Un article s’insérant dans le projet d’index « Chantons la bande dessinée avec… ».
« Salut aussi à Rantanplan ! » chantent les Bérus dans leur hymne « Salut à toi ! », difficile de savoir si le chien du pénitencier de Lucky Luke est évoqué directement ou si c’est un ami (surnommé selon le chien sans doute – mais cela devient trop léger pour figurer dans l’index. Ce sera là !) mais les rois du punk français ont à leur répertoire un titre moins connu et profondément ancré dans le neuvième art, et ce dès leur premier album. « Frères d’armes » est la septième piste du mythique Macadam massacre, sorti en 1984.
Si vous la découvrez à l’instant, vous vous demandez peut-être quel rapport on retrouve avec la bande dessinée dans cette chanson. Si vous avez la pochette quelque part, le nom du parolier vous éclairera – tout en vous surprenant : Gérard Lauzier. Le futur cinéaste de films comiques qui ont peu marqué l’histoire était alors une célébrité de la bande dessinée : prix du scénario à Angoulême en 1978, Prix Adamson (prix suédois) du meilleur auteur étranger en 1981, Lauzier est même sacré Grand prix de la ville d’Angoulême en 1993. A posteriori il fait partie des noms un peu contestable mais avec ses Tranches de vies, il incarne une certaine BD sociologique, montrant la petite bourgeoisie, avec des dialogues ciselés – parfois très drôles, mais aussi assez sexistes et défaitistes. Cela lui vaudra d’ailleurs une altercation avec le groupe de dessinateurs punks Bazooka à la fin des années 1970. L’anecdote est connue, a été raconté plusieurs fois, voici la version donnée en 2007 par Lauzier dans un entretien à Bodoï :
j’ai déjà été insulté – ce qui, d’une certaine manière, est une forme d’hommage. Il s’agissait du groupe de dessinateurs Bazooka, qui officiaient à Libération dans les années 1970. Lors d’une édition du Festival d’Angoulême, ils m’avaient reproché d’être un fasciste misogyne. Et avaient fracassé à terre l’un de mes originaux. En partant, Kiki Picasso m’avait craché dessus. À l’époque, cette réaction était surtout idéologique : ces anarchistes se voulaient provocateurs. Claire Bretécher avait aussi été prise à partie.
Bref, pas très punk tout ça, Lauzier est d’ailleurs souvent cité comme un auteur de droite, même s’il moque parfois son milieu.
Et pourtant « Frères d’armes » a un texte de Lauzier. C’est impensable, comment aurait-il pu se retrouver à écrire pour le groupe ? La réponse est simple, contrairement à Fred pour Dutronc ou Menu pour Les Satellites, c’est assurément d’une adaptation faite sans son accord préalable (je serai curieux de savoir si, à terme, il a touché des droits d’auteurs, ce qui ne m’étonnerait pas). C’est un cas assez unique puisque l’intégralité de la chanson est une reprise de textes présents dans des bulles de « Frères d’armes », deuxième épisode de la courte série de western parodique Al Crane, dessinées par Alexis et paru dans le Pilote mensuel n°26 de juin 1976, puis en album l’année suivante chez Dargaud – cette fois le récit ouvre l’album, ce sera aussi le cas de la réédition de 1992 chez Vent d’Ouest.
Contrairement aux autres chansons de cet index, il m’est donc impossible de copier la partie du texte parlant de bande dessinée, aucune n’en parle directement, tout est hommage et reprise. C’est un extrait d’un dialogue entre Al Crane et un lieutenant, après plusieurs pages muettes on arrive sur un massacre d’Amérindiens pendant que les deux évoquent leurs souvenirs de joyeux carnages. C’est extrêmement bavard, très descriptif, évidemment noir. Voici le texte en question, tout est dit à l’exception de la deuxième bulle, ce qui donne l’impression d’un monologue et permet de faire de l’ensemble un bloc (avec parfois des successions de textes rapides qui brisent le rythme original comme le passage « Quelles journées ! Les vôtres… »)

Ce morceau est d’autant plus curieux que le précédent est une musique, sans texte à part des cris de joie et de loups, des crépitements de feu, une reprise à la guitare de « When Johnny Comes Marching Home » (dont l’air est lui-même une reprise, mais le titre de la chanson des Bérus est clair sur la reprise : « Johnny revient de la guerre »). Ce morceau se termine avec un son amenant directement celui d’après, comme une continuité. Il apparaît vraiment comme l’intro de « Frères d’armes », deux deux reprises atypiques formant un tout au milieu de « Macadam massacre » et une manière complètement unique d’évoquer la bande dessinée.