Les papas des héros de bédé

Penser l’art (et l’argent) avec Mme Goldgruber et Nicolas Mahler

Contre l’original, avec Marion Fayolle

Aller-retour dans la bande dessinée avec Téhem, Appollo et Potémont

Téhem et Appollo, Vingt décembre, page 70.
id., page 24
Martial Potémont, La Lanterne Magique n° 7, 1848.

Les Géants contre les hommes monstres n°1 (27 février 1994)

Une fausse-planche, des affirmations un peu rapide, du Crumb adapté en québécois

L’objet du délit.
Extrait des Comix de mainmise vol. 2 (version suisse, 1973.
Les deux versions Suisses des versions Québécoises, 1973.

La BD québécoise au FIBD 2023 : Rencontre avec Éloïse Marseille, par Natacha Czornyj-Béhal

Couverture du premier album d’Éloïse Marseille (Pow pow, 2023)
Idem, page 24

Des dessins peu compréhensibles pour le boulot

Dans le cadre de ma formation d’élève conservateur territorial des bibliothèques à l’Institut national des études territoriales, nous avons un cours obligatoire de « Valeurs de la République » et devons produire un document sur une valeur parmi toute une liste. Nous avons ainsi décidé de nous pencher sur l’exemplarité et de produire une « charte de l’anti-exemplarité » qui ne quittera sans doute jamais quelques tréfonds de la formation interne des grands écoles (c’est un tronc commun inter-école). Alors pour la mémoire qui n’en mérite pas tant, mes trois dessins illustrant trois de ces exemples de « non exemplarité ».

« Toujours arriver en retard »
« Ne surtout pas donner une info claire »
« Juger les lectures des usagers » (histoire d’avoir un point un peu métier)

Delisle en fiction, mais bien présent, au détour du Donjon…

Guy Delisle a toujours publié de la fiction : ses premières planches publiées au Québec en étaient, comme celles publiées en France à partir de 1995 (d’abord dans le fanzine réunionnais Le Cri du Margouillat, quelques mois après dans Lapin, revue de l’Association), et ses premiers albums : Réflexions (1996), Aline et les autres (1999), etc. La prépublication de Shenzen commence dans le Lapin n° 20 en juillet 1998, le recueil paraissant en 2000 et lançant la carrière d’autobiographe de Delisle. Pyongyang, journal de Corée du Nord (2003), est un des grands succès de l’Association, et quand Delisle passe chez Delcourt avec Chroniques Birmanes (2007) puis Chroniques de Jérusalem (2011), il obtient carrément le Fauve d’or d’Angoulême. Chez le même éditeur paraissent les quatre volumes du Guide du mauvais père (2013-2018), qui se veulent plus un ensemble de gags sur la parentalité, puis dernièrement Chroniques de jeunesse (2021), récit d’un job d »été dans une iconique usine à papier de Québec durant trois ans. Il s’y représente toujours sous ce visage simple et reconnaissable :

Extrait du Guide du Mauvais Père T1, Delcourt, 2013.

L’œuvre autobiographique marque la réception du travail de Delisle. Il n’a pourtant jamais abandonné les albums n’appartenant pas à ce champ : Inspecteur Moroni (Dargaud, 3 tomes, 2001-2004), Comment ne rien faire (La Pastèque, 2002, où l’on retrouve toutefois un alter ego pouvant évoque l’autofiction), Louis (Delcourt, 2 tomes, 2005-2008), adaptation de Jean Echenoz avec Ici ou ailleurs (L’Association, 2019), etc. L’annonce de sa participation au projet Donjon, série de fantasy tentaculaire scénarisée par Joann Sfar et Lewis Trondheim, a cependant surpris, pas tant pour l’aspect fictionnel que pour le récit de genre et l’aspect animalier. Pour le reste, Delisle est complètement issu du même monde éditorial que Sfar et Trondheim, par ailleurs son éditeur chez Delcourt, donc la collaboration n’est pas étonnante. J’ai lu cet album avec un réel plaisir. Globalement j’aime bien Donjon, mais dans la masse il y a quand même de l’anecdotique, ici j’ai trouvé le scénario vraiment intéressant, avec un attachant personnage d’apprenti juriste devenue porte-parole des morts de la Nécropole des pauvres, menacée de destruction par les bourgeois…

Si je voulais développer mon avis sur l’album, je pourrais toutefois le faire sous la forme d’une classique chronique pour un des divers sites auquel je contribue. Ce qui m’a intrigué dans cet album et que je voulais développer ici est ce court passage, à l’intersection des pages 23-24 (pour les folios de l’album, sur la numérotation stricte des planches il s’agit des 21-22).

Le récit sera globalement incompréhensible à qui n’a pas lu l’album, mais on ne peut que reconnaître les traits de l’auteur, légèrement transformés par l’aspect animalier, dans le malheureux signataire. Le moins que l’on puisse dire est qu’il se dessine en fâcheuse posture ! Un amusant clin d’œil, au gré d’un personnage secondaire, permettant de faire du lien inter-œuvres pour les aficionados.

Si la boutade est sans nul doute l’argument principal, on ne peut que noter un deuxième étage à cette scène. Le personnage, sans nom, est ici tué par Guillaume de la Cour. Ce poulet fort peu sympathique est, lui, un personnage récurrent du multivers de Donjon (période Zénith). Ce juriste joyeusement escroc, expert en contrats aux micro-détails douteux et porteur de l’épée du destin, est particulièrement remarquable pour son manque d’éthique, son antipathie évidente et… son patronyme évoquant de manière à peine masquée l’éditeur de la série, Guy Delcourt.

Bien sûr, le personnage existant depuis des années sans encombre, il s’agit plus d’un clin d’œil boutade de Sfar et Trondheim au cursus de leur éditeur, venu d’école de commerce (même s’il a débuté dans les fanzines) et apportant une vision très marketée à l’édition franco-belge. Le croiser ici ne déroge pas à la règle habituelle. Il reste que le fait que Delisle ait choisi de donner ses traits à ce personnage décapité par la représentation, même connivente, de son éditeur, ne peut que faire fantasmer sur l’état de leurs relations…

PS : En écrivant cet article, je découvre qu’il existe un auteur de bande dessinée, entré en activité bien après la création du personnage, qui porte le même nom (écrit légèrement différemment). Cela étant, au regard de ses planches, je doute qu’il ne dessine un jour un Donjon consacré au vil poulet, ce qui aurait été amusant.

Merci à Séverine Marque qui m’a scanné les pages de l’album, que je n’avais plus sous la main !

Natacha dans ses albums : quand le paratexte éditorial d’une BD jeunesse franco-belge migre vers son public

Natacha est une série importante de la deuxième génération d’après-guerre de Spirou. Alors que Franquin et Peyo s’affirment comme les incontestables têtes de gondoles du magazine (Will a moins d’hérédité et Morris migre chez Dargaud en 1968), les rédacteurs en chef tentent de renouveler les personnages, tout en créant régulièrement des épigones graphiques de deux stars suscités. Gos et Walthéry sont de ceux-là, les deux viennent d’ailleurs du Studio Peyo – c’est sensible chez Gos dont les Galaxiens sont clairement des sortes de Schtroumpfs verts (mais pas verts Schtroumpfs !), moins chez Walthéry qui développe un dessin plus réaliste. Il faut dire que celui qui est un des plus jeunes assistants des studios Peyo, il y entre à 17 ans, travaille principalement sur Benoît Brisefer et Jacky et Célestin. Ces deux séries de Peyo, plus mineures que les Schtroumpfs, sont par ailleurs toutes les deux contemporaines et régulièrement urbaines, loin du moyen-âge fantastique des lutins bleus. Si les humains restent proches au début du style développé par Peyo, Walthéry s’en détache largement au fil du temps.

Après avoir réalisé ensemble Tonton Placide, épisode de Benoît Brisefer que je chéris pour l’avoir lu et relu enfin dans une version poche dénaturant complètement la mise en page, Walthéry et Gos créent donc Natacha, un personnage féminin d’hôtesse de l’air sexy et prompte à se jeter dans la bagarre et l’aventure – une révolution dans Spirou où les femmes se devaient d’être mères au foyer si elles étaient belles. Si des critiques saluent Natacha pour son aspect féministe, et qu’elle a sans doute eu un rôle dans l’identification des jeunes filles (même si empiriquement on m’a plus cité Yoko Tsuno, de Leloup), cela reste une bande dessinée où les blagues grasses sont régulières et Natacha semble bien souvent être d’abord apprécié des lecteurs pour son corps. En témoignent les nombreuses dédicaces de Natacha dénudée qu’on retrouve en ligne : le site bédédicaces consacre même une section de sa page sur l’auteur à « Natacha la coquine ».

Exemple typique d’une dédicace Natacha trouvée sur le site ci-dessous

Natacha reste une série intéressante, notamment par la manière dont Walthéry s’est ouvert à de très nombreux scénaristes, après Gos il a ainsi vu son héroïne vivre des aventures sous la plume de grands noms comme Maurice Tillieux, Marc Wasterlain, Raoul Cauvin ou même Peyo, dont l’album La Mer de rochers sort en 2004, douze ans après sa mort. Walthéry est en effet connu pour ses retards homériques et accumuler de nombreux scénarios dans ses tiroirs. À ce titre je trouve intéressant qu’à côté de ces grands noms de la francobelgie, ainsi que d’autres auteurs moins réputés mais bien présents dans Spirou comme Mittéï, certains albums soient signés par des inconnus du neuvième art : son camarade de service militaire Étienne Borgers, auteur de nouvelles de SF à ses heures perdues, ou Guy d’Artet, un médecin et lecteur fan qui lui propose un jour un scénario, adapté en album des années plus tard. J’aime beaucoup ce côté très ouvert et foutraque de la série, dont le ton change tout en restant cohérent au fil des scénaristes et albums (qui vont du très chouette aux parfaitement dispensables).

Ce qui m’intéresse ici est toutefois cette question du public, le même qui veut des Natacha dénudées en dédicace. Ce public qui, comme Guy d’Artet dans ce qui est une des rares biographies à circuler (sans doute extraite du dossier de presse de l’éditeur lors de la sortie de l’album) est « secrètement épris » de l’hôtesse. Je connaissais bien cet aspect de l’intérêt du lectorat pour Natacha, il reste que c’est une série jeunesse, paraissant encore dans Spirou quand j’étais enfant et même bien plus tard (L’Épervier bleu y a été prépublié en 2014), avec quelques pauses liées à des questions d’éditeurs que je n’ai pas creusés – à partir de 1989 la série passe de Dupuis à Marsu production et ne revient dans Spirou qu’en 1996. De fait, rien dans la série ne choque spécialement en termes de violence ou de sexe, mais est-elle vraiment lue par des enfants ? On peut en douter, et c’est ce qu’a semblé affirmer l’édition de 1998 du premier tome sur laquelle je suis tombé dernièrement.

L’album en question

De prime abord, rien ne semble particulièrement notable, la couverture est quasiment identique aux 9 éditions précédentes : bédéthèque nous apprend que l’écusson est apparu en 1988 à la 8e édition de l’album, je distingue la date réelle au fait que la quatrième de couverture annonce la sortie prochaine du 18e volume. Cette information, évidente pour identifier une période de parution, n’est cependant pas la première que j’ai observée et qui m’a crié « ceci est une édition relativement récente ! ». Plus encore, ce sont les pages de garde qui m’ont étonné et surpris :

Gardes de l’édition de 1998

J’ignore si ces gardes apparaissent avec cette édition ou avant, elles viennent en tous cas après le changement d’éditeur de la série pour les nouveaux tomes, mais dans le cas présent après le retour dans Spirou, et donc dans l’affirmation d’une cible relativement jeune – ce même si le lectorat de Spirou lui-même est connu pour mixer des enfants et des nostalgiques, ce qui porte toute la complexité d’une revue historique pensée pour la jeunesse mais devant continuer de plaire à un lectorat adulte voulant lire sa revue d’antan. Quoiqu’il en soit, il semble que pour les albums l’éditeur ait tranché : le public enfant n’est plus celui qui est visé. Par ces gardes il semble dire que oui, la majorité des lecteurs sont des hommes, sans doute cinquantenaires qui, eux aussi, étaient « secrètement épris » de l’hôtesse. L’éditeur le sait, mais ne peut l’affirmer plus loin, c’est pourtant bien ces lecteurs sa cible, et ces gardes sont comme un curieux aveu, d’un secret de polichinelle sur la réalité des enfants intéressés par cette vieille série franco-belge. Un bel exemple de paratexte éditorial qui clarifie sans un mot les intentions.

EDIT (jour même) : Ainsi que me l’a signalé Laurent Boutin sur Facebook, les évolutions de la couverture vont aussi en ce sens : les lèvres deviennent plus pulpeuse, le décolleté plonge, pas vraiment subtil et, en même temps, je n’y avais pas fait attention.

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On notera qu’il existe un certain nombre d’albums jouant des charmes de Natacha, mais publiés par des petits éditeurs (voir ici, ici ou ici), mais jamais l’éditeur officiel n’a franchi ce Rubicon.

Autre curiosité étonnamment signifiante trouvée lors des recherches pour ce petit article, il existe une édition de ce tome 1 dite « au téton », un téton étant apparu sur le chemisier. J’ai du mal à comprendre ce qui était une réimpression a pu donner lieu à cela, la maquette était identique, les fichiers avaient ils été perdus ? Le téton a-t-il été rajouté par un imprimeur ou « non effacé » ? Mystère, je n’ai pas creusé, mais on trouve ici où là de cette édition vendue sur des sites parlant « d’édition dite au téton ». Je ne sais quoi conclure de tout ça mais ça me semble assez conforme à ce que j’évoquais – même si ici cela ressemble plus à une erreur de l’éditeur.

Enfin, si vous voulez connaître un peu Walthéry (qui est quand même un témoin très intéressant de cette francobelgie, au-delà de cette manie de dessiner son héroïne nue), un numéro de La Crypte tonique lui est consacré, avec un entretien dessiné par l’ami Jean Bourguignon, c’est assez chouette je trouve.

La Crypte tonique n°6, novembre 2012 (couv de Franquin)