Contre l’original, avec Marion Fayolle

Aller-retour dans la bande dessinée avec Téhem, Appollo et Potémont

Téhem et Appollo, Vingt décembre, page 70.
id., page 24
Martial Potémont, La Lanterne Magique n° 7, 1848.

Les Géants contre les hommes monstres n°1 (27 février 1994)

Une fausse-planche, des affirmations un peu rapide, du Crumb adapté en québécois

L’objet du délit.
Extrait des Comix de mainmise vol. 2 (version suisse, 1973.
Les deux versions Suisses des versions Québécoises, 1973.

La BD québécoise au FIBD 2023 : Rencontre avec Éloïse Marseille, par Natacha Czornyj-Béhal

Couverture du premier album d’Éloïse Marseille (Pow pow, 2023)
Idem, page 24

Des dessins peu compréhensibles pour le boulot

Dans le cadre de ma formation d’élève conservateur territorial des bibliothèques à l’Institut national des études territoriales, nous avons un cours obligatoire de « Valeurs de la République » et devons produire un document sur une valeur parmi toute une liste. Nous avons ainsi décidé de nous pencher sur l’exemplarité et de produire une « charte de l’anti-exemplarité » qui ne quittera sans doute jamais quelques tréfonds de la formation interne des grands écoles (c’est un tronc commun inter-école). Alors pour la mémoire qui n’en mérite pas tant, mes trois dessins illustrant trois de ces exemples de « non exemplarité ».

« Toujours arriver en retard »
« Ne surtout pas donner une info claire »
« Juger les lectures des usagers » (histoire d’avoir un point un peu métier)

Delisle en fiction, mais bien présent, au détour du Donjon…

Guy Delisle a toujours publié de la fiction : ses premières planches publiées au Québec en étaient, comme celles publiées en France à partir de 1995 (d’abord dans le fanzine réunionnais Le Cri du Margouillat, quelques mois après dans Lapin, revue de l’Association), et ses premiers albums : Réflexions (1996), Aline et les autres (1999), etc. La prépublication de Shenzen commence dans le Lapin n° 20 en juillet 1998, le recueil paraissant en 2000 et lançant la carrière d’autobiographe de Delisle. Pyongyang, journal de Corée du Nord (2003), est un des grands succès de l’Association, et quand Delisle passe chez Delcourt avec Chroniques Birmanes (2007) puis Chroniques de Jérusalem (2011), il obtient carrément le Fauve d’or d’Angoulême. Chez le même éditeur paraissent les quatre volumes du Guide du mauvais père (2013-2018), qui se veulent plus un ensemble de gags sur la parentalité, puis dernièrement Chroniques de jeunesse (2021), récit d’un job d »été dans une iconique usine à papier de Québec durant trois ans. Il s’y représente toujours sous ce visage simple et reconnaissable :

Extrait du Guide du Mauvais Père T1, Delcourt, 2013.

L’œuvre autobiographique marque la réception du travail de Delisle. Il n’a pourtant jamais abandonné les albums n’appartenant pas à ce champ : Inspecteur Moroni (Dargaud, 3 tomes, 2001-2004), Comment ne rien faire (La Pastèque, 2002, où l’on retrouve toutefois un alter ego pouvant évoque l’autofiction), Louis (Delcourt, 2 tomes, 2005-2008), adaptation de Jean Echenoz avec Ici ou ailleurs (L’Association, 2019), etc. L’annonce de sa participation au projet Donjon, série de fantasy tentaculaire scénarisée par Joann Sfar et Lewis Trondheim, a cependant surpris, pas tant pour l’aspect fictionnel que pour le récit de genre et l’aspect animalier. Pour le reste, Delisle est complètement issu du même monde éditorial que Sfar et Trondheim, par ailleurs son éditeur chez Delcourt, donc la collaboration n’est pas étonnante. J’ai lu cet album avec un réel plaisir. Globalement j’aime bien Donjon, mais dans la masse il y a quand même de l’anecdotique, ici j’ai trouvé le scénario vraiment intéressant, avec un attachant personnage d’apprenti juriste devenue porte-parole des morts de la Nécropole des pauvres, menacée de destruction par les bourgeois…

Si je voulais développer mon avis sur l’album, je pourrais toutefois le faire sous la forme d’une classique chronique pour un des divers sites auquel je contribue. Ce qui m’a intrigué dans cet album et que je voulais développer ici est ce court passage, à l’intersection des pages 23-24 (pour les folios de l’album, sur la numérotation stricte des planches il s’agit des 21-22).

Le récit sera globalement incompréhensible à qui n’a pas lu l’album, mais on ne peut que reconnaître les traits de l’auteur, légèrement transformés par l’aspect animalier, dans le malheureux signataire. Le moins que l’on puisse dire est qu’il se dessine en fâcheuse posture ! Un amusant clin d’œil, au gré d’un personnage secondaire, permettant de faire du lien inter-œuvres pour les aficionados.

Si la boutade est sans nul doute l’argument principal, on ne peut que noter un deuxième étage à cette scène. Le personnage, sans nom, est ici tué par Guillaume de la Cour. Ce poulet fort peu sympathique est, lui, un personnage récurrent du multivers de Donjon (période Zénith). Ce juriste joyeusement escroc, expert en contrats aux micro-détails douteux et porteur de l’épée du destin, est particulièrement remarquable pour son manque d’éthique, son antipathie évidente et… son patronyme évoquant de manière à peine masquée l’éditeur de la série, Guy Delcourt.

Bien sûr, le personnage existant depuis des années sans encombre, il s’agit plus d’un clin d’œil boutade de Sfar et Trondheim au cursus de leur éditeur, venu d’école de commerce (même s’il a débuté dans les fanzines) et apportant une vision très marketée à l’édition franco-belge. Le croiser ici ne déroge pas à la règle habituelle. Il reste que le fait que Delisle ait choisi de donner ses traits à ce personnage décapité par la représentation, même connivente, de son éditeur, ne peut que faire fantasmer sur l’état de leurs relations…

PS : En écrivant cet article, je découvre qu’il existe un auteur de bande dessinée, entré en activité bien après la création du personnage, qui porte le même nom (écrit légèrement différemment). Cela étant, au regard de ses planches, je doute qu’il ne dessine un jour un Donjon consacré au vil poulet, ce qui aurait été amusant.

Merci à Séverine Marque qui m’a scanné les pages de l’album, que je n’avais plus sous la main !

Natacha dans ses albums : quand le paratexte éditorial d’une BD jeunesse franco-belge migre vers son public

Natacha est une série importante de la deuxième génération d’après-guerre de Spirou. Alors que Franquin et Peyo s’affirment comme les incontestables têtes de gondoles du magazine (Will a moins d’hérédité et Morris migre chez Dargaud en 1968), les rédacteurs en chef tentent de renouveler les personnages, tout en créant régulièrement des épigones graphiques de deux stars suscités. Gos et Walthéry sont de ceux-là, les deux viennent d’ailleurs du Studio Peyo – c’est sensible chez Gos dont les Galaxiens sont clairement des sortes de Schtroumpfs verts (mais pas verts Schtroumpfs !), moins chez Walthéry qui développe un dessin plus réaliste. Il faut dire que celui qui est un des plus jeunes assistants des studios Peyo, il y entre à 17 ans, travaille principalement sur Benoît Brisefer et Jacky et Célestin. Ces deux séries de Peyo, plus mineures que les Schtroumpfs, sont par ailleurs toutes les deux contemporaines et régulièrement urbaines, loin du moyen-âge fantastique des lutins bleus. Si les humains restent proches au début du style développé par Peyo, Walthéry s’en détache largement au fil du temps.

Après avoir réalisé ensemble Tonton Placide, épisode de Benoît Brisefer que je chéris pour l’avoir lu et relu enfin dans une version poche dénaturant complètement la mise en page, Walthéry et Gos créent donc Natacha, un personnage féminin d’hôtesse de l’air sexy et prompte à se jeter dans la bagarre et l’aventure – une révolution dans Spirou où les femmes se devaient d’être mères au foyer si elles étaient belles. Si des critiques saluent Natacha pour son aspect féministe, et qu’elle a sans doute eu un rôle dans l’identification des jeunes filles (même si empiriquement on m’a plus cité Yoko Tsuno, de Leloup), cela reste une bande dessinée où les blagues grasses sont régulières et Natacha semble bien souvent être d’abord apprécié des lecteurs pour son corps. En témoignent les nombreuses dédicaces de Natacha dénudée qu’on retrouve en ligne : le site bédédicaces consacre même une section de sa page sur l’auteur à « Natacha la coquine ».

Exemple typique d’une dédicace Natacha trouvée sur le site ci-dessous

Natacha reste une série intéressante, notamment par la manière dont Walthéry s’est ouvert à de très nombreux scénaristes, après Gos il a ainsi vu son héroïne vivre des aventures sous la plume de grands noms comme Maurice Tillieux, Marc Wasterlain, Raoul Cauvin ou même Peyo, dont l’album La Mer de rochers sort en 2004, douze ans après sa mort. Walthéry est en effet connu pour ses retards homériques et accumuler de nombreux scénarios dans ses tiroirs. À ce titre je trouve intéressant qu’à côté de ces grands noms de la francobelgie, ainsi que d’autres auteurs moins réputés mais bien présents dans Spirou comme Mittéï, certains albums soient signés par des inconnus du neuvième art : son camarade de service militaire Étienne Borgers, auteur de nouvelles de SF à ses heures perdues, ou Guy d’Artet, un médecin et lecteur fan qui lui propose un jour un scénario, adapté en album des années plus tard. J’aime beaucoup ce côté très ouvert et foutraque de la série, dont le ton change tout en restant cohérent au fil des scénaristes et albums (qui vont du très chouette aux parfaitement dispensables).

Ce qui m’intéresse ici est toutefois cette question du public, le même qui veut des Natacha dénudées en dédicace. Ce public qui, comme Guy d’Artet dans ce qui est une des rares biographies à circuler (sans doute extraite du dossier de presse de l’éditeur lors de la sortie de l’album) est « secrètement épris » de l’hôtesse. Je connaissais bien cet aspect de l’intérêt du lectorat pour Natacha, il reste que c’est une série jeunesse, paraissant encore dans Spirou quand j’étais enfant et même bien plus tard (L’Épervier bleu y a été prépublié en 2014), avec quelques pauses liées à des questions d’éditeurs que je n’ai pas creusés – à partir de 1989 la série passe de Dupuis à Marsu production et ne revient dans Spirou qu’en 1996. De fait, rien dans la série ne choque spécialement en termes de violence ou de sexe, mais est-elle vraiment lue par des enfants ? On peut en douter, et c’est ce qu’a semblé affirmer l’édition de 1998 du premier tome sur laquelle je suis tombé dernièrement.

L’album en question

De prime abord, rien ne semble particulièrement notable, la couverture est quasiment identique aux 9 éditions précédentes : bédéthèque nous apprend que l’écusson est apparu en 1988 à la 8e édition de l’album, je distingue la date réelle au fait que la quatrième de couverture annonce la sortie prochaine du 18e volume. Cette information, évidente pour identifier une période de parution, n’est cependant pas la première que j’ai observée et qui m’a crié « ceci est une édition relativement récente ! ». Plus encore, ce sont les pages de garde qui m’ont étonné et surpris :

Gardes de l’édition de 1998

J’ignore si ces gardes apparaissent avec cette édition ou avant, elles viennent en tous cas après le changement d’éditeur de la série pour les nouveaux tomes, mais dans le cas présent après le retour dans Spirou, et donc dans l’affirmation d’une cible relativement jeune – ce même si le lectorat de Spirou lui-même est connu pour mixer des enfants et des nostalgiques, ce qui porte toute la complexité d’une revue historique pensée pour la jeunesse mais devant continuer de plaire à un lectorat adulte voulant lire sa revue d’antan. Quoiqu’il en soit, il semble que pour les albums l’éditeur ait tranché : le public enfant n’est plus celui qui est visé. Par ces gardes il semble dire que oui, la majorité des lecteurs sont des hommes, sans doute cinquantenaires qui, eux aussi, étaient « secrètement épris » de l’hôtesse. L’éditeur le sait, mais ne peut l’affirmer plus loin, c’est pourtant bien ces lecteurs sa cible, et ces gardes sont comme un curieux aveu, d’un secret de polichinelle sur la réalité des enfants intéressés par cette vieille série franco-belge. Un bel exemple de paratexte éditorial qui clarifie sans un mot les intentions.

EDIT (jour même) : Ainsi que me l’a signalé Laurent Boutin sur Facebook, les évolutions de la couverture vont aussi en ce sens : les lèvres deviennent plus pulpeuse, le décolleté plonge, pas vraiment subtil et, en même temps, je n’y avais pas fait attention.

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On notera qu’il existe un certain nombre d’albums jouant des charmes de Natacha, mais publiés par des petits éditeurs (voir ici, ici ou ici), mais jamais l’éditeur officiel n’a franchi ce Rubicon.

Autre curiosité étonnamment signifiante trouvée lors des recherches pour ce petit article, il existe une édition de ce tome 1 dite « au téton », un téton étant apparu sur le chemisier. J’ai du mal à comprendre ce qui était une réimpression a pu donner lieu à cela, la maquette était identique, les fichiers avaient ils été perdus ? Le téton a-t-il été rajouté par un imprimeur ou « non effacé » ? Mystère, je n’ai pas creusé, mais on trouve ici où là de cette édition vendue sur des sites parlant « d’édition dite au téton ». Je ne sais quoi conclure de tout ça mais ça me semble assez conforme à ce que j’évoquais – même si ici cela ressemble plus à une erreur de l’éditeur.

Enfin, si vous voulez connaître un peu Walthéry (qui est quand même un témoin très intéressant de cette francobelgie, au-delà de cette manie de dessiner son héroïne nue), un numéro de La Crypte tonique lui est consacré, avec un entretien dessiné par l’ami Jean Bourguignon, c’est assez chouette je trouve.

La Crypte tonique n°6, novembre 2012 (couv de Franquin)

Voyage au bout d’une éponge traduite

Dans ma bibliothèque d’enfant était un merveilleux livre d’Hanx Traxler, Voyage au bout de l’éponge. Cet auteur est assez culte dans la littérature jeunesse, et il me semble que ce livre particulièrement, même s’il a longtemps été épuisé. L’édition Folio Benjamin, publiée en 1980, n’était plus rééditée depuis au moins dix ans quand Le Chineur, petit éditeur au catalogue pluriel et atypique, a décidé de le rééditer en 2015, avec une nouvelle traduction, réalisée par Jessica Blandin et Abel Ségrétin, qui est aussi l’éditeur .

Né en 1929, Traxler est grand auteur pour la jeunesse et dessinateur satirique, on lui doit notamment la fondation de deux importants journaux de caricature allemands : Pardon (1962-1982) et Titanic, créé en 1979 et qui paraît encore. En Français, son œuvre est relativement peu disponible. Deux ans après le Voyage, Folio Benjamin a aussi publié Cinq chiens gagnent un million, un livre au titre attrayant dont j’ignorais l’existence avant de me lancer dans ce petit texte. Surtout, l’éditeur suisse francophone La Joie de lire (qui publie notamment le merveilleux Øyvind Torseter), ont lancé depuis 2009 une série de publications d’albums jeunesse. Là aussi je l’ignorai, là aussi les titres sont réjouissants et l’ensemble a l’air très beau, il ne fait guère de doute que j’irai y voir bientôt. L’ensemble est présenté ici, mais pour le plaisir en voici la liste des titres : Le Garçon qui voulait être une marmotte (2009), Le Chat qui n’arrêtait pas de grandir (2016), Sophie et le cor des Alpes (2017), Viens, Émile, on rentre à la maison ! (2018) et L’Éléphant qui voulait rester petit (2019). Ajoutons-y Sombre nuit, écrit par Nelly Singeret et publié dès 1997, mais manifestement épuisé.

L’autre Traxler traduit en français, en 1982, avant une absence comme auteur complet pendant presque 30 ans !

Voyage au bout de l’éponge fait penser à une comptine, et se déroule de page en page, en sautant de sonorités en actions inattendues. Le résumer n’a pas un grand intérêt, mais pour faire court : un homme trouve une éponge, elle se vide d’eau et inonde le monde, il fuit donc, navigue, s’envole, etc. Le récit est pourtant assez construit, et je me souviens qu’enfant il me semblait tout à fait logique, alors que l’on passe bien d’étranges choses en étranges choses. Le dessin, assez simple et aux douces hachures, entraine dans un imaginaire bondissant avec beaucoup de délicatesse. Pour ajouter à l’émotion, le relisant des années plus tard, j’apprends dans la biographie de l’auteur qu’il a réalisé ce livre dans un château écossais où il s’était retiré pour mourir, après un diagnostic implacable lui laissant quelque mois à vivre. Cela explique sans doute la puissante légèreté du tout, livre-testament qui ne se veut pas leçon de vie mais secoue des choses sans trop le donner à voir. Cette solennité habite l’ouvrage, mais amuse aussi puisqu’à désormais 93 ans, Traxler est toujours vivant.

Au-delà de cette déclaration d’amour sincère à un ouvrage qui, je le constate dès que je l’évoque, a beaucoup marqué ses lecteurs, je m’arrête ici sur une curiosité de l’ouvrage. Lisant la réédition du Chineur j’arrive donc à une suite de pages où notre bonhomme cravaté entre dans une maison par une lucarne et tombe sur une énorme souris et la tue – je me souviens d’ailleurs avoir, petit, été à la fois effrayé par cette énorme bête et attristé de cette mort violente alors qu’elle ne semblait pas dangereuse. Mais en lisant les pages, mon sourcil monte. Les voici :

Cette histoire de papier me perturbe, ça ne me dit rien, même si cela fait sens avec la page qui suit la séquence, où l’homme crée un bateau en papier journal pour prendre la mer. Le reste du livre, toujours délicieux, est conforme à mes souvenirs même si la traduction diffère forcément par endroits. C’est la joie des traductions. Mais tout de même, je m’interroge et consulte donc la version Gallimard de 1980, traduite par Patrick Jusserand :

Merci à Guillaume Bla qui a confirmé mon souvenir, et à Manu @UniMerci pour les scans de l’éditions Folio !

Et bien c’est en effet très différent. Je ne suis pas forcément surpris, à trente ans d’intervalle il y a forcément des différences dans les traductions, on ne parle plus pareil, des subtilités parfois oubliées (notamment dans la littérature jeunesse), ou aseptisées, peuvent être réhabilitées. Ici le sens change quand même fortement et, pour le coup, la nouvelle version est moins brutale. Non seulement un lien logique se créée entre les séquences, le bateau est donc fait avec le corps de cette souris, mais en plus elle n’a pas été tué brutalement puisqu’elle est de papier, ni gratuitement puisque cette mort qui n’en est pas une a une utilité. Par contre, trouver « une souris de papier » géante dans un grenier, je trouve ça bizarre (chose que l’on peut questionner dans n livre où tout est relativement absurde).

Puisque je ne parle pas allemand et n’ai croisé personne avec la VO en capacité de m’éclairer, et que j’avais les coordonnés de l’éditeur à qui j’avais pu dire ma joie de cette réédition, je lui ai donc directement demandé. Chose amusante, il en a été lui-même surpris, et est retourné à la source, où il n’a trouvé aucune souris de papier. Il se souvient, dans le binôme de traduction, avoir fait ce choix et imagine avoir trouvé cela plus fluide. En se laissant porter parfois on dépasse sa pensée sans doute, il l’a reconnu sans mal mais en était surpris lui-même, ce qui est assez beau sur la capacité à une création de dépasser ceux qui la font. Ici, cela donne une éponge un rien sur-traduite, que l’on se réjouit tout de même de pouvoir à nouveau presser indéfiniment.

Voyage au bout de l’éponge, de Hans Traxler
Es war einmal ein Mann
Traduit par Jessica Blandin et Abel Ségrétin
Éditions Le Chineur, 2015, 13.50 €
9782954986722

PS : si quelqu’un a les pages en question en allemand, pour moi ça ne sera pas plus clair, mais ça pourra faire une intéressante conclusion.

Exposition Daniel Hochard, ex-Imagex

J’ai déjà parlé longuement d’Imagex ici, en attendant l’anthologie à venir chez The Hoochie Coochie. Il s’avère qu’en parallèle l’auteur va avoir cet été sa première exposition de peinture, au sein de la galerie Vue sur cours de Narbonne, d’avril à juin 2023, et m’a demandé un petit texte de salle. Je croyais au début qu’il s’agissait d’une expo Imagex, et ait donc fait tout un texte sur les différentes vies derrière ce pseudonyme sauf que… cette exposition n’est pas sous ce pseudo, mais sous son nom réel, Daniel Hochard. Ex-Imagex dit mon titre, pas vraiment évidemment, puisqu’il était déjà Hochard (voir Chardot quand il signait des scénarios). Voici donc ci dessous le petit texte et salle et, ensuite, le premier texte, erroné dans son parti pris, mais qui a le mérite de brasser le biographie de l’auteur. Les illustrations sont toutes des photographies de peintures qui seront exposées.

Texte final, bref et tourné sur la peinture :

Daniel Hochard a eu plusieurs vies. Dessinateur de bande dessinée, concepteur de jeux vidéo, graphistes, créateur de lettres… à chacun de ces moments il s’adapte au support et a gardé un même pseudonyme, Imagex. Aujourd’hui il l’abandonne pour se présenter sur les murs, et jete sur les toiles toute cette expérience. Les peintures de Daniel Hochard sont d’un étrange abstrait : on y distingue des fumées, des crevasses, une figuration masquée évoquant des paysages qui n’existent pas, traversés par d’étranges formes surexpressives.

À l’heure où l’intelligence artificielle créée des dessins plus réalistes que le réel, il nous projette dans un monde fantasmatique et résolument d’ailleurs. Sur certains tableaux, on croirait un nouvel enfer, aux formes indicibles, mais à la matière palpable. Matière et mouvement, de l’impressionnante explosion au flottement doux, habitent les créations de l’auteur dévoilé.

Beaucoup de dessinateurs passés à la toile ont simplement tenté de reproduire leurs dessins avec une autre technique, le résultat est rarement heureux. Ici, le peintre tente tout autre chose, et profite de ces formats et outils nouveaux. Si l’on peut le reconnaître dans certaines torsions et dans l’effet de frappe qui se dégage de l’ensemble, il est clair qu’il veut tout sauf se répéter et cherche, encore et encore, à découvrir de nouveaux espaces, en attendant la prochaine exploration.

Le texte obsolète, titré « D’un Imagex l’autre… »

Imagex, c’est le nom culte d’un auteur météore de la bande dessinée. Avec une activité centrée sur la première moitié des années 1980, il frappe la mémoire de ses lecteurs. Durant des décennies, il hante les esprits de gens aussi divers que Mattt Konture, les frères Guedin ou Olivier Josso, ignorant tout de son influence.

C’est qu’en 1986, après une centaine de pages déposée dans la crème des fanzines et magazines (Le Krapö Baveux, Nerf, Viper, (À suivre), Pilote, Métal hurlant – pages achetées mais jamais parues) et deux albums reprenant en large partie des pages issues de la presse, Imagex a disparu. Il laissait derrière lui des pages marquantes, aux allures de brûlot social, se faisant porte-voix de l’enfance maltraitée. Lui qui avait travaillé dans des centres aérés montrait une réalité crue, qui pouvait se laisser aller à l’humour, mais restait sévère. Le dessin, nimbé d’underground et de pulp (il consacre même quelques illustrations parodiques au roman de gare), porte haut cette vision noire, mais pas totalement exempte d’espoir. Ses dernières planches laissent d’ailleurs augurer un étonnant virage fantastique, et laissent envisager une carrière qui ne viendra pas.

Face à une relative indifférence du milieu et à un besoin de manger, Imagex s’est en effet tourné vers le jeu vidéo, où il signera quelques jeux de son pseudo. Changement de carrière, mais pas une disparition si réelle donc ! Un de ceux-là, le plus personnel, mettra en vedette un bébé rageur dans un jeu de plateforme survitaminé – l’enfance, encore.

Après le vidéoludique, voici le graphisme textile – la signature disparaît, mais il est toujours là, reconnaissables sur des dessins de t-shirt et autres sweat –, puis la création de typographies informatisées sur un site spécialisé. Ici encore, les créations sont signées Imagex, un nom semblant venu d’outre-tombe. Pourtant, Imagex est bien là, et va même plutôt bien, habitué à sauter d’un support à l’autre, sans jamais abandonner son nom, il réalise des typos à la vitesse de l’éclair. Début 2010, le voici qui réapparaît dans le fanzine de BD Gorgonzola, qui publie des pages inédites réalisées trente ans plus tôt puis, soudain, des dessins inédits.

Car au-delà des lettres, il n’a jamais arrêté de dessiner. Forcément, en plusieurs décennies, le trait a évolué. On y retrouve le dynamisme anguleux, une certaine force vivace, mais des doodles griffonnés aux tableaux grands formats, c’est désormais une abstraction explosive qui sort de ses mains. Motifs répétés, pointes acérées, couleurs vives, les images ne sont pas dénuées de narrations même si leur sens profond échappe – c’est à vrai dire la sensation qu’avait pu faire certaines de ses bandes dessinées dans les 80’s.

Il y a donc quelque chose d’assez magique à voir soudainement cette première exposition des toiles d’Imagex en 2023, alors qu’est annoncée en parallèle la première réédition – avec restaurations fines, inédits et appareil critique – de ses travaux de bande dessinée chez The Hoochie Coochie. Depuis sa naissance, le pseudonyme Imagex a traversé les pratiques : BD, jeu, graphisme textile, création de polices de caractère, peinture… à chaque fois, il épouse la nouvelle forme, mais garde son nom, touchant de nouveaux publics. Et voici qu’à 40 ans intervalle, la forme originelle ré-émerge quand la dernière s’affiche pour la première fois, une boucle heureuse qui, rassurons-nous, n’empêchera pas une nouvelle forme d’Imagex, encore à imaginer.