Troisième chanson du LP Damien est vivant, le titre de Marie Klock revendique directement une série franco-belge classique, un peu planplan, en titre. De quoi suprendre face à une pochette un rien plus audacieuse (et légèrement génante) et à la modernité généralement portée par les propositions de la chanteuse. Boule et Bill est un des titres clippés de l’album :
Finalement, au-delà de la promesse initiale, bien peu de Roba là-dedans, foin de « coquin de cocker ». La lancinante et répétitive musique semble marteler un ennui, une difficulté à s’extraire d’une matière lourde, un texte d’apparence plat est plasmodié, décrit un lent quotidien… Dans tout cela la bande dessinée classique, à la papa, apparaît comme ce qu’elle est : assez ennuyeuse, mais avec le mérite de toujours ressembler à ce à quoi elle doit ressembler, sans même besoin de l’ouvrir réellement. Un doudou, éventuellement. C’est un peu ce à quoi ressemble le rapport ultra-nostalgique de beaucoup de fans de BD franco-belge incapable de la sortie du rapport à l’enfance.
« Après ? J’alterne les siestes Entre le canapé et le lit Je fais des allers-retours, quoi Avec, parfois, un Boule et Bill à la main Boule et Bill que je n’ouvre même pas Mais qui me rassure. »
PS : Marie Klock a d’autres liens avec la bande dessinée, et notamment québécoise, elle était déjà apparue sur ce site dans mon entretien préparatoire (dans le cadre de mon doctorat) avec Zviane, puisque c’est la chanteuse qui avait fait un long entretien (au titre polémique) avec elle dans Libération. Je n’avais même pas fait gaffe au début, j’aime quand tout se recroise, tout est dans toute.
J’avais choisi un extrait du clip de « Mille milliards » comme bandeau de mon article portant l’index de ces chansons évoquant la bande dessinée. Ce qui aurait d’ailleurs pu être un piège puisque j’indique bien dans les règles de cet index que les clips ne comptent pas, et que je me réfère aux albums et non aux adaptations, l’image est pourtant une référence directe au générique iconique du dessin animé qui passait à la TV dans mon enfance.
Mais, ouf, pas d’erreur, puisqu’au-delà du clip il n’y a guère de doute sur le fond : la chanson, troisième piste de l’album Saint-Valentin (2024, on en reparlera car une autre des chansons de l’album parle BD) est entièrement dédiée à la bande dessinée, même si celle-ci est objet de fantasme plutôt que description de l’action réelle.
Et non, ce n’est pas un clip hommage aux Daft punk
Citer le texte serait un peu vain puisque tout le texte parle de Tintin, et de Tintin à travers les yeux du Capitaine Haddock, filant l’idée d’une romance gay non assumée, un classique dans l’analyse de ces étranges BD franco-belges où tant d’hommes vivent ensemble (Spirou et Fantasio, Blake et Mortimer, Tintin et Haddock donc), certes toujours avec des lits séparés, mais parfois dans les mêmes chambres ! Facile, donc, de glisser vers une imagination fertile en actions peu catholiques. Une pratique d’ailleurs assez courante dans la fanfiction où le « Shipping » (un terme pour la mise en couple de personnages qui ne le sont pas dans le canon) homoérotique est un classique. Le ship Tintin/Haddock a même son nom connu des fans, qu’on retrouve sur le Wiki Tintin : Haddotin, selon l’usage voulant que les ships s’incarnent par une fusion des noms des personnages en relation.
Les paroles nous projettent dans l’esprit, pas trop embrumé d’alcool, du capitaine, qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Il admet être le cliché du gros barbu amoureux d’un jeune imberbe, soulignant le problème de la différence d’âge (« Je me voyais pas y’a 20 ans / Moi, amoureux d’un homme enfant… »), mais aussi l’aspect très désincarné d’un Tintin au visage le moins précis possible et fait pour qu’on projette un peu tout. Le texte déroule différentes références aux albums (la Lune, le Karaboudjan, le fait d’aller au Pérou ou au Tibet…) et la conclusion est assez maline, référant directement à l’existence de réelles aventures tout en rappelant la constante invisibilisation de l’homosexualité dans l’histoire, que ce soit celle de personnages réels comme de fiction :
« 1000 milliards de mille sabords C’est toi Tintin que j’aime fort 1000 milliards de mille sabords Je t’aimerais jusqu’à ma mort Et si un jour, dans le futur Quelqu’un écrit nos aventures Je fais le vœu pourtant facile Qu’il ne masque plus notre idylle »
PS : les ships Tintin sont nombreux, l’article Wiki parle d’autres mix de personnages, une chanson en évoque un autre très punks et peu connue, nous en reparlement : Tintin aime Milou, de 8-6 power.
Depuis quelque temps je vois sur mon Facebook des publicités pour Je Bouquine, une revue que j’ai toujours bien aimée (même si, abonné, j’ai avant tout lu les BD et regardé les images que lu les romans, mais je le faisais, au bout d’un moment). Je n’allais toutefois pas m’abonner mais j’avais été rendu curieux pas la miniature, reprenant la couverture du n° 480 de février 2024. Réalisée par PrincesseH, elle illustre le thème des petites filles rebelles, de Ségur à aujourd’hui, on reconnaît la coiffe type d’une Sophie, avec un beau roux, sur un personnage coupé en deux à la verticale. Le nœud rose cache un peu le « B » et je lis donc Je Rouquine.
Je trouve le jeu de mots drôle, et imagine un numéro explorant les petites rebelles rousses, et il y en a, avec ce que la rousseur a charrié de négatif (de diabolique), mais aussi de vivacité, de courage, de personnages positifs in fine. On pense évidemment à Fifi Brindacier (un personnage très politique qui a souffert de ses traductions françaises), à la relativement récente princesse Disney Mérida dans Rebelle en passant par la merveille Anne de la Maison aux Pignons vers. Très récemment l’énorme succès de Mortelle Adèle témoigne du goût pour les rousses rebelles, même si elle revient clairement aux origines diaboliques.
Bref, pressé de voir le sommaire de ce Je Rouquine, je clique et, double déception, d’une part je tombe sur une offre d’abonnement construite sur une citation de l’écrivain d’extrême droite Sylvain Tesson, d’autre part c’est le numéro le plus récent qui est visible. Je fouille un peu et tombe sur la couverture en grand, pas de mention de rousseur sur la couv, au-delà de l’image bien sûr, et pour cause : le nœud ne créer pas un R parfait, il passe juste dessus.
Je ne peux m’empêcher de trouver que le hasard est trop gros, et pourtant il semble que ce jeu de mots potentiel, mais pas allé jusqu’au bout, soit un hasard, ou une expression de l’inconscient du graphiste. Je n’irais pas jusqu’à dire un délire du regardeur que je suis, car la réception reste une réception, donc entendable même quand elle est curieuse. Même s’il est certain ici que l’image joue à bloc : il est fort probable qu’avec un personnage blond ou brun en couverture ma lecture n’ait jamais été orientée sur ce jeu de mots potentiel – de la lecture d’images.
Le rap français est rempli de référence aux mangas, ou plus souvent aux anime, évidemment il est difficile de savoir si les chanteurs font référence aux versions papier ou à leurs souvenirs du petit écran. Orelsan convoque aussi bien les Chevaliers du zodiaque, Ken le survivant ou Dragon Ball… toutes des séries passant dans sa jeunesse dans le Club Dorothée. Sincèrement j’imagine mal que cette génération, qui est aussi celle de l’explosion du manga fin 1990-début 2000, n’ai pas aussi en tête les bandes dessinées, au moins pour une partie des références. Je serai moins certain pour des références à Goldorak par exemple (comme cette fameuse chanson des Fatals Picards, qui n’est certes pas du rap).
En tous les cas, Nekfeu a fait la preuve de son intérêt pour les mangas, donc je pars un peu arbitrairement qu’il fait référence à quelque chose qui peut être un anime ou un manga, il l’a assez aimé pour être allé le lire, voire l’a découvert sous cette forme. Et débutons donc avec ce qui est un des premiers gros tubes solo de Nekfeu, jusqu’alors connu comme membre du collectif l’Entourage ou des groupes S-Crew et 1995 : On verra, dont le single extrait de Feu a été certifié disque de diamant à sa sortie en 2015.
La phrase qui nous intéresse est anecdotique, elle m’avait valu une discussion marrante. Dans une bibliothèque où je travaillais, j’avais eu l’occasion de parler de Nekfeu avec un usager trouvant ça bien écrit (on reviendra sur l’aspect « littéraire » de Nekfeu) mais reprochant toujours aux rappeurs de faire l’apologie des drogues. En l’occurrence, si On verra est assez banal dans sa thématique (Carpe diem, il faut vivre maintenant plutôt que se tuer au travail, il faut savoir profiter) c’est une chanson en réalité assez moraliste (voire conservatrice) sur la drogue et tout un tas d’autres plaisirs artificiel.
Tout en mettant joyeusement en scène de l’alcool dans son clip, son texte reproche dès le début aux jeunes de ne plus savoir s’amuser sans, regrette que la nourriture soit devenue « consommation rapide », que les jeunes parlent + via écrans qu’en vrai, il explique qu’il ne laissera pas conduire un ami qui a bu (et c’est très bien)… Et on arrive donc à la phrase interprétée comme une apologie de la drogue :
« Oui, je pense qu’à m’amuser mais, pour la coke, j’ai le nez de Krilin »
Sauf que Krilin, dans Dragon Ball, est un personnage certes humain mais qui n’a pas de nez. Cet attribut est même le ressort comique d’un épisode où il affronte un certain Bactérie, luttant avec son immonde odeur. Krilin suffoque, défaille, jusqu’à ce que, sur le décompte de l’élimination, Sangoku lui rappelle un détail (sens de lecture original) :
« Avoir le nez de Krilin » pour de la cocaïne, c’est littéralement ne jamais pouvoir en prendre. Une position assez constante puisqu’en 2011, dans un duo, il chantait déjà, avec une charge + politique : « Jamais pris de C, j’reste à l’abri des problèmes de bourges »
De l’importance de certaines références dans la réception des œuvres.
Une incompréhension d’autant plus amusante que Nekfeu est connu, et apprécié, voire célébrée, pour ses références littéraires. La page Wikipédia nous dit ainsi, en cohérence avec le discours médiatique :
L’album contient plusieurs références littéraires : trois titres explicitent cette idée, ils empruntent leur nom à des ouvrages (Martin Eden de Jack London, Le Horla de Guy de Maupassant, Risibles Amours de Milan Kundera) ; il fait également référence à Demande à la poussière de John Fante, Émile Zola ou encore Michel Houellebecq.
Nulle référence à Dragon Ball, pourtant un livre, mais on ne parle pas de bande dessinée ici, encore moins de mangas, mais de littérature, m’enfin !
En mars 2005, j’ai 16 ans depuis peu et je publie le 3e numéro de Gorgonzola, fanzine créé quelques mois aupparavant avec pour volonté de faire découvrir la BD que j’aime à mes copains pour pas cher, de publier mes pages (j’arrêterai relativement vite) et de développer en papier toute l’explosion vécue des blogs BD.
Gorgonzola c’est un fanzine de création fait dans ma campagne, qui devient un ticket d’entrée pour les festival, des stands, de nouvelles rencontres, etc. Je retiens souvent qu’au n°16 de janvier 2011 on fait notre premier gros dossier rédactionnel (sur le BD Argentine), avant d’instituer un dossier régulier sur un thème d’histoire de BD relativement récente à partir du 18 de janvier 2013.
Si ce n’est pas faux, c’est une petite réécriture de l’histoire assez amusante puisque dans tous premiers numéros, j’avais mis un peu de rédactionnel : des entretiens d’auteurs, un classique vu dans d’autres fanzines. Et le casting est pas mal : Matt Konture au n°2, Nikita Mandryka au n°4, un obscur chanteur au n°5 (Billy B. Beat, mais j’aime toujours beaucoup) et au n°3, déjà, Julie Doucet.
J’avais été soufflé par ma découverte de Ciboire de Criss en 2003/2004, j’avais une amie québécoise depuis quelques années et je rêvais de cet endroit, j’avais aussi vu ma première pièce de Mouawad, qui lui aussi pointait là-bas.
Bref, j’ai écrit à l’Association, qui a transmis mes questions. Elles n’étaient pas folles, que par courriel, banales en large partie. J’ai illustré d’images prises sur internet, déformées par ma « maquette » sous Publisher, mais j’ai retenu qu’elle était très gentille. Je dépose l’entretien ici, il ne vous apprendra rien, c’est un document, disons.
Donc voilà, en mars 2005, déjà Julie Doucet, déjà des entretiens.
En octobre de l’année suivante je publiais une demi-page dans un fanzine de BD québécois, Ça pue ! n°4, publié par l’autrice Iris. La page est plutôt nulle (même si je suis très reconnaissant à Iris de l’avoir publiée), mais c’est une parodie/hommage autofictionnel de Doucet. Déjà donc, des années avant de lui dédier le n°2 de mon égozine Ceci est mon corps. Je rajoute cette BD sans grand intérêt si ce n’est documentaire à la suite de l’entretien.
En septembre 2022, j’irai chez elles quelques heures, pour un long entretien pour neuvième art. L’année suivante au FIBD j’animais un plateau génial avec elle, Diane Obomsawin, Siris La Poule, Marc Tessier et Julie Delporte.
Ça vient de loin quand même !
PS : On notera qu’au début de Gorgonzola les trois auteurices de BD interviewés le sont tous avec une pratique de l’édition, qu’elle soit à petite échelle comme Doucet, où en librairie voire en kiosque. Ce rapport à la conception et à la diffusion des livres n’est pas anecdotique à mon avis, même si à l’époque je ne le conceptualisais pas.
Au lancement des Cahiers de la BD, l’éditeur avait proposé une chronique signée par divers auteurs sous le pseudo gag de Daniel Merveille (en hommage à Daniel Vermeille, auteur culte de Rock & Folk). Il s’agissait d’une sorte d’Oncle Paul racontant les concept avec un ton bonhomme débutant toujours par « Bonjour les enfants » tout en parlant quand même du sujet, le tout en 3000 signes. On y a écrit sur le festival d’Angoulême, les bulles… j’avais fait celui-ci sur le roman graphique, jamais publié, il y a bien cinq ans, j’ai essayé de la remettre dans la revue, puisqu’elle avait été oublié, mais il semble qu’elle soit refusé.
Il s’avère que j’aime bien ce que j’y raconte, même si c’est bref et ne casse pas trois pattes à un canard, moi qui ai dans mes cours sur la BD un slide nommé « Contre le roman graphique ».
Bonjour les enfants. J’ai appris que certains d’entre vous ne voulaient plus m’entendre parler de BD, car ils préfèrent le « roman graphique ». Pourquoi pas, mais êtes-vous au moins d’accord entre vous sur ce que ça veut dire ?
Le premier à utiliser ce terme est le critique américain Richard Kyle en 1964. Son but est purement marketing : il n’y a pas de tables sur la BD dans les librairies et il veut être mis avec les essais littéraires. Personne ne note vraiment l’usage et c’est Will Eisner qui le popularise en 1978 avec A Contract with God. Le dessinateur du Spirit veut se démarquer de ses anciens travaux et publie quatre nouvelles dessinées : des sujets lourds, une ambition narrative, un format entre comics et littérature, du noir et blanc. Voilà pour lui la définition du roman graphique.
L’expression « roman graphique » fonctionne très bien, même Marvel la reprend quelques années plus tard pour des aventures vendues plus cher, avec des super-héros et en couleur, retenant surtout l’idée de cibler un public différent. Le terme « roman » permet de se distinguer de la masse, de montrer qu’on ne lit pas n’importe quoi, surtout à ceux qui n’y connaissent rien. Sur le fond, la chose est plus discutable. Après tout dès 1918 le Belge Frans Masereel publie un « roman en gravures ». Il y a un siècle ! Rodolphe Töppfer, lui, faisait de la « littérature en estampe ». Et le genre est monnaie courante jusqu’au 50’s sans que personne ne s’en émeuve. Il s’agit alors de rendre accessible des idées politiques, avec des images et impressions venues de l’affiche.
En France, au début des 80’s, Casterman publie sa collection « Les Romans (À suivre…) » en parallèle de sa revue, l’idée est surtout de publier des récits assez longs, sortant du cadre de l’album, et d’accompagner les éditions de Pratt. Il y a bien une ambition littéraire dans les premiers numéros, mais cela devient vite flou. Flammarion lance une collection « Roman BD », mais il s’agit juste de petit format quand les Humano mettent le même terme pour leur collection de one-shot. Autant dire qu’entre le roman graphique de superhéros, les pré-graphic novel et ça, Eisner y perdrait son américain.
Le terme s’installe ainsi, présent sans s’imposer. Après la vague de (re)découverte de la BD alternative au début des 90’s des éditeurs relancent des collections Roman BD, désignant cette fois a priori plutôt un format : entre l’album et le poche, 150 pages minimums, en noir et blanc. De quoi signer les plus porteurs des auteurs alternatifs. Mais le manga arrive et bouscule tout, avec une pagination qui y ressemble, mais en moins cher. D’autres, comme Taniguichi, sont publiés aux côtés des volumineux « bédéromans ». Le terme ne désigne alors finalement qu’un format. Mais voilà que certains y présentent 200 pages de gags en couleurs. Et que l’on cartonne la couverture.
Une chose est certaine, le roman graphique ce n’est pas tout et n’importe quoi. C’est une chose précise. Reste à savoir laquelle.