Un article du projet « Chantons la bande dessinée avec... »
Groupe mythique de ma jeunesse, Stupéflip est à la fois très punk, aux sonorités hip-hop matinées d’électro, et construit une fascinante cosmogonie propre. Elle se développe autour du « crou », des personnalités des personnages-artistes et de régions semi-autonomes (étrangement, ces évocations m’ont souvent évoqué Pascal Brutal, série postérieure où la Bretagne est indépendante). Tout ça est assez complexe, des chansons se comprennent sans connaissance de l’univers (les classiques À bas la hiérarchie ou Comme Les Zot »), mais les albums sont vraiment construits – à l’ancienne – avec leurs pistes qui s’enchaînent et créent un tout. Et un récit à trou qui se rempli ici où là, dans des vapeurs louches. Pour les curieuses et curieux, un wiki dédié a été réalisé par les fans.
Bien que le dessin soit important dans le groupe, le membre King Ju réalise les artwork, pochettes, etc., appuyant la construction de l’univers de cette cohérence graphique, et que le groupe s’appuie souvent sur des références populaires, il est assez peu fait référence à la bande dessinée. Il y a plus régulièrement des références à l’univers cinématographique/télévisuel par exemple. Cependant, outre le fait qu’un des pseudo de King Ju soit Rascar Capac, momie de Tintin dont le nom est alors souvent évoqué, une de leurs premières chansons fait une référence explicite, et assez peu commune.
Cette référence est au cœur d’un titre central : Stupéflip (tout simplement). Cette chanson apparaît pour la première fois en 2002 en première et (sous une autre orchestration) pistes du premier maxi. On la retrouve l’année suivante en deuxième piste du premier album, pure introduction à l’univers à découvrir, martelant ce refrain :
Stupeflip, Stupeflip
c’est l’truc stupéfiant
Beaucoup d’travail
comme pour un album d’Astérix
Stupeflip, Stupeflip
c’est l’truc stupéfiant
ça t’agrippe, ça t’attrape
et ça fait pas d’sentiment
S’il y a bien une bande dessinée populaire, c’est Astérix, seule à systématiquement dépasser le million d’exemplaires vendus à chaque sortie (les deuxièmes dépassent rarement la moitié de ce chiffre), et elle apparaît finalement peu en chanson. Il existe un très étrange (comme beaucoup de ses productions) album concept de Richard Gotainer mais produit officiel, puisqu’illustré par Uderzo*. Bref, ici on évoque Astérix.
Chose intéressante, la bande dessinée d’Uderzo et Goscinny n’est pas évoquée pour son fond. On pourrait imaginer, dans ce monde de régions en guerres constantes, une référence à la force de la potion magique ou à la résistance d’une petite zone face à l’envahisseur. Mais non. La référence vient simplement marquer le dur labeur de la création d’un groupe, le comparant à la réalisation d’un Astérix.
Plus connue d’entre toutes les bandes dessinées, Astérix sert de référent, plus pour ce qu’il incarne de connaissance pour tous que ce qu’il est. Aborder le travail, le métier, la difficulté de dessiner, même rapidement, est assez rare, et il est certain que réaliser une planche de bande dessinée est plus lourd qu’une illustration. King Ju dessine, il sait sans doute cela pour s’y être frotté, on peut imaginer que son expérience ait joué. De fait, Uderzo a cravaché dans sa carrière, rendant à une époque plusieurs planches par semaines dans des styles très différents pour tenter de gagner sa vie, ses biographies (et sa bibliographie) en témoignent. Pas sur cependant qu’être simplement renvoyé à l’aspect laborieux de cette création soit si flatteur mais, hé, Stupéflip ne flagorne pas.
** En plus de la pochette d’Udzero, Vive la Gaule (1987) a connu un album illustré par Gotlib et Uderzo, édité par Albert René, maison d’édition d’Uderzo. On peut difficilement faire plus validé par l’auteur. L’album musical comme livre sont très étrange, mais intrigant, la pochette est particulièrement hideuse et ratée.

L’image de bandeau est la pochette de Stupéflip, album de 2003 et donc deuxième occurence de la chanson, mais moi, au lycée, je ne connaissais pas le maxi.