En mars 2005, j’ai 16 ans depuis peu et je publie le 3e numéro de Gorgonzola, fanzine créé quelques mois aupparavant avec pour volonté de faire découvrir la BD que j’aime à mes copains pour pas cher, de publier mes pages (j’arrêterai relativement vite) et de développer en papier toute l’explosion vécue des blogs BD.
Gorgonzola c’est un fanzine de création fait dans ma campagne, qui devient un ticket d’entrée pour les festival, des stands, de nouvelles rencontres, etc. Je retiens souvent qu’au n°16 de janvier 2011 on fait notre premier gros dossier rédactionnel (sur le BD Argentine), avant d’instituer un dossier régulier sur un thème d’histoire de BD relativement récente à partir du 18 de janvier 2013.
Si ce n’est pas faux, c’est une petite réécriture de l’histoire assez amusante puisque dans tous premiers numéros, j’avais mis un peu de rédactionnel : des entretiens d’auteurs, un classique vu dans d’autres fanzines. Et le casting est pas mal : Matt Konture au n°2, Nikita Mandryka au n°4, un obscur chanteur au n°5 (Billy B. Beat, mais j’aime toujours beaucoup) et au n°3, déjà, Julie Doucet.
J’avais été soufflé par ma découverte de Ciboire de Criss en 2003/2004, j’avais une amie québécoise depuis quelques années et je rêvais de cet endroit, j’avais aussi vu ma première pièce de Mouawad, qui lui aussi pointait là-bas.
Bref, j’ai écrit à l’Association, qui a transmis mes questions. Elles n’étaient pas folles, que par courriel, banales en large partie. J’ai illustré d’images prises sur internet, déformées par ma « maquette » sous Publisher, mais j’ai retenu qu’elle était très gentille. Je dépose l’entretien ici, il ne vous apprendra rien, c’est un document, disons.
Donc voilà, en mars 2005, déjà Julie Doucet, déjà des entretiens.
En octobre de l’année suivante je publiais une demi-page dans un fanzine de BD québécois, Ça pue ! n°4, publié par l’autrice Iris. La page est plutôt nulle (même si je suis très reconnaissant à Iris de l’avoir publiée), mais c’est une parodie/hommage autofictionnel de Doucet. Déjà donc, des années avant de lui dédier le n°2 de mon égozine Ceci est mon corps. Je rajoute cette BD sans grand intérêt si ce n’est documentaire à la suite de l’entretien.
En septembre 2022, j’irai chez elles quelques heures, pour un long entretien pour neuvième art. L’année suivante au FIBD j’animais un plateau génial avec elle, Diane Obomsawin, Siris La Poule, Marc Tessier et Julie Delporte.
Ça vient de loin quand même !
PS : On notera qu’au début de Gorgonzola les trois auteurices de BD interviewés le sont tous avec une pratique de l’édition, qu’elle soit à petite échelle comme Doucet, où en librairie voire en kiosque. Ce rapport à la conception et à la diffusion des livres n’est pas anecdotique à mon avis, même si à l’époque je ne le conceptualisais pas.
Au lancement des Cahiers de la BD, l’éditeur avait proposé une chronique signée par divers auteurs sous le pseudo gag de Daniel Merveille (en hommage à Daniel Vermeille, auteur culte de Rock & Folk). Il s’agissait d’une sorte d’Oncle Paul racontant les concept avec un ton bonhomme débutant toujours par « Bonjour les enfants » tout en parlant quand même du sujet, le tout en 3000 signes. On y a écrit sur le festival d’Angoulême, les bulles… j’avais fait celui-ci sur le roman graphique, jamais publié, il y a bien cinq ans, j’ai essayé de la remettre dans la revue, puisqu’elle avait été oublié, mais il semble qu’elle soit refusé.
Il s’avère que j’aime bien ce que j’y raconte, même si c’est bref et ne casse pas trois pattes à un canard, moi qui ai dans mes cours sur la BD un slide nommé « Contre le roman graphique ».
Bonjour les enfants. J’ai appris que certains d’entre vous ne voulaient plus m’entendre parler de BD, car ils préfèrent le « roman graphique ». Pourquoi pas, mais êtes-vous au moins d’accord entre vous sur ce que ça veut dire ?
Le premier à utiliser ce terme est le critique américain Richard Kyle en 1964. Son but est purement marketing : il n’y a pas de tables sur la BD dans les librairies et il veut être mis avec les essais littéraires. Personne ne note vraiment l’usage et c’est Will Eisner qui le popularise en 1978 avec A Contract with God. Le dessinateur du Spirit veut se démarquer de ses anciens travaux et publie quatre nouvelles dessinées : des sujets lourds, une ambition narrative, un format entre comics et littérature, du noir et blanc. Voilà pour lui la définition du roman graphique.
L’expression « roman graphique » fonctionne très bien, même Marvel la reprend quelques années plus tard pour des aventures vendues plus cher, avec des super-héros et en couleur, retenant surtout l’idée de cibler un public différent. Le terme « roman » permet de se distinguer de la masse, de montrer qu’on ne lit pas n’importe quoi, surtout à ceux qui n’y connaissent rien. Sur le fond, la chose est plus discutable. Après tout dès 1918 le Belge Frans Masereel publie un « roman en gravures ». Il y a un siècle ! Rodolphe Töppfer, lui, faisait de la « littérature en estampe ». Et le genre est monnaie courante jusqu’au 50’s sans que personne ne s’en émeuve. Il s’agit alors de rendre accessible des idées politiques, avec des images et impressions venues de l’affiche.
En France, au début des 80’s, Casterman publie sa collection « Les Romans (À suivre…) » en parallèle de sa revue, l’idée est surtout de publier des récits assez longs, sortant du cadre de l’album, et d’accompagner les éditions de Pratt. Il y a bien une ambition littéraire dans les premiers numéros, mais cela devient vite flou. Flammarion lance une collection « Roman BD », mais il s’agit juste de petit format quand les Humano mettent le même terme pour leur collection de one-shot. Autant dire qu’entre le roman graphique de superhéros, les pré-graphic novel et ça, Eisner y perdrait son américain.
Le terme s’installe ainsi, présent sans s’imposer. Après la vague de (re)découverte de la BD alternative au début des 90’s des éditeurs relancent des collections Roman BD, désignant cette fois a priori plutôt un format : entre l’album et le poche, 150 pages minimums, en noir et blanc. De quoi signer les plus porteurs des auteurs alternatifs. Mais le manga arrive et bouscule tout, avec une pagination qui y ressemble, mais en moins cher. D’autres, comme Taniguichi, sont publiés aux côtés des volumineux « bédéromans ». Le terme ne désigne alors finalement qu’un format. Mais voilà que certains y présentent 200 pages de gags en couleurs. Et que l’on cartonne la couverture.
Une chose est certaine, le roman graphique ce n’est pas tout et n’importe quoi. C’est une chose précise. Reste à savoir laquelle.
Je reprends ici à fin d’archivage ce texte paru sur Bodoï qui dépasse la simple chronique de l’album Chanson d’avril. J’ajouterai que si je ne le dis pas dans le texte, le fait que la mère de mes enfants s’appelle Natacha ajoute à ma tendresse.
Natacha n’est sans doute plus une série très populaire au sein de Spirou, malgré un film récent : il s’agit clairement d’une des dernières grandes incarnations des séries de Marcinelle par leur auteur original – on peut aussi penser à Yoko Tsuno ou aux Tuniques bleues. Le fait que Walthéry, connu pour avoir été un des plus jeunes membres du studio Peyo, termine avec Chanson d’avril un cycle de trois volumes hommage à Sirius, un auteur central mais globalement oublié du Spirou de son enfance, rajoute à l’étrangeté de la proposition dans un magazine paraissant en 2024.
Je l’avoue, j’ai un faible toutefois pour cette série. Pas tant pour Natacha qui, si elle a certes été une des premières figures d’héroïne franco-belge (suivie de très près par Yoko Tsuno, justement), reste une héroïne pensée par ou pour les hommes, ce qui est assez flagrant dans certaines pages, postures, et plus encore dans les dédicaces. Néanmoins, malgré cela, c’est un personnage qui a pu servir d’identificateur et qui rénovait un peu les pages du Spirou des années 1970.
Si cette série m’a particulièrement intrigué, c’est par la manière dont elle raconte une certaine histoire de cette bande dessinée franco-belge, dans une approche très foutraque. Créée avec Gos (du Scrameustache, aussi venu de chez Peyo), cette saga de 24 tome laissent place à une grande diversité de scénaristes, dans une temporalité étonnante. On y retrouve des figures majeures de Dupuis : Maurice Tillieux, Peyo, Raoul Cauvin (une seule fois, ce qui est étonnant vu sa place dans l’écosystème), Marc Wasterlain (qui participe parfois au dessin, comme Will sur un épisode ilien mémorable !). À leurs côtés, des scénaristes moins connus du grand public, mais qui ne surprendront pas quiconque a fréquenté les magazines et publications de cette période : Thierry Martens, Mythic, Stoquart et surtout Mittéï, un prolixe scénariste de la période dont les productions sont assez aléatoires, entre inventivité et tâcheron, et qui reprendra intégralement une autre série de Walthéry (Le P’tit bout d’chique). Enfin, à cette liste déjà importante, s’ajoutent des quasi-inconnus : un copain de service militaire fan de science-fiction dont il reprend une nouvelle (Étienne Borgers signe finalement trois albums) et même un fan qui lui propose un scénario qu’il adaptera dix ans plus tard (Guy d’Artet).
Ce mélange très ouvert a quelque de touchant, on y retrouve du fameux « artisanat » tant vanté mais rarement très conforme à la réalité. On voit aussi, au fil des ans, soudain paraître des albums d’auteurs morts depuis longtemps, comme lorsque que Walthéry dessine un inédit de son ami Peyo en 2004, douze ans après sa mort, expliquant n’avoir pu le faire avant. Un bazar assez joyeux, parfois franchement foutraque, mettant les personnages dans des situations et ambiances très différentes selon les auteurs : certains sont nettement plus ancrés dans le roman noir et l’enquête, d’autres dans l’aventure exotique, voire la bouffonnerie purement humoristique (la série reste toutefois toujours de l’aventure humoristique, semi-réaliste).
À ce titre, il y avait une certaine logique à le voir se lancer dans l’improbable projet d’un remake de L’Épervier bleu, série de Sirius publiée dans Spirou de 1942 à 1951, avant de faire un retour de 1973 à 1977. Cette série un peu oubliée est une vraie série d’aventure, rocambolesque, avec un grand A, des rebondissements improbables et un imaginaire technique débridé qui se fichaient un peu du réalisme. Le projet est sympathique, on l’attendait pour un album, finalement en deux parties, et en voici un troisième, qui peut se lire indépendamment et clôt apparemment cette série d’adaptations. On peut s’étonner qu’autant de tomes de Natacha, série qui n’en compte pas tant que ça, aient été consacrés à cette idée étrange, mais l’auteur avait sans doute un fort tribut artistique et amical à payer.
Si sympathiques que soient le projet et la série, celle-ci date, et en se fusionnant à un récit des années 50, elle ne gagne guère en modernité. De fait, Walthéry ne fait pas que reprendre des trames – parfois très précisément, parfois avec plus de distance –, mais aussi des dialogues, et s’il veut remettre au goût du jour la série, il la remet au goût du jour avec son regard d’homme de 79 ans. À ce titre, si le dessin n’est pas aussi précis qu’il l’a pu l’être et qu’il ne manque pas de postures curieuses de Natacha, et que certaines images peuvent paraître datées, rien n’est comparable au dramatique Spirou et la gorgone bleue. Si un méchant paraît avoir des traits étonnamment sémitiques (ce qui n’aurait rien eu d’étonnant chez un élève de Peyo qui invoquerait alors Gargamel), il n’est d’une part pas si méchant et son dessin semble laisser penser qu’il s’agit d’un portrait de Wasterlain. Une jeune fille algérienne dont les traits ne sont pas caricaturaux accompagne d’ailleurs nos héros. Walthéry évite donc quelques écueils, mais au-delà de cela (qui est un minimum), peut-on vraiment lire Natacha au premier degré en 2025 ?
Vous l’aurez compris, il m’est difficile de répondre à cette question, et la cible n’est sans doute pas le plus grand public possible. Il reste qu’en lisant cet album comme un lecteur curieux, lecteur qui n’a pas lu les précédents d’ailleurs, on peut au moins constater qu’il est fluide et se tient bien en tome autonome. Le récit principal est franchement sans queue ni tête, mais cette acceptation de l’aventure pour l’aventure fait partie du deal, et l’on va donc voir une course contre des brigands de la mer au ciel, sur un gigantesque bunker volant où un savant fou (qui n’a pas mauvais fond) et un ancien nazi (qui est parfaitement nazi) sont associés. Sans surprise, ça ne peut pas bien tourner. Ce genre de scénario n’a plus vraiment cours aujourd’hui, mais après tout la base volante géante dans les films de divers Avengers n’est guère plus crédible, et l’on peut se laisser embarquer.
Le défaut principal de Chanson d’avril est sans doute lié au fait d’à tout prix vouloir en faire un Natacha, en reprenant un principe lancé dans L’Hôtesse et Monna Lisa (scénarisé par Mittéï en 1977) : Natacha a trouvé un carnet appartenant à sa grand-mère qui, hasard, fréquentait aussi le grand-père de Walter (son acolyte), et lit ses aventures. Si cela pouvait tenir dans l’aventure initiale de 22 pages pour un Spirou spécial rétro, le procédé paraît paresseux sur tout un album (et c’est ici le troisième). La séance de lecture est interrompue par une scène dans l’avion, running gag avec un passager alcoolique (par ailleurs autoportrait assumé de l’auteur plus jeune), qui n’a franchement aucun intérêt. Comme je le soulignais au début, la série est par nature très polymorphe, le mieux à faire semble donc de sauter ces séquences tentant artificiellement de les relier à un grand axe général flou. Ainsi, c’est en acceptant de lire ce Natacha en renonçant à ce qu’il en soit un qu’on peut en savourer la fraîcheur désuète, drôle d’oxymore pour un franchement étrange et plutôt agréable album.
Je ne sais pas si vous connaissez Jérôme Gorgeot, depuis plus de 20 ans il fait des BDs autobios, avec une focale sur une vie qu’on ne voit pas trop dans les BDs : un gars de province, à une époque marqué à droite, etc. Je l’ai croisé pour la première fois sur le site BDAmateur et j’avoue qu’il m’énervait, j’étais ado et encore sans droit de vote et il se vantait d’aimer Sarkozy ! Il en est revenu, sans devenir de gauche, mais a pris beaucoup de distance avec ça je pense… Il était journaliste de presse quotidienne régionale, devenu directeur de cabinet, revenu largement de la politique il a étrangement une petite célébrité sur Tik Tok ! Je sais en tous cas que j’étais étonné par cet autobiographe qui semblait avoir beaucoup de références communes avec moi mais être très différent.
À un moment je ne l’aimais pas du tout, je l’avoue, puis le type est sympathique et a posé clairement des gestes nécessaires pour moi (dans une BD des années 2000, il défendait Dieudonné et la liberté d’expression, mais il a ensuite condamné très clairement la dérive quand il a vu « l’humoriste » faire monter Faurisson sur scène, les deux fois en BD, en assumant se sentir trahi et couillon. Pour moi sur ce sujet Faurisson est la bascule absolue, avant il y a déjà des choses, mais tu peux essaye de croire à l’humour, là non). Bref je vous dis ça car à la base Jérôme c’est quelqu’un qui existe dans un paysage un peu lointain, dont je lisais au début le travail avec énervement mais en étant intrigué, et petit à petit moins énervé, toujours intrigué. On a fini par se croiser, discuter, et bon, sans devenir un fanatique de son travail j’apprécie de le lire et de le voir. Se montrer y compris dans ses erreurs, sans vraiment de fard (non d’autocomplaisance) c’est pas si commun.
Le dernier Egoscopic, couv de Berbérian
Comme beaucoup de fanzineux, Jérôme a une activité diverse à côté de celle d’auteur (et je ne parle pas de faire bouillir la marmite, mais toujours dans le champ des BDs), notamment celle de coorganisateur d’un festival et, surtout, d’éditeur d’un collectif. Ce collectif, Egoscopic, était consacré à l’autobiographie en BD, à une époque où c’était bien plus commun qu’avec Ego comme X, mais en fait plus si commun d’avoir une anthologie juste à ce sujet. Egoscopic a connu 20 numéros copieux (cent pages, en couleur) entre 2012 et 2023, puis s’est arrêté, c’est déjà une longue vie pour un zine et comme souvent ça épuise l’énergie – être auteur est une chose, organisateur de collectif une autre, et vendeur sur des salons vraiment une autre. Bref on peut commander les numéros disponibles ici, c’est curieux Egoscopic car il y a vraiment des contenus inégaux, en ce sens c’est un vrai fanzine bédéphile à l’ancienne, le Jérôme Gorgeot « fan de » y a contacté ses stars : Lolmède, Baudoin, Placid, Duffour, Fifi, Barale, Rochier… au milieu de ses copains, de parfois débutants, de gens croisés sur d’autres stands, j’aime beaucoup cet esprit, c’est dit.
Bref, aussi par le contexte de mon rapport à Jérôme, de ces souvenirs anciens, j’ai mis du temps à me pencher sur Egoscopic, alors que bon, je fais de l’égozine, ça aurait été une débouchée logique. Je ne sais plus comment j’ai fait des pages pour le n° 19, je sais que Jérôme aimait Ceci est mon corps, et j’avais justement une idée de récit court, mais je me demande si ce n’est pas suite à une demande d’El Chico Solo, et que je me suis dit « quitte à être dans ce numéro »… on ne saura jamais mais j’explique bientôt plus clairement la phrase qui vient d’être écrite. En tous cas, en novembre 2022 est sorti le n° 19, sous une belle couv de l’ami Jean Bourguignon (on a fait un bouquin ensemble) et j’y propose des pages. Mais, chose plus curieuse, j’y apparais plusieurs fois ailleurs !
Mon exemplaire, légèrement corné, du n°19, couv de Jean Bourguignon
En effet, j’apparais sans surprise dans ce numéro dans mes 3 pages autobiographiques, « Mes vêtements vous parlent », dont l’objet est comme souvent de raconter ma vie à travers des détails de l’expression du corps ou, dans ce cas, de ce qu’il y a dessus. Ce sont des pages assez classiques de ce qui ressemble à mon travail.
Par ailleurs, il s’avère que l’ami El Chico Solo (interviewé comme « fanzineux disparu » dans Gorgonzolail y a des années, depuis régulier de mon zine puis leader suprême du groupe « J’AI ! »), qui publie dans Egoscopic depuis plusieurs numéros, avait décidé d’y raconter son Angoulême précédent. Comme il y a croisé des dessinateurs, il leur a demandé de se dessiner eux-mêmes pour être collé dans ses pages. D’ailleurs c’est un collage littéral puisque ce n’est pas numérique, il imprime au bon format nos dessins et zou. Il ne s’agit que de trois petits dessins, visibles ci-dessous, mais ça se passe dans mon appart avec mon regretté chat Lénine, qui aimait tant dormir sur des gens nouveaux.
Je suis donc personnage dans ma BD, c’est classique. Dans celle d’un autre, ça l’est moins, mais je me dessine. Et voici que je retrouve sur mon disque dur deux pages d’Aleksandar Zograf, formidable dessinateur serbe, régulier de Gorgonzola (et dont on a publié un beau recueil de dessins,Visions hypnagogiques, pas cher), qui fait régulièrement des BD reportages pour une revue de son pays. En octobre 2021, il est venu à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême pour des journées d’étude internationales, nous nous y étions rencontrés pour la première fois. Comme je venais d’arriver là-bas comme bibliothécaire, je faisais visiter les réserves patrimoniales aux invités, et il m’y a dessiné. Je suis donc apparu dans un magazine serbe, apparemment dans une traduction italienne aussi. J’avais traduit ses planches (depuis l’anglais) et Yvang les avait lettré (c’est lui qui lettre toujours Zograf, et d’autres, pour nous), cela devait être publié sur le site de la CIBDI mais ça a changé de direction, le post n’a pas eu lieu, bref. Et donc j’avais ses pages, je ne me voyais pas les mettre dans Gorgonzola, en plus on perdait la couleur, je les ai proposés au camarade Gorgeot qui s’est réjoui d’avoir ainsi l’auteur de Bons baisers de Serbie (un album à vraiment lire) au sommaire ! Et me voici dans un troisième récit, cette fois sous une autre plume.
En version pas trop lisibles pour que vous achetiez le numéro, les pages du camarade Zograf, et ma chemise à carreaux !
Je n’aurai participé qu’une fois à ce chouette fanzine, je le regrette un peu, mais jusqu’ici je n’étais jamais apparu dans des BDs d’autant d’auteurs différents dans un même numéro (sauf dans Ceci est mon corps mais je demande à des copains de parler de moi, c’est un peu différent), alors ma foi, c’est quand même pas rien ! Bon, je doute que ce soit un argument marketing pertinent en soi (sauf s’il y a des fans de moi, inconnus au bataillon), mais vous aurez au moins eu un aperçu de la diversité des auteurs de ce beau fanzine, à commander ici donc, je le redis.
Bandeau : couv des numéros 12, 10 et 16 par Denis Truchi, Zac Deloupy, et Rémy Cattelain (une des stars aussi, un des plus drôles dessinateurs de presse actuel)
La fin décembre 2024-début janvier 2025 a été particulièrement riche en articles, ce qui a pu donner un effet de publication assez sidérant. En réalité certains de ces articles étaient en travail depuis 4 ans, en attente de publication, d’autres plus raisonnablement depuis 2 ans, mais tout a été publié en même temps par le hasard des calendriers des revues !
Photo volée à Jean-Paul Jennequin, car on ne trouve vraiment pas beaucoup de visuels en ligne et j’ai la flemme de scanner le miens.
Inverses, revue des Littératures, arts et homosexualités a consacré en octobre un numéro au roman graphique (on sait comme j’aime moyennement ce terme, mais le sujet n’est pas là ^^). J’y ai comparé la manière dont les œuvres de Julie Delporte et Mirion Malle dévoilent petit à petit un réveil queer. La revue n’existe qu’en papier, le site n’est même pas à jour, mais j’ai eu l’autorisation de la verser sur HAL après quatre mois d’embargo, vous pouvez donc lire l’article « Delporte et Malle, deux regards queers en évolution » en cliquant sur la couv ci-dessus (et ce sera pareil pour tous les articles) !
Je saute en janvier malgré des parutions en décembre car j’ai eu le plaisir de diriger un numéro d’@nalyses, revue de littératures franco-canadiennes et québécoise sur le thème « Vingt-cinq ans de bande dessinée québécoise au XXIe siècle ». Vous pouvez lire mon introduction en cliquant sur la fort belle couv de Xavier Cadieux, il y a des manques dans ce dossier, mais je suis content d’avoir eu des contributions venant d’approches différentes, et qui ne se limitent pas à Guy Delisle, Julie Doucet (que j’adore pourtant) ou Michel Rabagliati. On a des articles sur des artistes/séries (dont un sur une série de Goldstyn, un auteur important jamais étudié, paru dans la presse jeunesse, et dans une revue de très large diffusion), des monographies de revues ou d’éditeurs, une étude du strip québécois contemporain… Mais si je voulais en parler tout de suite c’est que j’y signe un article qui propose aussi une analyse comparative des travaux de Mirion Malle et Julie Delporte, mais cette fois sous l’angle du rapport à la québécité dans les œuvres, comme la couv amène sur mon intro, vous pouvez le lire ici : « Deux autrices franco-québécoises : itinéraires croisés de Julie Delporte et de Mirion Malle ». J’incite vraiment à lire les deux papiers en regard, c’est intéressant d’avoir deux analyses d’œuvres des mêmes artistes, par le même chercheur, mais sur un sujet différent. Bon bien sûr des bouts se ressemblent, notamment dans l’intro ou les parties biographiques, mais c’est normalement bien distinct. Dans ce dossier, j’ai aussi écrit un bref préambule d’une BD reportage de Sophie Imrem reprenant des conférences de Sylvain Lemay, suivi d’une reprise des BDs par Lemay lui-même, la chose étant assez atypique je devais la présenter.
Gabriel Delmas & Marie Bardiaux-Vaïente, Fille d’Œdipe, 6 pieds sous terre.
Pour la revue ¿ Interrogations ? , je suis très largement sorti de mon champ d’expertise en travaillant certes sur de la bande dessinée, mais en m’engageant sur le champ de la mythocritique. Bien incapable de faire cela seul, j’ai coécrit ce cette lecture comparative des adaptations d’Antigone Marie Enriquez, docteure en littérature comparée spécialiste de l’adaptation en bande dessinée. J’y ai apporté mes études liées aux formats éditoriaux, aux analyses d’encadrement des adaptations (paratexte, choix graphiques…), et nous avons croisé nos regards. Cela donne un article que nous avons mis pas mal de temps à sortir mais dont nous sommes désormais très fiers, qui se lit en cloquant sur l’image en bien basse définition, ce alors que j’avais fourni des HD à l’éditeur, mais l’image et les revues universitaires ce n’est pas encore toujours ça. Vous y voyez une de mes cases favorites de cet album, cette tête d’Antigone quasi fantomatique déclarant « Aucun homme ne peut me sauver »
Une BD d’Yves Chaland en supplément d’Astrapi, août 1983.
Enfin, un article d’abord pensé pour un colloque auquel je n’avais finalement pu participer, qui explore un sujet qui me tient très à cœur, par ailleurs publié dans Belphégor, une revue d’études des littératures populaires et cultures médiatiques où je vise de publier depuis quasiment le début de mon doctorat. J’avais envisagé de faire mon M1 de littérature sur les BDs des magazines Bayard, avant de me consacrer à Pif gadget, des années plus tard j’ai pu donc un peu me pencher sur Astrapi et Okapi, revue de mon enfance, et évoquer Je Bouquine, pour parler de l’intrigant mélange en leur sein de BD très classiques, voire planplans, et de bande dessinée clairement alternative ou innovante. Cela reste un article très exploratoire, qui donne envie d’aller plus loin, pour moi le premier ! Mais pour ça il faudra sans doute que je termine ma thèse avant, car là, c’est un trop gros champ à ouvrir… Vous pouvez lire « Okapi et Astrapi: précurseurs inattendus de la bande dessinée alternative ? » en cliquant sur le mini-album d’Adolphus Claar ci-dessus, et par ailleurs j’ai déposé sur un entrepôt de données un court entretien avec Florence Terray, secrétaire de rédaction d’Okapi, matière première d’une partie de cet article, que je laisse donc à qui voudrait se pencher dessus !
Portrait d’Appollo par Joe Dog.
Ce n’est pas à proprement parler universitaire et je l’évoquais dans un de mes posts récents, mais Du9 a publié en janvier l’intégralité de mon entretien avec Appollo en trois parties : « L’universel depuis quelque part ». Appollo est un des meilleurs scénaristes contemporains, j’ai beaucoup aimé explorer, avec l’aide de Delphine Ya-Chee-Chan, tout son parcours depuis les premiers fanzines lycéens, en passant par son rapport à la BD dite historique, sa vision du métier, son rapport aux fanzines – il en dirige toujours un – et son regard venant de l’Océan indien tout en prétendant parler de sujet très vaste, mais simplement dans le décor qu’il connaît. Je suis très content !
Et ce tour se termine avec une nouvelle recension pour le Bulletin des bibliothèques de France, le très intéressant La Fabrique de la bande dessinée, dirigé par Pascal Robert, qui, s’il est inégal comme nombre de collectif, met vraiment bien en avant toute une nouvelle génération de chercheureuses.
Bandeau : Mirion Malle, extraitde la page 36 d’Adieu triste amour, version québécoise (Pow Pow)
« À l’origine on ne savait absolument pas si on allait le publier, d’ailleurs j’avais prévenu Hergé : on le faisait mais on ignorait ce que ça deviendrait. J’avais dans l’idée la collection “Entretiens” chez Pierre Belfond, où l’on trouvait des écrivains, des philosophes, des musiciens, des metteurs en scène et qui m’avait emballé, j’adore les interviews. Je leur ai tout de suite proposé mais ils m’ont ri au nez en me disant “Monsieur… de la bande dessinée dans cette collection… Vous nous prenez pour qui ?” Je n’ai pas osé le dire à Hergé tout de suite, je lui ai raconté longtemps après ! »
C’est ainsi que Numa Sadoul me racontait en 2010 le début de ses entretiens avec Hergé. J’en avais déjà fait quelques autres à l’époque, mais il est certain que la figure tutélaire de Numa, avec qui mes goûts diffèrent certainement, comme la manière de réaliser des entretiens, a joué. À l’époque je le rencontrai pour une étrange raison puisqu’il avait accepté de jouer dans un court-métrage que j’avais réalisé* ! Une occasion bizarre de créer une rencontre avec quelqu’un qu’on admire pour tout autre chose que sa carrière de comédien et metteur en scène. Et je rejoins vraiment le début de sa pensée : j’aime les entretiens, j’aime écouter quelqu’un raconter sa vie ou sa pensée, et encore plus les lire. Si la partie biographique n’est pas ce qui m’intéresse le plus, elle m’apparaît toujours essentielle (là aussi, comme Numa, même s’il y place sans doute plus d’importance dans l’ensemble que moi), sans tomber dans l’excès de l’œuvre par la biographie à la Sainte-Beuve, on ne peut nier que généralement cela éclaire la suite. C’est très flagrant dans un des derniers entretiens que j’ai réalisés.
Une chose qui m’importe beaucoup, ce sont les temps de formation, les influences, je suis peut-être moins curieux de la technique, de la méthode (le fameux « vous travaillez à la plume ou au pinceau ? », qui n’est pas si idiot que sa caricature)
J’aime lire des entretiens, bien sûr j’en lis beaucoup d’auteurs de bande dessinée, ou autour du monde du livre, c’est mon milieu et ma passion, mais même plus largement j’adore ça, y compris de gens qui m’intéressent moins (seule exception : les politiques en activité, j’adore la politique, mais lorsqu’ils sont en poste ce sont souvent des livres programmes sans intérêt). J’ai pu lire avec passion des entretiens avec des gens dont je n’ai finalement pas lu les ouvrages, certains m’ont donné envie de lire des livres, parfois pour une découverte, parfois qui me sont tombés des mains.
Exemple type d’un livre d’entretien que j’ai dévoré tout en n’ayant pas de passion particulière pour le sujet : Du polar, entretiens de François Guérif avec Philippe Blanchet (Payot ). Éditeur de romans noirs, polars et autres thrillers depuis des décennies, Guérif revient sur son parcours comme sur son goût du genre avec une érudition délectable, et en même temps très accessible. Je me souviens l’avoir lu en notant des tonnes de références, des livres qui avaient l’air super, souvent dans ses collections, et dont je n’ai finalement lu quasiment aucune référence.
Plus attendu, comme j’ai lu beaucoup de livres de La Fabrique, j’ai vraiment aimé me promener dans Pour aboutir à un livre, entretiens avec feu Éric Hazan. Les interviewers ne sont pas sur la couv (je suis contre, évidemment) mais il y a une raison, c’est un « faux entretien », composé de questions que La Fabrique recevait souvent d’étudiants, de stagiaires, de la presse… compilées par l’équipe et mises en forme, avec toutefois l’aide d’un stagiaire nommé en avant-propos, Ernest Moret.
En ce moment paraît sur Du9 un long entretien avec Appollo, scénariste réunionnais dont j’aime énormément le travail (La Grippe coloniale, Commandocolonial, ÎleBourbon1730, LaDésolation…) et le discours. Avec Delphine Ya-Chee-Chan nous l’interrogeons sur la bande dessinée historique, les collaborations, mais aussi l’édition de fanzine. Deux volets sont déjà parus, le troisième devrait arriver en regardant le même lien la semaine prochaine. Dans cet entretien typiquement le premier volet revient en détail sur la biographie de l’auteur, qui dessine une géographie intime éclairant l’œuvre, mais on aborde aussi avec l’enfance les premiers émois BD, les découvertes lycéennes, la rencontre très tôt de futurs collaborateurs (via un T-shirt de Druillet). Dans le deuxième volet je me suis amusé à reproduire des extraits de ses conversations sur usenet, proto mailing list de la BD francophone d’où naîtront nombre d’espaces du fandom, où il est alors très actif et où toute une génération s’est mise en lien. Dans le prochain nous parlerons beaucoup du fanzine Le Cri du Margouillat, de l’espace de la BD à La Réunion, tout en évoquant tout du long sa manière de travailler, ses albums, ses collaborations.
J’aime beaucoup ces entretiens « carrière » qui permettent de travailler le temps long, et d’embrasser plein de sujets, j’ai la prétention aussi d’en aborder qui ne le sont pas toujours dans les entretiens des auteurs (qui, en période de promotion, peuvent se répéter sans cesse). Le temps long nécessite aussi du temps, de préparation, de retranscription (si quelqu’un connaît un machin qui le fait facilement…). Mais je suis vraiment heureux de relire ces entretiens finis, de les partager, même si les retours ne sont pas toujours énormes. J’en ai eu des flatteurs, l’entretien avec Siris m’a permis de créer une belle amitié et le camarade avait été surpris qu’un petit français lui parle de ses fanzines des 80’s, Gilles Rochier avant son prix au FIBD, qui me disait mettre son entretien dans ses CV… Un des plus flatteurs était un peu insultant, d’un ami qui pense et écrit beaucoup sur la bande dessinée et me disait que je n’étais vraiment pas un théoricien, trop imprécis et brouillon pour être un vrai historien, mais que j’étais à ses yeux le meilleur interviewer pour la bande dessinée francophone. Alors certes c’est un peu vexant, mais j’ai aussi été flatté, je mets beaucoup de cœur à ces entretiens à vrai dire alors…
Mine de rien, avec le temps ça fait un petit monde d’entretenu. Bien sûr avec le temps, les auteurices (et c’est tant mieux) restant en vie et continuant à produire, il y en a qui sont en partie dépassés. Je m’amuse toujours de mon premier entretien avec Fabcaro indiquant en chapeau qu’il a un « public restreint mais fidèle ». J’ai eu l’occasion de refaire trois entretiens avec lui depuis, mais sans penser à en profiter pour faire une sorte de mise à jour régulière. Là aussi, Numa me disait qu’il rappelait chaque années ceux avec qui il avait réalisé des livres d’entretiens, pour les compléter, ce qui a permis des éditions définitives le jour où les auteurs ont quitté ce monde (parfois très longtemps après, comme les entretiens avec Franquin qui ont mis quelques décennies à reparaître). J’aimerais bien faire ça, le jour où je publierai un livre d’entretiens. On a un projet sur un très long entretien réalisé, le mettre à jour, l’éditer, mais ce sera après un autre grand moment.
Dans les grands noms de l’entretien, il y a aussi les Pissavy-Yvernault, spécialisés dans les auteurs Dupuis. Ils ont notamment réalisé des entretiens avec Willy Lambil, dessinateur des Tuniques bleues, une série qui a bercé mon enfance et que j’affectionne toujours, auteur réputé particulièrement peu loquace. Ces entretiens sont à cette image : il rembarre les intervieweurs, dévie, se contredit allègrement**, tout en donnant des anecdotes de-ci de-là où, sous une amertume certaine, apparais aussi beaucoup de choses du monde de l’édition de l’époque – refusant le mythe de la « grande famille » -, d’une certaine vision du métier et du labeur, une sorte de conscience sociale, et des choses très drôles. J’ai adoré ces entretiens, et j’aurai adoré faire un livre pareil (j’en avais parlé sur Bodoï).
Je pense à tout cela car je viens donc de publier cet entretien avec Appollo et que dans quelques jours je serai à la maternité pour la naissance de mes enfants. Dans ma valise j’ai pris quelques livres, pas beaucoup, je ne manquerai pas d’occupation, mais justement les entretiens ça se lit bien. J’ouvrais avec Numa. Christelle Pissavy-Yvernault vient de sortie un ouvrage d’entretiens avec l’intervieweur, Franquin et moi (reprise du titre Tintin et moi, de Numa Sadoul), centrés sur la relation à l’auteur de Gaston Lagaffe mais semblant aussi parler de tout son regard sur la bande dessinée depuis 60 ans, des rencontres, de ses différents entretiens. C’est donc ce livre qui est dans ma valise, liant sans doute plus fortement que je ne l’aurai jamais imaginé ma vie, Numa Sadoul et le goût des entretiens.
* Si ce court métrage ultra-marqué Tarantino est trop lent et n’a sans doute pas un fol intérêt, je suis tout de même assez content de son scénario. Le casting est improbable entre Numa Sadoul, le jeune étudiant en BTS édition que j’étais, un copain qui est devenu un comédien professionnel, un chanteur voix française de Travolta… ** Je ne vois pas de problème à ce que les entretiens montrent des contradictions, voire des informations erronées, le travail de l’interviewer est d’essayer de vérifier les chronologies (et éventuellement de le dire à l’interrogé pour qu’il corrige, bien souvent c’est de bonne foi, la mémoire n’est pas une chose fiable). Par ailleurs je n’attends pas des interviewés une vérité, mais une vision à un moment T, un auteur de BD brillant peut avoir un discours ou des goûts qui ne sont pas les miens, ou qui sont même décevants, ça ne rend pas l’entretien nécessairement inintéressant. Sur un très long entretien, la contradiction peut être tout à fait signifiante.
(cet article propose une liste de gens complètement arbitraire et personnelle, mais tenter d’objectiver vaguement ce choix arbitraire et personnel, liste en fin d’article, après le contexte)
En tant qu’auteur de quelques albums à compte d’éditeurs, j’ai un privilège : le droit de voter chaque année pour le Grand prix de la ville d’Angoulême. Cela a longtemps été frustrant vu les résultats, mais ça a aussi été pour moi la rare occasion de « gagner mes élections », ce qui n’arrive pas souvent par ailleurs. Évidemment, il y a eu la grande joie Julie Doucet (pour qui je votais systématiquement, mais qui a été porté par la sortie de Maxiplotte), d’autres fois j’ai voté « utile » pour des gens ne me passionnant pas, mais me semblant important, en influence ou apport.
J’ai ainsi voté Bechdel, arrivant au second tour plusieurs fois, reconnaissant l’apport majeur de Fun Home, le fait qu’elle ait été autrice de la première bande dessinée à être sélectionnée pour un prix Médicis ou l’invention du Bechdel test, qui dépasse carrément la sphère de la bande dessinée pour une importance majeure dans la pop culture. Et qu’importe si Le Secret de la force surhumaine (le fameux album sélectionné au Médicis) me tombait des mains. Au dernier tour j’ai tendance à privilégier les autrices et les étrangers, pour renverser un problème évident quand on regarde la liste : Martin Veyron, Philippe Vuillemin, Max Cabanes, Jean-Claude Denis grand prix, mais pas Quino, Carl Barks, Tove Jansson ou Osamu Tezuka (mort en 1989 on pouvait se dire que c’était compréhensible). Voir JC Denis, auteur à l’œuvre sympathique, mais très peu influente au-delà de la francobelgie, succéder à Spiegelman avait quelque chose d’assez incroyable tant l’importance est incomparable. Et si j’adore les Vuillemin et Cabanes des débuts (Raoul teigneux, Dans les villages !), qui étaient inventifs, c’est quand même très loin de l’œuvre des précités.
C’est le principe des prix, qui lit les discours de Churchill quand Proust, Virginia Woolf ou Calvino n’ont jamais eu le Prix Nobel de littérature ? C’est le jeu de trouver que des gens n’ont rien à faire là et qu’il y a des manques criants, dans le cas du « Festival international » d’Angoulême la liste montre toutefois bien qu’avant la réforme du vote en 2013, l’aspect international était très faible et, c’est bien noté, les femmes quasi absentes (Bretécher avec un prix spécial, et Cestac). En dehors des Franco-belges (tous francophones), seuls Will Eisner (2e lauréat, ça partait bien), Hugo Pratt (un prix spécial en 1988), Robert Crumb (en 1999), José Muñoz (en 2007) et Art Spiegelman (en 2011) avaient été récompensés du Grand prix. Et un peu comme les Oscar récompensant The Artist, cela était beaucoup dans un regard français : Pratt, Crumb, Munñoz vivaient en France, Spiegelman est particulièrement francophile…
Bref, les premières années post-2013 étaient celles du rattrapage, notamment féminin et japonais, avec quelques backlash (Hermann ! ou Corben, même si américain, qui est vraiment un auteur que je juge aberrant en soit, mais qui a incontestablement eu une influence massive sur les auteurs des 80-90’s, et a donc sa place). De fait sur 11 prix 4 seulement récompensaient des auteurs de la zone franco-belge : Hermann et Cosey, piliers du magazine Tintin, un Belge et un Suisse, Emmanuel Guibert (dont l’œuvre est intéressante entre l’importance symbolique et esthétique de La Guerre d’Alan et l’énorme succès public de l’œuvre jeunesse Ariol), et Riad Sattouf, dont l’œuvre ambitieuse s’est associée à un succès public majeur sur la dernière décennie. On ne sait trop où ranger Julie Doucet qui, si elle est francophone, ne vient pas d’Europe (elle est la seule récipiendaire canadienne du prix) et a une influence large en zones francophones ou anglophones. Cela laisse en tous cas en 11 ans une bien plus grande diversité nationale avec 7 pays représentés : 3 lauréats étatsuniens, 2 Japonais, 2 Français, et un représentant pour la Belgique, la Suisse, le Canada et le Royaume-Uni. Au niveau linguistique la diversité des créations est moindre avec uniquement le français (5 lauréats), l’anglais (4 lauréats) et le Japonais (2 lauréats), pas délirant vu les sphères d’influence de la BD, mais l’espagnol ou le coréen finiront bien par être plus largement représenté.
Bref, là vient le moment où les auteurices recensées par le FIBD reçoivent leurs codes pour voter, et c’est toujours bien compliqué. Pour ma part j’ai des auteurices en tête – je votais Edmond Baudoin sans discontinuer durant des années, mais j’ai cherché à internationaliser depuis, cet auteur réellement majeur en fait les frais dans mon vote depuis un an ou deux.
Voici donc une liste complètement arbitraires de gens important.e.s à mes yeux, pour qui voter fait sens, pas forcément des gens que j’adore mais qui me semblent pouvoir être dans la compétition et dont l’influence sur la bande dessinée me semble majeure – et c’est à mes yeux ce que doit représenter le prix -, et qui me semblent pouvoir être dans la compétition.
Je n’y remets pas Bechdel, Meurisse ou Bagieu, pourtant régulièrement finalistes depuis plusieurs années, pas tant sur un jugement de fond que parce que du coup ça ne me paraît pas spécialement nécessaire de parler d’elles. J’ai déjà dit plus haut pourquoi Bechdel me semble nettement plus importante, Meurisse c’est parfois très bien (d’autres fois ça m’ennuie) mais au-delà de l’Europe francophone elle est inconnue, bien sûr elle incarne aussi Charlie, l’année des dix ans du massacre, Bagieu beaucoup taperaient dessus facilement, ça ne m’intéresse, d’autant qu’ elle a eu une influence incontestable – que ce soit à l’époque du blog « girly » ou avec son évolution vers des bandes dessinées féministes au trait nettement plus affirmé. Elle est par ailleurs traduite aux USA, avec succès, donc pas inconnue internationalement, et parfaitement légitime, mais j’en vois beaucoup d’autres (tous genres confondus) avant elle.
Je ne sais toujours pas comment choisir. Une autre langue que les trois langue suscitées pourrait être intéressant aussi comme critère (mais je n’en ai aucun). Longtemps je cherchais à voter pour un européen, un américain, un asiatique, mais il y a aussi toujours un énorme retard de Japonais… bref peut-être finirai-je simplement par prendre les plus vieux dans un côté tristement froid sur la possibilité de mourir (ce qui est arbitraire, des gens jeunes meurent et peuvent avoir été très inflents tôt), je les classe donc du plus jeune au plus âgé.
Les finalistes 2022, Meurisse et Bagieu l’avaient déjà été. En fait, assez régulièrement un.e outsider débarque et remporte la mise. Meurisse est finaliste systématiquement depuis 2020.
Jean-Christophe Menu (60 ans, France) Pour ceux qui en douteraient, Menu est un grand auteur, l’exposition à Angoulême l’a bien montré, tout comme le Livret de phamille, qui a marqué la BD autobiographique francophone, mais aussi Gnognottes – somme de récits épars dont des inachevés pris comme œuvres pleines et entières. Son influence va en cependant au-delà de l’œuvre d’auteur, puisqu’il est un éditeur majeur, la voix incarnant L’Association (parfois en effaçant les autres associés, mais il a forgé le discours de la structure et clairement porté la majorité des ouvrages) et donc le renouveau de la BD alternative au moins européenne (et pas que francophone pour le coup), mais aussi le théoricien. Il ne s’agit pas tant de forger des concepts que de porter un parole militante, assumée, parfois excessive, mais qui a fait bouger les lignes. Plates-bandes paraît évident lu aujourd’hui, mais a été essentiel, les Éprouvette également, c’est par exemple dans le n°3 qu’il incluait Charlotte Salomon dans le champ de la bande dessinée, avant que le Tripode ne la réédite. Auteur, éditeur, théoricien, cela mériterait une récompense.
Daniel Clowes (63 ans, États-Unis) Je m’étonne toujours qu’il ne l’ait pas encore eu, souvent cité, il était en finale l’an dernier. En tous cas cet auteur a une influence incontestable (il suffit de voir Brunetti, Tomine ou D.J. Bryant…), qui contient plusieurs réels chefs d’oeuvres. Pour ma part Ghost World est indétrônable (le livre comme le film adapté, que Clowes a coscénarisé), mais David Boring est aussi incroyable, comme Ice haven ou récemment le réussi Monica (qui a eu le prix du meilleur album). Son dessin est glacial, clinique, loin de ce que j’aime d’habitude, mais dans son cas ça fait sens avec les récits, ça ajoute à la puissance et au malaise – parfois aussi il est très drôle. J’ai longtemps eu un trifecta Clowes/Baudoin/Doucet, si je dois garder un seul homme c’est sans doute lui (mais pas sur un critère d’âge). Mon seul regret serait qu’il soit sacré alors que Cornélius a perdu une bonne partie de ses titres pour Delcourt, mais bon, c’est de toute façon le cas.
Moto Hagio (75 ans , Japon) Je mentirais si je disais que je la connais bien, je n’ai lu d’elle que les deux volumes anthologiques parus il y a quelques années et Le Cœur de Thomas. Mais outre que c’étaient d’excellentes lectures, les spécialistes du manga assurent que c’est une autrice fondatrice du shojo et du boy’s love, jouant avec les frontières des genres (dans tous les sens du terme). Elle a eu une énorme exposition l’an dernier, qui a permis à des traductions de se diffuser un peu, je voterai bien pour elle mais craint que, faute d’autres personnes le faisant, se soit un vote « perdu ». D’ici à ce que la mobilisation se développe, je lirai sans doute ses autres titres disponibles.
Edmond Baudoin (82 ans, France) Il a été et reste mon plus grand choc dans la bande dessinée, découvrant via lui à 14-15 ans, après la voie de l’absurde de Thiriet, qu’une autre bande dessinée existait. Ce rôle il l’a eu dans les années 80 sur les futurs fondateurs de l’Association, qu’il a rejoint et soutenue, il a très clairement influencé des centaines d’auteurs (sans que ce ne soit forcément direct), et a été un des quelques auteurs français qui ont eu des carrières dans d’autres sphères, avec notamment les différents récits chez Kodansha (ils n’y ont pas forcément eu un grand succès mais cette traversée dit quelque chose), il a aussi été professeur au Québec et a influencé des étatsuniens (comme Craig Thompson). Il y a des choses qui vieillissent mal chez Baudoin, son rapport aux femmes nettement plus jeunes, qui questionne (que Neige Sinno évoque dans son Triste tigre, tout en disant qu’il n’a justement pas abusé de son pouvoir), ses carnets de voyages porteurs d’un universalisme qui a un peu vieillis dans son approche. Mais il reste, chose rare, un auteur qui expérimente continuellement : il a fait de l’autobio, mais aussi de la fiction, du reportage, de la BD documentaires, il s’est mis à la couleur, a tenté la théorie en BD (le sous-estimé Crazyman), a publié chez des tout petits éditeurs, des fanzines, tout en sortant des livres chez les gros, a accompagné de jeunes auteurices, cherche toujours à inventer, à tenter. Parfois il se plante, parfois il est brillant, c’est la force de quelqu’un qui essaie et se remet en question. Il aurait assurément dû recevoir le prix plus que d’autres, mais le recevra-t-il un jour ?
Nicole Claveloux (84 ans, France) Autrice majeure de l’illustration et de la littérature jeunesse (elle a notamment reçu le Prix sorcières), qui fait partie de l’écurie révolutionnaire des éditions Harlin Quist, Claveloux est aussi une des figures d’autrices de bande dessinée. Dans les années 70/80, alors que les autrices sont souvent réduites à l’exception Bretécher, elle participe ponctuellement à Charlie Mensuel (et signe la couv du n°126) et (À suivre…) mais surtout à Métal Hurlant et Ah ! Nana, dont elle est une des signatures constantes. Son trait luxuriant, l’audace réelle (graphique comme thématique), les jeux formels, en font une incontournable. À côté de ses récits pour adultes (dont La Main verte, avec Édith Zha, dont la réédition chez Cornélius a eu le Prix du patrimoine du Festival d’Angoulême 2020), elle publie des centaines de pages de bande dessinée complètement délirantes pour Okapi, de 1973 à 1993, marquant considérablement les jeunes lecteurices. Si elle s’éloigne de la bande dessinée à partir des années 1990, elle y était bien pleinement active jusque là, jusqu’à prendre position en étant des cosignataires (avec Montellier, Puchol et Cestac) de la tribune «« Navrant », dans Le Monde, parlant du sexisme du milieu. Il s’avère qu’elle vient de publier un nouvel album chez Cornélius, Ce soir c’est cauchemar, qui est vraiment très bien, ce qui n’était pas gagné après tant de temps loin de la bande dessinée. Il semble qu’une mobilisation se fasse dans le collectif Égalité BD pour appeler à voter Claveloux, ma foi, ce serait avec joie.
Yoshiharu Tsuge (87 ans, Japon) L’Homme sans talent m’avait complètement renversé lors de sa sortie en 2004, avant de découvrir Tatsumi (un autre que j’aurai tant aimé voir Grand prix) c’est vraiment Tsuge qui me fait entrer dans « l’autre manga », le gekiga, social, dur, avec un humour désespéré. L’absence de traduction a ajouté à une sorte d’aura d’auteur maudit refusant la publication a ajouté au mystère, mais quand Cornélius a enfin pu sortir une anthologie raisonnée, force a été de constaté que ce pilier de Garo, revue majeure du manga d’auteur, méritait l’attente. Si ce n’est pas très funky, les récits de Tsuge mêlent angoisses et onirisme, et ont exploré les limites du manga. Il a porté dans ses pages beaucoup de choses qui ont infusées ailleurs, le festival lui a consacré une grande expo il y a quelques années, vraiment magnifiques, et il serait un primé mérité – même s’il ne faut pas compter sur lui pour une masterclass.
Jules Feiffer (95 ans, États-Unis) C’est assurément le plus vieux de ma liste, et il crée encore ! Ses cartoons et strips croquant la vie américaine sont très drôles, justes, souvent acérés dans l’aspect social. Il a été publié un peu par Charlie mensuel, il a infusé sur des générations de cartoonists américains et on lui prête une influence sur Bretécher, ce qui paraît crédible quand on voit ses pages. Il est trop peu publié en français, même si Actes Sud publie Kill my mother, une série qui est en cours – pas ce que j’ai préféré de lui mais le dessin croqué est encore très beau, ce qui est impressionnant à cet âge. Un peu comme Hagio je crains cependant que peu votent pour lui.
Jules Feiffer, « Me Me Me », 1972. Je me reconnais un peu trop dans cette BD, mais j’y travaille.
Quelques noms pour lesquels je ne pense pas vraiment voter, mais qui semblent parfaitement compréhensibles : – Bill Sienkiewicz (66 ans, États-Unis), un auteur de comics au style très reconnaissable, assurément influent, que je n’ai jamais vraiment lu (comme Dave McKean, 61 ans, Grande-Bretagne) ; – Frank Miller (67 ans, États-Unis), l’auteur de Sin City et de Batman Dark Kgnith, pas de débat sur l’importance mais a vraiment été trop républicain facho pour moi – on honore aussi une personne, pas qu’une œuvre, d’autant qu’avec Terreur sainte* ça s’est croisé ; – Dans le même esprit Neil Gaiman (64 ans, États-Unis), auteur très polymorphe, à grand succès, qui en bande dessinée a notamment créé Sandman, un incontournable (qui a eu beaucoup de mal à être bien édité) ferait sens, mais les polémiques récentes d’agressions sexuelles font que moi qui n’ai jamais voté pour lui ne vais pas me lancer ; – Clamp (Japon, collectif dont les autrices ont entre 55 et 57 ans), Nanase Ōkawa, Mokona, Tsubaki Nekoi et Satsuki Igarashi forment ce collectif marquant du manga, qui a notamment signé l’iconique succès popularisant les Magical girl Cardcaptor Sakura, mais aussi l’horrifique Tokyo Babylon, X ou le seinen Chobits, donneraient l’occasion d’honorer des genres diversifiés du manga et un collectif, ce que je trouve intéressant, mais j’ai lu bien peu de leurs travaux je l’avoue ; – Charles Burns (69 ans, États-Unis), j’ai adoré Black Hole, bien aimé pas mal de ses autres livres, il est souvent présenté avec Clowes mais me touche quand même nettement moins, et je dois avouer que ses deux dernières longues séries m’ont ennuyée (ça ferait cependant une bien belle expo) ; – Marc Wasterlain (78 ans, Belgique), dans les franco-belges à l’ancienne il y a quelqu’un comme Willy Lambil (88 ans, Belgique) que j’adore mais qui n’a rien de très inventif, le plus jeunot de dix ans Wasterlain mêle l’œuvre classique dans des journaux comme Spirou, Pif gadget ou Tintin à une capacité à réinventer un peu le modèle franco-belge avec Docteur Poche et Jeannette Pointue. Sincèrement, à la relecture, ce n’est pas si génial que ça avait pu le paraître, je pense, mais ça reste nettement plus inventif et poétique que la moyenne. Son dessin est aussi un des rares à fusionner classique franco-belge et une originalité très reconnaissable, des arguments, ça aurait du sens, mais ne compenserait pas les manques existants ; – Hiromu Arakawa (51 ans, Japon), l’autrice de FullMetal Alchemist (entre autres) a assurément marqué une jeune génération d’auteurs et autrices (par exemple, Léa Murawiec), mais il me semble que cette jeune génération n’a pas encore assez de poids dans le scrutin pour la porter, j’avais tenté de glisser son nom, sans grand écho, elle est encore jeune, pour plus tard ; – Andreas (74 ans, Allemagne), pays original, mais il vit en Belgique (ou y a longuement vécu) et est d’expression française. Bien qu’auteur dans le classique Tintin, il a développé des séries osant une certaine expérimentation, avec un trait entre classicisme et expressionnisme. Sa série Arq était fort intéressante et l’auteur en a assurément marqué, sans que ce soit ma tasse de thé. C’est un peu comme Marc-Antoine Mathieu (65 ans, France), un auteur intéressant, qui tente des trucs et chez de gros éditeurs, ça n’aurait rien de déshonorant sans qu’ils ne soient mes coups de cœur, chez Mathieu il y a la volonté constante d’expérimentation, plus ou moins convaincante (formidables Julius Corentin Acquefacques, nettement moins convaincants 3 » ou Livre des livres) mais il expérimente en touchant un public plus large que d’autres, ce qui est intéressant ; – Dans le même esprit qu’un Menu pour l’aspect triple auteur/éditeur/théoricien, mais en plus calme et sage, un Benoît Peeters (68 ans, France) aurait l’intérêt de récompenser un scénariste, sachant que les plus évoqués jusqu’ici sont soit morts (Christin), soit ont refusé le prix d’avance (Moore), soit bon je voudrais pas qu’ils l’aient (Van Hamme, Gaiman donc) ; – Riyoko Ikeda (77 ans, Japon), autrice de La Rose de Versailles, qui se pose là comme shojo d’importance, qui formalise un peu le genre, dans son aspect graphique, le développe, avec un gros succès en France pour l’anime dérivé (Lady Oscar). Elle est finalement assez peu traduite comparativement à l’importance, mais je me souviens avoir apprécié Très cher frère, mais je mentirais si je disais que je m’en souviens. – Mattt Konture (59 ans, France), un auteur fondamental pour moi et à mon avis pour le milieu underground/alternatif français, cofondateur de l’Association, mais sans doute impossible qu’il soit élu, je n’ai donc jamais voté pour lui si ce n’est au «Grand prix Bulledair» , site/base de données/forum qui élit chaque année un Grand prix alternatif (et au fort beau palmarès).
On le voit : je ne nomme aucun auteurice non francophone/anglophone/nippophone, c’est un manque, n’hésitez pas à me donner des noms.
EDIT : On a commencé à me proposer des noms venant d’autres nationalités. Giorgio Cavazzano (Italie, 77 ans), un des grands dessinateurs Disney, mais qui a aussi dessiné Pif ou même un Spiderman, il serait un très bon prix même s’il n’a aucune chance (en Disney l’étatsunien Don Rosa est sans doute plus connu). En italien on m’a aussi évoqué Gipi (61 ans), il a du succès, une influence dans la scène contemporaine mais j’avoue qu’il m’a toujours profondément ennuyé. Il y a sans doute à chercher en Espagne, Allemagne, Flandre/Pays-Bas. On m’a évoqué Ralf König (Allemagne, 64 ans), star de la BD gay, des planches très drôle, un vrai succès hors de la sphère uniquement BD, pas forcément très très connu ici, mais quand même pas mal. Ce serait assurément une chouette expo. En Amérique latine Quino ou Breccia auraient été évident mais sont morts, Carlos Nine (déjà nettement moins connu) aussi…
En 2022 je m’étais amusé à relever différentes occurence de la graphie erronée « Baudouin » sur des sites spécialisés ou non. On peut toujours s’amuser d’une coquille, ça ne dit rien de l’intelligence du rédacteur ou du fond, il reste que je suis extrêmement surpris de voir la constance de cette erreur, alors que le nom de Baudoin n’est pas particulièrement compliqué et que c’est quand même un auteur très important. C’est d’autant plus surprenant que ce n’est pas qu’une coquille de blogs ou de journaux généralistes, on la trouve constament sur des sites spécialisés, voir sur le site d’éditeurs de Baudoin (qui écrivent pourtant le nom sans faute sur les livres).
Bref, je recopie-colle le paragraphe déjà posté à l’époque : « La diversité de supports, quels que soient leurs professionnalismes, et son étendue temporelle me surprend toujours. Il y a assurément encore beaucoup de « Baudouin » à relever, notamment dans les imprimés (là j’ai très majoritairement du en ligne, facile à trouver). Mais en attendant cette recherche, une première salve, en guise d’invitation : si vous en trouvez, n’hésitez pas à me les envoyer à maelrannou @ lilo.org »
Allez zou ! Je commence par ce petit morceau issu du site du Centre Pompidou cette car bon, c’est l’année de la BD au Centre Pompidou, des expos à chaque étages, enfin la légitimation nous dit-on (bon moi ça m’énerve un peu j’en ai déjà causé ici), et donc Baudoin est dans les expos parce qu’il est important. Mais on ne sait toujours pas écrire son nom :
Le Matricule des anges, 2010 (mais ça semble corrigé sur l’article complet, faudrait voir la version papier) :
Présentation de BD à Bastia sur Bodoï :
Auteur important, Baudoin est invité d’honneur du SoBD 2017, mais avec une coquille :
Recension d’un album de Baudoin par un libraire de la CIBDI, institution s’il en est, 2020 :
2018, un entretien avec Ouiz! radio :
Comix Trip, avril 2024. Intrigant car la faute n’est pas sur la vidéo (mais c’est un import d’Inter) mais hop, on l’a quand même sur l’article :
En 2019 dans Le Midi Libre là c’est bien le même journal qui écrit correctement la légende mais pas dans le corps du texte :
Une catégorie qui m’étonne plus encore, les éditeurs de livres de Baudoin qui font la faute. Ici sur le site de La Ville Brûle en 2019 :
Ce livre rend visiblement hommage à l’importance majeure de Baudoin sur l’auteur mais bon, le résumé de l’éditeur se trompe quand même :
Futuropolis a été l’éditeur historique de Baudoin, qui a mis longtemps a signer chez le repreneur. Il y publie désormais ponctuellement et sur ce livre paru en novembre… je reste très surpris du nombre d’éditeur qui laissent cette coquille sur leur site (oui ce sont des webmestre pas les éditeurs, etc., mais enfin… je m’étonne) :
En 2008, Gallimard publie L’Arleri et ne fait pas de fautes sur son site, mais reprend sans les corriger des chroniques qui semblent la faire (à moins que ça n’ait été ajouté en recopiant…) :
Il y a quelque temps, le projet de recherche pan-canadien sur la BD « Au-delà des 2 solitudes – Beyond the 2 Solitudes » avait proposé un appel à recherche-création. Il s’agissait de faire une ou quelques pages de bande dessinée sur ce sujet des oppositions entre nationalités canadiennes, linguistiques notamment, pouvant également aborder les sujets des migrants de différentes communautés culturelles, premières nations, etc.
J’avais pour ma part proposé une petite planche un peu légère, récit d’un moment vécu que j’avais trouvé amusant mais pas si anecdotique. L’identité de l’intervenante est préservée mais je tiens à dire qu’elle n’a rien d’une horrible chauvine (les saillies parfois xénophobes de certains indépendantistes l’énervent d’ailleurs, une indépendance n’ayant pour elle de sens que de gauche et respectant l’autodétermination des Premières Nations), mais cela témoigne de tension qui me paraissent traverser tout québécois francophone.
Bref je l’ai soumise, j’ai été sélectionné (je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de propositions), rémunéré (ce qui n’est pas commun) et a priori exposé dans diverses universités canadiennes mais j’avoue n’en rien savoir. Ce n’est même pas en ligne.
J’aimais bien cette page, alors la voici ! (vous pouvez la lire en plus grand en faisant un clic droit et « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet »)
Régulièrement, je lis des entretiens d’auteurs et autrices de bande dessinées, parfois aussi, je lis des nécrologies. Dans les deux cas, les sujets sont souvent présentés comme les parents de personnages qu’ils ont créé, cela énerve souvent mes pairs, notamment lors des décès : cela manque de solennité et, surtout, cela prouve l’infantilisation de la bande dessinée, le mépris sous-jacent d’un truc un peu neuneu, qui dirait « le papa de [tel ou tel truc légitimes] ». C’est un thème que Xavier Guilbert, de Du9, aborde souvent sur X (ex-Twitter), je l’ai vu il y a quelques mois sur le même ton par l’auteur et éditeur Jean-Christophe Menu sur Facebook.
Pourtant, si c’est constant dans le cas des auteurs BD, ça me semble ici être plutôt un auto-complexe, une manière de se voir délégitimé par rapport à d’autres arts/champs. Dans les faits, une recherche rapide sur des sujets montre assez rapidement que « père de » est une expression très usuelle quand il y a un décès, particulièrement avec des auteurs ayant créé des personnages, et pas qu’en bande dessinée. Ainsi, en me limitant à des sites journalistiques (je ne recense pas les blogs ou critiques de fan, car là il y en a encore plus) on peut voir que cela concerne des romanciers divers, parfois dans des productions peu légitimes, donc qu’on peut mettre dans le même paquet. Exemples ci-dessous (cliquer sur les liens amène vers les articles).
Difficile de faire moins légitime que les aventures d’espionnage-érotico-facho SAS, reste que ce n’est pas de la BD. Mais cela touche aussi des romanciers et arts parfaitement légitimes :
Cela peut aussi toucher pas de l’art du tout, comme dans l’exemple ci-dessous sur le tableau des éléments :
Cela touche aussi d’autres champs, ainsi lors du décès de Badinter, on a beaucoup lu « père de l’abolition de la peine de mort », et il y a peu de chance que ce soit par mépris ou désir d’infantiliser. Ici l’extrait vient de Public Sénat, un média difficilement assimilable à du désintérêt badin sur la chose politique :
Il y a deux éléments là-dedans, on constate que le terme « père » (parfois « mère » aussi bien sûr) est utilisé dans le cas de choses bien identifiables : un texte de loi, une réforme, une découverte scientifique, un tableau iconique, je n’en ai pas mis mais j’en ai vu sur des chansons cultes, etc. À ce titre en littérature le terme est bien plus souvent utilisé pour des auteurices qui ont créé des personnages implantés dans le temps, grâce à la sérialité, des spécificités touchant beaucoup la bande dessinée (mais aussi la littérature jeunesse, le policier, la fantasy…), cet usage me semble bien plus lié à cela qu’à un certain mépris. C’est un mot-clef journalistique, peut-être une facilité, mais rien de péjoriatif.
Il faudrait cependant être de mauvaise foi pour ne pas distinguer « père » de « papa », et oui utiliser les termes papa/maman sont sans nul doute plus proche de l’enfantin, donc de l’infantilisation. Je n’ai pas trouvé de Badinter « papa de l’abolition ». On trouve un certain nombre d’Uderzo « papa d’Astérix »… mais ce sont des œuvres jeunesse, on ne peut pas le nier, et le fait que la bande dessinée porte souvent cette étiquette jeunesse peut être une confusion. On sait qu’elle a joué dans la délégitimation et le mépris du neuvième art, mais la littérature jeunesse est aujourd’hui pleinement étudiée et reconnue, cette confusion n’est donc pas si grave en soi sur le long terme.
Ce que je constate et qui me semble essentiel, c’est qu’il arrive régulièrement que des auteurices de séries plutôt jeunesses ne sont pas systématiquement décrits comme « papa ». Ainsi Toriyama n’a pas été que le « papa » de Sangoku dans la presse, ce qui est une forme de normalisation, au fond.
Sur le fond, ces énervements réguliers que je vois ici où là sur les « pères » me semblent donc avant tout être le témoignage d’une volonté de lutter pour sa légitimité, de se défendre face à des usages énervants d’éternels infantilisation, rabaissement, etc., mais, ici, cela paraît presque plus être une intégration si forte de ces processus qu’une chose assez banale pour tout créateur de sérialité ou de chose iconique apparaît un acte de mépris. De l’importance de, parfois, décentrer pour se rendre compte que, non, y a pas que dans la bédé qu’on a ce traitement !