Voici un objet passionnant (signalé par Tzvetan Liétard), à vrai dire à la limite du hors-sujet car il s’agit avant tout d’un texte, à peine illustré, mais manuscrit, et dans un journal qui publie beaucoup de dessins, par un auteur de bandes dessinées – elles-mêmes souvent pleines de texte -, alors les frontières… Voici en tous cas Casse-têtes, une des chansons d’un 45 tour d’Yves Montand sorti en 1978. Une chanson qui dénonce la violence, celle des policiers sur les manifestants comme des chasseurs sur les phoques, une chanson sur la bêtise brute de la répression, mais aussi sur la manière dont elle vide l’esprit des victimes et peut éradiquer toutes résistances. Membre du Mouvement de la paix et des Droits de l’homme, acteur régulier pour Costa-Gavras et ses films engagés, habitué de chansons de soutiens à diverses causes, le chanteur-acteur n’a pas encore rejoint le tournant de la rigueur et soutenu le libéralisme, rien d’étonnant dans ce texte donc, même si son engagement profond et direct à la TV peut étonner :
Son origine se trouv dans le n°332 de Charlie Hebdo, le fameux journal satirique, dont la couverture de Reiser évoquant un bébé phoque résonne d’ailleurs avec le texte :
Jean-Marc Reiser, couverture du Charlie Hebdo n° 332, 24 mars 1977.
Dans ce numéro, apparaît le texte « Un moment d’amnésie », qui se veut poème, évoquant des visages divers, tous disparus et suggérés. Le texte chanté est le même, seul le titre change. C’est a priori Montand lui-même qui l’a lu, et a demandé à Gébé de l’utiliser – à sa grande surprise. On a donc quelque chose de quasi littéral, comme dans le Frère d’armes des Bérus. La chanson fonctionne, en déclamant avec des rythmes saccadés. C’est brillant, mais cela reste au fond l’adaptation d’un texte, et non d’une bande dessinée, contrairement au titre des Bérus. En étant honnêtre, c’est donc un cas hors sujet. Mais j’ai trop aimé cette découverte pour ne pas la partager.
Comme régulièrement, index des articles, recension, entretiens réalisés dans un cadre universitaire, ou au moins proche. J’ai encore quelques articles en attente, puis il y aura un creux, lié à la parentalité et à la fin de thèse (deux sous parties encore !).
Comme à chaque fois, cliquer sur les images amène sur l’article et j’ai tenté d’organiser par type d’articles (articles, entretien, recensions). Et enfin, tout n’est certes pas absolument universitaire, mais ça me semble réunir les travaux ayant cette ambition/exigence.
D’abord j’ai un peu honte, j’avais zappé dans mes précédents index (et c’est quelque chose pour un livre parle d’invisibilisation) la parution au printemps 2024 de l’importante somme Construire un Matrimoine de la BD – Créations, mobilisations et transmissions des femmes dans le neuvième art, en Europe et en Amérique, dirigée par Marys Renné Hertiman et Camille de Singly et publié aux Presses du réel/ArTec. J’y ai écrit un article appelé « D’Yvette Lapointe à Zviane, les femmes dans la création de bande dessinée au Québec ». La bonne nouvelle est que récemment le livre a été mis en accès libre sur openedition ! Vous pouvez donc le retrouver en cliquant sur l’image, mon article comme tout le reste :
Vient ensuite un article qui a mis du temps à sortir, ça faisait longtemps que je voulais étudier un peu plus Yvan Pommaux (j’avais déjà parlé un peu Angelot du Lac dans mon article sur Bayard), notamment la série des John Chatterton, que j’ai lu enfant pour le premier tome, et dont je n’ai découvert les deux autres volumes que bien plus tard. La rencontre avec une collègue spécialiste du conte lors de mes études à l’INET a permis à cet article de naître. C’est avec beaucoup de plaisir que je cosigne donc avec Eva Barcelo-Hermant « John Chatterton : un chat noir dans le labyrinthe des contes et des éditions » pour Publije, revue de l’Université du Mans spécialisée en littérature jeunesse, université où nous avons justement tous les deux fait notre master sur ces sujets.
Dernier article universitaire strictement, un extrait de ma thèse à vrai dire, « Julie Doucet, traverser les frontières » est paru dans l’International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes vol. 63 en cette fin d’année. J’y explore l’énorme influence de l’autrice dans le champ francophone/anglophone, à travers les éditions, rééditions, réceptions, de son travail, et quelques planches iconiques dont le sens semble étonnament transporté au fil des éditions. Au-delà de ça, ça me fait toujours plaisir d’être publié dans des revues canadiennes, celle-ci est publiée par les Presses universitaires de l’Université de Toronto.
Sinon, j’avais publié chez l’Égouttoir il y a plusieurs années une version corrigée et illustrée d’un travail définitionnel du fanzine. Voici la présentation qu’en faisait l’éditeur : « Passionné par les fanzines, auxquels il a consacré de nombreux textes depuis ses années de lycée, Maël Rannou a finit par se lasser qu’on lui demande : « « « Mais un fanzine, c’est quoi ? » » ». Afin de ne pas répéter toujours la même chose, il propose avec Définir le fanzine un bornage historique et plusieurs définitions évolutives de ce concept qui n’a cessé d’évoluer et de couvrir des réalités mouvantes. Afin de montrer cette diversité et d’ouvrir le débat, Lénon, Alex Baladi, El Chico Solo, Léa Murawiec, Jean-Paul Jennequin, Caro Caron et Jean Bourguignon, tous et toutes actifs dans le fanzinat de bande dessinée, ont apporté en BD ou dessin leur propose vision du fanzine. » Ce fut un best-seller, à l’échelle du fanzinat, avec un deuxième tirage (ça fait 300 en tout, calmons-nous) et comme il est épuisé et que je ne fais plus trop de salons, j’ai voulu le rendre dispo. On le trouve donc sur HAL, archives ouvertes de la recherche en France, en fichiers imprimables !
Si là aussi ce n’est pas directement universitaire, j’ai écrit l’introduction du hors-série de la belle revue 303 « L’Appel du fleuve, la Loire en bande dessinée ». Cette revue consacrée à l’art visuel en Pays de la Loire, dont l’existence risque d’être frontalement menacée par la casse culturelle de la présidente de région, propose ici de nombreuses visions de la Loire en bande dessinée, de l’évocation intime au reportage en passant par l’histoire sociale, le futurisme ou l’onirique. Mon texte tente une typologie d’approches du paysage en bande dessinée, mêlant les récits du numéro et d’autres publications, convoquant Élisée Reclus ou Catherine le Forestier. Un texte écrit pile avant d’aller à la maternité, c’est Histoire(s) d’un paysage.
Du côté des entretiens, deux ont été publiés, tous deux réalisés avec ma camarade Irène Le Roy Ladurie. Le premier poursuit mes travaux réguliers sur Pif gadget, en donnant la parole à Claude Bardavid, dernier rédacteur en chef du magazine « canal historique », à l’occasion d’un dossier de Comicalités consacré aux magazines de bande dessinée en France. Titré d’une joyeuse citation, on peut lire « « On n’avait pas l’impression de travailler à la mine » » en cliquant sur l’image :
L’autre a été réalisé il y a plusieurs années et a mis son temps pour arriver en ligne, un dialogue avec Tony Neveux, typographe qui a tenté de créer une spécificité sur la typographie d’auteurices de bande dessinée. Pensé pour un dossier sur la lettre dans la bande dessinée de la revue neuvième art, l’entretien a fini par sortir isolément. « Pour moi, une lettre est une image » est à lire ici :
Si le site n’est pas strictement universitaire, son exigence et son sérieux me semblent tout aussi proches. J’ai donc le plaisir de ponctuellement écrire des recensions pour Nonfiction. La première en mars derniers « L’écocritique, un concept pour lier environnement et littérature », à propos de L’Écocritique. Repenser l’environnement au prisme de la littérature (Sophie Chiari, 2024), l’autre tout récemment « Les éditeurs sous toutes les coutures », à propos d’Être éditeur. Histoire, discours, imaginaires, d’Anthony Glinoer (L’Échappée, 2024). Deux livres verts dans les deux cas, aux sujets bien distincts, les deux sont toutefois de belles réussites :
Et enfin, c’est sur neuvième art, mais vraiment très bref, j’avais écrit un panneau de l’exposition MédiaBD consacrée à l’histoire de la bédéphilie. Ce n’est qu’à peine 2000 signes, et je concluais avec « Le fanzinat bédéphile aujourd’hui ». Pour la peine je mets le lien direct juste avant mais ici un lien vers toute l’exposition, car c’est intéressant et ça va vite à lire :
« Salut aussi à Rantanplan ! » chantent les Bérus dans leur hymne « Salut à toi ! », difficile de savoir si le chien du pénitencier de Lucky Luke est évoqué directement ou si c’est un ami (surnommé selon le chien sans doute – mais cela devient trop léger pour figurer dans l’index. Ce sera là !) mais les rois du punk français ont à leur répertoire un titre moins connu et profondément ancré dans le neuvième art, et ce dès leur premier album. « Frères d’armes » est la septième piste du mythique Macadam massacre, sorti en 1984.
Si vous la découvrez à l’instant, vous vous demandez peut-être quel rapport on retrouve avec la bande dessinée dans cette chanson. Si vous avez la pochette quelque part, le nom du parolier vous éclairera – tout en vous surprenant : Gérard Lauzier. Le futur cinéaste de films comiques qui ont peu marqué l’histoire était alors une célébrité de la bande dessinée : prix du scénario à Angoulême en 1978, Prix Adamson (prix suédois) du meilleur auteur étranger en 1981, Lauzier est même sacré Grand prix de la ville d’Angoulême en 1993. A posteriori il fait partie des noms un peu contestable mais avec ses Tranches de vies, il incarne une certaine BD sociologique, montrant la petite bourgeoisie, avec des dialogues ciselés – parfois très drôles, mais aussi assez sexistes et défaitistes. Cela lui vaudra d’ailleurs une altercation avec le groupe de dessinateurs punks Bazooka à la fin des années 1970. L’anecdote est connue, a été raconté plusieurs fois, voici la version donnée en 2007 par Lauzier dans un entretien à Bodoï :
j’ai déjà été insulté – ce qui, d’une certaine manière, est une forme d’hommage. Il s’agissait du groupe de dessinateurs Bazooka, qui officiaient à Libération dans les années 1970. Lors d’une édition du Festival d’Angoulême, ils m’avaient reproché d’être un fasciste misogyne. Et avaient fracassé à terre l’un de mes originaux. En partant, Kiki Picasso m’avait craché dessus. À l’époque, cette réaction était surtout idéologique : ces anarchistes se voulaient provocateurs. Claire Bretécher avait aussi été prise à partie.
Bref, pas très punk tout ça, Lauzier est d’ailleurs souvent cité comme un auteur de droite, même s’il moque parfois son milieu.
Et pourtant « Frères d’armes » a un texte de Lauzier. C’est impensable, comment aurait-il pu se retrouver à écrire pour le groupe ? La réponse est simple, contrairement à Fred pour Dutronc ou Menu pour Les Satellites, c’est assurément d’une adaptation faite sans son accord préalable (je serai curieux de savoir si, à terme, il a touché des droits d’auteurs, ce qui ne m’étonnerait pas). C’est un cas assez unique puisque l’intégralité de la chanson est une reprise de textes présents dans des bulles de « Frères d’armes », deuxième épisode de la courte série de western parodique Al Crane, dessinées par Alexis et paru dans le Pilote mensuel n°26 de juin 1976, puis en album l’année suivante chez Dargaud – cette fois le récit ouvre l’album, ce sera aussi le cas de la réédition de 1992 chez Vent d’Ouest.
Contrairement aux autres chansons de cet index, il m’est donc impossible de copier la partie du texte parlant de bande dessinée, aucune n’en parle directement, tout est hommage et reprise. C’est un extrait d’un dialogue entre Al Crane et un lieutenant, après plusieurs pages muettes on arrive sur un massacre d’Amérindiens pendant que les deux évoquent leurs souvenirs de joyeux carnages. C’est extrêmement bavard, très descriptif, évidemment noir. Voici le texte en question, tout est dit à l’exception de la deuxième bulle, ce qui donne l’impression d’un monologue et permet de faire de l’ensemble un bloc (avec parfois des successions de textes rapides qui brisent le rythme original comme le passage « Quelles journées ! Les vôtres… »)
Ce morceau est d’autant plus curieux que le précédent est une musique, sans texte à part des cris de joie et de loups, des crépitements de feu, une reprise à la guitare de « When Johnny Comes Marching Home » (dont l’air est lui-même une reprise, mais le titre de la chanson des Bérus est clair sur la reprise : « Johnny revient de la guerre »). Ce morceau se termine avec un son amenant directement celui d’après, comme une continuité. Il apparaît vraiment comme l’intro de « Frères d’armes », deux deux reprises atypiques formant un tout au milieu de « Macadam massacre » et une manière complètement unique d’évoquer la bande dessinée.
Je ne sais pas si vous connaissez Jérôme Gorgeot, depuis plus de 20 ans il fait des BDs autobios, avec une focale sur une vie qu’on ne voit pas trop dans les BDs : un gars de province, à une époque marqué à droite, etc. Je l’ai croisé pour la première fois sur le site BDAmateur et j’avoue qu’il m’énervait, j’étais ado et encore sans droit de vote et il se vantait d’aimer Sarkozy ! Il en est revenu, sans devenir de gauche, mais a pris beaucoup de distance avec ça je pense… Il était journaliste de presse quotidienne régionale, devenu directeur de cabinet, revenu largement de la politique il a étrangement une petite célébrité sur Tik Tok ! Je sais en tous cas que j’étais étonné par cet autobiographe qui semblait avoir beaucoup de références communes avec moi mais être très différent.
À un moment je ne l’aimais pas du tout, je l’avoue, puis le type est sympathique et a posé clairement des gestes nécessaires pour moi (dans une BD des années 2000, il défendait Dieudonné et la liberté d’expression, mais il a ensuite condamné très clairement la dérive quand il a vu « l’humoriste » faire monter Faurisson sur scène, les deux fois en BD, en assumant se sentir trahi et couillon. Pour moi sur ce sujet Faurisson est la bascule absolue, avant il y a déjà des choses, mais tu peux essaye de croire à l’humour, là non). Bref je vous dis ça car à la base Jérôme c’est quelqu’un qui existe dans un paysage un peu lointain, dont je lisais au début le travail avec énervement mais en étant intrigué, et petit à petit moins énervé, toujours intrigué. On a fini par se croiser, discuter, et bon, sans devenir un fanatique de son travail j’apprécie de le lire et de le voir. Se montrer y compris dans ses erreurs, sans vraiment de fard (non d’autocomplaisance) c’est pas si commun.
Le dernier Egoscopic, couv de Berbérian
Comme beaucoup de fanzineux, Jérôme a une activité diverse à côté de celle d’auteur (et je ne parle pas de faire bouillir la marmite, mais toujours dans le champ des BDs), notamment celle de coorganisateur d’un festival et, surtout, d’éditeur d’un collectif. Ce collectif, Egoscopic, était consacré à l’autobiographie en BD, à une époque où c’était bien plus commun qu’avec Ego comme X, mais en fait plus si commun d’avoir une anthologie juste à ce sujet. Egoscopic a connu 20 numéros copieux (cent pages, en couleur) entre 2012 et 2023, puis s’est arrêté, c’est déjà une longue vie pour un zine et comme souvent ça épuise l’énergie – être auteur est une chose, organisateur de collectif une autre, et vendeur sur des salons vraiment une autre. Bref on peut commander les numéros disponibles ici, c’est curieux Egoscopic car il y a vraiment des contenus inégaux, en ce sens c’est un vrai fanzine bédéphile à l’ancienne, le Jérôme Gorgeot « fan de » y a contacté ses stars : Lolmède, Baudoin, Placid, Duffour, Fifi, Barale, Rochier… au milieu de ses copains, de parfois débutants, de gens croisés sur d’autres stands, j’aime beaucoup cet esprit, c’est dit.
Bref, aussi par le contexte de mon rapport à Jérôme, de ces souvenirs anciens, j’ai mis du temps à me pencher sur Egoscopic, alors que bon, je fais de l’égozine, ça aurait été une débouchée logique. Je ne sais plus comment j’ai fait des pages pour le n° 19, je sais que Jérôme aimait Ceci est mon corps, et j’avais justement une idée de récit court, mais je me demande si ce n’est pas suite à une demande d’El Chico Solo, et que je me suis dit « quitte à être dans ce numéro »… on ne saura jamais mais j’explique bientôt plus clairement la phrase qui vient d’être écrite. En tous cas, en novembre 2022 est sorti le n° 19, sous une belle couv de l’ami Jean Bourguignon (on a fait un bouquin ensemble) et j’y propose des pages. Mais, chose plus curieuse, j’y apparais plusieurs fois ailleurs !
Mon exemplaire, légèrement corné, du n°19, couv de Jean Bourguignon
En effet, j’apparais sans surprise dans ce numéro dans mes 3 pages autobiographiques, « Mes vêtements vous parlent », dont l’objet est comme souvent de raconter ma vie à travers des détails de l’expression du corps ou, dans ce cas, de ce qu’il y a dessus. Ce sont des pages assez classiques de ce qui ressemble à mon travail.
Par ailleurs, il s’avère que l’ami El Chico Solo (interviewé comme « fanzineux disparu » dans Gorgonzolail y a des années, depuis régulier de mon zine puis leader suprême du groupe « J’AI ! »), qui publie dans Egoscopic depuis plusieurs numéros, avait décidé d’y raconter son Angoulême précédent. Comme il y a croisé des dessinateurs, il leur a demandé de se dessiner eux-mêmes pour être collé dans ses pages. D’ailleurs c’est un collage littéral puisque ce n’est pas numérique, il imprime au bon format nos dessins et zou. Il ne s’agit que de trois petits dessins, visibles ci-dessous, mais ça se passe dans mon appart avec mon regretté chat Lénine, qui aimait tant dormir sur des gens nouveaux.
Je suis donc personnage dans ma BD, c’est classique. Dans celle d’un autre, ça l’est moins, mais je me dessine. Et voici que je retrouve sur mon disque dur deux pages d’Aleksandar Zograf, formidable dessinateur serbe, régulier de Gorgonzola (et dont on a publié un beau recueil de dessins,Visions hypnagogiques, pas cher), qui fait régulièrement des BD reportages pour une revue de son pays. En octobre 2021, il est venu à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême pour des journées d’étude internationales, nous nous y étions rencontrés pour la première fois. Comme je venais d’arriver là-bas comme bibliothécaire, je faisais visiter les réserves patrimoniales aux invités, et il m’y a dessiné. Je suis donc apparu dans un magazine serbe, apparemment dans une traduction italienne aussi. J’avais traduit ses planches (depuis l’anglais) et Yvang les avait lettré (c’est lui qui lettre toujours Zograf, et d’autres, pour nous), cela devait être publié sur le site de la CIBDI mais ça a changé de direction, le post n’a pas eu lieu, bref. Et donc j’avais ses pages, je ne me voyais pas les mettre dans Gorgonzola, en plus on perdait la couleur, je les ai proposés au camarade Gorgeot qui s’est réjoui d’avoir ainsi l’auteur de Bons baisers de Serbie (un album à vraiment lire) au sommaire ! Et me voici dans un troisième récit, cette fois sous une autre plume.
En version pas trop lisibles pour que vous achetiez le numéro, les pages du camarade Zograf, et ma chemise à carreaux !
Je n’aurai participé qu’une fois à ce chouette fanzine, je le regrette un peu, mais jusqu’ici je n’étais jamais apparu dans des BDs d’autant d’auteurs différents dans un même numéro (sauf dans Ceci est mon corps mais je demande à des copains de parler de moi, c’est un peu différent), alors ma foi, c’est quand même pas rien ! Bon, je doute que ce soit un argument marketing pertinent en soi (sauf s’il y a des fans de moi, inconnus au bataillon), mais vous aurez au moins eu un aperçu de la diversité des auteurs de ce beau fanzine, à commander ici donc, je le redis.
Bandeau : couv des numéros 12, 10 et 16 par Denis Truchi, Zac Deloupy, et Rémy Cattelain (une des stars aussi, un des plus drôles dessinateurs de presse actuel)
« À l’origine on ne savait absolument pas si on allait le publier, d’ailleurs j’avais prévenu Hergé : on le faisait mais on ignorait ce que ça deviendrait. J’avais dans l’idée la collection “Entretiens” chez Pierre Belfond, où l’on trouvait des écrivains, des philosophes, des musiciens, des metteurs en scène et qui m’avait emballé, j’adore les interviews. Je leur ai tout de suite proposé mais ils m’ont ri au nez en me disant “Monsieur… de la bande dessinée dans cette collection… Vous nous prenez pour qui ?” Je n’ai pas osé le dire à Hergé tout de suite, je lui ai raconté longtemps après ! »
C’est ainsi que Numa Sadoul me racontait en 2010 le début de ses entretiens avec Hergé. J’en avais déjà fait quelques autres à l’époque, mais il est certain que la figure tutélaire de Numa, avec qui mes goûts diffèrent certainement, comme la manière de réaliser des entretiens, a joué. À l’époque je le rencontrai pour une étrange raison puisqu’il avait accepté de jouer dans un court-métrage que j’avais réalisé* ! Une occasion bizarre de créer une rencontre avec quelqu’un qu’on admire pour tout autre chose que sa carrière de comédien et metteur en scène. Et je rejoins vraiment le début de sa pensée : j’aime les entretiens, j’aime écouter quelqu’un raconter sa vie ou sa pensée, et encore plus les lire. Si la partie biographique n’est pas ce qui m’intéresse le plus, elle m’apparaît toujours essentielle (là aussi, comme Numa, même s’il y place sans doute plus d’importance dans l’ensemble que moi), sans tomber dans l’excès de l’œuvre par la biographie à la Sainte-Beuve, on ne peut nier que généralement cela éclaire la suite. C’est très flagrant dans un des derniers entretiens que j’ai réalisés.
Une chose qui m’importe beaucoup, ce sont les temps de formation, les influences, je suis peut-être moins curieux de la technique, de la méthode (le fameux « vous travaillez à la plume ou au pinceau ? », qui n’est pas si idiot que sa caricature)
J’aime lire des entretiens, bien sûr j’en lis beaucoup d’auteurs de bande dessinée, ou autour du monde du livre, c’est mon milieu et ma passion, mais même plus largement j’adore ça, y compris de gens qui m’intéressent moins (seule exception : les politiques en activité, j’adore la politique, mais lorsqu’ils sont en poste ce sont souvent des livres programmes sans intérêt). J’ai pu lire avec passion des entretiens avec des gens dont je n’ai finalement pas lu les ouvrages, certains m’ont donné envie de lire des livres, parfois pour une découverte, parfois qui me sont tombés des mains.
Exemple type d’un livre d’entretien que j’ai dévoré tout en n’ayant pas de passion particulière pour le sujet : Du polar, entretiens de François Guérif avec Philippe Blanchet (Payot ). Éditeur de romans noirs, polars et autres thrillers depuis des décennies, Guérif revient sur son parcours comme sur son goût du genre avec une érudition délectable, et en même temps très accessible. Je me souviens l’avoir lu en notant des tonnes de références, des livres qui avaient l’air super, souvent dans ses collections, et dont je n’ai finalement lu quasiment aucune référence.
Plus attendu, comme j’ai lu beaucoup de livres de La Fabrique, j’ai vraiment aimé me promener dans Pour aboutir à un livre, entretiens avec feu Éric Hazan. Les interviewers ne sont pas sur la couv (je suis contre, évidemment) mais il y a une raison, c’est un « faux entretien », composé de questions que La Fabrique recevait souvent d’étudiants, de stagiaires, de la presse… compilées par l’équipe et mises en forme, avec toutefois l’aide d’un stagiaire nommé en avant-propos, Ernest Moret.
En ce moment paraît sur Du9 un long entretien avec Appollo, scénariste réunionnais dont j’aime énormément le travail (La Grippe coloniale, Commandocolonial, ÎleBourbon1730, LaDésolation…) et le discours. Avec Delphine Ya-Chee-Chan nous l’interrogeons sur la bande dessinée historique, les collaborations, mais aussi l’édition de fanzine. Deux volets sont déjà parus, le troisième devrait arriver en regardant le même lien la semaine prochaine. Dans cet entretien typiquement le premier volet revient en détail sur la biographie de l’auteur, qui dessine une géographie intime éclairant l’œuvre, mais on aborde aussi avec l’enfance les premiers émois BD, les découvertes lycéennes, la rencontre très tôt de futurs collaborateurs (via un T-shirt de Druillet). Dans le deuxième volet je me suis amusé à reproduire des extraits de ses conversations sur usenet, proto mailing list de la BD francophone d’où naîtront nombre d’espaces du fandom, où il est alors très actif et où toute une génération s’est mise en lien. Dans le prochain nous parlerons beaucoup du fanzine Le Cri du Margouillat, de l’espace de la BD à La Réunion, tout en évoquant tout du long sa manière de travailler, ses albums, ses collaborations.
J’aime beaucoup ces entretiens « carrière » qui permettent de travailler le temps long, et d’embrasser plein de sujets, j’ai la prétention aussi d’en aborder qui ne le sont pas toujours dans les entretiens des auteurs (qui, en période de promotion, peuvent se répéter sans cesse). Le temps long nécessite aussi du temps, de préparation, de retranscription (si quelqu’un connaît un machin qui le fait facilement…). Mais je suis vraiment heureux de relire ces entretiens finis, de les partager, même si les retours ne sont pas toujours énormes. J’en ai eu des flatteurs, l’entretien avec Siris m’a permis de créer une belle amitié et le camarade avait été surpris qu’un petit français lui parle de ses fanzines des 80’s, Gilles Rochier avant son prix au FIBD, qui me disait mettre son entretien dans ses CV… Un des plus flatteurs était un peu insultant, d’un ami qui pense et écrit beaucoup sur la bande dessinée et me disait que je n’étais vraiment pas un théoricien, trop imprécis et brouillon pour être un vrai historien, mais que j’étais à ses yeux le meilleur interviewer pour la bande dessinée francophone. Alors certes c’est un peu vexant, mais j’ai aussi été flatté, je mets beaucoup de cœur à ces entretiens à vrai dire alors…
Mine de rien, avec le temps ça fait un petit monde d’entretenu. Bien sûr avec le temps, les auteurices (et c’est tant mieux) restant en vie et continuant à produire, il y en a qui sont en partie dépassés. Je m’amuse toujours de mon premier entretien avec Fabcaro indiquant en chapeau qu’il a un « public restreint mais fidèle ». J’ai eu l’occasion de refaire trois entretiens avec lui depuis, mais sans penser à en profiter pour faire une sorte de mise à jour régulière. Là aussi, Numa me disait qu’il rappelait chaque années ceux avec qui il avait réalisé des livres d’entretiens, pour les compléter, ce qui a permis des éditions définitives le jour où les auteurs ont quitté ce monde (parfois très longtemps après, comme les entretiens avec Franquin qui ont mis quelques décennies à reparaître). J’aimerais bien faire ça, le jour où je publierai un livre d’entretiens. On a un projet sur un très long entretien réalisé, le mettre à jour, l’éditer, mais ce sera après un autre grand moment.
Dans les grands noms de l’entretien, il y a aussi les Pissavy-Yvernault, spécialisés dans les auteurs Dupuis. Ils ont notamment réalisé des entretiens avec Willy Lambil, dessinateur des Tuniques bleues, une série qui a bercé mon enfance et que j’affectionne toujours, auteur réputé particulièrement peu loquace. Ces entretiens sont à cette image : il rembarre les intervieweurs, dévie, se contredit allègrement**, tout en donnant des anecdotes de-ci de-là où, sous une amertume certaine, apparais aussi beaucoup de choses du monde de l’édition de l’époque – refusant le mythe de la « grande famille » -, d’une certaine vision du métier et du labeur, une sorte de conscience sociale, et des choses très drôles. J’ai adoré ces entretiens, et j’aurai adoré faire un livre pareil (j’en avais parlé sur Bodoï).
Je pense à tout cela car je viens donc de publier cet entretien avec Appollo et que dans quelques jours je serai à la maternité pour la naissance de mes enfants. Dans ma valise j’ai pris quelques livres, pas beaucoup, je ne manquerai pas d’occupation, mais justement les entretiens ça se lit bien. J’ouvrais avec Numa. Christelle Pissavy-Yvernault vient de sortie un ouvrage d’entretiens avec l’intervieweur, Franquin et moi (reprise du titre Tintin et moi, de Numa Sadoul), centrés sur la relation à l’auteur de Gaston Lagaffe mais semblant aussi parler de tout son regard sur la bande dessinée depuis 60 ans, des rencontres, de ses différents entretiens. C’est donc ce livre qui est dans ma valise, liant sans doute plus fortement que je ne l’aurai jamais imaginé ma vie, Numa Sadoul et le goût des entretiens.
* Si ce court métrage ultra-marqué Tarantino est trop lent et n’a sans doute pas un fol intérêt, je suis tout de même assez content de son scénario. Le casting est improbable entre Numa Sadoul, le jeune étudiant en BTS édition que j’étais, un copain qui est devenu un comédien professionnel, un chanteur voix française de Travolta… ** Je ne vois pas de problème à ce que les entretiens montrent des contradictions, voire des informations erronées, le travail de l’interviewer est d’essayer de vérifier les chronologies (et éventuellement de le dire à l’interrogé pour qu’il corrige, bien souvent c’est de bonne foi, la mémoire n’est pas une chose fiable). Par ailleurs je n’attends pas des interviewés une vérité, mais une vision à un moment T, un auteur de BD brillant peut avoir un discours ou des goûts qui ne sont pas les miens, ou qui sont même décevants, ça ne rend pas l’entretien nécessairement inintéressant. Sur un très long entretien, la contradiction peut être tout à fait signifiante.
Régulièrement, je lis des entretiens d’auteurs et autrices de bande dessinées, parfois aussi, je lis des nécrologies. Dans les deux cas, les sujets sont souvent présentés comme les parents de personnages qu’ils ont créé, cela énerve souvent mes pairs, notamment lors des décès : cela manque de solennité et, surtout, cela prouve l’infantilisation de la bande dessinée, le mépris sous-jacent d’un truc un peu neuneu, qui dirait « le papa de [tel ou tel truc légitimes] ». C’est un thème que Xavier Guilbert, de Du9, aborde souvent sur X (ex-Twitter), je l’ai vu il y a quelques mois sur le même ton par l’auteur et éditeur Jean-Christophe Menu sur Facebook.
Pourtant, si c’est constant dans le cas des auteurs BD, ça me semble ici être plutôt un auto-complexe, une manière de se voir délégitimé par rapport à d’autres arts/champs. Dans les faits, une recherche rapide sur des sujets montre assez rapidement que « père de » est une expression très usuelle quand il y a un décès, particulièrement avec des auteurs ayant créé des personnages, et pas qu’en bande dessinée. Ainsi, en me limitant à des sites journalistiques (je ne recense pas les blogs ou critiques de fan, car là il y en a encore plus) on peut voir que cela concerne des romanciers divers, parfois dans des productions peu légitimes, donc qu’on peut mettre dans le même paquet. Exemples ci-dessous (cliquer sur les liens amène vers les articles).
Difficile de faire moins légitime que les aventures d’espionnage-érotico-facho SAS, reste que ce n’est pas de la BD. Mais cela touche aussi des romanciers et arts parfaitement légitimes :
Cela peut aussi toucher pas de l’art du tout, comme dans l’exemple ci-dessous sur le tableau des éléments :
Cela touche aussi d’autres champs, ainsi lors du décès de Badinter, on a beaucoup lu « père de l’abolition de la peine de mort », et il y a peu de chance que ce soit par mépris ou désir d’infantiliser. Ici l’extrait vient de Public Sénat, un média difficilement assimilable à du désintérêt badin sur la chose politique :
Il y a deux éléments là-dedans, on constate que le terme « père » (parfois « mère » aussi bien sûr) est utilisé dans le cas de choses bien identifiables : un texte de loi, une réforme, une découverte scientifique, un tableau iconique, je n’en ai pas mis mais j’en ai vu sur des chansons cultes, etc. À ce titre en littérature le terme est bien plus souvent utilisé pour des auteurices qui ont créé des personnages implantés dans le temps, grâce à la sérialité, des spécificités touchant beaucoup la bande dessinée (mais aussi la littérature jeunesse, le policier, la fantasy…), cet usage me semble bien plus lié à cela qu’à un certain mépris. C’est un mot-clef journalistique, peut-être une facilité, mais rien de péjoriatif.
Il faudrait cependant être de mauvaise foi pour ne pas distinguer « père » de « papa », et oui utiliser les termes papa/maman sont sans nul doute plus proche de l’enfantin, donc de l’infantilisation. Je n’ai pas trouvé de Badinter « papa de l’abolition ». On trouve un certain nombre d’Uderzo « papa d’Astérix »… mais ce sont des œuvres jeunesse, on ne peut pas le nier, et le fait que la bande dessinée porte souvent cette étiquette jeunesse peut être une confusion. On sait qu’elle a joué dans la délégitimation et le mépris du neuvième art, mais la littérature jeunesse est aujourd’hui pleinement étudiée et reconnue, cette confusion n’est donc pas si grave en soi sur le long terme.
Ce que je constate et qui me semble essentiel, c’est qu’il arrive régulièrement que des auteurices de séries plutôt jeunesses ne sont pas systématiquement décrits comme « papa ». Ainsi Toriyama n’a pas été que le « papa » de Sangoku dans la presse, ce qui est une forme de normalisation, au fond.
Sur le fond, ces énervements réguliers que je vois ici où là sur les « pères » me semblent donc avant tout être le témoignage d’une volonté de lutter pour sa légitimité, de se défendre face à des usages énervants d’éternels infantilisation, rabaissement, etc., mais, ici, cela paraît presque plus être une intégration si forte de ces processus qu’une chose assez banale pour tout créateur de sérialité ou de chose iconique apparaît un acte de mépris. De l’importance de, parfois, décentrer pour se rendre compte que, non, y a pas que dans la bédé qu’on a ce traitement !
En novembre 2022 je fais un point sur mes publications en début de troisième année de doctorat, alors que je me réinscris pour une 4e (et théoriquement dernière) année, voici le nouveau point ! J’écrivais en conclusion : « À suivre : d’autres recensions (pour le BBF et Communication…), des articles pour le Bulletin des bibliothèques de France, La Revue française d’histoire du livre, Comicalité, Voix Plurielles, Mémoires du livre, Archives des lettres canadiennes, Images du travail, Travail des images, Hermès et quelques autres projets, ainsi que deux directions de revues ». Le temps universitaire étant ce qu’il est, certains de ces articles ne sont toujours pas parus (voire écrit), mais la majorité oui, et par ailleurs d’autres se sont invités là !
En amorce toutefois, j’avais oublié dans ma dernière synthèse, une recension pour Textimages, revue d’étude du dialogue texte-image, qui a consacré un numéro à « Espaces et formes du texte dans la bande dessinée » sous la direction de Blanche Delaborde, Benoît Glaude et Pierre-Olivier Douphis. Je n’y avais pas écrit de long article, ce n’est pas vraiment mon champ, mais j’avais avec plaisir donné ma lecture de Presse et bande dessinée. Une aventure sans fin, ouvrage collectif dirigé par Alexier Lévrier et Guillaume Pinson aux Impressions nouvelles. Textimages n° 21 est paru au printemps 2022, désolé pour l’oubli et revenons donc au post-novembre.
Paru très peu de temps après mon point de l’an dernier, « Sylvie Rancourt, après Montréal » me permet d’étendre dans le Voix plurielles Vol. 19 n° 2 (novembre 2022) une communication donnée lors d’un chouette colloque sur la bande dessinée hors champ, en profitant d’un numéro sur le thème « Hors des centres : bande dessinée et comics au Canada » , dirigé par Chris Reyns-Chikuma et Jean Sébastien. J’y étudie le travail de Sylvie Rancourt, autrice intégrée au champ comme une originalité, avec un discours souvent répété sur la naïveté et son arrêt de la bande dessinée, ce alors qu’elle n’est ni complètement ignare de la bande dessinée (elle a indiqué en avoir toujours lu) et qu’elle a continué à produire des centaines de planches, mais après avoir quitté la capitale pour la campagne québécoise, où son travail était donc complètement inaperçu. Une relative invisibilité accentuée par son choix de faire dessiner ses récits par d’autres personnes, des personnes encore moins installée qu’elle dans le milieu et souvent très amateures. Il y a honnêtement encore beaucoup à écrire sur elle et ce travail je pense, mais ce papier premier une première étude de son travail post-2000 et je suis vraiment très content d’avoir pu le mener, d’autant que j’ai envisagé tout un doctorat sur Rancourt.
Un exemple de mini-zines auto-édités par Rancourt dans les années 2010
Images du travail, travail des images est une belle revue étudiant, comme son nom l’indique, la représentation picturale du travail, avec un angle en grande majorité sociologique. Leur n° 14, paru en février 2023, voit son dossier être entièrement consacré à la bande dessinée, sous la codirection de Jean-Paul Géhin, Françoise F. Laot et Pierre Nocérino. On y trouve notamment plusieurs contributions en partie en bande dessinée, ce qui est très stimulant, mais je n’avais ni le temps ni la compétence pour répondre sur cet axe. Il s’avère que la revue a aussi une section de textes courts, d’analyses brèves d’une image, potentiellement d’une planche, qui m’a permis de participer quand même avec ce commentaire d’une planche de La Petite Russie, une bande dessinée semi-biographique de Francis Desharnais sur une communauté autogérée du Québec.
Après avoir publié quelques recensions dans le Bulletin des bibliothèques de France, j’y ai publié le point d’étape « Fanzines et bibliothèques en France : une relation contradictoire », synthèse d’observations et enquêtes auprès des quelques rares fonds de bibliothèques territoriales accueillant des fanzines, et de leur politique pour la mise en valeur de ces fonds atypiques (souvent il n’y en a pas vraiment, mais parfois du désir !).
Le gros projet universitaire de cette année, hormis la rédaction de thèse débutée en juin, est sans nul doute la codirection de mon premier numéro de revue universitaire. C’est grâce à Philippe Rioux, qui m’a invité à faire ce travail avec lui, que j’ai eu la chance de pouvoir travailler sur le vol. 14 (n° 1) de Mémoires du livre/Studies in book culture consacré à « La bande dessinée vagabonde ». Pour le premier numéro que cette revue bilingue publiée par l’Université de Sherbrooke consacre à la bande dessinée, nous avons pris le parti des circulations, des transferts culturels et jeux d’adaptation et resémantisations. Les propositions ont été nombreuses et c’était proprement passionnant, même si le sujet permet sans nul doute de publier nombre d’autres articles. Pour ma part, je cosigne logiquement l’introduction avec Philippe, où nous détaillons un peu nos ambitions, mais ait aussi eu le plaisir de cosigner un autre texte, avec Noémie Sirat, à propos des Nombrils et de la place de leur québécité dans son parcours européen au sein du magazine Spirou. L’article se nomme « Vers les Nombrils universels » et constitue clairement un angle important de mon travail de recherche, annoncé dès le résumé de quelques paragraphes de ma thèse quand je me suis inscrit. Je suis très très heureux qu’il paraisse, tout comme tout le numéro, on trouve les articles cités en lien et tout le numéro en cliquant sur l’image ci-dessous :
Au rang des recensions je suis bien content du doublé au sein de la belle revue Communication, éditée par l’Université de Laval, mais au Québec, à laquelle j’avais forcément envie de contribuer. J’avais écrit ces textes il y a bien un an et il s’agissait de retour sur des ouvrages de Fan Studies, champ que j’ai vraiment envie d’explorer même si ce n’était pas l’urgence de la thèse. J’ai donc lu avec grand intérêt deux ouvrages sur le sujet : Les fans, Une approche sociologique, de Gabriel Segré (Presses universitaires Blaise Pascal, 2020), dans une collection que j’aimais tellement que j’ai finis par y écrire un livre entre-temps, et Les Fans. Publics actifs et engagés, de Mélanie Bourdaa (C&F Editions, 2021), qui s’impose comme la spécialiste française des études de fans et est pour sa part en sciences de l’information et de la communication.
Enfin, toujours dans les recensions, j’ai profité de cette rentrée pour publier ma première note de lecture sur le carnet biblio de La Brèche, association de chercheureuses sur la bande dessinée qui est chère à mon cœur, puisque j’ai été des cofondateur, puis membre de sa collégiale durant deux ans. Mais je n’avais encore rien publié sur le carnet, chose désormais faîte avec ce recueil d’entretien avec des éditeurs de bandes dessinées alternatives par Frédéric Hojlo.
Dans les choses à venir encore en 2023-24 donc, outre la thèse, mes premiers articles sur Comicalité (il était temps ! Mais a priori rien de moins que trois dans trois dossiers différents), et des propositions en cours chez Hermès, Belphégor, Meridian Critic, ¿ Interrogations ?… Avec plusieurs collaborations, ce qui me réjouit ! Des articles pour neuvième art, bien sûr, et pleins de projets, mais que je mets de côté pour la rédaction de thèse.
Le 14 juin 2023 Simon Clair, rédacteur en chef de Trax, a annoncé la fin de ce magazine consacré aux musiques électroniques et au monde de la nuit, créé en 1997. J’avoue que je n’ai jamais lu ce mensuel, je n’en étais pas la cible, mais c’est un exemple, encore un, d’une presse musicale qui va mal. Et c’est une revue relativement jeune dans le paysage historique, consacrée à un genre lui aussi relativement jeune, qui disparaît. J’ai toujours un pincement au cœur à la fin d’une revue, mon travail de recherche s’intéressant beaucoup à l’histoire des médias et à ce qu’ils charrient de leurs époques. Mais ici, plus que le magazine en lui-même, auquel des spécialistes de la musique rendront un meilleur et plus juste hommage, c’est un autre objet évoqué qui m’intéresse. Simon Clair indique en effet que « Le seul regret restera de ne pas pouvoir sortir le tout dernier numéro sur lequel on bosse depuis des mois. Il est fini et le PDF est prêt, avec en couverture Hamza, 100gecs et Xavier Veilhan. »
Il existe donc un numéro qui ne sera jamais sorti sur les presses, un numéro fantôme, secret, pour lequel des articles ont été écrits, des gens interviewés, des papiers dans lesquels des espoirs ont été mis. C’est un propos récurrent dans la presse. Sur des objets que je connais mieux, la presse BD, on retrouve facilement d’autres exemples. Ainsi de Viper, revue consacrée à la BD underground et à la légalisation des drogues, à laquelle j’ai consacré un article. Dans le numéro de Gorgonzola où j’ai publié le dossier original, nous publiions une bande dessinée de Gerbaud et Moynot, qui devait paraître dans le numéro 12, jamais paru. Dans le cas du Cri qui tue, premier magazine de manga en français, dont le n° 1 date de 1978, son créateur Atoss Takemoto indiquait avoir un n° 7 de prêt quand il a dû tout arrêter, face aux problèmes d’avances de frais de la distribution en kiosque (un problème toujours récurrent près de 50 ans plus tard). Dans un entretien réalisé avec Irène le Roy Ladurie, à paraître dans quelque temps chez Comicalité, Claude Bardavid, dernier rédacteur en chef de Pif Gadget, nous montre des maquettes d’une nouvelle formule jamais sortie. Il y a dans ces objets quelque chose de fascinant : une existence, mais pas vraiment, une réalité concrète mais un objectif non atteint.
Trax n° 236, été 2023, non paru.
Le monde étant ce qu’il est aujourd’hui, il y a moins de maquettes en papier et de témoins si physiques. Cependant un PDF peut plus facilement se partager et Simon Clair a justement posté un lien wetransfer proposant ce numéro, sans date de péremption (mais ce sera sans doute celle de l’abonnement du magazine ou de celui ce Clair lui-même à wetransfer), pour télécharger le numéro. Son souhait : qu’il soit diffusé massivement, librement, et soit lu. Qu’il existe. De fait, je l’ai entamé et c’est le premier Trax que je lis. Fantôme et pour moi plus concret que jamais. C’est assurément triste, mais aussi un très bel hommage à ce magazine, à ses auteurices, à ces magazines aux numéros fantômes qui restent des objets invisibles et impalpables. Ici il est concret, et peut même être imprimé, renvoyant Trax à l’artisanat des zines d’antan, cohérents avec son univers musical.
À la manière des bandes fantômes exposées à la ferme du Buisson en 2015, consacrée à des bandes dessinées finalement inachevées et jamais publiées, pour diverses raisons, il y aurait une exposition à faire de cette presse stoppée, alors que les numéros étaient prêts.
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Ce post peut s’intégrer à une série d’autres articles consacrés à des livres qui n’existent pas vraiment, comme celui-ci, dont la maquette existe mais n’est jamais parue, ou celui-ci, qui a été terminé mais n’a jamais été sorti par l’éditeur. Cet objet de recherche étant passionnant, je crée donc une catégorie « publications fantômes » sur ce blog.
Le sujet est peu étudié, y compris par moi qui ne fait que l’aborder de très loin dans mon livre, mais Pif Gadget a connu quelques versions étrangères. Je ne parle pas là d’exports, nombreux (j’évoque notamment le cas du Québec ici avec Sylvain Lemay), mais de transpositions du magazine dans d’autres pays (certes il y a eu quelques Pif Gadget spécifiquement québécois, mais c’est rare… et c’est dans l’article !).
Il s’agit par exemple de Pajtás magazin Pif en Hongrie, créé en 1978 et traduisant une bonne part de matériel français à côté de créations locales. Le journal a même existé en parallèle de l’import du magazine français, jusqu’en 1982. Ce journal est très mal documenté et je n’ai aucun lien avec la Hongrie, c’est un champ qui reste à explorer. Pif collection a fait de petits textes sur ces magazines, on les trouve dans le menu de gauche sous le titre « les versions étrangères » (étrangement je ne peux y faire de lien direct), on y découvre également une édition espagnole, de 1978 aussi, qui reprend carrément le graphisme du journal français.
Le forum des fans de Pif Gadget, dans un abondant et érudit sujet, a également trouvé une version danoise dès 1973. Yps, magazine allemand, est souvent évoqué, le journal ayant eu une grande longévité et du succès. C’est cependant un magazine préexistant qui s’est mis à accueillir largement les productions Vaillant, jusqu’à faire de Pif et Hercule les mascottes du titre, et pas une transposition directe. Cela étant, tous ces exemples montrent bien, quelle que soit la stratégie commerciale employée (traductions de bandes dessinées, export ou magazine directement transposé), qu’il y avait une vraie volonté de diffusion internationale du journal.
Version espagnole (n° 6, 1978) et danoise (n°9, 1974) de Pif Gadget, trouvés sur Pimpf
Si le sujet reste à étudier, une chose est certaine : dans les différents titres connus, aucun ne semblait être en anglais. La chose n’est pas forcément surprenante, en Grande-Bretagne les magazines européens comme la bande dessinée n’étaient pas si implantés, quand les États-Unis apparaissent comme des ennemis naturels du journal proche des communistes. Mais si le récit politique peut exister, diverses études ont bien montré que le service commercial de Vaillant n’était pas spécialement idéologue, et voici que des documents nous montrent qu’il a été question de manière très sérieuse que la Maison des Idées publie le journal aux USA.
Oui, vous m’avez bien lu, je parle de Marvel, éditeur de super-héros qu’il n’a pas hésité à mettre au service de la lutte contre l’URSS durant la Guerre froide (encore en cours à l’époque de ces échanges). C’est JL Mast, un des rares Français à dessiner pour Marvel mais aussi régulier exégète du comics, qui en a trouvé trace et m’a transmis les photographies qui suivent. Il dépouillait alors les archives de Stan Lee au American Heritage Center (Wyoming), afin de nourrir sa bande dessinée Fathers of Marvel Comics (que l’on peut suivre ici). Qu’il en soit mille fois remercié, tant ce petit trésor était inattendu.
Le total de documents représente six courriers. Ils indiquent que d’autres discussions ont eu lieu, au téléphone ou peut-être lors d’un festival. Il est notamment documenté qu’en 1972 une importante délégation de Pif Gadget, comprenant Hugo Pratt, André Chéret et Claude Compeyron, cadre du PCF et directeur des éditions Vaillant (puis Vaillant-Miroir Sprint) de 1970 à 1979, s’est rendue aux États-Unis. Pratt s’amuse dans son autobiographie en imaginant ce que ce dernier a du répondre au questionnaire d’entrée demandant si l’on est communiste… Je n’ai pas de certitude sur la présence de Limansky, responsable commercial, dans cette délégation mais ce serait probable. Dans mon article sur Pif au Québec on peut notamment voir que Limansky traverse l’Atlantique pour promouvoir le journal dans les mêmes années, montrant bien que c’était une pratique possible. Et il s’avère que les premiers échanges postaux sont datés de septembre 1973 donc peuvent correspondre à cette période.
Nos traces débutent par un courrier de Linda M. Reilly, une employée de Marvel (a priori du côté licencing). En le lisant, on comprend que Limansky a proposé à Marvel d’acheter les droits de Pif Gadget et de publier le journal pour le marché anglophone. Suite à cet échange, Linda M. Reilly écrit donc le 6 septembre à Limansky pour lui demander des exemplaires du journal, montrant bien que la discussion à dépassé la courtoisie.
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.
Nous sautons ensuite au 24 septembre, il est fort probable que Limansky ait répondu à Mme Reilly mais nous n’en avons pas copie. Cette lettre est directement adressée à Stan Lee et reçoit une réponse quatre jours plus tard :
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.
Limansky informe son possible partenaire qu’il prépare une version anglophone de Pif Gadget, visant les États-Unis et l’Angleterre. Sans l’évoquer, il pense sans doute au reste du Royaume et au Canada où il y a déjà une agressive politique en zone francophone. Il indique aussi d’une venue le 10 décembre à New York, et s’enquiert de sa présence et de celle de son équipe de confiance.
Stan Lee lui répond directement et rapidement, montrant que l’affaire est sérieuse. S’il réitère sa demande de matériel dans les mois qui viennent, il explique à Limansky qu’il tentera d’être au maximum disponible lors de sa venue afin de prendre le temps nécessaire pour leur projet, temps qu’il imagine important puisqu’il évoque « la semaine entière ». Lee veut aussi lui montrer les bureaux de Marvel et les méthodes de travail américaines, afin que le français comprenne bien le fonctionnement différent de l’industrie du comics. Plus anecdotiquement, il termine d’un mot chaleureux en français « With very best regards, mon cher ami…. ». L’affaire n’est pas conclue mais semble partir sur de bonnes bases. Et s’il y avait un doute un télégramme envoyé trois jours plus tard (la date est donné par JL Mast car je ne la vois pas sur le document) confirme l’intérêt de Lee :
Le scénariste, mais surtout président de Marvel comics international, écrit (je traduis rapidement) : « Cher André, ceci pour confirmer le fait que je suis extrêmement intéressé pour publier Pif et vos gadgets pour les marchés britanniques et états-uniens. Une lettre suivra avec plus de détails. » Notons que Lee a bien corrigé le marché Anglais indiqué par Limansky en Britannique, et quelques coquilles dans le nom de rue ou de ville (Sayette et Parisx, sans doute lié à la dictée).
Nous n’avons pas la réponse de Limansky, elle est de fait venue par téléphone, mais une autre copie de télégramme de Lee, peu lisible, est enregistrée dans les archives encore une fois trois jours plus tard (4 octobre) :
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.
Le texte est peu lisible, c’est une copie, pâle, et en photo. le voici : « Just received your call. Please grand me a three month option effective immediately for Pif Gadget for Great Britian and United States most important and urgent best » (en réalité tout est en majuscule, mais c’est tout de même plus lisible ainsi). On le voit, Lee pose une option de trois mois, il est extrêmement intéressé et la chose est urgente. Par ailleurs, le rythme d’échange est effréné, on peut imaginer que Lee a reçu quelques exemplaires pour accélérer ainsi le rythme alors qu’il parlait encore quelques jours plus tôt de recevoir des choses en octobre ou novembre, pour en discuter en décembre.
On attend donc la suite avec grande impatience mais… rien. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’aucun échange n’a eu lieu, téléphonique, ou même écrit, Limansky est peut-être même bien venu en décembre, mais aucune trace dans ce lot d’archives. C’est l’année suivante, le 5 avril 1974, bien loin de l’empressement initial, qu’on retrouve un courrier du responsable de Pif Gadget.
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.
Dans ce courrier Limansky ne désespère pas et explique à Lee qu’il lui enverra bientôt des récits pouvant être « bons pour l’internationals », indiquant avoir suivi les conseils de Lee. Il y a assurément eu des allers-retours, sans doute certaines BDs ne paraissaient pas traduisibles pour Lee, mais nous n’en saurons, cette fois, vraiment pas plus. Si ce n’est qu’il n’y aura jamais de Pif en anglais sur les marchés imaginés.
Est-ce juste que les contenus étaient finalement trop européens pour Marvel ? Trop chers (sans doute pas) ? Peut-être le lien avec le PCF a-t-il fini par peser, mais Lee devait bien en avoir connaissance en octobre 1973 alors qu’il était emballé. Une hypothèse plus crédible se trouve également dans ces archives, qui m’a tout autant été soufflée par JL Mast (l’ai-je déjà remercié ? Il a aussi un site officiel), est celle de la crise pétrolière. Certes, elle avait déjà débuté en septembre 1973, mais son impact continue durant plusieurs années, notamment sur les matières premières et le papier (ce qui nous rappelle quelque chose…). Une lettre qui ne concerne pas Pif Gadget atteste en tous cas de cette problématique dans la période
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.
Holli Resnicoff, assistant de l’éditeur, indique à un autre éditeur français, Opéra Mundi, que « l’extrême crise du papier aux USA » impose de reporter toutes nouvelles publications. Le courrier date du 18 avril, quelques jours après la relance de Limansky, on peut imaginer qu’il a eu une réponse ressemblante.
Il ne faut cependant pas totalement tirer un trait sur les liens Marvel/Pif Gadget, même s’il ne furent pas exactement ce qui était attendu. Des années plus tard, en 1990, le journal français lance Pif Super Géant, dans la foulée des poches et magazines dérivés, un rien calqué sur Super Picsou Géant. Cette publication comique, qui accueille les héros du journal, publie de temps à autre des hors-séries « Aventures ». Curieusement (enfin, sans doute parce que cela avait du succès), à côté de Loup Noir, Robin des bois ou Docteur Justice, Spiderman et Hulk apparaissent. J’aime particulièrement la quatrième de couverture de ce numéro de juillet 1991 qui accueille tout ce petit monde :
La présence de Hulk est uniquement liée à sa présence dans un épisode de l’homme-araignée, le journal lui donne tout de même la couverture. Au numéro suivant c’est Spidey. Une arrivée donc pour la collaboration Marvel/Pif Gadget, mais sans doute nettement moins aboutie qu’espérée par Limansky, et plus proche du chant du cygne : le journal met la clef sous la porte en décembre 1993, les super-héros n’auront pas suffi à le sauver.
J’ai terminé hier l’album La Synagogue, de Joann Sfar (Dargaud, 2022). Comme beaucoup de gens, j’ai beaucoup aimé Sfar, puis j’en ai fait un peu une overdose quant aux tics énervants. Et puis régulièrement je relis ses albums qui m’ont marqué, et apprécie de nouveaux albums, notamment les derniers Chats du Rabbin. Globalement, mes albums favoris restent le Petit monde golem, les Chats et les Grands vampire, Pascin aussi. Globalement je constate que je suis généralement touché par ses titres abordant, d’une manière plus ou moins directe, son rapport au judaïsme, mêlé à l’intime, souvent foisonnant et beau.
J’ai un avis mitigé sur La Synagogue, car un certain nombre d’incartades de l’auteur (comme la première case du bandeau, ou celle sur la tragique affaire Halimi) me semblent assez contestables (Paris est quand même une des dernières grandes villes PS, si l’antisémitisme du meurtre de Sarah Halimi est évident c’est un sujet important de droit que l’irresponsabilité, etc.), elles sont cependant très anecdotiques dans le récit central, même si la construction de l’album est fondée sur des incartades, des allers-retours… C’est assez plaisant dans la majorité des cas, l’album brasse des choses intéressantes sur ce juif qui ne croit guère et se retrouve à garder la synagogue pour échapper aux offices, alors que le terrorisme antijuif se développe.
Mais c’est sur la deuxième case du bandeau que je veux revenir, celle-ci :
p. 125, case 4.
Elle est en partie logique et en partie étonnante. Logique car on y voit un jeune Sfar adorer Rahan, comme tous les enfants de sa génération, et l’acheter à un vendeur militant lors d’une fête locale. Nous avons déjà un peu exploré cette diffusion ici. Le vendeur lui évoque Raymond Poïvet, ce grand dessinateur qui a notamment illustré l’iconique série de Science-Fiction Les Pionniers de l’Espérance, qui paraît de décembre 1945 à août 1974 dans le magazine. Il est assez connu que la série n’était plus très populaire dans les 1970, que le jeune Sfar ne connaisse pas Poïvet est donc normal (de toute façon Sfar est né en 1971, donc il devait acheter des magazines d’occasion), et cette case a sans doute une vocation humoristique montrant comment le jeune dessinateur ne reconnaît alors pas le « grand » dessinateur par excellence du réalisme français.
Ce qui est plus surprenant, c’est de voir le vendeur parler de Marijac. Grand prix de la ville d’Angoulême 1979, il est sans doute le moins connu des lauréats, c’est pourtant quelqu’un de réellement important. Auteur de bande dessinée, résistant, autour des Trois mousquetaires du maquis, Marijac a une activité de scénariste et d’éditeur, à travers l’important journal Coq hardi. Et justement, si Coq hardi est un journal clairement résistant, comme Vaillant, il est aussi clairement gaulliste, et financé à sa création par le MNL.
Puisqu’il s’agit a priori d’un vendeur d’occasions, pourquoi pas, on peut imaginer qu’il fasse découvrir à ce grand ado fan de BD un tas de vieux papiers dessinés des années 60. Donc pourquoi pas Marijac, et tant pis pour l’idéologie ! On dira qu’il y a prescription pour ce bouquiniste qui amenait les idées gaullistes au sein des fêtes communistes, cela reste amusant de se dire que Sfar s’amuse de la licence d’aller chez les coco, ce qui énerve son père, pour qu’on lui parle d’un auteur gaulliste par excellence.
Cela étant, en termes de flexibilité idéologique, Poïvet n’était pas le dernier. Outre sa participation au journal collabo Le Téméraire (avec des planches a priori peu idéologisées contrairement à Liquois ou Erik – dont la série sera pourtant reprise sous un autre nom dans Coq hardi !), et sa participation très active à Vaillant puis PifGadget, il a aussi participé à Coq hardi en dessinant Colonel X, scénarisé par Marijac, en 1947 Médioni nous apprend même que l’atelier de Poïvet se trouvait au-dessus des locaux de Coq hardi. C’est sans doute ce héros, qui reste un Résistant, un homme porteur de valeurs qu’un communiste peut apprécier, l’attache étant moins sensible des années après la mort du Général, que notre vendeur présentait au jeune Sfar. On lui pardonnera donc son incartade.
Coq Hardi n° 54, avril 1947. Début d’une aventure du Colonel X…
PS : la possibilité que Sfar ait mis un mot de grand auteur ancien un peu hasard, par réminiscence de la collaboration Poïvet/Marijac, est aussi envisageable. C’était l’occasion un peu de tout ça.