la démocratie québécoise en faveur de gestes de rapatriement au Québec de nos lois, de nos impôts, de nos traités. Évidemment, Ottawa risque de ne pas rester tranquille, mais il aura à faire face à cette patate chaude que sera cette population québécoise qui aura élu un parti très ouvertement indépendantiste et qui attendra de pied ferme toute fermeture d’Ottawa. Et tout ça à un moment où le parti au pouvoir à Québec sera prêt à faire un référendum n’importe quand et que toute radicalisation du débat par Ottawa risquera de favoriser les indépendantistes…

En gros, l’idée, c’est de nous mettre dans une win-win situation.

Même si Option Nationale défend l’indépendance avant tout, le parti est loin de ne pas avoir de programme social. Avec Québec Solidaire, Option Nationale est une des rares formations politique à avoir pris part active aux manifestations étudiantes de 2012, à arborer sans honte le « carré rouge » et à défendre la gratuité scolaire, sur d’autres sujets comme la santé, les institutions ou l’environnement il y a aussi de fortes convergences. J’ai lu ton texte expliquant la différence entre les deux partis mais vu le système électoral, je ne comprend pas pourquoi des alliances et soutiens réciproques ne sont pas envisagés dans un certain nombre de circonscriptions (comme cela avait eu lieu pour Jean-Martin Aussant et Françoise David) ? Il ne s’agit pas de nier les différences ou de supprimer les partis, mais juste de soutenir les forces progressistes-indépendantistes sans attendre que les partis dominants installent une proportionnelle dont ils ne veulent pas…

Des alliances et soutiens réciproques sont envisagées. Je suis de celles qui militent pour ça à l’intérieur de mon parti. J’ai des homologues à QS. D’autres militants de QS sont davantage « partisans » et ont peur des collaborations. Dernièrement, ON a fait une offre de collaboration électorale à QS, qui a été refusée par ce dernier en congrès…

De notre côté, à ON, pour éviter tout danger de faire passer le parti avant la cause, nous avons inscrit dans nos statuts qu’ « Option nationale affichera une ouverture permanente à collaborer, voire fusionner, avec toute autre formation politique dont la démarche est aussi clairement et concrètement souverainiste que la sienne ».

Outre ton engagement artistique, une autre de tes particularité sont tes nombreux voyages, souvent mis en avant quand on parle de toi, et notamment des études dans des pays aussi différents que le Chili ou la Russie. Cette façon de forger ta pensée montre un esprit inclusif, très loin de la vision d’indépendantiste fermée sur elle-même. C’est une image récurrente, régulièrement véhiculée par les fédéralistes, que l’actuel débat sur les « valeurs » n’améliore pas. Comment penses-tu qu’on puisse convaincre les étrangers, migrants, voire non-francophones, du bien fondé de l’indépendance ? Que la « culture de l’identité », dont tu parles souvent, n’a rien à voir avec un repli communautaire ?

Avec des vidéos comme celui-là, que j’ai réalisé et qui a été vu environ 20,000 fois sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=hpimcHrCLrQ

En en parlant dans des assemblées de cuisine (j’en ai fait une avec 90 immigrants issus de divers pays ouest-africains il y a quelques mois).

En faisant grossir le nombre de militants qui ont la même vision moderne de l’indépendance que moi. Ma communauté de pensée est immense, mais elle n’est pas encore majoritairement militante. Le printemps érable et la croissance fulgurante d’ON depuis ses débuts ont tous deux contribué à faire grossir leur nombre dans les réseaux d’activistes. La politisation continue. Ce n’est pas un mouvement qui est en voie de reculer. Cette politisation fait d’ailleurs partie d’une mouvance mondiale qui ne s’arrêtera pas de sitôt, comme c’était le cas dans les années 60-70.

Des rumeurs d’élections générales bruissent, le parti est-il prêt à les affronter? De ton côté, penses-tu de nouveau être candidate ?

Just watch us, comme dirait Trudeau. 😉

[NDA: Le 7 novembre, Catherine a annoncé sa candidature dans Taschereau pour les prochaines élections].

Entretien réalisé par courriel  du 21 au 29 octobre 2013

Pour aller plus loin :
Blog de Catherine Dorion
Son compte twitter
Un bon entretien sur Mlle.ca
Site d’Option Nationale

Crédits photos : Site d'Option Nationale Taschereau et Lapresse.ca.