La fin décembre 2024-début janvier 2025 a été particulièrement riche en articles, ce qui a pu donner un effet de publication assez sidérant. En réalité certains de ces articles étaient en travail depuis 4 ans, en attente de publication, d’autres plus raisonnablement depuis 2 ans, mais tout a été publié en même temps par le hasard des calendriers des revues !
Photo volée à Jean-Paul Jennequin, car on ne trouve vraiment pas beaucoup de visuels en ligne et j’ai la flemme de scanner le miens.
Inverses, revue des Littératures, arts et homosexualités a consacré en octobre un numéro au roman graphique (on sait comme j’aime moyennement ce terme, mais le sujet n’est pas là ^^). J’y ai comparé la manière dont les œuvres de Julie Delporte et Mirion Malle dévoilent petit à petit un réveil queer. La revue n’existe qu’en papier, le site n’est même pas à jour, mais j’ai eu l’autorisation de la verser sur HAL après quatre mois d’embargo, vous pouvez donc lire l’article « Delporte et Malle, deux regards queers en évolution » en cliquant sur la couv ci-dessus (et ce sera pareil pour tous les articles) !
Je saute en janvier malgré des parutions en décembre car j’ai eu le plaisir de diriger un numéro d’@nalyses, revue de littératures franco-canadiennes et québécoise sur le thème « Vingt-cinq ans de bande dessinée québécoise au XXIe siècle ». Vous pouvez lire mon introduction en cliquant sur la fort belle couv de Xavier Cadieux, il y a des manques dans ce dossier, mais je suis content d’avoir eu des contributions venant d’approches différentes, et qui ne se limitent pas à Guy Delisle, Julie Doucet (que j’adore pourtant) ou Michel Rabagliati. On a des articles sur des artistes/séries (dont un sur une série de Goldstyn, un auteur important jamais étudié, paru dans la presse jeunesse, et dans une revue de très large diffusion), des monographies de revues ou d’éditeurs, une étude du strip québécois contemporain… Mais si je voulais en parler tout de suite c’est que j’y signe un article qui propose aussi une analyse comparative des travaux de Mirion Malle et Julie Delporte, mais cette fois sous l’angle du rapport à la québécité dans les œuvres, comme la couv amène sur mon intro, vous pouvez le lire ici : « Deux autrices franco-québécoises : itinéraires croisés de Julie Delporte et de Mirion Malle ». J’incite vraiment à lire les deux papiers en regard, c’est intéressant d’avoir deux analyses d’œuvres des mêmes artistes, par le même chercheur, mais sur un sujet différent. Bon bien sûr des bouts se ressemblent, notamment dans l’intro ou les parties biographiques, mais c’est normalement bien distinct. Dans ce dossier, j’ai aussi écrit un bref préambule d’une BD reportage de Sophie Imrem reprenant des conférences de Sylvain Lemay, suivi d’une reprise des BDs par Lemay lui-même, la chose étant assez atypique je devais la présenter.
Gabriel Delmas & Marie Bardiaux-Vaïente, Fille d’Œdipe, 6 pieds sous terre.
Pour la revue ¿ Interrogations ? , je suis très largement sorti de mon champ d’expertise en travaillant certes sur de la bande dessinée, mais en m’engageant sur le champ de la mythocritique. Bien incapable de faire cela seul, j’ai coécrit ce cette lecture comparative des adaptations d’Antigone Marie Enriquez, docteure en littérature comparée spécialiste de l’adaptation en bande dessinée. J’y ai apporté mes études liées aux formats éditoriaux, aux analyses d’encadrement des adaptations (paratexte, choix graphiques…), et nous avons croisé nos regards. Cela donne un article que nous avons mis pas mal de temps à sortir mais dont nous sommes désormais très fiers, qui se lit en cloquant sur l’image en bien basse définition, ce alors que j’avais fourni des HD à l’éditeur, mais l’image et les revues universitaires ce n’est pas encore toujours ça. Vous y voyez une de mes cases favorites de cet album, cette tête d’Antigone quasi fantomatique déclarant « Aucun homme ne peut me sauver »
Une BD d’Yves Chaland en supplément d’Astrapi, août 1983.
Enfin, un article d’abord pensé pour un colloque auquel je n’avais finalement pu participer, qui explore un sujet qui me tient très à cœur, par ailleurs publié dans Belphégor, une revue d’études des littératures populaires et cultures médiatiques où je vise de publier depuis quasiment le début de mon doctorat. J’avais envisagé de faire mon M1 de littérature sur les BDs des magazines Bayard, avant de me consacrer à Pif gadget, des années plus tard j’ai pu donc un peu me pencher sur Astrapi et Okapi, revue de mon enfance, et évoquer Je Bouquine, pour parler de l’intrigant mélange en leur sein de BD très classiques, voire planplans, et de bande dessinée clairement alternative ou innovante. Cela reste un article très exploratoire, qui donne envie d’aller plus loin, pour moi le premier ! Mais pour ça il faudra sans doute que je termine ma thèse avant, car là, c’est un trop gros champ à ouvrir… Vous pouvez lire « Okapi et Astrapi: précurseurs inattendus de la bande dessinée alternative ? » en cliquant sur le mini-album d’Adolphus Claar ci-dessus, et par ailleurs j’ai déposé sur un entrepôt de données un court entretien avec Florence Terray, secrétaire de rédaction d’Okapi, matière première d’une partie de cet article, que je laisse donc à qui voudrait se pencher dessus !
Portrait d’Appollo par Joe Dog.
Ce n’est pas à proprement parler universitaire et je l’évoquais dans un de mes posts récents, mais Du9 a publié en janvier l’intégralité de mon entretien avec Appollo en trois parties : « L’universel depuis quelque part ». Appollo est un des meilleurs scénaristes contemporains, j’ai beaucoup aimé explorer, avec l’aide de Delphine Ya-Chee-Chan, tout son parcours depuis les premiers fanzines lycéens, en passant par son rapport à la BD dite historique, sa vision du métier, son rapport aux fanzines – il en dirige toujours un – et son regard venant de l’Océan indien tout en prétendant parler de sujet très vaste, mais simplement dans le décor qu’il connaît. Je suis très content !
Et ce tour se termine avec une nouvelle recension pour le Bulletin des bibliothèques de France, le très intéressant La Fabrique de la bande dessinée, dirigé par Pascal Robert, qui, s’il est inégal comme nombre de collectif, met vraiment bien en avant toute une nouvelle génération de chercheureuses.
Bandeau : Mirion Malle, extraitde la page 36 d’Adieu triste amour, version québécoise (Pow Pow)
« À l’origine on ne savait absolument pas si on allait le publier, d’ailleurs j’avais prévenu Hergé : on le faisait mais on ignorait ce que ça deviendrait. J’avais dans l’idée la collection “Entretiens” chez Pierre Belfond, où l’on trouvait des écrivains, des philosophes, des musiciens, des metteurs en scène et qui m’avait emballé, j’adore les interviews. Je leur ai tout de suite proposé mais ils m’ont ri au nez en me disant “Monsieur… de la bande dessinée dans cette collection… Vous nous prenez pour qui ?” Je n’ai pas osé le dire à Hergé tout de suite, je lui ai raconté longtemps après ! »
C’est ainsi que Numa Sadoul me racontait en 2010 le début de ses entretiens avec Hergé. J’en avais déjà fait quelques autres à l’époque, mais il est certain que la figure tutélaire de Numa, avec qui mes goûts diffèrent certainement, comme la manière de réaliser des entretiens, a joué. À l’époque je le rencontrai pour une étrange raison puisqu’il avait accepté de jouer dans un court-métrage que j’avais réalisé* ! Une occasion bizarre de créer une rencontre avec quelqu’un qu’on admire pour tout autre chose que sa carrière de comédien et metteur en scène. Et je rejoins vraiment le début de sa pensée : j’aime les entretiens, j’aime écouter quelqu’un raconter sa vie ou sa pensée, et encore plus les lire. Si la partie biographique n’est pas ce qui m’intéresse le plus, elle m’apparaît toujours essentielle (là aussi, comme Numa, même s’il y place sans doute plus d’importance dans l’ensemble que moi), sans tomber dans l’excès de l’œuvre par la biographie à la Sainte-Beuve, on ne peut nier que généralement cela éclaire la suite. C’est très flagrant dans un des derniers entretiens que j’ai réalisés.
Une chose qui m’importe beaucoup, ce sont les temps de formation, les influences, je suis peut-être moins curieux de la technique, de la méthode (le fameux « vous travaillez à la plume ou au pinceau ? », qui n’est pas si idiot que sa caricature)
J’aime lire des entretiens, bien sûr j’en lis beaucoup d’auteurs de bande dessinée, ou autour du monde du livre, c’est mon milieu et ma passion, mais même plus largement j’adore ça, y compris de gens qui m’intéressent moins (seule exception : les politiques en activité, j’adore la politique, mais lorsqu’ils sont en poste ce sont souvent des livres programmes sans intérêt). J’ai pu lire avec passion des entretiens avec des gens dont je n’ai finalement pas lu les ouvrages, certains m’ont donné envie de lire des livres, parfois pour une découverte, parfois qui me sont tombés des mains.
Exemple type d’un livre d’entretien que j’ai dévoré tout en n’ayant pas de passion particulière pour le sujet : Du polar, entretiens de François Guérif avec Philippe Blanchet (Payot ). Éditeur de romans noirs, polars et autres thrillers depuis des décennies, Guérif revient sur son parcours comme sur son goût du genre avec une érudition délectable, et en même temps très accessible. Je me souviens l’avoir lu en notant des tonnes de références, des livres qui avaient l’air super, souvent dans ses collections, et dont je n’ai finalement lu quasiment aucune référence.
Plus attendu, comme j’ai lu beaucoup de livres de La Fabrique, j’ai vraiment aimé me promener dans Pour aboutir à un livre, entretiens avec feu Éric Hazan. Les interviewers ne sont pas sur la couv (je suis contre, évidemment) mais il y a une raison, c’est un « faux entretien », composé de questions que La Fabrique recevait souvent d’étudiants, de stagiaires, de la presse… compilées par l’équipe et mises en forme, avec toutefois l’aide d’un stagiaire nommé en avant-propos, Ernest Moret.
En ce moment paraît sur Du9 un long entretien avec Appollo, scénariste réunionnais dont j’aime énormément le travail (La Grippe coloniale, Commandocolonial, ÎleBourbon1730, LaDésolation…) et le discours. Avec Delphine Ya-Chee-Chan nous l’interrogeons sur la bande dessinée historique, les collaborations, mais aussi l’édition de fanzine. Deux volets sont déjà parus, le troisième devrait arriver en regardant le même lien la semaine prochaine. Dans cet entretien typiquement le premier volet revient en détail sur la biographie de l’auteur, qui dessine une géographie intime éclairant l’œuvre, mais on aborde aussi avec l’enfance les premiers émois BD, les découvertes lycéennes, la rencontre très tôt de futurs collaborateurs (via un T-shirt de Druillet). Dans le deuxième volet je me suis amusé à reproduire des extraits de ses conversations sur usenet, proto mailing list de la BD francophone d’où naîtront nombre d’espaces du fandom, où il est alors très actif et où toute une génération s’est mise en lien. Dans le prochain nous parlerons beaucoup du fanzine Le Cri du Margouillat, de l’espace de la BD à La Réunion, tout en évoquant tout du long sa manière de travailler, ses albums, ses collaborations.
J’aime beaucoup ces entretiens « carrière » qui permettent de travailler le temps long, et d’embrasser plein de sujets, j’ai la prétention aussi d’en aborder qui ne le sont pas toujours dans les entretiens des auteurs (qui, en période de promotion, peuvent se répéter sans cesse). Le temps long nécessite aussi du temps, de préparation, de retranscription (si quelqu’un connaît un machin qui le fait facilement…). Mais je suis vraiment heureux de relire ces entretiens finis, de les partager, même si les retours ne sont pas toujours énormes. J’en ai eu des flatteurs, l’entretien avec Siris m’a permis de créer une belle amitié et le camarade avait été surpris qu’un petit français lui parle de ses fanzines des 80’s, Gilles Rochier avant son prix au FIBD, qui me disait mettre son entretien dans ses CV… Un des plus flatteurs était un peu insultant, d’un ami qui pense et écrit beaucoup sur la bande dessinée et me disait que je n’étais vraiment pas un théoricien, trop imprécis et brouillon pour être un vrai historien, mais que j’étais à ses yeux le meilleur interviewer pour la bande dessinée francophone. Alors certes c’est un peu vexant, mais j’ai aussi été flatté, je mets beaucoup de cœur à ces entretiens à vrai dire alors…
Mine de rien, avec le temps ça fait un petit monde d’entretenu. Bien sûr avec le temps, les auteurices (et c’est tant mieux) restant en vie et continuant à produire, il y en a qui sont en partie dépassés. Je m’amuse toujours de mon premier entretien avec Fabcaro indiquant en chapeau qu’il a un « public restreint mais fidèle ». J’ai eu l’occasion de refaire trois entretiens avec lui depuis, mais sans penser à en profiter pour faire une sorte de mise à jour régulière. Là aussi, Numa me disait qu’il rappelait chaque années ceux avec qui il avait réalisé des livres d’entretiens, pour les compléter, ce qui a permis des éditions définitives le jour où les auteurs ont quitté ce monde (parfois très longtemps après, comme les entretiens avec Franquin qui ont mis quelques décennies à reparaître). J’aimerais bien faire ça, le jour où je publierai un livre d’entretiens. On a un projet sur un très long entretien réalisé, le mettre à jour, l’éditer, mais ce sera après un autre grand moment.
Dans les grands noms de l’entretien, il y a aussi les Pissavy-Yvernault, spécialisés dans les auteurs Dupuis. Ils ont notamment réalisé des entretiens avec Willy Lambil, dessinateur des Tuniques bleues, une série qui a bercé mon enfance et que j’affectionne toujours, auteur réputé particulièrement peu loquace. Ces entretiens sont à cette image : il rembarre les intervieweurs, dévie, se contredit allègrement**, tout en donnant des anecdotes de-ci de-là où, sous une amertume certaine, apparais aussi beaucoup de choses du monde de l’édition de l’époque – refusant le mythe de la « grande famille » -, d’une certaine vision du métier et du labeur, une sorte de conscience sociale, et des choses très drôles. J’ai adoré ces entretiens, et j’aurai adoré faire un livre pareil (j’en avais parlé sur Bodoï).
Je pense à tout cela car je viens donc de publier cet entretien avec Appollo et que dans quelques jours je serai à la maternité pour la naissance de mes enfants. Dans ma valise j’ai pris quelques livres, pas beaucoup, je ne manquerai pas d’occupation, mais justement les entretiens ça se lit bien. J’ouvrais avec Numa. Christelle Pissavy-Yvernault vient de sortie un ouvrage d’entretiens avec l’intervieweur, Franquin et moi (reprise du titre Tintin et moi, de Numa Sadoul), centrés sur la relation à l’auteur de Gaston Lagaffe mais semblant aussi parler de tout son regard sur la bande dessinée depuis 60 ans, des rencontres, de ses différents entretiens. C’est donc ce livre qui est dans ma valise, liant sans doute plus fortement que je ne l’aurai jamais imaginé ma vie, Numa Sadoul et le goût des entretiens.
* Si ce court métrage ultra-marqué Tarantino est trop lent et n’a sans doute pas un fol intérêt, je suis tout de même assez content de son scénario. Le casting est improbable entre Numa Sadoul, le jeune étudiant en BTS édition que j’étais, un copain qui est devenu un comédien professionnel, un chanteur voix française de Travolta… ** Je ne vois pas de problème à ce que les entretiens montrent des contradictions, voire des informations erronées, le travail de l’interviewer est d’essayer de vérifier les chronologies (et éventuellement de le dire à l’interrogé pour qu’il corrige, bien souvent c’est de bonne foi, la mémoire n’est pas une chose fiable). Par ailleurs je n’attends pas des interviewés une vérité, mais une vision à un moment T, un auteur de BD brillant peut avoir un discours ou des goûts qui ne sont pas les miens, ou qui sont même décevants, ça ne rend pas l’entretien nécessairement inintéressant. Sur un très long entretien, la contradiction peut être tout à fait signifiante.
(cet article propose une liste de gens complètement arbitraire et personnelle, mais tenter d’objectiver vaguement ce choix arbitraire et personnel, liste en fin d’article, après le contexte)
En tant qu’auteur de quelques albums à compte d’éditeurs, j’ai un privilège : le droit de voter chaque année pour le Grand prix de la ville d’Angoulême. Cela a longtemps été frustrant vu les résultats, mais ça a aussi été pour moi la rare occasion de « gagner mes élections », ce qui n’arrive pas souvent par ailleurs. Évidemment, il y a eu la grande joie Julie Doucet (pour qui je votais systématiquement, mais qui a été porté par la sortie de Maxiplotte), d’autres fois j’ai voté « utile » pour des gens ne me passionnant pas, mais me semblant important, en influence ou apport.
J’ai ainsi voté Bechdel, arrivant au second tour plusieurs fois, reconnaissant l’apport majeur de Fun Home, le fait qu’elle ait été autrice de la première bande dessinée à être sélectionnée pour un prix Médicis ou l’invention du Bechdel test, qui dépasse carrément la sphère de la bande dessinée pour une importance majeure dans la pop culture. Et qu’importe si Le Secret de la force surhumaine (le fameux album sélectionné au Médicis) me tombait des mains. Au dernier tour j’ai tendance à privilégier les autrices et les étrangers, pour renverser un problème évident quand on regarde la liste : Martin Veyron, Philippe Vuillemin, Max Cabanes, Jean-Claude Denis grand prix, mais pas Quino, Carl Barks, Tove Jansson ou Osamu Tezuka (mort en 1989 on pouvait se dire que c’était compréhensible). Voir JC Denis, auteur à l’œuvre sympathique, mais très peu influente au-delà de la francobelgie, succéder à Spiegelman avait quelque chose d’assez incroyable tant l’importance est incomparable. Et si j’adore les Vuillemin et Cabanes des débuts (Raoul teigneux, Dans les villages !), qui étaient inventifs, c’est quand même très loin de l’œuvre des précités.
C’est le principe des prix, qui lit les discours de Churchill quand Proust, Virginia Woolf ou Calvino n’ont jamais eu le Prix Nobel de littérature ? C’est le jeu de trouver que des gens n’ont rien à faire là et qu’il y a des manques criants, dans le cas du « Festival international » d’Angoulême la liste montre toutefois bien qu’avant la réforme du vote en 2013, l’aspect international était très faible et, c’est bien noté, les femmes quasi absentes (Bretécher avec un prix spécial, et Cestac). En dehors des Franco-belges (tous francophones), seuls Will Eisner (2e lauréat, ça partait bien), Hugo Pratt (un prix spécial en 1988), Robert Crumb (en 1999), José Muñoz (en 2007) et Art Spiegelman (en 2011) avaient été récompensés du Grand prix. Et un peu comme les Oscar récompensant The Artist, cela était beaucoup dans un regard français : Pratt, Crumb, Munñoz vivaient en France, Spiegelman est particulièrement francophile…
Bref, les premières années post-2013 étaient celles du rattrapage, notamment féminin et japonais, avec quelques backlash (Hermann ! ou Corben, même si américain, qui est vraiment un auteur que je juge aberrant en soit, mais qui a incontestablement eu une influence massive sur les auteurs des 80-90’s, et a donc sa place). De fait sur 11 prix 4 seulement récompensaient des auteurs de la zone franco-belge : Hermann et Cosey, piliers du magazine Tintin, un Belge et un Suisse, Emmanuel Guibert (dont l’œuvre est intéressante entre l’importance symbolique et esthétique de La Guerre d’Alan et l’énorme succès public de l’œuvre jeunesse Ariol), et Riad Sattouf, dont l’œuvre ambitieuse s’est associée à un succès public majeur sur la dernière décennie. On ne sait trop où ranger Julie Doucet qui, si elle est francophone, ne vient pas d’Europe (elle est la seule récipiendaire canadienne du prix) et a une influence large en zones francophones ou anglophones. Cela laisse en tous cas en 11 ans une bien plus grande diversité nationale avec 7 pays représentés : 3 lauréats étatsuniens, 2 Japonais, 2 Français, et un représentant pour la Belgique, la Suisse, le Canada et le Royaume-Uni. Au niveau linguistique la diversité des créations est moindre avec uniquement le français (5 lauréats), l’anglais (4 lauréats) et le Japonais (2 lauréats), pas délirant vu les sphères d’influence de la BD, mais l’espagnol ou le coréen finiront bien par être plus largement représenté.
Bref, là vient le moment où les auteurices recensées par le FIBD reçoivent leurs codes pour voter, et c’est toujours bien compliqué. Pour ma part j’ai des auteurices en tête – je votais Edmond Baudoin sans discontinuer durant des années, mais j’ai cherché à internationaliser depuis, cet auteur réellement majeur en fait les frais dans mon vote depuis un an ou deux.
Voici donc une liste complètement arbitraires de gens important.e.s à mes yeux, pour qui voter fait sens, pas forcément des gens que j’adore mais qui me semblent pouvoir être dans la compétition et dont l’influence sur la bande dessinée me semble majeure – et c’est à mes yeux ce que doit représenter le prix -, et qui me semblent pouvoir être dans la compétition.
Je n’y remets pas Bechdel, Meurisse ou Bagieu, pourtant régulièrement finalistes depuis plusieurs années, pas tant sur un jugement de fond que parce que du coup ça ne me paraît pas spécialement nécessaire de parler d’elles. J’ai déjà dit plus haut pourquoi Bechdel me semble nettement plus importante, Meurisse c’est parfois très bien (d’autres fois ça m’ennuie) mais au-delà de l’Europe francophone elle est inconnue, bien sûr elle incarne aussi Charlie, l’année des dix ans du massacre, Bagieu beaucoup taperaient dessus facilement, ça ne m’intéresse, d’autant qu’ elle a eu une influence incontestable – que ce soit à l’époque du blog « girly » ou avec son évolution vers des bandes dessinées féministes au trait nettement plus affirmé. Elle est par ailleurs traduite aux USA, avec succès, donc pas inconnue internationalement, et parfaitement légitime, mais j’en vois beaucoup d’autres (tous genres confondus) avant elle.
Je ne sais toujours pas comment choisir. Une autre langue que les trois langue suscitées pourrait être intéressant aussi comme critère (mais je n’en ai aucun). Longtemps je cherchais à voter pour un européen, un américain, un asiatique, mais il y a aussi toujours un énorme retard de Japonais… bref peut-être finirai-je simplement par prendre les plus vieux dans un côté tristement froid sur la possibilité de mourir (ce qui est arbitraire, des gens jeunes meurent et peuvent avoir été très inflents tôt), je les classe donc du plus jeune au plus âgé.
Les finalistes 2022, Meurisse et Bagieu l’avaient déjà été. En fait, assez régulièrement un.e outsider débarque et remporte la mise. Meurisse est finaliste systématiquement depuis 2020.
Jean-Christophe Menu (60 ans, France) Pour ceux qui en douteraient, Menu est un grand auteur, l’exposition à Angoulême l’a bien montré, tout comme le Livret de phamille, qui a marqué la BD autobiographique francophone, mais aussi Gnognottes – somme de récits épars dont des inachevés pris comme œuvres pleines et entières. Son influence va en cependant au-delà de l’œuvre d’auteur, puisqu’il est un éditeur majeur, la voix incarnant L’Association (parfois en effaçant les autres associés, mais il a forgé le discours de la structure et clairement porté la majorité des ouvrages) et donc le renouveau de la BD alternative au moins européenne (et pas que francophone pour le coup), mais aussi le théoricien. Il ne s’agit pas tant de forger des concepts que de porter un parole militante, assumée, parfois excessive, mais qui a fait bouger les lignes. Plates-bandes paraît évident lu aujourd’hui, mais a été essentiel, les Éprouvette également, c’est par exemple dans le n°3 qu’il incluait Charlotte Salomon dans le champ de la bande dessinée, avant que le Tripode ne la réédite. Auteur, éditeur, théoricien, cela mériterait une récompense.
Daniel Clowes (63 ans, États-Unis) Je m’étonne toujours qu’il ne l’ait pas encore eu, souvent cité, il était en finale l’an dernier. En tous cas cet auteur a une influence incontestable (il suffit de voir Brunetti, Tomine ou D.J. Bryant…), qui contient plusieurs réels chefs d’oeuvres. Pour ma part Ghost World est indétrônable (le livre comme le film adapté, que Clowes a coscénarisé), mais David Boring est aussi incroyable, comme Ice haven ou récemment le réussi Monica (qui a eu le prix du meilleur album). Son dessin est glacial, clinique, loin de ce que j’aime d’habitude, mais dans son cas ça fait sens avec les récits, ça ajoute à la puissance et au malaise – parfois aussi il est très drôle. J’ai longtemps eu un trifecta Clowes/Baudoin/Doucet, si je dois garder un seul homme c’est sans doute lui (mais pas sur un critère d’âge). Mon seul regret serait qu’il soit sacré alors que Cornélius a perdu une bonne partie de ses titres pour Delcourt, mais bon, c’est de toute façon le cas.
Moto Hagio (75 ans , Japon) Je mentirais si je disais que je la connais bien, je n’ai lu d’elle que les deux volumes anthologiques parus il y a quelques années et Le Cœur de Thomas. Mais outre que c’étaient d’excellentes lectures, les spécialistes du manga assurent que c’est une autrice fondatrice du shojo et du boy’s love, jouant avec les frontières des genres (dans tous les sens du terme). Elle a eu une énorme exposition l’an dernier, qui a permis à des traductions de se diffuser un peu, je voterai bien pour elle mais craint que, faute d’autres personnes le faisant, se soit un vote « perdu ». D’ici à ce que la mobilisation se développe, je lirai sans doute ses autres titres disponibles.
Edmond Baudoin (82 ans, France) Il a été et reste mon plus grand choc dans la bande dessinée, découvrant via lui à 14-15 ans, après la voie de l’absurde de Thiriet, qu’une autre bande dessinée existait. Ce rôle il l’a eu dans les années 80 sur les futurs fondateurs de l’Association, qu’il a rejoint et soutenue, il a très clairement influencé des centaines d’auteurs (sans que ce ne soit forcément direct), et a été un des quelques auteurs français qui ont eu des carrières dans d’autres sphères, avec notamment les différents récits chez Kodansha (ils n’y ont pas forcément eu un grand succès mais cette traversée dit quelque chose), il a aussi été professeur au Québec et a influencé des étatsuniens (comme Craig Thompson). Il y a des choses qui vieillissent mal chez Baudoin, son rapport aux femmes nettement plus jeunes, qui questionne (que Neige Sinno évoque dans son Triste tigre, tout en disant qu’il n’a justement pas abusé de son pouvoir), ses carnets de voyages porteurs d’un universalisme qui a un peu vieillis dans son approche. Mais il reste, chose rare, un auteur qui expérimente continuellement : il a fait de l’autobio, mais aussi de la fiction, du reportage, de la BD documentaires, il s’est mis à la couleur, a tenté la théorie en BD (le sous-estimé Crazyman), a publié chez des tout petits éditeurs, des fanzines, tout en sortant des livres chez les gros, a accompagné de jeunes auteurices, cherche toujours à inventer, à tenter. Parfois il se plante, parfois il est brillant, c’est la force de quelqu’un qui essaie et se remet en question. Il aurait assurément dû recevoir le prix plus que d’autres, mais le recevra-t-il un jour ?
Nicole Claveloux (84 ans, France) Autrice majeure de l’illustration et de la littérature jeunesse (elle a notamment reçu le Prix sorcières), qui fait partie de l’écurie révolutionnaire des éditions Harlin Quist, Claveloux est aussi une des figures d’autrices de bande dessinée. Dans les années 70/80, alors que les autrices sont souvent réduites à l’exception Bretécher, elle participe ponctuellement à Charlie Mensuel (et signe la couv du n°126) et (À suivre…) mais surtout à Métal Hurlant et Ah ! Nana, dont elle est une des signatures constantes. Son trait luxuriant, l’audace réelle (graphique comme thématique), les jeux formels, en font une incontournable. À côté de ses récits pour adultes (dont La Main verte, avec Édith Zha, dont la réédition chez Cornélius a eu le Prix du patrimoine du Festival d’Angoulême 2020), elle publie des centaines de pages de bande dessinée complètement délirantes pour Okapi, de 1973 à 1993, marquant considérablement les jeunes lecteurices. Si elle s’éloigne de la bande dessinée à partir des années 1990, elle y était bien pleinement active jusque là, jusqu’à prendre position en étant des cosignataires (avec Montellier, Puchol et Cestac) de la tribune «« Navrant », dans Le Monde, parlant du sexisme du milieu. Il s’avère qu’elle vient de publier un nouvel album chez Cornélius, Ce soir c’est cauchemar, qui est vraiment très bien, ce qui n’était pas gagné après tant de temps loin de la bande dessinée. Il semble qu’une mobilisation se fasse dans le collectif Égalité BD pour appeler à voter Claveloux, ma foi, ce serait avec joie.
Yoshiharu Tsuge (87 ans, Japon) L’Homme sans talent m’avait complètement renversé lors de sa sortie en 2004, avant de découvrir Tatsumi (un autre que j’aurai tant aimé voir Grand prix) c’est vraiment Tsuge qui me fait entrer dans « l’autre manga », le gekiga, social, dur, avec un humour désespéré. L’absence de traduction a ajouté à une sorte d’aura d’auteur maudit refusant la publication a ajouté au mystère, mais quand Cornélius a enfin pu sortir une anthologie raisonnée, force a été de constaté que ce pilier de Garo, revue majeure du manga d’auteur, méritait l’attente. Si ce n’est pas très funky, les récits de Tsuge mêlent angoisses et onirisme, et ont exploré les limites du manga. Il a porté dans ses pages beaucoup de choses qui ont infusées ailleurs, le festival lui a consacré une grande expo il y a quelques années, vraiment magnifiques, et il serait un primé mérité – même s’il ne faut pas compter sur lui pour une masterclass.
Jules Feiffer (95 ans, États-Unis) C’est assurément le plus vieux de ma liste, et il crée encore ! Ses cartoons et strips croquant la vie américaine sont très drôles, justes, souvent acérés dans l’aspect social. Il a été publié un peu par Charlie mensuel, il a infusé sur des générations de cartoonists américains et on lui prête une influence sur Bretécher, ce qui paraît crédible quand on voit ses pages. Il est trop peu publié en français, même si Actes Sud publie Kill my mother, une série qui est en cours – pas ce que j’ai préféré de lui mais le dessin croqué est encore très beau, ce qui est impressionnant à cet âge. Un peu comme Hagio je crains cependant que peu votent pour lui.
Jules Feiffer, « Me Me Me », 1972. Je me reconnais un peu trop dans cette BD, mais j’y travaille.
Quelques noms pour lesquels je ne pense pas vraiment voter, mais qui semblent parfaitement compréhensibles : – Bill Sienkiewicz (66 ans, États-Unis), un auteur de comics au style très reconnaissable, assurément influent, que je n’ai jamais vraiment lu (comme Dave McKean, 61 ans, Grande-Bretagne) ; – Frank Miller (67 ans, États-Unis), l’auteur de Sin City et de Batman Dark Kgnith, pas de débat sur l’importance mais a vraiment été trop républicain facho pour moi – on honore aussi une personne, pas qu’une œuvre, d’autant qu’avec Terreur sainte* ça s’est croisé ; – Dans le même esprit Neil Gaiman (64 ans, États-Unis), auteur très polymorphe, à grand succès, qui en bande dessinée a notamment créé Sandman, un incontournable (qui a eu beaucoup de mal à être bien édité) ferait sens, mais les polémiques récentes d’agressions sexuelles font que moi qui n’ai jamais voté pour lui ne vais pas me lancer ; – Clamp (Japon, collectif dont les autrices ont entre 55 et 57 ans), Nanase Ōkawa, Mokona, Tsubaki Nekoi et Satsuki Igarashi forment ce collectif marquant du manga, qui a notamment signé l’iconique succès popularisant les Magical girl Cardcaptor Sakura, mais aussi l’horrifique Tokyo Babylon, X ou le seinen Chobits, donneraient l’occasion d’honorer des genres diversifiés du manga et un collectif, ce que je trouve intéressant, mais j’ai lu bien peu de leurs travaux je l’avoue ; – Charles Burns (69 ans, États-Unis), j’ai adoré Black Hole, bien aimé pas mal de ses autres livres, il est souvent présenté avec Clowes mais me touche quand même nettement moins, et je dois avouer que ses deux dernières longues séries m’ont ennuyée (ça ferait cependant une bien belle expo) ; – Marc Wasterlain (78 ans, Belgique), dans les franco-belges à l’ancienne il y a quelqu’un comme Willy Lambil (88 ans, Belgique) que j’adore mais qui n’a rien de très inventif, le plus jeunot de dix ans Wasterlain mêle l’œuvre classique dans des journaux comme Spirou, Pif gadget ou Tintin à une capacité à réinventer un peu le modèle franco-belge avec Docteur Poche et Jeannette Pointue. Sincèrement, à la relecture, ce n’est pas si génial que ça avait pu le paraître, je pense, mais ça reste nettement plus inventif et poétique que la moyenne. Son dessin est aussi un des rares à fusionner classique franco-belge et une originalité très reconnaissable, des arguments, ça aurait du sens, mais ne compenserait pas les manques existants ; – Hiromu Arakawa (51 ans, Japon), l’autrice de FullMetal Alchemist (entre autres) a assurément marqué une jeune génération d’auteurs et autrices (par exemple, Léa Murawiec), mais il me semble que cette jeune génération n’a pas encore assez de poids dans le scrutin pour la porter, j’avais tenté de glisser son nom, sans grand écho, elle est encore jeune, pour plus tard ; – Andreas (74 ans, Allemagne), pays original, mais il vit en Belgique (ou y a longuement vécu) et est d’expression française. Bien qu’auteur dans le classique Tintin, il a développé des séries osant une certaine expérimentation, avec un trait entre classicisme et expressionnisme. Sa série Arq était fort intéressante et l’auteur en a assurément marqué, sans que ce soit ma tasse de thé. C’est un peu comme Marc-Antoine Mathieu (65 ans, France), un auteur intéressant, qui tente des trucs et chez de gros éditeurs, ça n’aurait rien de déshonorant sans qu’ils ne soient mes coups de cœur, chez Mathieu il y a la volonté constante d’expérimentation, plus ou moins convaincante (formidables Julius Corentin Acquefacques, nettement moins convaincants 3 » ou Livre des livres) mais il expérimente en touchant un public plus large que d’autres, ce qui est intéressant ; – Dans le même esprit qu’un Menu pour l’aspect triple auteur/éditeur/théoricien, mais en plus calme et sage, un Benoît Peeters (68 ans, France) aurait l’intérêt de récompenser un scénariste, sachant que les plus évoqués jusqu’ici sont soit morts (Christin), soit ont refusé le prix d’avance (Moore), soit bon je voudrais pas qu’ils l’aient (Van Hamme, Gaiman donc) ; – Riyoko Ikeda (77 ans, Japon), autrice de La Rose de Versailles, qui se pose là comme shojo d’importance, qui formalise un peu le genre, dans son aspect graphique, le développe, avec un gros succès en France pour l’anime dérivé (Lady Oscar). Elle est finalement assez peu traduite comparativement à l’importance, mais je me souviens avoir apprécié Très cher frère, mais je mentirais si je disais que je m’en souviens. – Mattt Konture (59 ans, France), un auteur fondamental pour moi et à mon avis pour le milieu underground/alternatif français, cofondateur de l’Association, mais sans doute impossible qu’il soit élu, je n’ai donc jamais voté pour lui si ce n’est au «Grand prix Bulledair» , site/base de données/forum qui élit chaque année un Grand prix alternatif (et au fort beau palmarès).
On le voit : je ne nomme aucun auteurice non francophone/anglophone/nippophone, c’est un manque, n’hésitez pas à me donner des noms.
EDIT : On a commencé à me proposer des noms venant d’autres nationalités. Giorgio Cavazzano (Italie, 77 ans), un des grands dessinateurs Disney, mais qui a aussi dessiné Pif ou même un Spiderman, il serait un très bon prix même s’il n’a aucune chance (en Disney l’étatsunien Don Rosa est sans doute plus connu). En italien on m’a aussi évoqué Gipi (61 ans), il a du succès, une influence dans la scène contemporaine mais j’avoue qu’il m’a toujours profondément ennuyé. Il y a sans doute à chercher en Espagne, Allemagne, Flandre/Pays-Bas. On m’a évoqué Ralf König (Allemagne, 64 ans), star de la BD gay, des planches très drôle, un vrai succès hors de la sphère uniquement BD, pas forcément très très connu ici, mais quand même pas mal. Ce serait assurément une chouette expo. En Amérique latine Quino ou Breccia auraient été évident mais sont morts, Carlos Nine (déjà nettement moins connu) aussi…
En 2022 je m’étais amusé à relever différentes occurence de la graphie erronée « Baudouin » sur des sites spécialisés ou non. On peut toujours s’amuser d’une coquille, ça ne dit rien de l’intelligence du rédacteur ou du fond, il reste que je suis extrêmement surpris de voir la constance de cette erreur, alors que le nom de Baudoin n’est pas particulièrement compliqué et que c’est quand même un auteur très important. C’est d’autant plus surprenant que ce n’est pas qu’une coquille de blogs ou de journaux généralistes, on la trouve constament sur des sites spécialisés, voir sur le site d’éditeurs de Baudoin (qui écrivent pourtant le nom sans faute sur les livres).
Bref, je recopie-colle le paragraphe déjà posté à l’époque : « La diversité de supports, quels que soient leurs professionnalismes, et son étendue temporelle me surprend toujours. Il y a assurément encore beaucoup de « Baudouin » à relever, notamment dans les imprimés (là j’ai très majoritairement du en ligne, facile à trouver). Mais en attendant cette recherche, une première salve, en guise d’invitation : si vous en trouvez, n’hésitez pas à me les envoyer à maelrannou @ lilo.org »
Allez zou ! Je commence par ce petit morceau issu du site du Centre Pompidou cette car bon, c’est l’année de la BD au Centre Pompidou, des expos à chaque étages, enfin la légitimation nous dit-on (bon moi ça m’énerve un peu j’en ai déjà causé ici), et donc Baudoin est dans les expos parce qu’il est important. Mais on ne sait toujours pas écrire son nom :
Le Matricule des anges, 2010 (mais ça semble corrigé sur l’article complet, faudrait voir la version papier) :
Présentation de BD à Bastia sur Bodoï :
Auteur important, Baudoin est invité d’honneur du SoBD 2017, mais avec une coquille :
Recension d’un album de Baudoin par un libraire de la CIBDI, institution s’il en est, 2020 :
2018, un entretien avec Ouiz! radio :
Comix Trip, avril 2024. Intrigant car la faute n’est pas sur la vidéo (mais c’est un import d’Inter) mais hop, on l’a quand même sur l’article :
En 2019 dans Le Midi Libre là c’est bien le même journal qui écrit correctement la légende mais pas dans le corps du texte :
Une catégorie qui m’étonne plus encore, les éditeurs de livres de Baudoin qui font la faute. Ici sur le site de La Ville Brûle en 2019 :
Ce livre rend visiblement hommage à l’importance majeure de Baudoin sur l’auteur mais bon, le résumé de l’éditeur se trompe quand même :
Futuropolis a été l’éditeur historique de Baudoin, qui a mis longtemps a signer chez le repreneur. Il y publie désormais ponctuellement et sur ce livre paru en novembre… je reste très surpris du nombre d’éditeur qui laissent cette coquille sur leur site (oui ce sont des webmestre pas les éditeurs, etc., mais enfin… je m’étonne) :
En 2008, Gallimard publie L’Arleri et ne fait pas de fautes sur son site, mais reprend sans les corriger des chroniques qui semblent la faire (à moins que ça n’ait été ajouté en recopiant…) :
Il y a quelque temps, le projet de recherche pan-canadien sur la BD « Au-delà des 2 solitudes – Beyond the 2 Solitudes » avait proposé un appel à recherche-création. Il s’agissait de faire une ou quelques pages de bande dessinée sur ce sujet des oppositions entre nationalités canadiennes, linguistiques notamment, pouvant également aborder les sujets des migrants de différentes communautés culturelles, premières nations, etc.
J’avais pour ma part proposé une petite planche un peu légère, récit d’un moment vécu que j’avais trouvé amusant mais pas si anecdotique. L’identité de l’intervenante est préservée mais je tiens à dire qu’elle n’a rien d’une horrible chauvine (les saillies parfois xénophobes de certains indépendantistes l’énervent d’ailleurs, une indépendance n’ayant pour elle de sens que de gauche et respectant l’autodétermination des Premières Nations), mais cela témoigne de tension qui me paraissent traverser tout québécois francophone.
Bref je l’ai soumise, j’ai été sélectionné (je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de propositions), rémunéré (ce qui n’est pas commun) et a priori exposé dans diverses universités canadiennes mais j’avoue n’en rien savoir. Ce n’est même pas en ligne.
J’aimais bien cette page, alors la voici ! (vous pouvez la lire en plus grand en faisant un clic droit et « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet »)
Régulièrement, je lis des entretiens d’auteurs et autrices de bande dessinées, parfois aussi, je lis des nécrologies. Dans les deux cas, les sujets sont souvent présentés comme les parents de personnages qu’ils ont créé, cela énerve souvent mes pairs, notamment lors des décès : cela manque de solennité et, surtout, cela prouve l’infantilisation de la bande dessinée, le mépris sous-jacent d’un truc un peu neuneu, qui dirait « le papa de [tel ou tel truc légitimes] ». C’est un thème que Xavier Guilbert, de Du9, aborde souvent sur X (ex-Twitter), je l’ai vu il y a quelques mois sur le même ton par l’auteur et éditeur Jean-Christophe Menu sur Facebook.
Pourtant, si c’est constant dans le cas des auteurs BD, ça me semble ici être plutôt un auto-complexe, une manière de se voir délégitimé par rapport à d’autres arts/champs. Dans les faits, une recherche rapide sur des sujets montre assez rapidement que « père de » est une expression très usuelle quand il y a un décès, particulièrement avec des auteurs ayant créé des personnages, et pas qu’en bande dessinée. Ainsi, en me limitant à des sites journalistiques (je ne recense pas les blogs ou critiques de fan, car là il y en a encore plus) on peut voir que cela concerne des romanciers divers, parfois dans des productions peu légitimes, donc qu’on peut mettre dans le même paquet. Exemples ci-dessous (cliquer sur les liens amène vers les articles).
Difficile de faire moins légitime que les aventures d’espionnage-érotico-facho SAS, reste que ce n’est pas de la BD. Mais cela touche aussi des romanciers et arts parfaitement légitimes :
Cela peut aussi toucher pas de l’art du tout, comme dans l’exemple ci-dessous sur le tableau des éléments :
Cela touche aussi d’autres champs, ainsi lors du décès de Badinter, on a beaucoup lu « père de l’abolition de la peine de mort », et il y a peu de chance que ce soit par mépris ou désir d’infantiliser. Ici l’extrait vient de Public Sénat, un média difficilement assimilable à du désintérêt badin sur la chose politique :
Il y a deux éléments là-dedans, on constate que le terme « père » (parfois « mère » aussi bien sûr) est utilisé dans le cas de choses bien identifiables : un texte de loi, une réforme, une découverte scientifique, un tableau iconique, je n’en ai pas mis mais j’en ai vu sur des chansons cultes, etc. À ce titre en littérature le terme est bien plus souvent utilisé pour des auteurices qui ont créé des personnages implantés dans le temps, grâce à la sérialité, des spécificités touchant beaucoup la bande dessinée (mais aussi la littérature jeunesse, le policier, la fantasy…), cet usage me semble bien plus lié à cela qu’à un certain mépris. C’est un mot-clef journalistique, peut-être une facilité, mais rien de péjoriatif.
Il faudrait cependant être de mauvaise foi pour ne pas distinguer « père » de « papa », et oui utiliser les termes papa/maman sont sans nul doute plus proche de l’enfantin, donc de l’infantilisation. Je n’ai pas trouvé de Badinter « papa de l’abolition ». On trouve un certain nombre d’Uderzo « papa d’Astérix »… mais ce sont des œuvres jeunesse, on ne peut pas le nier, et le fait que la bande dessinée porte souvent cette étiquette jeunesse peut être une confusion. On sait qu’elle a joué dans la délégitimation et le mépris du neuvième art, mais la littérature jeunesse est aujourd’hui pleinement étudiée et reconnue, cette confusion n’est donc pas si grave en soi sur le long terme.
Ce que je constate et qui me semble essentiel, c’est qu’il arrive régulièrement que des auteurices de séries plutôt jeunesses ne sont pas systématiquement décrits comme « papa ». Ainsi Toriyama n’a pas été que le « papa » de Sangoku dans la presse, ce qui est une forme de normalisation, au fond.
Sur le fond, ces énervements réguliers que je vois ici où là sur les « pères » me semblent donc avant tout être le témoignage d’une volonté de lutter pour sa légitimité, de se défendre face à des usages énervants d’éternels infantilisation, rabaissement, etc., mais, ici, cela paraît presque plus être une intégration si forte de ces processus qu’une chose assez banale pour tout créateur de sérialité ou de chose iconique apparaît un acte de mépris. De l’importance de, parfois, décentrer pour se rendre compte que, non, y a pas que dans la bédé qu’on a ce traitement !
Comme à chaque fois, cliquer sur les images amène sur l’article.
Lors du congrès 2022 de l’Association des bibliothécaires de France, le sociologue Denis Merklen (dont j’avais parlé ici) a réalisé une conférence d’ouverture qui a tapé dans l’œil des éditrices des Presses de l’enssib. Elles ont décidé d’appeler une dizaine de professionnels très divers – allant de grands pontes à des militants associatifs en passant par un collègue ayant posé une question lors de la conférence – afin de leur proposer de commenter et prolonger la réflexion de Merklen, dans une série de rebonds aux approches très diverses. Avec Stéphanie Khoury nous ne sommes pas de grands pontes, mais nous avons été contactés suite à la parution de notre opuscule, Les Bibliothèques de proximité (Presses universitaires Blaise-Pascal). Comme pour l’ouvrage, nous avons écrit à deux mains un texte nommé « Assumer la communauté », et tout est en accès libre sur openedition ici, avec la conférence inaugurale et ses exégèses et prolongements ! Pour notre part nous partons vraiment de quelques mots et d’une idée générale et glissons sur ses propos en le croisant avec d’autres (notamment un texte brillant de Cécile Boulaire) :
En tant que critique BD comme en tant que bibliothécaire, il arrive souvent que vienne la question du « roman graphique », terme qui m’énerve toujours un peu pour ce qu’il charrier souvent dans la bouche de celles et ceux qui l’utilisent : se distinguer de la bande dessinée, souvent en étant loin des intentions et du contexte originel du terme. Il reste que le terme a eu un succès marketing réel, et impose de s’adapter à cette réalité langagière pour, en tant que bibliothécaire, accueillir correctement et répondre aux demandes des personnes qui viennent régulièrement se renseigner auprès de nous. Alors le roman graphique en bibliothèques, qu’en faire ? Je tente de détricoter tout cela dans cet article pour la revue roumaine Meridian Critic, une revue de littérature consacrée au « roman graphique » justement, et se trouvant soudain avec un article de bibliothéconomie, qui m’a permis d’enfin poser cette réflexion qui me trotte depuis longtemps en tête.
Étant chercheur sur la bande dessinée, il y a une certaine logique à ce que je publie un jour dans Comicalités, et pourtant je ne l’avais toujours pas fait ! En réalité j’avais des articles en attente de parution depuis pas mal de temps, mais outre que j’étais très en retard sur certains articles il y a un temps normal de publication et, hasard de calendrier, deux papiers sont parus en quelques mois d’affilés ! Comme il y en a deux, je ne mets pas le logo mais un extrait d’image à cliquer.
J’ai ainsi participé au dossier « Dessins d’enfance dans la bande dessinée », auquel j’avais proposé un article un peu atypique puisque sans double aveugle puisque je revenais sur mes archives de « dessinateur de la famille » ou « artiste de la classe » qui, finalement, n’a pas vraiment continué. J’y montre un rapport aux codes de la bande dessinée (bulles, cases, séquences) même avant de savoir lire et, surtout, un rapport à la publication, en singeant les codes du magazine ou de l’album. Cela s’appelle « Bande-dessiner avant de savoir lire, une exploration d’archives personnelles », je suis très curieux de retours dessus, car l’intérêt ne me semblait pas évident mais, curieusement, il intrigue.
Le deuxième article est la version largement augmentée d’une communication tenue lors d’un colloque MédiaBD sur la bédéphilie sur la « bédéphilie en revue ». Il trouve désormais sa place dans le dossier permanent de Comicalités sur l’« Histoire et influence des pratiques bédéphiliques ». C’est un dossier passionnant dans son ensemble, sans surprise j’aime beaucoup ce sujet, j’y ai écrit un article très nerd que j’aime bien aussi, à savoir l’analyse de l’ensemble des chroniques « Et les fanzines ? » publiées dans Spirou de décembre 1972 à mars 1978. Il s’agit d’une section assez marginale, qui a connu à peine plus de 80 occurrences sur six années d’existence, dans un hebdomadaire, mais elle-même histoire du fandom, discussions entre fans, petites annonces, et laisse voir énormément de choses passionnantes. Au rang des choses intéressantes mises à jour : de futurs acteurs du milieu déjà visible, l’émergence d’un vocabulaire spécifique (avec par exemple des hésitations sur « fanzinothèque » ou « fanédithèque »), des échanges très marqués sur les questions de production matérielle, etc. Et je ne vous parle pas de cet hommage cherchant des auteurs japonais en 1973 ! (sans succès)
Après un article sur les fanzines dans les bibliothèques municipales, j’ai profité de ma formation d’élève conservateur territorial des bibliothèques et d’une journée d’étude que nous organisions avec nos collègues élèves conservateurices d’état sur la question de la précarité en bibliothèque pour réaliser avec Soizic Adam, Marie Denancé et Juliette Eyméoud cet entretien avec Alexandre Favereau-Abdallah, responsable des politiques de développement des publics et d’accueil des publics du champ social au service des bibliothèques et du livre de la Ville de Paris, publié par le Bulletin des bibliothèques de France en septembre.
Décidément toujours en lien avec l’Enssib, les Presses de l’école ont publié en septembre un ouvrage qui vient poursuivre et compléter le travail que j’avais entamé avec Bandes dessinées en bibliothèques (Cercle de la librairie, 2018). Dans ce premier ouvrage sur le sujet, Benjamin Carco avait rédigé plusieurs chapitres. Cette fois il dirige l’ouvrage Valoriser les bandes dessinées et les mangas en bibliothèque, dans la collection La Boîte à outils, et j’y ai écrit un chapitre nommé « Recommander des bandes dessinées en bibliothèque : prescrire et/ou ouvrir », qui a surtout pour objet de présenter différentes médiations atypiques ou originales autour de la bande dessinée. Le volume a l’air tout à fait passionnant, avec des données à jour, plus de place pour les bibliothèques universitaires et une très belle contribution graphique de Chloé Cruchaudet, entre autres.
Au rang moins purement utilitaire en terme de qualifications universitaires, mais toujours intéressants pour se forcer à des lectures fines d’ouvrages, j’ai aussi rédigé plusieurs recensions d’ouvrage ces derniers mois, pour des revues différentes. Les recensions sont aussi pour moi l’occasion de parfois, pas systématiquement loin de là mis parfois, sortir de la bande dessinée pour explorer d’autres champs : les fans studies il y a quelques temps (évoquées dans mon précédent post d’index universitaire), le livre d’occasion ici, etc.
J’ai donc publié quatre recensions ces derniers mois, la première dans Distances et médiations des savoirs, revue du CNED, à propos de Le livre d’occasion, sociologie d’un commerce en transition, de Vincent Chabault (Presses universitaires de Lyon). Ce sociologue du commerce clôt ainsi une série de recherches sur le commerce du livre :
Pour la Revue française des sciences de l’information et de la communication (ou j’ai projet de bientôt parler fanzine), j’ai rédigé une recension sur le catalogue de l’exposition sur La bande dessinée du réel : Une nouvelle forme de journalisme ?, de Florence Amsbeck & Christophe Cassiau-Haurie. Ce catalogue d’une exposition ayant eu lieu dans une bibliothèque (la BnU) synthétisait assez magiquement de cette étrange discipline qu’est l’infocom et dont dépendant les bibliothèques, le journalisme ou l’étude médiatique.
Et pour conclure, bande dessinée toujours, quand même oui je continue mes passions hein ^^, avec cette recension des actes du colloques À coups de cases et de bulles – Les violences faites aux femmes dans la bande dessinée, un ouvrage dirigé par rien moins que quatre personnes (Frédéric Chauvaud, Lydie Bodiou, Jean-Philippe Martin et Héloïse Morel) qui a l’avantage d’être aussi entièrement en ligne sur openédition ! Cette recension là est dans le dernier numéro de Questions de communications, revue à vocation interdisciplinaire et pluraliste du Centre de recherche sur les médiations de l’Université de Lorraine.
La bande dessinée de Marion Fayolle est quasi intégralement publiée par les éditions Magnani (des pages ont pu paraître ailleurs, notamment dans Nyctalope, fanzine étudiant dont elle était membre). L’an dernier l’éditeur a publié un petit livre d’entretien avec Tony Côme : Fond perdu. Petit format, beaucoup de densité dans le propos et une forme qui m’a parfois énervée (pas de questions mais un dialogue formulé avec des interpellations de l’intervieweur, bon). Il reste que Fayolle étant une autrice vraiment intrigante et quelqu’un qui a une vraie réflexion sur son travail, même si c’est en rebond, c’était une lecture tout à fait intéressante. Pas mal de pages pourraient être retenues, mais je m’arrête sur celle-ci :
Cette tension entre le résultat final imprimé qui serait l’œuvre véritable et les originaux, qui ne serait que des traces, est une semi-banalité, elle était par exemple extrêmement bien expliquée dans L’Art selon madame Goldgruber de Mahler (qui reste un de mes livres théoriques favoris). Dans une difficulté économique forte pour les auteurs, l’artification des originaux est cependant une vraie source financière, et la prise en compte de cet élément de la chaîne (qui disparaît de plus en plus avec la création numérique) est cependant intéressante, mais on vit aujourd’hui un peu l’excès inverse de l’époque où les imprimeurs jetaient les originaux, où qu’ils servaient de coloriages à des enfants (une anecdote qu’on m’a raconté sur un auteur québécois, je crois, j’ai oublié lequel, zut). Je me souviens d’auteurs créant de « faux originaux » pour les expositions faute d’originaux sur papier, puisque le public veut des originaux, ce qui pose quand même des questions sur le sens de tout ça.
Cela m’a particulièrement frappé quand j’étais en poste à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, en charge des bibliothèques, la conservatrice jugeait important de rappeler toujours l’imprimé et le processus industriel – ce que je rejoignais – mais je voyais bien combien pour la majorité des financeurs comme des fans des raretés imprimés avaient un intérêt bien moindre qu’un original. Sans aller contre l’original absolument, c’est une incompréhension qui m’a toujours frappé, exposer la bande dessinée doit se faire en exposant les magazines, les impressions d’origines, mais aussi les films plastiques, les bleus de colorisation, pourquoi pas des éléments de gravures de planches, etc. De la même manière, il serait pertinent de réussir à conserver la BD numérique native avec ses différents supports, les calques Photoshop par exemple ou les différents fichiers natifs de sites portant la bande dessinée en ligne (je pense aux Autres gens, à Professeur Cyclope, qui sont perdus a priori).
Fayolle a un discours assez clair « l’original c’est le livre », et elle a raison. Ou à tout le moins c’est l’aboutissement, qui a de multiples strates. Paradoxalement le descriptif de son travail donne très envie de l’exposer : ces rhodoïd, des grains, parfois ces coulures et ces documents peu compréhensibles en exposition sont des objets plastiques très curieux, mais dans un ensemble. Dans le même esprit je lisais il y a peu un message de Benoît Peeters vantant sur Facebook le PAFF, le musée de la bande dessinée de Pordenone, en expliquant notamment ceci :
« la collection permanente est très intéressante aussi, avec des partis pris muséographiques inédits et réellement interactifs. L’accent est mis constamment sur le dialogue avec les imprimés. Les planches originales ne se découvrent que dans un second temps, comme autant de surprises. »
Il ne s’agit donc pas de supprimer l’original, mais de bien lier le tout, de rappeler d’où viennent les choses, et cette différence aussi, intrinsèques, entre le marché de l’art unique et la bande dessinée qui est d’abord un art de la reproduction. Il y a eu de vraies propositions sur l’exposition, et il est agréable de voir des originaux et pas juste des reproductions géantes de cases comme les premières expositions qui cherchait le gigantisme de l’art admis, mais il semble essentiel d’assumer la réalité de la bande dessinée et pas juste d’exposer de grandes planches magistrales qui seraient impressionnantes, finalement en courant de manière complexée derrière les musées de peinture.
La Musée de la bande dessinée de la CIBDI a justement acquis récemment des bleus de coloristation d’Évelyne Tranlé, complémentaires des planches déjà possédées, c’est intéressant – même s’il s’agit encore d’œuvres uniques et signées. Cela montre en tous cas cette démultiplication de ce que peut être l’original et rappelle que le choix de ce qui est précieux revient beaucoup à celles et ceux qui conserveront, feront la médiation, l’histoire…
Occasion de rebondir d’ailleurs sur la couleur, avec la conclusion de l’extrait ci-dessus du livre d’entretien de Fayolle. Elle évoque la différence entre les originaux et la reproduction – l’original pour elle – par la superposition de ses divers supports, mais aussi le grain qui disparaît, etc. Elle m’évoque des entretiens d’auteurs ou des textes de commentateurs face à des originaux se plaignant de reproductions qui n’ont rien à voir avec les originaux et les gâchent. Mais la réalité est que l’impression n’a pas à avoir la couleur de l’original, de la même manière que le RVB des couleurs sur écrans n’est pas reproductible à l’identique en CMJN (les couleurs d’imprimeries, sans exception du type pantones ou sérigraphies). Tout le travail des photograveurs (qui se perd) était bien de réussir à trouver l’équilibre de cette balance de couleur avec le degré de perte qui fait que c’est acceptable. D’autres réussissaient à anticiper cela justement dans les originaux papiers. Si l’original est le livre, il faut admettre qu’il soit juste naturellement différent. Bon il ne faut pas faire n’importe quoi non plus, et n’avoir rien à faire de la reproduction, mais il y a sans doute une certaine souplesse entre faire n’importe quoi et chercher l’absolue reproduction de quelque chose qui n’a pas à être identique.
Le mieux reste d’avoir en tête à la création que le résultat sera forcément différent, et d’admettre que c’est là que sera l’œuvre, certains créateurs ont la formation et la compétence pour l’anticiper, mais tous devraient a minima être à un moment averti que dans le naturel de cet art de la reproduction, la trahison et l’abandon fait partie du processus.
Dans ma furia d’apprentissages et d’études, je réalise cette année en parallèle de ma scolarité à l’INET et de ma fin de thèse une licence d’ethnologie à l’Université de Strasbourg. Cette licence est riche et me permet de découvrir un pan de sciences sociales qui m’a toujours intéressé sans en avoir les bases, que je tente d’acquérir. Une chose que j’apprécie dans cette formation, outre qu’elle est proposée en enseignement à distance ce qui est bien pratique pour moi, est qu’elle est assez tournée sur les questions culturelles, qui m’intéressent particulièrement en anthropologie/ethnologie, et qu’elle est ouverte à ce que ses étudiants proposent des analyses de sujets très proches d’eux, en termes géographiques ou d’intimité.
Dans ce cadre, un cours qui me semblait particulièrement intéressant à l’inscription, intérêt confirmé à la lecture, était celui d’anthropologie des cultures matérielles. Il fallait pour ce devoir analyser un objet sous son aspect matériel, j’ai choisi pour cela un mini-fanzine de Jean-Paul Jennequin, Le Mini de la semaine n° 116, paru en 2023. J’ai plutôt eu une bonne note et en suis bien content, et ça m’a donné envie d’extrapoler ce devoir en article. Pour ce devoir j’ai aussi réalisé un entretien avec l’auteur et (micro) (auto) éditeur, que je trouve plutôt intéressant pour qui aime le fanzinat dans son expression la plus modeste – et en même temps très ambitieuse par son ampleur (en nombre et en durée). Le voici donc.
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Entretien avec Jean-Paul Jennequin sur les Minis de la semaine Échange par courriel du 22 au 26 décembre 2023
Quand tu créés ce fanzine, j’imagine que tu t’inspires d’autres égozines, quelles sont tes influences et pourquoi avoir choisi ce format A6 alors qu’avec Improbablement tu étais sur un fanzine A5 plus épais ? D’ailleurs les deux ont-ils coexistés et si oui avec quelles intentions ? Improbablement et Le Mini de la semaine sont deux projets très différents. Le premier était une compilation de petites BD autobios que je réalisais dans un carnet. Il y avait donc un temps de décalage entre la réalisation et la publication (un an au début, quatre ans à la fin). Le second était un mini-comic réalisé et publié dans la foulée. Je le dessinais directement sur les pages que j’allais ensuite photocopier à 30 exemplaires dans la boutique de photocopie près de chez moi. C’était donc beaucoup plus immédiat. Quant au choix du format A6, il vient de mon amour pour les mini-comics qui a commencé au milieu des années 1980 avec la découverte de Small-Press Comics Explosion, un magazine américain consacré aux mini-comics. Dans le premier numéro que j’ai eu, Matt Feazell, le grand ponte des minis à l’époque, donnait le « patron » pour réaliser un mini-comic de huit pages. À l’époque, j’avais réalisé sept numéros d’un mini intitulé Ridicule Bidule Bleu. Revenir au mini-comic dans les années 2000, après des années à faire des fanzines solos ou collectifs qui demandaient beaucoup plus de travail (collecte des contributions, maquette, photocopie, assemblage…), c’était un retour aux sources.
Pour la question des influences, je voudrais ajouter deux choses. D’abord, enfant, j’adorais les mini-récits du journal Spirou. Plier et assembler un mini-livre, c’était merveilleux. Dès qu’il y avait un petit livre à plier et assembler, j’étais partant, que ce soit dans Spirou, dans Lisette ou dans d’autres revues pour jeunes. Vers 10 ans, je fabriquais même mes propres mini-livres avec des feuilles de papier à lettres. J’avais créé un patron pour en tirer un maximum de pages et une fois le mini découpé et assemblé, j’y collais les cases d’une page de BD, en général tirée de Spirou.
Ensuite, les mini-comics font aussi partie de ma « culture américaine » qui a commencé avec la découverte des comics Marvel, que je me suis mis très vite à lire en v.o. Et un comic book peut très bien être réalisé par une seule personne, soit de manière ponctuelle, comme les comics solos de Robert Crumb, soit de façon régulière comme le Cerebus de Dave Sim ou Yummy Fur de Chester Brown. Dans Réinventer la bande dessinée, Scott McCloud explique que tout ce qu’il y a à faire pour « entrer dans (le monde de) la BD », c’est de dessiner un mini-comic, de le photocopier et d’en donner un exemplaire à un.e ami.e. Les années 1980 et le début des années 1990 ont vu, dans le monde anglo-saxon (États-Unis, Canada, Royaume-Uni) une véritable explosion de zines A5 et de mini-comics. Il y a dans le monde anglo-saxon, surtout aux États-Unis, cette idée que l’on peut se débrouiller tout seul, sans dépendre d’une structure éditoriale, pour faire un fanzine ou éditer ses BD. Mes grosses influences sont des gens comme Matt Feazell (déjà cité), John Porcellino de King Cat Comics & Stories et Colin Upton, un Canadien de Vancouver qui a publié et publie encore toutes sortes de mini-comics, souvent autobiographiques mais pas seulement.
J’ajouterai que je déteste le terme d’« égozine ». En français, le mot « égo » a des connotations très négatives et, de plus, laisse supposer que l’on ne fait que parler de soi. Je préfère le terme anglais de « personalzine », qui recouvre tous les genres de zines réalisés par une seule personne, pas seulement des zines de BD ou des zines autobios. The Adamantine – La Gazette de Harry Morgan était un personalzine français qui ne contenait pas de BD ou de textes autobiographiques.
Couverture et verso du Mini de la semaine n°116 (le papier est bien blanc, l’aspect jaune est un effet de la lumière)
Les Minis de la semaine ont plus de cent-dix numéros, ils ne sont cependant en réalité pas hebdomadaires, pourrais-tu revenir sur la date de création du fanzine et les éventuelles périodes de forte production, ou de creux ? En fait, si, Le Mini de la semaine a été strictement hebdomadaire du numéro 1 (14 au 20 février 2005) au numéro 114 (16 au 22 avril 2007). Et puis, j’ai complètement laissé tomber. J’ai eu de temps en temps des velléités de refaire des mini-comics. J’ai même sorti une série de minis au format A5 qui devait durer un an, à pagination variable, dont chaque titre était une improvisation sur les lettres de l’alphabet selon le principe AA, AB, BB, BC, CC, etc. Mais je n’ai pas dépassé le numéro 13 ! Je n’ai vraiment repris Le Mini de la semaine que tout récemment, en sortant enfin un mini réalisé il y a un an (le 115) et les deux que je t’ai donnés (116 et 117).
Pourquoi dans ce cadre garder de « de la semaine » fantasmatique ? J’avais un titre, j’avais envie de le garder. Relancer quelque chose au numéro 1, ça ne m’avait pas trop réussi. Et même si ces numéros ne sortent pas toutes les semaines, j’essaye d’en réaliser un par semaine, même si je ne le fabrique pas tout de suite.
Le groupe « J’AI » a-t-il eu un rôle dans un potentiel retour plus nombreux du Mini ? Dans un potentiel retour tout court. J’avais reçu pas mal de poj’aittes, dont certaines contenaient des mini-comics. J’avais envie de renvoyer quelque chose à ces correspondants.
Quel public ont ces minis, j’imagine qu’il y a une époque où c’était épistolaire, tiens-tu une « liste d’abonnés » ou est-ce aléatoire ? Quand je les faisais entre 2005 et 2007, j’allais tout de suite donner des exemplaires à des amis libraires, près de chez moi. Je donnais les autres aux amis de passage à Paris et, parfois, je les envoyais. En 2023, je compte essentiellement sur une distribution postale, là encore à des copains, l’idée étant de leur envoyer trois minis consécutifs dans une enveloppe timbrée lettre verte.
Tu m’as donné ces derniers exemplaires en festival, quel lien vois-tu entre ces mini zines et la connexion sociale ? Cela m’a d’autant plus frappé que lors du festival en question tu as exprimé que c’était une de tes très rares interactions physiques de ces derniers temps et que, pour ma part, elle s’est quasiment limitée à ce don ce jour-là. Alors bon, la situation était un peu spéciale. Cet été s’est déclenchée chez moi une maladie auto-immune qui s’appelle la myasthénie, qui rend très fatigable. Je suis sous traitement et ça va mieux, mais je ne suis pas beaucoup sorti de chez moi, puis de mon quartier, ces derniers mois. Le SoBD était ma première sortie BD depuis pas mal de temps. Mais c’est vrai que j’ai toujours préféré donner mes minis lorsque je rencontrais les gens, souvent quand ils passaient chez moi.
Cela m’évoque un peu le zine Ça va ?, de Libens, je ne sais pas si tu connais ? Je connais ! David Libens m’en avait envoyé un paquet par poste. Il faut dire que je ne risquais pas de le croiser puisqu’à l’époque, il habitait à Bruxelles et moi à Paris. J’avais dû lui envoyer des Improbablement… ou lui en donner au Festival d’Angoulême. J’aime beaucoup son travail, que j’avais découvert par l’entremise de Nylso et Jo Manix.
Tu as une intense vie numérique, sur les réseaux sociaux, pourquoi ne pas juste publier ces BD en ligne mais bien les imprimer ? Le numérique a une existence éphémère. Publier en ligne, je le fais aussi, mais un mini-comic, c’est quelque chose de plus permanent. C’est toujours le plaisir de fabriquer un petit livre, celui que j’avais étant enfant avec les mini-récits de Spirou. Je crois que ma devise devrait être « Il faut faire des petits livres ! »
Tu pourrais faire de ces zines une simple feuille pliée, mais tu les agrafes et massicotes (manuellement ?) Pourquoi ? Un vrai mini-comic se doit d’être agrafé et massicoté. J’en reviens toujours à mon modèle américain des années 1980. J’ai une grande agrafeuse réglable qui permet d’agrafer des formats divers, je l’ai acheté quand j’en ai eu assez d’agrafer les Improbablement avec une agrafeuse normale sur un bloc de polystyrène, avant de plier moi-même les agrafes, et j’ai un petit massicot pour photographes, hérité de feu mon compagnon Pierre, dont la photo était l’un des hobbies. Ce massicot a juste la bonne taille pour massicoter un mini au format A6. Je l’ai « eu » quand j’ai commencé à vivre avec Pierre, donc dans les années 1980. Mais je crois que ce n’est que dans les années 2000 que je me suis avisé qu’il pouvait servir à massicoter des mini-comics.
L’agrafeuse et le massicot
Dans le processus d’envois ou de don des Minis, apprécies-tu un retour : retour sur la lecture, troc de fanzine, etc. ? Oui, mais je ne l’attends pas non plus. Souvent, les gens à qui je les donne font aussi de la BD et me donnent leur production. Ou bien, ils postent des photos des minis sur Facebook, comme les membres du groupe « J’AI ! » ou plus récemment Jérôme Gorgeot, d’Egoscopic. Mais en fait, je n’attends rien, au départ. J’ai juste envie de faire plaisir.
Chaque Mini se termine avec un tampon indiquant la date, cette marque très reconnaissable de ces « tampons calendrier », parfois pas bien appuyée, etc. C’est devenu la plus grande constante des numéros d’ailleurs, pourquoi ? Tu as un autre usage de ces tampons ou c’est uniquement à cet usage ? C’est encore la faute à Matt Feazell ! Chaque fois qu’il faisait un tirage d’un de ses – nombreux – mini-comics, il mettait la date avec un tampon. J’ai commencé à utiliser le tampon dans mes BD autobios reprises ensuite dans Improbablement. Tout naturellement, j’ai fait la même chose avec Le Mini de la semaine. Bon, cela dit, j’avais un peu laissé tomber le tampon ces dernières années et puis, il y a un ou deux ans, au détour d’une discussion en ligne, Benoît Jahan s’est avisé que je devais me remettre au tampon et m’en a offert un. Mais je ne sais pas si je vais l’utiliser comme par le passé, pour dater les « tirages », puisque désormais j’imprime mes minis chez moi, sur mon imprimante de bureau, au fur et à mesure des besoins. Par contre, je tamponne la date dans mes carnets pour savoir quand j’ai écrit ou dessiné telle ou telle chose. Je suis un enfant des années 1960 : à l’époque, il n’y avait aucun moyen de reproduction bon marché disponible. Le tampon encreur avec la date ou bien l’adresse était un objet de fascination. Il l’est resté.
Précisions du 24 décembre 2023 :
Tu allais chez un photocopieur en bas de chez toi, c’est que chose qui a en partie disparu, mais peut-être toujours en bas de chez toi. Comme tu as massicot et agrafe ça me donne l’impression que tu imprime/Photocopie à domicile désormais, tu parles d’ailleurs de tirage au fil de l’eau… Bref, ma question est de savoir si tu imprimes chez toi et si oui depuis quand ? Alors premier point : le photocopieur n’était pas juste en bas de chez moi mais tout près, boulevard Voltaire. Et il est toujours là : il s’agit de « De toutes les couleurs », un photocopieur très prisé par les étudiants en art, paraît-il. En tout cas, chaque fois que je passe devant, c’est blindé de monde, donc je n’y suis plus allé depuis 2015, quand j’avais photocopié Bulles Gaies 11. J’utilise donc pour l’impression mon imprimante HP ENVY7640. Je viens de faire une douzaine d’impressions du Mini 115 parce que j’ai encore pas mal d’envois à en faire. Donc, oui, j’imprime chez moi et pour depuis quand… ben… depuis que j’ai relancé le Mini, donc décembre 2023. Ah, non, je te dis une bêtise ! Depuis plus longtemps. Il y quelques mois, j’avais essayé de faire un mini-comic « de luxe » en colorisant l’un de mes vieux Mini de la semaine et en l’imprimant sur un papier un peu plus épais. Je les avais envoyés à mon ami Xavier Lancel, pour qu’il les vende dans sa boutique Croafunding à Lille. Finalement, cet unique numéro du Mini de JPJ ne s’est pas vendu.
Pour ta maladie auto-immune j’avais suivie mais à moitié, je n’avais pas le détail, mais je vois toute l’importance de cette « sortie » où je t’ai croisé. J’aime beaucoup l’aspect physique de la transmission de zine en direct, même si comme les échanges de courriels qui sont de vrais échanges, les échanges de zines à distance en sont aussi, mais ça a un charme. Ah oui, j’aime aussi beaucoup recevoir des zines par courrier (moins en envoyer, parce que c’est du boulot !) C’est d’ailleurs le fait d’en avoir reçu par des amis de « J’AI ! » qui m’a en partie remotivé pour en faire, comme je te le disais.
Exemple d’ensemble de numéros remis à une personne précise sur le stand de « J’AI ! », 5 décembre 2023
Image de chapeau : plat intérieur du Mini de la semaine n°116.
En 2022 neuvième art, revue en ligne de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, me confiait la direction d’un dossier sur Julie Doucet. Je suis encore fort reconnaissant de la confiance des deux rédacteurs en chef (Irène Le Roy Ladurie et Sylvain Lesage) et nous l’avons lancé avec quelques articles. Ensuite, le principe est que les dossiers restent ouverts, et il y a bien des articles prévus.
Seulement, après changement de site, les dossiers ont disparu sous leur ancienne forme, ça reviendra sans doute, mais cela ne fonctionne pas pour le moment. Et les liens transmis jusqu’ici ont tous changé. Bref voici donc ici un endroit ou ce dossier apparaît dans son entièreté, et j’essaierai de le mettre à jour si jamais ça rechange… et quand de nouveaux articles paraîtront, car c’est prévu !
« J’ai trop besoin de toucher, de manipuler la matière, de remuer » – entretien avec Julie Doucet, par Maël Rannou, octobre 2022. Afin de lancer le dossier, un long entretien réalisé avec l’autrice un mois plus tôt, dans son atelier de Montréal. L’occasion de revenir son ses premiers contacts avec la bande dessinée, son rapport au milieu, et son lien constat avec la création graphique et la publication.
« Une douceur charnelle de l’abondance », par Marie Bardiaux-Vaïente, octobre 2022. Paru en regard de l’entretien, ce texte a une vocation généraliste sur l’œuvre de Doucet. L’idée était de demander à une chercheuse qui soit aussi une praticienne et une militante féministe de relire l’œuvre de bande dessinée de Doucet et d’en parler comme à une consœur tout en détaillant les point marquants dans ses divers regards.
« Allers et retours dans le fanzinat : de Dirty Plotte au Pantalitaire », par Izabeau Legendre, novembre 2022. Contrairement à un propos régulièrement entendu, Julie Doucet a peut-être cessé la bande dessinée dans sa forme la plus classiquement entendue, mais n’a jamais rompu avec la narration graphique, très souvent appuyée d’une pratique d’impression, de reproduction, etc. Dans ce texte Izabeau Legendre, met la lumière sur les années de fanzinat de l’autrice après son « départ de la bande dessinée » de la fin des années 1990.
« L’Oie de Cravan, un éditeur qu’on n’attend pas », entretien avec Benoît Chaput, par Maël Rannou, janvier 2023. Lors de mon séjour montréalais, sans penser à l’origine à ce dossier, j’avais rencontré l’éditeur de L’Oie de Cravan, éditeur de poésie montréalais qui a publié nombre de livres de Julie Doucet, sans limite de forme. Il publie aussi Obom, Gigi Perron ou Michel Hellman, en autres auteurices de bande dessinée. L’échange étant très intéressant et permettant d’embrasser cette question des frontières floues du travail de Doucet, il a logiquement trouvé sa place dans le dossier.
« An english lesson », par Jean-Philippe Martin, janvier 2023. Une des classiques sections de la revue est la « planche commentée », à partir de collections du Musée de la bande dessinée, entité de la CIBDI. Le musée possède justement deux planches de la Grand Prix de la ville d’Angoulême 2022, un récit court intéressant à plusieurs titres. Outre qu’il provient de la période Dirty Plotte, sans doute la plus connue et incarnante dans la production de l’autrice, on y trouve aussi l’usage du collage, qui devient marquant dix ans plus tard quand elle s’éloigne de milieu de la bande dessinée, et une mise en scène de son « broken english ». Dans un pays bilingue où le français reste très minoritaire, sauf au Québec, elle rappelle ici combien, en naviguant constamment dans les deux zones linguistiques, elle est une des rares autrices de BD à parler aux « deux solitudes ». Le conseiller scientifique de la CIBDI à exploré ces deux belles pages dans une analyse détaillée, explorant les schémas narratifs et leur esthétique générale.