Au lancement des Cahiers de la BD, l’éditeur avait proposé une chronique signée par divers auteurs sous le pseudo gag de Daniel Merveille (en hommage à Daniel Vermeille, auteur culte de Rock & Folk). Il s’agissait d’une sorte d’Oncle Paul racontant les concept avec un ton bonhomme débutant toujours par « Bonjour les enfants » tout en parlant quand même du sujet, le tout en 3000 signes. On y a écrit sur le festival d’Angoulême, les bulles… j’avais fait celui-ci sur le roman graphique, jamais publié, il y a bien cinq ans, j’ai essayé de la remettre dans la revue, puisqu’elle avait été oublié, mais il semble qu’elle soit refusé.
Il s’avère que j’aime bien ce que j’y raconte, même si c’est bref et ne casse pas trois pattes à un canard, moi qui ai dans mes cours sur la BD un slide nommé « Contre le roman graphique ».
Pour une version un peu déployée de ma pensée sur le sujet, réactivée avec énervement par cet article récent d’Inter, on peut lire mon article « Le roman graphique en bibliothèque, une erreur indispensable ? » paru dans la revue Meridian Critic.

Le roman graphique c’est quoi au juste ?
Bonjour les enfants. J’ai appris que certains d’entre vous ne voulaient plus m’entendre parler de BD, car ils préfèrent le « roman graphique ». Pourquoi pas, mais êtes-vous au moins d’accord entre vous sur ce que ça veut dire ?
Le premier à utiliser ce terme est le critique américain Richard Kyle en 1964. Son but est purement marketing : il n’y a pas de tables sur la BD dans les librairies et il veut être mis avec les essais littéraires. Personne ne note vraiment l’usage et c’est Will Eisner qui le popularise en 1978 avec A Contract with God. Le dessinateur du Spirit veut se démarquer de ses anciens travaux et publie quatre nouvelles dessinées : des sujets lourds, une ambition narrative, un format entre comics et littérature, du noir et blanc. Voilà pour lui la définition du roman graphique.
L’expression « roman graphique » fonctionne très bien, même Marvel la reprend quelques années plus tard pour des aventures vendues plus cher, avec des super-héros et en couleur, retenant surtout l’idée de cibler un public différent. Le terme « roman » permet de se distinguer de la masse, de montrer qu’on ne lit pas n’importe quoi, surtout à ceux qui n’y connaissent rien. Sur le fond, la chose est plus discutable. Après tout dès 1918 le Belge Frans Masereel publie un « roman en gravures ». Il y a un siècle ! Rodolphe Töppfer, lui, faisait de la « littérature en estampe ». Et le genre est monnaie courante jusqu’au 50’s sans que personne ne s’en émeuve. Il s’agit alors de rendre accessible des idées politiques, avec des images et impressions venues de l’affiche.
En France, au début des 80’s, Casterman publie sa collection « Les Romans (À suivre…) » en parallèle de sa revue, l’idée est surtout de publier des récits assez longs, sortant du cadre de l’album, et d’accompagner les éditions de Pratt. Il y a bien une ambition littéraire dans les premiers numéros, mais cela devient vite flou. Flammarion lance une collection « Roman BD », mais il s’agit juste de petit format quand les Humano mettent le même terme pour leur collection de one-shot. Autant dire qu’entre le roman graphique de superhéros, les pré-graphic novel et ça, Eisner y perdrait son américain.
Le terme s’installe ainsi, présent sans s’imposer. Après la vague de (re)découverte de la BD alternative au début des 90’s des éditeurs relancent des collections Roman BD, désignant cette fois a priori plutôt un format : entre l’album et le poche, 150 pages minimums, en noir et blanc. De quoi signer les plus porteurs des auteurs alternatifs. Mais le manga arrive et bouscule tout, avec une pagination qui y ressemble, mais en moins cher. D’autres, comme Taniguichi, sont publiés aux côtés des volumineux « bédéromans ». Le terme ne désigne alors finalement qu’un format. Mais voilà que certains y présentent 200 pages de gags en couleurs. Et que l’on cartonne la couverture.
Une chose est certaine, le roman graphique ce n’est pas tout et n’importe quoi. C’est une chose précise. Reste à savoir laquelle.
Illus d’article : le rayon BD et romans graphiques de la librairie Antiope d’Annecy