Rencontre avec Elizabeth May, députée et cheffe du Parti Vert du Canada

Lors de mon voyage au Québec et Canada au mois d’avril, j’ai eu la chance de voir nombre d’événements politiques, et d’interviewer plusieurs élu.es. Étant membre d’Europe Écologie – Les Verts, de son conseil fédéral (une sorte de parlement interne) et dont j’étais à l’époque élu (conseiller municipal de Laval, en France, à préciser car la ville a un homonyme qui est la 3ème plus grande ville du Québec !), j’ai proposé d’aller rencontrer la cheffe du parti frère au Canada.

Elizabeth May, dont le parcours de militante environnementale puis de députée ultra-présente, réussissant à gagner des points alors qu’elle est la seule verte à la Chambre des communes, tout en restant impliquée dans les luttes sociales et environnementales, m’a toujours beaucoup impressionné. C’est avec une grande joie (et un peu de fierté) que je suis allé la rencontrer avec une série de questions construite avec le bureau exécutif et la commission transnationale d’EÉLV. Malheur, il y a eu une erreur d’agenda et j’ai raté une partie du rendez-vous, qui fut plus court que prévu, mais Mme May et son équipe m’ont accordé un peu de leur précieux temps et ont accepté de répondre à nos questions, et en français s’il vous plaît !

Petite anecdote avant les questions à proprement parler, les députés ont souvent un ou deux drapeaux devant leurs bureaux. Le plus fréquent est celui du Canada, parfois on voit celui d’une province (j’ai pu voir celui du Nunavut et du Québec, seul présents dans le cas de députés indépendantistes), ou d’une communauté (franco-ontariens par exemple). Devant le bureau de Mme May, tout un symbole, le drapeau Canadien côtoie celui… de la planète Terre !

Vous avez été élue pour la première fois en 2011, sept ans plus tard, quel est le panorama de l’écologie politique au Canada ?
Depuis que j’ai été élue, nous avons vu une dynamique verte croître à travers le pays. Je pense que les Canadiens ont vu la différence qu’un seul député vert peut faire. Au niveau provincial, il y a deux verts élus à l’Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick, et trois verts élus qui ont la balance du pouvoir en Colombie-Britannique. Le chef du Parti vert de l’Ontario mène les sondages dans sa circonscription, une semaine avant l’élection provinciale [il a bien été élu jeudi, devenant le premier élu vert de l’Ontario].

Le CETA a été adopté, malgré l’opposition des écologistes européens et canadiens, vous reste-t-il des perspectives de lutte au Canada ?
Les Verts de tous les parlements de la planète doivent continuer de travailler ensemble à l’élaboration de nouveaux accords commerciaux internationaux en vertu desquels les grandes compagnies devront assumer davantage de responsabilités avant de pouvoir obtenir de nouveaux droits.

Ensemble, nous pouvons éliminer les accords [renfermant de telles dispositions] dont l’objectif est en fait de donner encore plus de pouvoirs à ceux qui en possèdent déjà beaucoup et plus d’argent à ceux qui sont déjà riches. Nous pouvons mettre en place des accords qui protégeront les personnes marginalisées et désavantagées, et travailler à l’élaboration d’accords commerciaux justes et équitables, qui profiteront à l’ensemble des humains.

Dimanche, vous étiez arrêtée lors d’une manifestation contre un pipeline, un type de combat que vous menez régulièrement. Dans les discours le Canada dit vouloir réduire son recours aux énergies fossiles mais alors pourquoi tout ces projets pétroliers ?
Il sera impossible pour le Canada de réduire nos recours aux énergies fossiles et d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris avec  la construction de l’oléoduc Kinder-Morgan. Le Parti libéral avait promis de cesser de subventionner l’industrie des carburants fossiles durant la campagne de 2015 [depuis, le gouvernement a annoncé qu’il rachetait le pipeline face aux hésitations des compagnie, afin de pouvoir revendre l’équipement pétrolier une fois construit].

Les libéraux ont récemment recommencé à attaquer l’ancien gouvernement Harper en vue de l’élection de 2019, mais quelle est la différence ? Avec le gouvernement de Justin Trudeau, les Canadiens croyaient enfin pouvoir compter sur un leadership environnemental – moi-même inclus. Mais c’était un leurre. Les libéraux financent l’industrie pétrolière et décident de soutenir un secteur dont l’économie mondiale veut progressivement se passer.

Quand vous parlez du problème des pipelines, vous abordez souvent le sujet des autochtones, comment liez-vous écologie et premières nations ?
Le Canada a signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En imposant le pipeline de Trans Mountain, le gouvernement canadien contrevient à l’article 32 de cette déclaration. Le gouvernement du Canada entache l’honneur de la Couronne en ignorant les droits des Premières Nations qui sont enchâssés dans la Constitution canadienne. À titre de signataire de cette déclaration, le Canada a l’obligation de « (…) [consulter] les peuples autochtones concernés et (coopérer) avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources (…). »

Cette obligation n’a pas été respectée par le processus d’approbation provisoire des projets de 2016. Le panel de trois personnes chargé d’examiner les préoccupations publiques relatives au pipeline de Kinder Morgan ne respectait pas plus l’engagement d’une prise de décision basée sur des faits ni les droits des peuples autochtones. Le panel de trois personnes n’a pas recommandé l’approbation du projet de pipeline ni contribué aux données scientifiques se rapportant au projet.

De plus, il est impossible de ne pas lier l’écologie et premières nations – au sujet de leurs cultures, santé, droits, terres ancestrales… c’est toujours connecté.

Enfin, on compare souvent Trudeau et Macron. En France on a encore des difficultés à appréhender le cas Macron, vous avez un peu plus de recul depuis 2015. Comment les Verts Canadiens appréhendent-ils cet adversaire jeune, très communicant, qui fait de grands étalages de foi écologiste ?
Le leadership affiché à la COP21 de Paris et la ratification rapide de l’Accord de Paris garantissait une une note positive à Trudeau. L’engagement à l’égard de la tarification du carbone, malgré une certaine résistance des provinces, nous emmène au descriptif ci-dessus.

Mais il est difficile de bien évaluer un gouvernement qui maintient les mêmes faibles cibles climatiques que le précédent gouvernement conservateur. Cette cible – 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2030 – est irréconciliable avec l’Accord de Paris. L’Accord de Paris a fixé l’objectif de limiter la hausse des températures moyennes mondiales à 1,5 oC tout au plus, ce qui exige une cible bien plus exigeante que celle établie par le gouvernement Harper. De plus, comme l’a judicieusement remarqué Julie Gelfand, commissaire à l’environnement du Bureau du vérificateur général, les Libéraux semblent avoir oublié l’engagement de Copenhague – soit une réduction de 17 % sous les niveaux de 2005 d’ici à 2020. Les plans ont tous été conçus pour atteindre la faible cible du gouvernement Harper en 2030, et même cette cible semble hors d’atteinte.

Le programme libéral avait promis de mettre fin aux subventions accordées pour les combustibles fossiles, mais les budgets de 2016 et de 2017 n’ont annoncé aucune mesure du genre. Les Libéraux avaient également promis le rétablissement d’une approche scientifique, mais la science du climat est aussi négligée qu’elle l’a été durant l’ère Harper. Le manque du soutien du gouvernement a provoqué la disparition du réseau pancanadien de la science du climat, le Forum canadien du climat.

Devant l’approbation de projets de gaz naturel liquéfié qui font monter les GES, et la choquante achat de Kinder Morgan, au mépris de ses promesses électorales, il est difficile d’admettre que les Libéraux croient vraiment que « l’environnement et l’économie vont de pair », comme ils se plaisent à le dire. Cette affirmation est pourtant vraie, mais seulement lorsque les décisions ne s’annulent pas les unes les autres.

[juiz_sps]

Une réponse sur “Rencontre avec Elizabeth May, députée et cheffe du Parti Vert du Canada”

  1. Merci de cet échange, révélateur du fait que les écologistes re,contrent partout les mêmes problèmes, quelle que soit la qualité de leurs engagements…L’humanité vogue comme un gros tanker : pas facile de v$changer de cap, s’arrêter, se retourner vers des horizons meilleurs…

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