Voici un objet passionnant (signalé par Tzvetan Liétard), à vrai dire à la limite du hors-sujet car il s’agit avant tout d’un texte, à peine illustré, mais manuscrit, et dans un journal qui publie beaucoup de dessins, par un auteur de bandes dessinées – elles-mêmes souvent pleines de texte -, alors les frontières… Voici en tous cas Casse-têtes, une des chansons d’un 45 tour d’Yves Montand sorti en 1978. Une chanson qui dénonce la violence, celle des policiers sur les manifestants comme des chasseurs sur les phoques, une chanson sur la bêtise brute de la répression, mais aussi sur la manière dont elle vide l’esprit des victimes et peut éradiquer toutes résistances. Membre du Mouvement de la paix et des Droits de l’homme, acteur régulier pour Costa-Gavras et ses films engagés, habitué de chansons de soutiens à diverses causes, le chanteur-acteur n’a pas encore rejoint le tournant de la rigueur et soutenu le libéralisme, rien d’étonnant dans ce texte donc, même si son engagement profond et direct à la TV peut étonner :
Son origine se trouv dans le n°332 de Charlie Hebdo, le fameux journal satirique, dont la couverture de Reiser évoquant un bébé phoque résonne d’ailleurs avec le texte :
Jean-Marc Reiser, couverture du Charlie Hebdo n° 332, 24 mars 1977.
Dans ce numéro, apparaît le texte « Un moment d’amnésie », qui se veut poème, évoquant des visages divers, tous disparus et suggérés. Le texte chanté est le même, seul le titre change. C’est a priori Montand lui-même qui l’a lu, et a demandé à Gébé de l’utiliser – à sa grande surprise. On a donc quelque chose de quasi littéral, comme dans le Frère d’armes des Bérus. La chanson fonctionne, en déclamant avec des rythmes saccadés. C’est brillant, mais cela reste au fond l’adaptation d’un texte, et non d’une bande dessinée, contrairement au titre des Bérus. En étant honnêtre, c’est donc un cas hors sujet. Mais j’ai trop aimé cette découverte pour ne pas la partager.
Groupe mythique de ma jeunesse, Stupéflip est à la fois très punk, aux sonorités hip-hop matinées d’électro, et construit une fascinante cosmogonie propre. Elle se développe autour du « crou », des personnalités des personnages-artistes et de régions semi-autonomes (étrangement, ces évocations m’ont souvent évoqué Pascal Brutal, série postérieure où la Bretagne est indépendante). Tout ça est assez complexe, des chansons se comprennent sans connaissance de l’univers (les classiques À bas la hiérarchie ou Comme Les Zot »), mais les albums sont vraiment construits – à l’ancienne – avec leurs pistes qui s’enchaînent et créent un tout. Et un récit à trou qui se rempli ici où là, dans des vapeurs louches. Pour les curieuses et curieux, un wiki dédié a été réalisé par les fans.
Bien que le dessin soit important dans le groupe, le membre King Ju réalise les artwork, pochettes, etc., appuyant la construction de l’univers de cette cohérence graphique, et que le groupe s’appuie souvent sur des références populaires, il est assez peu fait référence à la bande dessinée. Il y a plus régulièrement des références à l’univers cinématographique/télévisuel par exemple. Cependant, outre le fait qu’un des pseudo de King Ju soit Rascar Capac, momie de Tintin dont le nom est alors souvent évoqué, une de leurs premières chansons fait une référence explicite, et assez peu commune.
Cette référence est au cœur d’un titre central : Stupéflip (tout simplement). Cette chanson apparaît pour la première fois en 2002 en première et (sous une autre orchestration) pistes du premier maxi. On la retrouve l’année suivante en deuxième piste du premier album, pure introduction à l’univers à découvrir, martelant ce refrain :
Stupeflip, Stupeflip c’est l’truc stupéfiant Beaucoup d’travail comme pour un album d’Astérix Stupeflip, Stupeflip c’est l’truc stupéfiant ça t’agrippe, ça t’attrape et ça fait pas d’sentiment
S’il y a bien une bande dessinée populaire, c’est Astérix, seule à systématiquement dépasser le million d’exemplaires vendus à chaque sortie (les deuxièmes dépassent rarement la moitié de ce chiffre), et elle apparaît finalement peu en chanson. Il existe un très étrange (comme beaucoup de ses productions) album concept de Richard Gotainer mais produit officiel, puisqu’illustré par Uderzo*. Bref, ici on évoque Astérix.
Chose intéressante, la bande dessinée d’Uderzo et Goscinny n’est pas évoquée pour son fond. On pourrait imaginer, dans ce monde de régions en guerres constantes, une référence à la force de la potion magique ou à la résistance d’une petite zone face à l’envahisseur. Mais non. La référence vient simplement marquer le dur labeur de la création d’un groupe, le comparant à la réalisation d’un Astérix.
Plus connue d’entre toutes les bandes dessinées, Astérix sert de référent, plus pour ce qu’il incarne de connaissance pour tous que ce qu’il est. Aborder le travail, le métier, la difficulté de dessiner, même rapidement, est assez rare, et il est certain que réaliser une planche de bande dessinée est plus lourd qu’une illustration. King Ju dessine, il sait sans doute cela pour s’y être frotté, on peut imaginer que son expérience ait joué. De fait, Uderzo a cravaché dans sa carrière, rendant à une époque plusieurs planches par semaines dans des styles très différents pour tenter de gagner sa vie, ses biographies (et sa bibliographie) en témoignent. Pas sur cependant qu’être simplement renvoyé à l’aspect laborieux de cette création soit si flatteur mais, hé, Stupéflip ne flagorne pas.
** En plus de la pochette d’Udzero, Vive la Gaule (1987) a connu un album illustré par Gotlib et Uderzo, édité par Albert René, maison d’édition d’Uderzo. On peut difficilement faire plus validé par l’auteur. L’album musical comme livre sont très étrange, mais intrigant, la pochette est particulièrement hideuse et ratée.
L’image de bandeau est la pochette de Stupéflip, album de 2003 et donc deuxième occurence de la chanson, mais moi, au lycée, je ne connaissais pas le maxi.