Il y a quelque temps, le projet de recherche pan-canadien sur la BD « Au-delà des 2 solitudes – Beyond the 2 Solitudes » avait proposé un appel à recherche-création. Il s’agissait de faire une ou quelques pages de bande dessinée sur ce sujet des oppositions entre nationalités canadiennes, linguistiques notamment, pouvant également aborder les sujets des migrants de différentes communautés culturelles, premières nations, etc.
J’avais pour ma part proposé une petite planche un peu légère, récit d’un moment vécu que j’avais trouvé amusant mais pas si anecdotique. L’identité de l’intervenante est préservée mais je tiens à dire qu’elle n’a rien d’une horrible chauvine (les saillies parfois xénophobes de certains indépendantistes l’énervent d’ailleurs, une indépendance n’ayant pour elle de sens que de gauche et respectant l’autodétermination des Premières Nations), mais cela témoigne de tension qui me paraissent traverser tout québécois francophone.
Bref je l’ai soumise, j’ai été sélectionné (je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de propositions), rémunéré (ce qui n’est pas commun) et a priori exposé dans diverses universités canadiennes mais j’avoue n’en rien savoir. Ce n’est même pas en ligne.
J’aimais bien cette page, alors la voici ! (vous pouvez la lire en plus grand en faisant un clic droit et « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet »)
Régulièrement, je lis des entretiens d’auteurs et autrices de bande dessinées, parfois aussi, je lis des nécrologies. Dans les deux cas, les sujets sont souvent présentés comme les parents de personnages qu’ils ont créé, cela énerve souvent mes pairs, notamment lors des décès : cela manque de solennité et, surtout, cela prouve l’infantilisation de la bande dessinée, le mépris sous-jacent d’un truc un peu neuneu, qui dirait « le papa de [tel ou tel truc légitimes] ». C’est un thème que Xavier Guilbert, de Du9, aborde souvent sur X (ex-Twitter), je l’ai vu il y a quelques mois sur le même ton par l’auteur et éditeur Jean-Christophe Menu sur Facebook.
Pourtant, si c’est constant dans le cas des auteurs BD, ça me semble ici être plutôt un auto-complexe, une manière de se voir délégitimé par rapport à d’autres arts/champs. Dans les faits, une recherche rapide sur des sujets montre assez rapidement que « père de » est une expression très usuelle quand il y a un décès, particulièrement avec des auteurs ayant créé des personnages, et pas qu’en bande dessinée. Ainsi, en me limitant à des sites journalistiques (je ne recense pas les blogs ou critiques de fan, car là il y en a encore plus) on peut voir que cela concerne des romanciers divers, parfois dans des productions peu légitimes, donc qu’on peut mettre dans le même paquet. Exemples ci-dessous (cliquer sur les liens amène vers les articles).
Difficile de faire moins légitime que les aventures d’espionnage-érotico-facho SAS, reste que ce n’est pas de la BD. Mais cela touche aussi des romanciers et arts parfaitement légitimes :
Cela peut aussi toucher pas de l’art du tout, comme dans l’exemple ci-dessous sur le tableau des éléments :
Cela touche aussi d’autres champs, ainsi lors du décès de Badinter, on a beaucoup lu « père de l’abolition de la peine de mort », et il y a peu de chance que ce soit par mépris ou désir d’infantiliser. Ici l’extrait vient de Public Sénat, un média difficilement assimilable à du désintérêt badin sur la chose politique :
Il y a deux éléments là-dedans, on constate que le terme « père » (parfois « mère » aussi bien sûr) est utilisé dans le cas de choses bien identifiables : un texte de loi, une réforme, une découverte scientifique, un tableau iconique, je n’en ai pas mis mais j’en ai vu sur des chansons cultes, etc. À ce titre en littérature le terme est bien plus souvent utilisé pour des auteurices qui ont créé des personnages implantés dans le temps, grâce à la sérialité, des spécificités touchant beaucoup la bande dessinée (mais aussi la littérature jeunesse, le policier, la fantasy…), cet usage me semble bien plus lié à cela qu’à un certain mépris. C’est un mot-clef journalistique, peut-être une facilité, mais rien de péjoriatif.
Il faudrait cependant être de mauvaise foi pour ne pas distinguer « père » de « papa », et oui utiliser les termes papa/maman sont sans nul doute plus proche de l’enfantin, donc de l’infantilisation. Je n’ai pas trouvé de Badinter « papa de l’abolition ». On trouve un certain nombre d’Uderzo « papa d’Astérix »… mais ce sont des œuvres jeunesse, on ne peut pas le nier, et le fait que la bande dessinée porte souvent cette étiquette jeunesse peut être une confusion. On sait qu’elle a joué dans la délégitimation et le mépris du neuvième art, mais la littérature jeunesse est aujourd’hui pleinement étudiée et reconnue, cette confusion n’est donc pas si grave en soi sur le long terme.
Ce que je constate et qui me semble essentiel, c’est qu’il arrive régulièrement que des auteurices de séries plutôt jeunesses ne sont pas systématiquement décrits comme « papa ». Ainsi Toriyama n’a pas été que le « papa » de Sangoku dans la presse, ce qui est une forme de normalisation, au fond.
Sur le fond, ces énervements réguliers que je vois ici où là sur les « pères » me semblent donc avant tout être le témoignage d’une volonté de lutter pour sa légitimité, de se défendre face à des usages énervants d’éternels infantilisation, rabaissement, etc., mais, ici, cela paraît presque plus être une intégration si forte de ces processus qu’une chose assez banale pour tout créateur de sérialité ou de chose iconique apparaît un acte de mépris. De l’importance de, parfois, décentrer pour se rendre compte que, non, y a pas que dans la bédé qu’on a ce traitement !
À l’origine, ce site était aussi pensé pour que quelques réflexions élaborées sur les réseaux sociaux ne s’y perdent pas à tout jamais (elles se perdent désormais à tout jamais dans Internet, bon). J’avais à une période posté quelques tops de livres sur Facebook, tout n’a pas grand intérêt, mais j’y avais notamment parlé de mon amour pour la trilogie Golgruber de Nicolas Mahler. En voici une version reprise et étendue.
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L’art selon madame Goldgruber (2005) est sans doute un des livres théoriques fondateurs pour moi ! C’est une semi-blague car Nicolas Mahler n’a pas la prétention d’un théoricien, et pourtant il m’a frappé avec de vrais questionnements et apport. Sur l’exposition de planches notamment (à l’époque je n’y avais pas réfléchi) ou avec son témoignage de diverses adaptations. Il y parle également d’enseignement, sujet qui me touche nécessairement alors que j’enseigne désormais dans différentes formations parlant de bande dessinée.
Ce livre est particulièrement drôle et j’aime le côté tellement trivial de l’argument fondateur : en Autriche les artistes ont une exemption fiscale, Mahler l’utilise donc chaque année. Mais madame Goldgruber est contrôleuse fiscale et proteste soudain : Mahler fait de la BD, ce qui n’est pas de l’art pour elle, il doit donc lui prouver que si. Cette question de la BD art ou non est à mes yeux dépassée depuis longtemps, même si la quête de légitimité est constante et qu’on parle de « sacre » pour l’exposition au Centre Pompidou qui a lieu en ce moment, après un « sacre » proclamé dans une revue légitime (Le Débat) en 2017, et divers sacre chaque dix ans… Cette proposension à proclamer que la bande dessinée est désormais légitime et digne d’intérêt artistique sans arrêt signe à mon avis un certain complexe d’infériorité, mais c’est un autre sujet et, justement, Mahler a l’intérêt de l’aborder autrement.
Ce refus de la légitimation et du grand discours est intrigant, d’autant plus quand on voit que Mahler passe son temps à s’inscrire face au « grand art », que ce soit avec Maître anciens, son Alice dans le Sussex, son livre sur les philosophes, son miniküs d’après Joyce, comme son adaptation d’Ulysses, ou sa toute récente biographie de Kafka, mais ça marche très bien. Ce côté très trivial est sans doute surjoué par Mahler, mais pour l’avoir interviewé pour un long dossier dans le « Gorgonzola » n° 21 j’avais été assez frappé (avec le traducteur Roberto Salazar) par ce côté très concret et sans aucun scrupule à parler d’argent, sujet souvent tabou. Il était très sympathique au passage et nous a filé plein d’images, d’inédits, a pris du temps. En parlant d’argent, j’ai mis l’interview gratos sur du9 mais le numéro est toujours disponible chez Les éditions L’Égouttoir (on a jamais été hyper fins dans nos stratégies de ventes).
En tous cas je parle quasiment toujours de L’Art selon madame Goldgruber quand j’ai une discussion sur la BD avec quelqu’un, car c’est toujours pertinent – ou en tous cas, j’en ai l’impression. C’est vraiment un livre auquel je reviens souvent, je l’évoquais d’ailleurs dans mon billet sur la question de l’original, rappelant que dans plusieurs scènes de ce livre il doit exposer, et que cela lui pose beaucoup de questions. Guide d’une exposition de ses strips, il décrit alors les centimétrages exacts, les plumes, le temps passé et l’aspect laborieux de la contrainte, à tel point que le galeriste lui dit qu’il donne l’impression de faire le métier le plus ennuyeux du monde. Un moment clef du livre sur cette question est sans doute celui où une galerie lui commande une murale, qui sera très minimaliste, et voit le commanditaire baisser son paiement final car la personne qui a repeint les murs après son expo avait utilisé plus de peinture que lui, et passé plus de temps à peindre, ce paiement ne semblait donc pas très juste.
Dans L’Art selon Goldgruber on suit aussi de façon assez passionnante un projet d’animation de Flashko, l’homme couverture chauffante, une série phare (mais pas ma favorite) de l’auteur. Il dépose un dossier de subvention sans trop y croire pour adapter ses strips, mais reçoit l’argent, procrastine et doit finir par s’y mettre, faisant tout : de l’animation au casting (très intrigant, avec une star de rock et une ancienne gloire de série TV autrichienne) en passant par la musique (avec José Parrondo).
J’avais moins aimé le tome 2, L’art sans madame Goldgruber (2008). Contrairement au premier, qui est pensé dès sa création comme un ensemble, ce volume recueille des histoires éparses de Mahler sur la BD et la création, il y en a des drôles mais un peu trop de pages de titre (à chaque histoire) avec des pages blanches entre qui font que tout ça est un peu court malgré l’épaisseur et m’avait moins convaincu. Sauf qu’après relecture il contient des trucs vraiment réussis et pertinents. Il est en fait du même niveau que Pornographie et suicide (2013), véritable troisième tome de la série même s’il ne le revendique pas. Je l’ai beaucoup aimé, jusqu’aux notes (dessinées) revenant sur des détails des histoires, mais son passage qui vaut vraiment d’être mis en avant est son introduction. Ou plutôt la conclusion de son introduction où l’on voit l’auteur et son grand-père, revenant sur sa vie, concluant après avoir raconté quelques pathétiques histoires pseudo-sentimentales « Nikie ! j’en ai vécu, des choses, dans ma vie. » puis « Mais je n’en ai tiré aucune leçon. » ce qui est un code éthique fascinant pour s’interroger devant l’éternel.
Quelques souvenirs en vrac des trois volumes, plus ou moins cryptiques mais marquants : des luttes face à des subventions, « j’ai chié du sang », des rêves avec Giger d’Alien, d’horribles souvenirs de théâtre avec des enfants tristes, des gens passant une vie à des films de 8 minutes, et le temps différent qui en découle, des publicitaires aimant le nom du livre « Kratochvil » et voulant brainstormer un son un peu pareil pour une brosse à chaussures, « Sauveur des femmes », des prix remportés, des bonhommes avec des visages.
Et puisqu’il faut conclure et qu’au fond cette question n’a pas beaucoup d’intérêt, disons comme cette chère madame Goldgruber à un moment « Bon, mettons que c’est de l’art ». Tous les volumes sont parus dans la collection L’Éprouvette, consacrée aux essais sur la BD, chez L’Association.
Note en passant : dans mon parcours de lecteur L’Art sans madame Goldgruber m’avait vraiment déçu, et j’avais vraiment aimé Pornographie et suicide, j’imagine donc que mon ressenti ancré est lié à la déception par rapport à L’Art selon madame Goldgruber quand j’ai lu le deuxième. J’avais moins d’attente avec Pornographie et suicide et ai du être positivement surpris et l’ai particulièrement apprécié, les chronologies de lecture ont leurs importances. Pour avoir tout relu : les trois sont très bien, mais « selon » est vraiment au-dessus.
Images : les deux premières planches sont tirées de L’Art sans madame Goldgruber, la dernière de Pornographie et suicide.
Cela fait plusieurs année que l’Association des amis de l’imprimé populaire a été créée. Cette belle structure fait des expérimentations d’impression, des ateliers et tient le Fanzinarium (bibliothèque de fanzines à Paris) et publie chaque année le fanzine Faits & gestes. Produit – forcément – manuellement par l’équipe, le fanzine est aussi rapidement mis en téléchargement gratuit en PDF et aborde une très grande diversité de sujets, tous liés à l’imprimé populaire : autocollants, bande dessinée, fanzines, gravures ou reproductions atypiques… À côté des articles on trouve des entretiens avec des acteurices de cet imprimé et des comptes rendus de visites ou d’impressions.
Suite à ma vidéo sur les BD religieuses, les camarades m’ont sollicité pour écrire un article plus détaillé sur Jack T. Chick, auteur ultra-conservateur évangéliste qui produit des centaines de planches de BD haineuses, distribué dans le monde en entier. Vous trouverez ci-après l’article revenant sur ce processus et, particulièrement, sur le mode de diffusion et sa visée multiplicatrice. Dans le fanzine imprimé, il est accompagné d’une bande dessinée de Bsk sur les fascicules de Chick, il reprend ici une chronique de BD improbable qu’il réalisait dans Comix Club !
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PUBLIER POUR DIFFUSER LA PAROLE : Jack T. Chick, évangélisme trash et diffusion DIY à grande échelle
« Elle pouvait à peine atteindre la fenêtre en se tenant sur ses pattes arrière. Pendant tout le temps où j’étais dans le magasin, elle gardait ses yeux fixés sur cette porte, en attendant que je sorte. Rien d’autre au monde n’avait d’importance pour elle, sauf me voir sortir de ce magasin. Je l’ai regardée, et j’ai pensé, ‘Seigneur, c’est ainsi que je devrais être en train d’attendre ton retour – rien d’autre ne devrait compter’. » Jack Chick, à propos de son caniche
Vous n’avez sans doute jamais entendu parler de Jack T. Chick, et pourtant, c’est un des auteurs états-uniens les plus lus dans le monde – des chiffres, certes difficiles à sourcer, parlent de 400 millions de copies, une paille ! J’ai eu l’occasion de parler un peu de son travail lors d’une journée d’étude sur « l’édition de fortune et de nécessité », joli terme forgé pour parler de ces éditeurs qui s’improvisent non par envie du DIY mais « parce qu’il le faut », et qui me semblaient parfaitement épouser certains éditeurs de bande dessinée religieuse. Parmi tous les exemples Jack Chick est un des plus fascinants : par la masse évoquée, par la discrétion absolue de son auteur (il n’existe qu’un autoportrait et une interview), par le fait que ses publications traversent le monde tout en passant complètement hors du champ de la majorité des gens et, parmi les choses les plus fascinantes, par son mode de distribution.
Si Chick a monté une véritable entreprise capitaliste à l’impression très professionnelle, avec un site extrêmement bien tenu et un empire de traduction, soit quelque chose de parfaitement industriel, le choix de distribution le rentre bien dans un imprimé alternatif. Ainsi, si vous allez sur le site officiel de la compagnie vous trouverez un onglet avec les différents titres par langue. La première des choses impressionnantes est la masse : 276 titres en anglais, plus de 130 langues représentées. S’il y a peut-être quelques doublons dans la liste la diversité d’objets reste massive, Chick était investi d’une mission et devait dessiner un maximum pour sauver le plus d’enfants possibles. Si l’on observe un peu ce menu déroulant de langue, on constate que certaines n’ont qu’entre un et cinq titres, elles sont malgré tout là, sans surprise l’espagnol (de plus en plus parlé aux USA) possède 247 traductions, et c’est ensuite plus faible : 133 en Allemand, 86 en Filippin, 83 en français, 64 en portugais, 59 en Chinois, 57 en néerlandais, 48 en Norvégien, 45 en Russe… et même 9 en Esperanto et 3 en Hiligaïnon, une langue indo-malaise des Philippines.
Plus intriguant encore on en trouve 41 en Chinois simple, une version linguistiquement moins élaborée, faîte pour toucher les masses, et d’étranges catégories comme « Afro-Française1 » (six) et « Tahitien-Français » (un seul). Ici il ne s’agit pas de langues mais de dessin : les versions « afro » comprennent souvent les mêmes dessins avec des personnages colorés en gris ou noir, parfois quelques modifications (cheveux plus crépus), la version tahitienne est entièrement redessinée avec des chemises à fleurs et des types physiques polynésiens, le dessin ne semble d’ailleurs pas de Chick mais d’un épigone. Au rang des classements, une entrée par sujet est également possible : Suicide (3), Abus d’enfants (2), Drogues et alcool (7), Avortement (2), Catholicisme (5), Communisme (1), les plus fréquents restant les « Basic Gospels » (102).
Une fois naviguant sur ce site, plusieurs options vous sont proposées. Vous pouvez d’abord lire l’intégralité du comix, voir le reproduire facilement : si l’entreprise est rodée, elle a d’abord un but d’évangélisation. Pour les titres en anglais ou français, il est aisé de les commander, les tarifs sont très bas : 25 cents le comix, plus le port – ce qui incite à en prendre plus, le site propose justement des « packs » (25 exemplaires) et des « cases » (1000). Sur les langues plus rares, c’est différent, les titres sont imprimés à la demande et… par paquets de 10 000 minimum ! Ils sont alors vendus à moitié prix avec une couverture personnalisée. Mais que feriez-vous d’autant d’exemplaire ? Et bien c’est là tout le principe des Chick’s Tract (qu’il appelle bien tract et non comics), vous les distribuerez. La forme identique de chaque comix est pensées pour : un petit rectangle avec une maquette de couverture présentant une case sur fond noir, 24 pages, une conclusion toujours similaire et, surtout, en quatrième de couv un carré blanc pour tamponner l’adresse de votre congrégation religieuse. Introuvables en librairie, les tracts de Jack Chick ont ainsi été distribués dans des manifestations religieuses, donnés aux enfants dans des groupes, mais aussi abandonnés dans des lieux publics (cabines téléphoniques, bancs, cafés…) et sans doute tractés le long de manifestation. D’une entreprise très industrielle nous passons à un processus de distribution très DIY.
Fascinant par l’ampleur et par cette distribution mano a mano qui court-circuite les circuits commerciaux, les bandes dessinées Chick n’en sont pas moins problématiques. Pour cet ultra-conservateur évangélique, l’église catholique romaine en soi est décadente et viciée (il suit la « Bible du roi Jacques ») et les tracts sont des enfilades de violences diverses sur l’homosexualité comme maladie à soigner, les francs-maçons comme secte satanique, l’avortement comme meurtre, les catholiques et musulmans comme des blasphémateurs à combattre… La construction extrêmement binaire du propos, on y retrouve quasi systématiquement une personne en situation de faute morale qui est « sauvée » grâce à un ami/parent/voisin qui lui parle de Dieu, à grand renfort de versets, est terriblement efficace malgré l’aspect assez maladroit de certains dessins ou lettrages. Dans La Propagande en BD le spécialiste suédois Fredrik Strömberg s’avoue choqué par sa lecture, marqué par la littéralité de la lecture et « l’âpreté avec laquelle les Chick Tracts tentent de faire accepter leur vérité comme la seule acceptable2 ». Il rappelle au passage que le Canada a interdit la diffusion de certains d’entre eux pour incitation à la haine. Ainsi, bien que fasciné, je me suis toujours retenu d’en acheter sur leur site, mais reste ouvert à toutes propositions d’occasion ! Je n’ai à ce jour réellement eu entre les mains que Le Film de ta vie (This Was Your Life!), qui semble être le plus traduit et adapté de ses ouvrages.
Cette présentation étant faite, reste une question : qui est ce Jack Thomas Chick, dont on sait qu’il est né le 13 avril 1924 à Boyle Heights et mort le 23 octobre 2016 à Alhambra, deux villes faisant partie du comté de Los Angeles. Mort à 92 ans, il n’aura cessé de publier et d’appeler à diffuser ses productions, tout en restant très peu public, ses bandes dessinées parlant pour elles-mêmes. Nous savons toutefois qu’il a d’abord commencé comme dessinateur pour l’aérospatiale avant d’avoir la révélation de sa vie en entendant un missionnaire radiophonique parler propagande chinoise en BD. Il découvre une manière pour les communistes de toucher les enfants, une arme sournoise qu’il a alors décidé d’utiliser alors même qu’il semble ne pas aimer ce médium. Médium dont, si les planches sont souvent lourdes de textes, il maîtrise toutefois clairement les codes. Chick est prêt à ce sacrifice car il veut sauver les innocents, les enfants oui mais aussi les « losts », ces gens perdus, prêts à aller sur la route de l’enfer – pour ce que cela recouvre voir le précédent paragraphe. Lui dit les aimer et vouloir les protéger avant tout, même s’ils les insulte à tour de pages. Dans ses lettres, Chick évoque le souvenir de la bataille d’Okinawa, où il dit avoir été soldat, et en retient le vocabulaire guerrier. Ses tracts sont l’élément d’une guerre (finalement très gramscienne) pour « détruire les portes de l’enfer » et il appelle ses distributeurs son « armée de Dieu ». Il raconte aussi combien certains tracts ont été difficiles à réaliser et qu’il a du affronter Satan, tentant de l’immobiliser ou bloquer sa main, sans succès. Il semble que Chick ait reçu beaucoup de témoignages mais aussi de courriers haineux, auxquels il ne répondait pas – sauf obligé devant les tribunaux – mais auxquels il accordait une réelle importance : être un serviteur de Dieu n’est pas une sinécure et s’il n’était pas attaqué il considérait avoir raté quelque chose.
Chick a un dessin mixte, se déplaçant sur un plan plus ou moins réaliste allant de l’académisme pur à des formes pouvant presque rappeler le cartoon (comme C’est ta vie), s’adaptant selon les titres, et rappelant là une tradition des auteurs des années 50, qui naviguaient entre les styles selon le propos. Comme chaque récit a plus ou moins le même schéma, le début présente toujours des scènes moralement condamnables. Curieusement Chick assume de dessiner des femmes sexys, des scènes qui, si elles restent soft, sont sans doute le cumul de l’obscène pour lui. Il faut sans doute en passer par là pour attirer le chaland et c’est son chemin de croix. Sa précision va jusqu’à faire qualifier ses productions de « spiritual porn » par Raeburn, qui souligne combien ces récits insistants sur l’humiliation et la soumission à Jésus ont des ressorts proches des Tijuana Bibles, ces bandes dessinées pornographiques mexicaines, et rappellent régulièrement l’imagerie BDSM.
À travers le temps Chick réédite et modifie certaines publications, nous l’avons vu sur les différentes versions en termes d’ethnies, mais il réadapte parfois ses textes en fonctions de l’actualité, le SIDA remplaçant l’herpès dans une production anti-sodomie par exemple. Raeburn relève également qu’il a entièrement redessiné Doom Town, violente charge anti homosexualité, et qu’il explique à ses lecteurs en 1992 : « J’ai fait l’erreur d’être trop doux sur ce sujet, ce que je regrette profondément ». Ironiquement, la présentation du tract parle de compassion, mais comme toujours dans les tracts c’est une compassion se limitant à prédire l’enfer et la mort si les personnes ne rejettent pas leur identité. Précisément la présentation parle d’ailleurs d’un « un appel compatissant au repentir de l’homosexualité. »
Avant le développement de l’univers numérique, la correspondance de Chick était nécessairement plus artisanale. Chaque tract comprend une adresse, une boîte postale, située pendant trente ans à la poste de Chino (n° 662), avant de passer à la poste d’Ontario (n° 3500). Une adresse existe toujours mais on imagine que la plupart se déroulent désormais par courriels et paywall sécurisés, et la page d’accueil présente une vidéo Youtube où une jeune femme explique combien This Was Your Life! a changé sa vie quand elle a été adolescente ainsi que des promotions spéciales liées aux événements. En octobre 2023 il nous est donc recommandé de glisser aux enfants faisant du porte à porte pour Halloween un subtil comics orange, et face à la triste actualité la compagnie remet en avant une publication rappelant que tout évangéliste doit défendre Israël contre les Arabes. Plusieurs années après la mort de Chick, la petite entreprise est toujours là, portant en elle la tradition d’alliance de l’évangélisation et du marketing, pour des siècles et des siècles.
Pour aller plus loin : The Imp n° 2, fanzine de Daniel Raeburn (en anglais) consacré à Chick (1998), disponible en PDF : http://danielraeburn.com/jack-chick.html
1 Le terme anglais est « French african » qui pourrait se traduite par « Français africain », mais il est ici question enr réalité plus d’ethnie que de langue. 2 Fredrik Strömberg, « Jack Chick, ou le salut par la bande », La Propagande en BD, Eyrolles, 2011, p. 114-115.
La bande dessinée de Marion Fayolle est quasi intégralement publiée par les éditions Magnani (des pages ont pu paraître ailleurs, notamment dans Nyctalope, fanzine étudiant dont elle était membre). L’an dernier l’éditeur a publié un petit livre d’entretien avec Tony Côme : Fond perdu. Petit format, beaucoup de densité dans le propos et une forme qui m’a parfois énervée (pas de questions mais un dialogue formulé avec des interpellations de l’intervieweur, bon). Il reste que Fayolle étant une autrice vraiment intrigante et quelqu’un qui a une vraie réflexion sur son travail, même si c’est en rebond, c’était une lecture tout à fait intéressante. Pas mal de pages pourraient être retenues, mais je m’arrête sur celle-ci :
Cette tension entre le résultat final imprimé qui serait l’œuvre véritable et les originaux, qui ne serait que des traces, est une semi-banalité, elle était par exemple extrêmement bien expliquée dans L’Art selon madame Goldgruber de Mahler (qui reste un de mes livres théoriques favoris). Dans une difficulté économique forte pour les auteurs, l’artification des originaux est cependant une vraie source financière, et la prise en compte de cet élément de la chaîne (qui disparaît de plus en plus avec la création numérique) est cependant intéressante, mais on vit aujourd’hui un peu l’excès inverse de l’époque où les imprimeurs jetaient les originaux, où qu’ils servaient de coloriages à des enfants (une anecdote qu’on m’a raconté sur un auteur québécois, je crois, j’ai oublié lequel, zut). Je me souviens d’auteurs créant de « faux originaux » pour les expositions faute d’originaux sur papier, puisque le public veut des originaux, ce qui pose quand même des questions sur le sens de tout ça.
Cela m’a particulièrement frappé quand j’étais en poste à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, en charge des bibliothèques, la conservatrice jugeait important de rappeler toujours l’imprimé et le processus industriel – ce que je rejoignais – mais je voyais bien combien pour la majorité des financeurs comme des fans des raretés imprimés avaient un intérêt bien moindre qu’un original. Sans aller contre l’original absolument, c’est une incompréhension qui m’a toujours frappé, exposer la bande dessinée doit se faire en exposant les magazines, les impressions d’origines, mais aussi les films plastiques, les bleus de colorisation, pourquoi pas des éléments de gravures de planches, etc. De la même manière, il serait pertinent de réussir à conserver la BD numérique native avec ses différents supports, les calques Photoshop par exemple ou les différents fichiers natifs de sites portant la bande dessinée en ligne (je pense aux Autres gens, à Professeur Cyclope, qui sont perdus a priori).
Fayolle a un discours assez clair « l’original c’est le livre », et elle a raison. Ou à tout le moins c’est l’aboutissement, qui a de multiples strates. Paradoxalement le descriptif de son travail donne très envie de l’exposer : ces rhodoïd, des grains, parfois ces coulures et ces documents peu compréhensibles en exposition sont des objets plastiques très curieux, mais dans un ensemble. Dans le même esprit je lisais il y a peu un message de Benoît Peeters vantant sur Facebook le PAFF, le musée de la bande dessinée de Pordenone, en expliquant notamment ceci :
« la collection permanente est très intéressante aussi, avec des partis pris muséographiques inédits et réellement interactifs. L’accent est mis constamment sur le dialogue avec les imprimés. Les planches originales ne se découvrent que dans un second temps, comme autant de surprises. »
Il ne s’agit donc pas de supprimer l’original, mais de bien lier le tout, de rappeler d’où viennent les choses, et cette différence aussi, intrinsèques, entre le marché de l’art unique et la bande dessinée qui est d’abord un art de la reproduction. Il y a eu de vraies propositions sur l’exposition, et il est agréable de voir des originaux et pas juste des reproductions géantes de cases comme les premières expositions qui cherchait le gigantisme de l’art admis, mais il semble essentiel d’assumer la réalité de la bande dessinée et pas juste d’exposer de grandes planches magistrales qui seraient impressionnantes, finalement en courant de manière complexée derrière les musées de peinture.
La Musée de la bande dessinée de la CIBDI a justement acquis récemment des bleus de coloristation d’Évelyne Tranlé, complémentaires des planches déjà possédées, c’est intéressant – même s’il s’agit encore d’œuvres uniques et signées. Cela montre en tous cas cette démultiplication de ce que peut être l’original et rappelle que le choix de ce qui est précieux revient beaucoup à celles et ceux qui conserveront, feront la médiation, l’histoire…
Occasion de rebondir d’ailleurs sur la couleur, avec la conclusion de l’extrait ci-dessus du livre d’entretien de Fayolle. Elle évoque la différence entre les originaux et la reproduction – l’original pour elle – par la superposition de ses divers supports, mais aussi le grain qui disparaît, etc. Elle m’évoque des entretiens d’auteurs ou des textes de commentateurs face à des originaux se plaignant de reproductions qui n’ont rien à voir avec les originaux et les gâchent. Mais la réalité est que l’impression n’a pas à avoir la couleur de l’original, de la même manière que le RVB des couleurs sur écrans n’est pas reproductible à l’identique en CMJN (les couleurs d’imprimeries, sans exception du type pantones ou sérigraphies). Tout le travail des photograveurs (qui se perd) était bien de réussir à trouver l’équilibre de cette balance de couleur avec le degré de perte qui fait que c’est acceptable. D’autres réussissaient à anticiper cela justement dans les originaux papiers. Si l’original est le livre, il faut admettre qu’il soit juste naturellement différent. Bon il ne faut pas faire n’importe quoi non plus, et n’avoir rien à faire de la reproduction, mais il y a sans doute une certaine souplesse entre faire n’importe quoi et chercher l’absolue reproduction de quelque chose qui n’a pas à être identique.
Le mieux reste d’avoir en tête à la création que le résultat sera forcément différent, et d’admettre que c’est là que sera l’œuvre, certains créateurs ont la formation et la compétence pour l’anticiper, mais tous devraient a minima être à un moment averti que dans le naturel de cet art de la reproduction, la trahison et l’abandon fait partie du processus.
Dans ma furia d’apprentissages et d’études, je réalise cette année en parallèle de ma scolarité à l’INET et de ma fin de thèse une licence d’ethnologie à l’Université de Strasbourg. Cette licence est riche et me permet de découvrir un pan de sciences sociales qui m’a toujours intéressé sans en avoir les bases, que je tente d’acquérir. Une chose que j’apprécie dans cette formation, outre qu’elle est proposée en enseignement à distance ce qui est bien pratique pour moi, est qu’elle est assez tournée sur les questions culturelles, qui m’intéressent particulièrement en anthropologie/ethnologie, et qu’elle est ouverte à ce que ses étudiants proposent des analyses de sujets très proches d’eux, en termes géographiques ou d’intimité.
Dans ce cadre, un cours qui me semblait particulièrement intéressant à l’inscription, intérêt confirmé à la lecture, était celui d’anthropologie des cultures matérielles. Il fallait pour ce devoir analyser un objet sous son aspect matériel, j’ai choisi pour cela un mini-fanzine de Jean-Paul Jennequin, Le Mini de la semaine n° 116, paru en 2023. J’ai plutôt eu une bonne note et en suis bien content, et ça m’a donné envie d’extrapoler ce devoir en article. Pour ce devoir j’ai aussi réalisé un entretien avec l’auteur et (micro) (auto) éditeur, que je trouve plutôt intéressant pour qui aime le fanzinat dans son expression la plus modeste – et en même temps très ambitieuse par son ampleur (en nombre et en durée). Le voici donc.
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Entretien avec Jean-Paul Jennequin sur les Minis de la semaine Échange par courriel du 22 au 26 décembre 2023
Quand tu créés ce fanzine, j’imagine que tu t’inspires d’autres égozines, quelles sont tes influences et pourquoi avoir choisi ce format A6 alors qu’avec Improbablement tu étais sur un fanzine A5 plus épais ? D’ailleurs les deux ont-ils coexistés et si oui avec quelles intentions ? Improbablement et Le Mini de la semaine sont deux projets très différents. Le premier était une compilation de petites BD autobios que je réalisais dans un carnet. Il y avait donc un temps de décalage entre la réalisation et la publication (un an au début, quatre ans à la fin). Le second était un mini-comic réalisé et publié dans la foulée. Je le dessinais directement sur les pages que j’allais ensuite photocopier à 30 exemplaires dans la boutique de photocopie près de chez moi. C’était donc beaucoup plus immédiat. Quant au choix du format A6, il vient de mon amour pour les mini-comics qui a commencé au milieu des années 1980 avec la découverte de Small-Press Comics Explosion, un magazine américain consacré aux mini-comics. Dans le premier numéro que j’ai eu, Matt Feazell, le grand ponte des minis à l’époque, donnait le « patron » pour réaliser un mini-comic de huit pages. À l’époque, j’avais réalisé sept numéros d’un mini intitulé Ridicule Bidule Bleu. Revenir au mini-comic dans les années 2000, après des années à faire des fanzines solos ou collectifs qui demandaient beaucoup plus de travail (collecte des contributions, maquette, photocopie, assemblage…), c’était un retour aux sources.
Pour la question des influences, je voudrais ajouter deux choses. D’abord, enfant, j’adorais les mini-récits du journal Spirou. Plier et assembler un mini-livre, c’était merveilleux. Dès qu’il y avait un petit livre à plier et assembler, j’étais partant, que ce soit dans Spirou, dans Lisette ou dans d’autres revues pour jeunes. Vers 10 ans, je fabriquais même mes propres mini-livres avec des feuilles de papier à lettres. J’avais créé un patron pour en tirer un maximum de pages et une fois le mini découpé et assemblé, j’y collais les cases d’une page de BD, en général tirée de Spirou.
Ensuite, les mini-comics font aussi partie de ma « culture américaine » qui a commencé avec la découverte des comics Marvel, que je me suis mis très vite à lire en v.o. Et un comic book peut très bien être réalisé par une seule personne, soit de manière ponctuelle, comme les comics solos de Robert Crumb, soit de façon régulière comme le Cerebus de Dave Sim ou Yummy Fur de Chester Brown. Dans Réinventer la bande dessinée, Scott McCloud explique que tout ce qu’il y a à faire pour « entrer dans (le monde de) la BD », c’est de dessiner un mini-comic, de le photocopier et d’en donner un exemplaire à un.e ami.e. Les années 1980 et le début des années 1990 ont vu, dans le monde anglo-saxon (États-Unis, Canada, Royaume-Uni) une véritable explosion de zines A5 et de mini-comics. Il y a dans le monde anglo-saxon, surtout aux États-Unis, cette idée que l’on peut se débrouiller tout seul, sans dépendre d’une structure éditoriale, pour faire un fanzine ou éditer ses BD. Mes grosses influences sont des gens comme Matt Feazell (déjà cité), John Porcellino de King Cat Comics & Stories et Colin Upton, un Canadien de Vancouver qui a publié et publie encore toutes sortes de mini-comics, souvent autobiographiques mais pas seulement.
J’ajouterai que je déteste le terme d’« égozine ». En français, le mot « égo » a des connotations très négatives et, de plus, laisse supposer que l’on ne fait que parler de soi. Je préfère le terme anglais de « personalzine », qui recouvre tous les genres de zines réalisés par une seule personne, pas seulement des zines de BD ou des zines autobios. The Adamantine – La Gazette de Harry Morgan était un personalzine français qui ne contenait pas de BD ou de textes autobiographiques.
Les Minis de la semaine ont plus de cent-dix numéros, ils ne sont cependant en réalité pas hebdomadaires, pourrais-tu revenir sur la date de création du fanzine et les éventuelles périodes de forte production, ou de creux ? En fait, si, Le Mini de la semaine a été strictement hebdomadaire du numéro 1 (14 au 20 février 2005) au numéro 114 (16 au 22 avril 2007). Et puis, j’ai complètement laissé tomber. J’ai eu de temps en temps des velléités de refaire des mini-comics. J’ai même sorti une série de minis au format A5 qui devait durer un an, à pagination variable, dont chaque titre était une improvisation sur les lettres de l’alphabet selon le principe AA, AB, BB, BC, CC, etc. Mais je n’ai pas dépassé le numéro 13 ! Je n’ai vraiment repris Le Mini de la semaine que tout récemment, en sortant enfin un mini réalisé il y a un an (le 115) et les deux que je t’ai donnés (116 et 117).
Pourquoi dans ce cadre garder de « de la semaine » fantasmatique ? J’avais un titre, j’avais envie de le garder. Relancer quelque chose au numéro 1, ça ne m’avait pas trop réussi. Et même si ces numéros ne sortent pas toutes les semaines, j’essaye d’en réaliser un par semaine, même si je ne le fabrique pas tout de suite.
Le groupe « J’AI » a-t-il eu un rôle dans un potentiel retour plus nombreux du Mini ? Dans un potentiel retour tout court. J’avais reçu pas mal de poj’aittes, dont certaines contenaient des mini-comics. J’avais envie de renvoyer quelque chose à ces correspondants.
Quel public ont ces minis, j’imagine qu’il y a une époque où c’était épistolaire, tiens-tu une « liste d’abonnés » ou est-ce aléatoire ? Quand je les faisais entre 2005 et 2007, j’allais tout de suite donner des exemplaires à des amis libraires, près de chez moi. Je donnais les autres aux amis de passage à Paris et, parfois, je les envoyais. En 2023, je compte essentiellement sur une distribution postale, là encore à des copains, l’idée étant de leur envoyer trois minis consécutifs dans une enveloppe timbrée lettre verte.
Tu m’as donné ces derniers exemplaires en festival, quel lien vois-tu entre ces mini zines et la connexion sociale ? Cela m’a d’autant plus frappé que lors du festival en question tu as exprimé que c’était une de tes très rares interactions physiques de ces derniers temps et que, pour ma part, elle s’est quasiment limitée à ce don ce jour-là. Alors bon, la situation était un peu spéciale. Cet été s’est déclenchée chez moi une maladie auto-immune qui s’appelle la myasthénie, qui rend très fatigable. Je suis sous traitement et ça va mieux, mais je ne suis pas beaucoup sorti de chez moi, puis de mon quartier, ces derniers mois. Le SoBD était ma première sortie BD depuis pas mal de temps. Mais c’est vrai que j’ai toujours préféré donner mes minis lorsque je rencontrais les gens, souvent quand ils passaient chez moi.
Cela m’évoque un peu le zine Ça va ?, de Libens, je ne sais pas si tu connais ? Je connais ! David Libens m’en avait envoyé un paquet par poste. Il faut dire que je ne risquais pas de le croiser puisqu’à l’époque, il habitait à Bruxelles et moi à Paris. J’avais dû lui envoyer des Improbablement… ou lui en donner au Festival d’Angoulême. J’aime beaucoup son travail, que j’avais découvert par l’entremise de Nylso et Jo Manix.
Tu as une intense vie numérique, sur les réseaux sociaux, pourquoi ne pas juste publier ces BD en ligne mais bien les imprimer ? Le numérique a une existence éphémère. Publier en ligne, je le fais aussi, mais un mini-comic, c’est quelque chose de plus permanent. C’est toujours le plaisir de fabriquer un petit livre, celui que j’avais étant enfant avec les mini-récits de Spirou. Je crois que ma devise devrait être « Il faut faire des petits livres ! »
Tu pourrais faire de ces zines une simple feuille pliée, mais tu les agrafes et massicotes (manuellement ?) Pourquoi ? Un vrai mini-comic se doit d’être agrafé et massicoté. J’en reviens toujours à mon modèle américain des années 1980. J’ai une grande agrafeuse réglable qui permet d’agrafer des formats divers, je l’ai acheté quand j’en ai eu assez d’agrafer les Improbablement avec une agrafeuse normale sur un bloc de polystyrène, avant de plier moi-même les agrafes, et j’ai un petit massicot pour photographes, hérité de feu mon compagnon Pierre, dont la photo était l’un des hobbies. Ce massicot a juste la bonne taille pour massicoter un mini au format A6. Je l’ai « eu » quand j’ai commencé à vivre avec Pierre, donc dans les années 1980. Mais je crois que ce n’est que dans les années 2000 que je me suis avisé qu’il pouvait servir à massicoter des mini-comics.
Dans le processus d’envois ou de don des Minis, apprécies-tu un retour : retour sur la lecture, troc de fanzine, etc. ? Oui, mais je ne l’attends pas non plus. Souvent, les gens à qui je les donne font aussi de la BD et me donnent leur production. Ou bien, ils postent des photos des minis sur Facebook, comme les membres du groupe « J’AI ! » ou plus récemment Jérôme Gorgeot, d’Egoscopic. Mais en fait, je n’attends rien, au départ. J’ai juste envie de faire plaisir.
Chaque Mini se termine avec un tampon indiquant la date, cette marque très reconnaissable de ces « tampons calendrier », parfois pas bien appuyée, etc. C’est devenu la plus grande constante des numéros d’ailleurs, pourquoi ? Tu as un autre usage de ces tampons ou c’est uniquement à cet usage ? C’est encore la faute à Matt Feazell ! Chaque fois qu’il faisait un tirage d’un de ses – nombreux – mini-comics, il mettait la date avec un tampon. J’ai commencé à utiliser le tampon dans mes BD autobios reprises ensuite dans Improbablement. Tout naturellement, j’ai fait la même chose avec Le Mini de la semaine. Bon, cela dit, j’avais un peu laissé tomber le tampon ces dernières années et puis, il y a un ou deux ans, au détour d’une discussion en ligne, Benoît Jahan s’est avisé que je devais me remettre au tampon et m’en a offert un. Mais je ne sais pas si je vais l’utiliser comme par le passé, pour dater les « tirages », puisque désormais j’imprime mes minis chez moi, sur mon imprimante de bureau, au fur et à mesure des besoins. Par contre, je tamponne la date dans mes carnets pour savoir quand j’ai écrit ou dessiné telle ou telle chose. Je suis un enfant des années 1960 : à l’époque, il n’y avait aucun moyen de reproduction bon marché disponible. Le tampon encreur avec la date ou bien l’adresse était un objet de fascination. Il l’est resté.
Précisions du 24 décembre 2023 :
Tu allais chez un photocopieur en bas de chez toi, c’est que chose qui a en partie disparu, mais peut-être toujours en bas de chez toi. Comme tu as massicot et agrafe ça me donne l’impression que tu imprime/Photocopie à domicile désormais, tu parles d’ailleurs de tirage au fil de l’eau… Bref, ma question est de savoir si tu imprimes chez toi et si oui depuis quand ? Alors premier point : le photocopieur n’était pas juste en bas de chez moi mais tout près, boulevard Voltaire. Et il est toujours là : il s’agit de « De toutes les couleurs », un photocopieur très prisé par les étudiants en art, paraît-il. En tout cas, chaque fois que je passe devant, c’est blindé de monde, donc je n’y suis plus allé depuis 2015, quand j’avais photocopié Bulles Gaies 11. J’utilise donc pour l’impression mon imprimante HP ENVY7640. Je viens de faire une douzaine d’impressions du Mini 115 parce que j’ai encore pas mal d’envois à en faire. Donc, oui, j’imprime chez moi et pour depuis quand… ben… depuis que j’ai relancé le Mini, donc décembre 2023. Ah, non, je te dis une bêtise ! Depuis plus longtemps. Il y quelques mois, j’avais essayé de faire un mini-comic « de luxe » en colorisant l’un de mes vieux Mini de la semaine et en l’imprimant sur un papier un peu plus épais. Je les avais envoyés à mon ami Xavier Lancel, pour qu’il les vende dans sa boutique Croafunding à Lille. Finalement, cet unique numéro du Mini de JPJ ne s’est pas vendu.
Pour ta maladie auto-immune j’avais suivie mais à moitié, je n’avais pas le détail, mais je vois toute l’importance de cette « sortie » où je t’ai croisé. J’aime beaucoup l’aspect physique de la transmission de zine en direct, même si comme les échanges de courriels qui sont de vrais échanges, les échanges de zines à distance en sont aussi, mais ça a un charme. Ah oui, j’aime aussi beaucoup recevoir des zines par courrier (moins en envoyer, parce que c’est du boulot !) C’est d’ailleurs le fait d’en avoir reçu par des amis de « J’AI ! » qui m’a en partie remotivé pour en faire, comme je te le disais.
Image de chapeau : plat intérieur du Mini de la semaine n°116.
J’aime beaucoup le travail d’Appollo, excellent scénariste dont les histoires se passent la plupart du temps dans l’océan Indien, notamment à La Réunion où il réside (un entretien a été réalisé pour Du9, je ne l’ai pas encore retranscrit et Du9 n’a pas re-ressuscité, à suivre). N’allez pas cependant en faire un auteur régionaliste, mais disons qu’il raconte des histoires inscrites dans l’Histoire et des territoires où elle est souvent absente des récits nationaux.
Début 2024 (un peu avant dans l’île) est sorti son nouveau titre avec Téhem : Vingt décembre, chroniques de l’abolition (Dargaud). L’album revient sur le processus selon lequel l’abolition de l’esclavage est proclamée, puis se met en place, à travers la figure d’Edmond Albius, esclave cafre rendu célèbre pour avoir découvert, enfant, comment féconder la vanille, trésor de la richesse de l’île. En parallèle de son itinéraire personnel, le lecteur croisera Sarda Garriga, méconnu dans l’Hexagone mais envoyé de La République pour appliquer l’abolition et gouverne l’île pendant deux ans, et deux dessinateurs : Antoine Roussin et Martial Potémont. Roussin dessine, peint et a importé les presses d’imprimerie dans l’île, important paysagiste de l’île, il travaille pendant quelque temps avec Potémont, artiste parisien au dessin plus fin, dont il va reproduire les dessins (et, a priori, parfois également s’approprier le travail).
Je veux écrire une chronique de Vingt décembre et revenir sur cet album ailleurs, de la même manière que je dois écrire (après ma thèse) quelques papiers sur Potémont et les débuts de la bande dessinée réunionnaise, suite à mon stage de sept semaines à la Bibliothèque départementale de La Réunion l’an dernier. Mais retenez que Potémont est un étonnant pionnier puisqu’il réalise lors de sa venue sur ce qui est alors encore l’île Bourbon, outre une série de gravures diverses et notamment de dessins d’actualités assez féroces, plusieurs planches de bande dessinée, qui semblent laisser penser qu’il a lu les travaux de Rodolphe Töpffer.
Les quelques pages qu’il publie en 1848 dans La Lanterne magique parlent de l’esclavage, jouent du décalage texte-images et osent parfois des conclusions audacieuses – on peut feuilleter ici plusieurs récits de Potémont et Roussin, « Triomphe du magnétisme » de Potémont est notamment frappant par l’explosion finale.
Bref, je reparlerai et de l’album, et de Potémont, disons que les deux sont liés. Téhem et Appollo offrent même d’intéressantes séquences où des cases de diverses planches de Potémont s’incrustent dans l’image en regard de celles du dessinateur contemporain :
Dans cet album, soudain, un amusant échange retient mon attention. On y voit le jeune Albius rêver à sa vie d’homme libre après l’abolition. Il aurait un petit terrain et pourrait alors y exploiter la vanille. Et pour le cultiver :
Aussitôt m’est venu à l’esprit un des dessins d’actualité de Potémont que j’évoquais plus haut. L’hommage est direct et évident à qui connaît le dessin, donc passera globalement assez inaperçu. Il est intéressant de voir combien l’album mêle donc hommage directement explicite, avec extraits originaux à la clef, et références plus subtiles, avec un gag rescénarisé. Il y a peu de chance que ce soit particulièrement noté alors voici le dessin en question, titré « Les nouveaux Blancs » – surprenante, mais réelle expression utilisée pour désigner les noirs devenus libres. Le dessin est donc de Potémont, la lithographie réalisée par Antoine Roussin, l’image récupérée sur le site de l’Iconothèque de l’Océan indien qui pose des filigranes énervants et sans fondement (même si sur cette page il reste discret et que son « utilité » est encore plus absurde puisqu’on le voit à peine).
Martial Potémont reste 10 ans à La Réunion (1847-1857), il y produit beaucoup de dessins puis rentre à Paris. Il y aura une relative notoriété avec des vues de la Capitale gravées à l’eau-forte. Il n’a a priori pas fait d’autres bandes dessinées qu’à La Réunion, et uniquement durant ses premières années. On redécouvre cependant régulièrement des dessins et planches inconnues, les tirages de l’époque sont très rares, donc peut-être y-a-t-il d’autres bandes dessinées cachées à découvrir (où à jamais perdues) dans la presse de l’île de la mi-XIXe…
Ce qui reste sans doute mon meilleur fanzine (en fait ce n’en est pas un selon ma définition, mais selon celle de Léa Murawiec si, mais ça c’est dans Définir le fanzine). Et tout en couleur s’il vous plaît. Il faudrait le réimprimer (enfin l’imprimer, il ne l’ai jamais été).
Il est intéressant d’y noter la forme : une couverture, des crédits, une reliure (agrafée) et surtout un numéro. IL n’y a pas (encore) de n° 2 toutefois. C’était une collaboration avec Gwendal Rannou au scénario, mon grand frère, Les éditions L’Égouttoir étaient déjà là.
J’évoque ce récit dans un article qui vient de paraître sur Comicalités, le lien vers lequel j’envoyais sur Facebook était mort, de fait ces réseaux ne sont pas très stable, cette adresse devrait l’être plus !
Le document est daté du dimanche 27 février 1994, j’avais alors à peine 5 ans, étant né le 20 février 1989, mon frère avait (et a toujours) deux ans de plus. Il n’est pas étonnant que nous ayons dessiné ça un dimanche, car comme le dit la chanson…
Ci-dessous les pages donc, et la retranscription des textes :
« C’est la panique chez les hommes les géants a blesser tout le monde »
« Pourquoi ils ont tous peur de nous » En bas, une bulle sur deux pages : « Moi je suis petit mais je suis cap d’écraser une maison »
« Normal parce’on est des géants » « Les gens meurent un par un car les docteurs sont blessés. »
« Bientôt les géants occupent l’univers » (avec quelques doutes d’orth)
« Planète Lune » « Super un extraterestre » « Arrête de crier ou je te pète la figure »
Monstre : « Ah ah je te rattrape sacripient » Légende : « Coupe de la fusée » Humain dans la fusée : « Je l’ai échaper belle il ne va pas venir me chercher » Texte off : « L’homme ses enfuit dans sa fusée mais le géant le rattrappe et l’ecrase (on dirait un tas de feraille) »
« Alors le monste est revenu sur terre voir c’est compagnon »
« Voila, voila, votre mousse » « Ce monstre qui a tué le dernière homme est devenu empereur de l’univers des monstres »
« Apporter moi ma mousse !!!!! »
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Il y a des mystères dans ce récit, les personnages ne se reconnaissent pas toujours hyper bien, et cette histoire de mousse m’échappe. Après discussion avec mon frère et vu le dessin à base de bleu, le plus crédible nous semble que le monstre prend un bain et demande du produit pour faire du bain moussant, chose dont nous raffolions. C’est bien plus crédible que la bière à laquelle on peut penser avec « apportez moi ma mousse », car pour le coup l’alcool était plutôt absent chez nous (et ma foi, c’était pas mal).
Sur son blog, Thierry Groensteen, un théoricien avec un parcours lui donnant une place importante dans le milieu de la bande dessinée, fait un petit billet sur les fausses planches originales, à partir d’une fausse planche de Crumb mise aux enchères puis retirée. Au-delà de la réflexion générale, et de l’étonnement de voir que des experts ont pu valider la mise en vente d’une planche des 70’s de Crumb en français, ce qui est absolument délirant, il émet une hypothèse – plutôt affirmée – sur l’origine de la planche : « Selon toute apparence, ce faux aurait été fabriqué par les Canadiens qui, à une époque, avaient pour habitude de procéder ainsi quand ils “traduisaient” la production du maître de l’underground : ils la redessinaient purement et simplement ! »
Bien que travaillant depuis des années sur la bande dessinée québécoise je n’avais jamais eu vent de cette habitude. Elle est peut-être réelle dans certains cas, mais paraît surprenante pour Crumb. La figure de l’unground est en effet publiée dans Mainmise, une revue contre-culturelle québécoise, genre d’Actuel qui tisse des liens avec l’underground états-unien comme européen, de manière certes fort amateure, mais assez officielle. Si des ajouts de dessins ont parfois lieux (je n’ai pas recomparé de pages mais le 26 août 2021 sur Facebook Jean-Christophe Menu écrivait en commentaire d’un de mes posts sur le groupe J’AI ! que les adaptations étaient aussi graphique : « genre rajouter une tête de mort Hell’s Angels dans le ciel ! ») la revue possédait une autorisation de republication, après avoir adhéré à un syndicate de la presse underground US, et n’avait pas vraiment de raison de tout redessiner au-delà de quelques petits gags ici où là. Une pratique qui est déjà une drôle d’idée, mais Maimise reste une revue contestataire qui ne respecte rien, c’est bien normal !
Pour en revenir à la planche, j’ai partagé rapidement l’information à des amis québécois spécialistes de la bande dessinée qui ont été très surpris de cette affirmation de Thierry Groensteen. De fait, aucun texte ou source reconnue n’indique cette « habitude » du recopiage de planche pour aller plus vite (qui, quand même, pose question).
Plus précisément, observer la planche incriminée confirme que cette affirmation est fausse, au moins dans ce cas. Les traductions de Mainmise sont extrêmement marquées dans le vocabulaire, la couverture du deuxième recueil de Crumb au Québec (1972 selon la BAnQ) affiche d’ailleurs fièrement « Adapté en québécois par Raymond Lavallée » – j’en profite pour remercier Placid d’avoir posté la photo de ces deux volumes, que j’utilise en couverture de cet article.
Et de fait, dans Mainmise le récit en question s’appelle « Blancmanche » (pour Whiteman en VO) et non « Blanchot », si les deux titres ont été redessinés il ne s’agit clairement pas des mêmes pages. Il y manque certains détails de bords de la fausse planche, qui pourraient être une simple question de maquette, et le dessin diffère un peu, on trouve aussi dans la fausse planche un sous-titre « Progressiv… ». Surtout, texte est aussi très différent : « “Visez-le !… … L’est au bord de la dépression…” » dit le début du récitatif quand sur la planche de Mainmise on peut lire « Pov’ Blancmanche est ben’ down’ », ce qui est quand même singulièrement différent.
Mais après tout, qui sait, il s’agit peut-être d’un faux québécois de Crumb tout autre ! Ce serait quand même une drôle d’idée quand on peut photocopier une version existante mais allons-y. Dans cette histoire, que la fausse planche propose en une grande version très tassée alors qu’elle est connue en anglais et dans l’édition Mainmise sur bien plus de pages, les cases 9 & 10 donnent des éléments assez clairs sur l’origine. Ce n’est pas le cas de toutes les pages de l’auteur, mais par un heureux hasard il s’avère que dans cette histoire le personnage fait soudain une déclaration de ferveur nationaliste. En effet, il s’exclame dans là VO « I’m american » puis « A citizen of the United States ! »
En pleine « Révolution tranquille », qui marque le réveil et l’affirmation du peuple québécois, le texte traduit par Lavallée en joue donc et transforme la déclaration en cohérence avec la scène locale : « Je suis un Québécois ! » « Un citoyen du Khanada ! ». Le fédéralisme états-unien est transposé à celui du Canada, de manière assez simple. Le drapeau prend le fleurdelysé québécois.
Et que nous dit la fausse planche ? La qualité n’est pas terrible, je n’ai pas mieux, mais la transposition est typiquement européenne : « Je suis un Français ! » « Un citoyen de l’Europe-Unie ». Le drapeau est bien tricolore (avec un machin au milieu que je ne distingue pas).
Il y a donc fort à parier que la fausse planche soit parfaitement française, et bien plus récente que des années 70. Savoir d’où elle sort et sa date réelle est un autre sujet, sur lequel je n’ai aucune compétence. Mais il paraît clair que dire qu’il s’agit d’une habitude, peu attestée faisant penser qu’il s’agit forcément des canadiens, alors que les éléments textuels indiquent clairement la France, à la rigueur l’Europe, est aller un rien vite en besogne.
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Pour en revenir à Mainmise, si Crumb publie dès 1967 en France en couverture du premier numéro d’Actuel (sa première publi française est même a priori antérieure), magazine qui publie un premier album en 1974 sous forme d’un hors-série, les deux albums des éditions Mainmise ont été publiés dans une édition européenne dans la foulée (aucune date n’est indiquée,). La première édition possède une couverture différente, tout en gardant le titre – pourtant peu porteur dans nos contrées – Les Comix de Mainmise.
J’aurai pensé l’édition pirate, car à part cette couverture, elle reprend sinon la préface et la traduction québécoise. Il existe peut-être des nuances que je ne peux pas chercher. Le volume 2 est lui absolument identique en apparence, le « adapté en québécois » est en couverture, tout comme un prix en dollar. Seule différence avec l’édition québécoise : comme sur le premier volume un éditeur est mentionné « Éditions des Egraz – Yverdon ». Yverdon est une ville Suisse francophone et nous pourrions avoir un étonnant objet en termes de circulation : publication pirate (ou non) d’un comix Étatsunien traduit en français québécois mais diffusé en Europe par un éditeur suisse. Bon, si ce qui est écrit sur la couverture est vrai, je n’en sais trop rien car je n’ai pas enquêté sur l’éditeur (une rapide recherche fait surtout ressortir les Crumb), et ça aurait pu être un mensonge pour brouiller les pistes, mais comme les deux volumes sont bien présents dans le catalogue de la bibliothèque nationale suisse avec une adresse (une boite postale) et une date (1973, ce qui en ferait donc le premier album de Crumb en Europe puisque celui d’Actuel paraît l’année suivante), cela laisse bien penser à quelque chose de déposé à peu près officiellement.
MAJ IMPORTANTE : Rolf Kesselring, éditeur suisse bien connu de pleins de choses étranges dont de la BD underground et la première revue de mangas en Europe, a créé sa librairie « La Marge » à Yverdon en 1970, il serait bien probable qu’il soit l’éditeur en question. Il a d’ailleurs publié un album de Crumb, Crumbland, sous son nom en 1975, toujours à Yverdon. (merci JC Menu pour l’info)
Merci à Placid, Jean-Christophe Menu et à mes informateurs rigoureux de la page « La bande dessinée québécoise », particulièrement Francis Hervieux et Richard Gendron.
Le groupe Facebook réussi bizarrement à exister, en changeant un peu son but, avec des défis, des jeux… Le dernier en date est un fanzine hommage à Placid et Muzo, série involontairement quasi surréaliste de Nicolaou. Un gabarit de 4 cases égales, typique des poches, a été fourni et la contrainte était de dessiner un gag rapidement, en 4 minutes. Bon en réalité tout le monde a quasi fait plus, mais enfin cela fait un fanzine avec plus de 70 participations, des gags et une version papier sur le stand J’AI/L’Égouttoir en janvier.
J’ai pour ma part dessiné un gag, mais aussi un jeu, fidèle à la répartition « 100 gags/100 jeux » des poches sauf que bon, on n’a pas ce nombre. Bref, voici en exclu mondiale (wouhou) le jeu, qui fut mon dernier dessin de 2023. Le gag et le reste dans le zine !
Illustration de couv : Publicité sur le fanzine, dessin de Vincent Vanoli.