Autour d’une case de « La Synagogue » de Joann Sfar

J’ai terminé hier l’album La Synagogue, de Joann Sfar (Dargaud, 2022). Comme beaucoup de gens, j’ai beaucoup aimé Sfar, puis j’en ai fait un peu une overdose quant aux tics énervants. Et puis régulièrement je relis ses albums qui m’ont marqué, et apprécie de nouveaux albums, notamment les derniers Chats du Rabbin. Globalement, mes albums favoris restent le Petit monde golem, les Chats et les Grands vampire, Pascin aussi. Globalement je constate que je suis généralement touché par ses titres abordant, d’une manière plus ou moins directe, son rapport au judaïsme, mêlé à l’intime, souvent foisonnant et beau.

J’ai un avis mitigé sur La Synagogue, car un certain nombre d’incartades de l’auteur (comme la première case du bandeau, ou celle sur la tragique affaire Halimi) me semblent assez contestables (Paris est quand même une des dernières grandes villes PS, si l’antisémitisme du meurtre de Sarah Halimi est évident c’est un sujet important de droit que l’irresponsabilité, etc.), elles sont cependant très anecdotiques dans le récit central, même si la construction de l’album est fondée sur des incartades, des allers-retours… C’est assez plaisant dans la majorité des cas, l’album brasse des choses intéressantes sur ce juif qui ne croit guère et se retrouve à garder la synagogue pour échapper aux offices, alors que le terrorisme antijuif se développe.

Mais c’est sur la deuxième case du bandeau que je veux revenir, celle-ci :

p. 125, case 4.

Elle est en partie logique et en partie étonnante. Logique car on y voit un jeune Sfar adorer Rahan, comme tous les enfants de sa génération, et l’acheter à un vendeur militant lors d’une fête locale. Nous avons déjà un peu exploré cette diffusion ici. Le vendeur lui évoque Raymond Poïvet, ce grand dessinateur qui a notamment illustré l’iconique série de Science-Fiction Les Pionniers de l’Espérance, qui paraît de décembre 1945 à août 1974 dans le magazine. Il est assez connu que la série n’était plus très populaire dans les 1970, que le jeune Sfar ne connaisse pas Poïvet est donc normal (de toute façon Sfar est né en 1971, donc il devait acheter des magazines d’occasion), et cette case a sans doute une vocation humoristique montrant comment le jeune dessinateur ne reconnaît alors pas le « grand » dessinateur par excellence du réalisme français.

Ce qui est plus surprenant, c’est de voir le vendeur parler de Marijac. Grand prix de la ville d’Angoulême 1979, il est sans doute le moins connu des lauréats, c’est pourtant quelqu’un de réellement important. Auteur de bande dessinée, résistant, autour des Trois mousquetaires du maquis, Marijac a une activité de scénariste et d’éditeur, à travers l’important journal Coq hardi. Et justement, si Coq hardi est un journal clairement résistant, comme Vaillant, il est aussi clairement gaulliste, et financé à sa création par le MNL.

Puisqu’il s’agit a priori d’un vendeur d’occasions, pourquoi pas, on peut imaginer qu’il fasse découvrir à ce grand ado fan de BD un tas de vieux papiers dessinés des années 60. Donc pourquoi pas Marijac, et tant pis pour l’idéologie ! On dira qu’il y a prescription pour ce bouquiniste qui amenait les idées gaullistes au sein des fêtes communistes, cela reste amusant de se dire que Sfar s’amuse de la licence d’aller chez les coco, ce qui énerve son père, pour qu’on lui parle d’un auteur gaulliste par excellence.

Cela étant, en termes de flexibilité idéologique, Poïvet n’était pas le dernier. Outre sa participation au journal collabo Le Téméraire (avec des planches a priori peu idéologisées contrairement à Liquois ou Erik – dont la série sera pourtant reprise sous un autre nom dans Coq hardi !), et sa participation très active à Vaillant puis Pif Gadget, il a aussi participé à Coq hardi en dessinant Colonel X, scénarisé par Marijac, en 1947 Médioni nous apprend même que l’atelier de Poïvet se trouvait au-dessus des locaux de Coq hardi. C’est sans doute ce héros, qui reste un Résistant, un homme porteur de valeurs qu’un communiste peut apprécier, l’attache étant moins sensible des années après la mort du Général, que notre vendeur présentait au jeune Sfar. On lui pardonnera donc son incartade.

Coq Hardi n° 54, avril 1947. Début d’une aventure du Colonel X…

PS : la possibilité que Sfar ait mis un mot de grand auteur ancien un peu hasard, par réminiscence de la collaboration Poïvet/Marijac, est aussi envisageable. C’était l’occasion un peu de tout ça.

PS2 : Je serai ce dimanche au Mémorial de la Shoah a 14h30 pour une table ronde autour de la bande dessinée sous l’occupation, j’y parlerai évidemment de Vaillant/Pif (et de son ancien nom, Le Jeune patriote).

Jimmy Beaulieu : un livre, quatre titres

Il arrive que les auteurs québécois prévoient de conserver des droits distincts entre les éditions au Québec et en Europe, cela a plusieurs avantages : pour l’éditeur cela évite des transferts de livres d’un océan à l’autre, pour l’auteur cela évite que des publications en français chez d’éventuels autres éditeurs (c’est principalement le cas si un éditeur québécois n’est pas distribué en Europe) soient traitées en droits étrangers.

Jimmy Beaulieu est un auteur québécois assez lu en Europe francophone, et aussi un habitué des modifications d’ouvrages entre chaque réédition mais c’est un autre sujet (même si un peu lié). En 2013 ; les éditions Mécanique générale, qu’il a fondé des années plus tôt mais où il n’a plus d’activité éditoriale, on édité un gros recueil de ses récits autobiographiques. Le titre est clair et assez illustratif : Non-Aventures, sous titré « planches à la première personne ». Si quelqu’un pense tomber ici sur de la grande course-poursuite, c’est qu’il ne sait pas lire.

En janvier 2015 l’album est édité en Europe. J’entends souvent parler d’édition française mais c’est abusif puisque la maison d’édition, Les Impressions nouvelles, est localisée à Bruxelles. L’éditeur du livre est certes français (le scénariste et théoricien Benoît Peeters) mais il faut a minima parler d’édition européenne francophone. En tous cas, outre quelques modifications de contenu et d’agencement, la couverture diffère. Il y a le dessin, bien sûr, mais c’est assez classique avec une autre édition, le changement de titre l’est moins, surtout que la langue ne change pas. Et les « Non-aventures » deviennent « Les aventures » soit l’exact inverse.

Bon normalement si vous avez lu le début c’est clair.

Pourtant, le titre fonctionne très bien. Avec ce dessin laissant entendre une promenade calme et douce, loin de toute aventure, et le sous-titre conservé, le lecteur comprend bien qu’il s’agit d’un pied de nez et qu’il n’y aura d’aventure qu’intime et personnelle. Interrogé par Laurent Lessous pour BDZoom, Beaulieu explique le choix « Benoît Peeters, l’éditeur de l’édition européenne, n’était pas friand du titre un peu négatif de l’édition québécoise : Non-aventures. Je n’y tenais pas non plus. Nous avons bien cherché une alternative. Moi qui pense toujours à des titres de livres (à en rendre fou mon entourage), je bloquais. J’ai finalement proposé cette variante toute simple et plus drôle, “Les Aventures”, qui était le titre du premier chapitre de la section “Quelques pelures” (lequel s’intitule, dans cette édition, “Non-aventures”). » On note au passage le jeu de retitrage permanent de l’ancien album qui change nom en devenant chapitre… L’enfer des bibliothécaires.

Ce transfert de titre est passionnant, les deux jouent sur une contradiction : le premier sur la simple négation « non-aventures », l’autre peut-être plus subtilement en jouant le contraste avec l’image et le sous-titre. Aucun ne manque de poésie, je préfère a priori le second, mais peut-être est-ce simplement parce que c’est le premier que j’ai connu ? Ou que c’est un ciblage géographique efficace. Quand j’ai présenté le choix à des amis, au débotté, les avis variaient mais sans que ça ne se détache vraiment, ni se distingue par origine géographique. Esthétiquement je trouve par contre la deuxième édition plus réussie, sans aucun doute, c’est mon affaire, j’imagine.

Lors de mon séjour au Québec il y a quelques semaines, Jimmy m’a confié (pour la bibliothèque patrimoniale de la Cité internationale de la BD et de l’image) différentes éditions étrangères de ses livres. Parmi elles, deux de ce qui correspond aux (Non-)Aventures, qu’il m’a présenté comme des éditions directes de ce livre mais qui sont en réalité antérieures (il faut dire que les éditions Aventures sont déjà des anthologies, je vous le dis, un enfer pour les bibliographes).

L’édition canadienne anglophone (2010) et allemande (2014)

Une de ces éditions est paru en anglais chez l’éditeur canadien Conundrum Press en 2010 (avant la Québécoise donc), l’autre en allemand, chez l’éditeur allemand Schreiber & Leser en 2014 (après la Québécoise, mais avant la Belge, pour celle-ci). L’image de couverture est différente des éditions françaises, mais globalement partagée par les deux éditeurs en question, même si en bonne JimmyBeayulieuserie il y a des retouches (le choix de couleurs notamment, et le cadre plus ou moins serré). Le titre est évidemment traduit. Bien que pas très bon en langues étrangères il semble évident qu’aucun ne parle d’aventure, existantes ou non :

En anglais nous avons Suddenly Something Happened, qu’on pourrait traduire à peu près par « Soudain, quelque chose arrive » ou « Tout à coup, etc. ». Un très bon titre à vrai dire, qui résume lui aussi bien le contenu, et cette pseudo-aventure (prenant le contre-pied d’une vieille vision de la BD), peut-être plus explicite que les titres français, car sans sous-titre. En allemand, que je ne parle pas du tout, Am Ende des Tages (là aussi sans sous-titre). Google et des gens m’ont évoqué un « À la fin de la journée » voire « des jours » (ce qui n’est pas exactement la même chose), bon là en tous les cas, pour le coup, je vois moins bien le rapport. Mais cela semble confirmer un goût du jeu avec les titres, profitant de chaque édition pour proposer une variation, ce n’est pas si courant.

PS : J’admets que le titre est un peu mensonger, puisque qu’il ne s’agit jamais vraiment du même livre malgré un contenu largement commun, même entre les deux éditions francophones (même s’il me semble que les rééditions de Non-aventures reprennent le contenu exact des Aventures). Mais bon, vous avez quand même l’idée générale, et au début je croyais que c’était bien le même livre.

Gudule, compagne de route de la bande dessinée

Il y a quelques années le site Bodoï a planté et pas mal d’articles ont disparu à jamais. La disparition de certaines de mes chroniques, que je n’ai pas conservées par ailleurs, ne m’a pas particulièrement rendu triste puisque c’est surtout de l’actualité, et qu’on retrouvait trace de ces titres ailleurs. Cependant il y avait un texte qui était un peu unique, une nécrologie de l’autrice Gudule, très connue pour ses livres jeunesses, et tant d’autres, qui avait croisé le chemin de la bande dessinée de manière plus ou moins proche au long de sa carrière. Il y a peu, j’ai pensé à regarder si c’était sur archives du web et, évidemment, ça y était. Bref, pour archive, ce qui est un peu le but de ce site où je ramasse des choses à moi ici où là, voici donc ce texte, augmenté de deux pages de Gudule dessinatrice.

Kwika est un des rares albums publié
comprenant des scénarios de Gudule

Décès de Gudule, amie de la bande dessinée

22 mai 2015 | Maël Rannou

Anne Duguël, dîtes Gudule, est décédée jeudi 21 mai à l’âge de 69 ans. Célèbre et très prolifique auteure jeunesse, mais n’hésitant pas à s’aventurer dans le roman adulte, c’était aussi une compagne de route bien connue des amateurs de bande dessinée.

Membre d’une famille d’artiste, elle est notamment la mère d’Olivier Ka – scénariste notamment de Pourquoi j’ai tué Pierre – et de Mélaka, auteure et pionnière des blogs BD. Au-delà de cette filiation, sa signature était présente dans de nombreuses revues majeures du neuvième art. Durant des années, on pouvait la lire dans Pif GadgetCharlie HebdoFluide Glacial, L’Écho des savanes et, bien sûr, le Psikopat, qu’elle avait contribué à fonder.

Elle y écrivait surtout des textes, mais scénarisa quelques récits, souvent dessinés par Paul Carali, son compagnon d’alors (on a pu les retrouver dans les albums L’Amalgame et Kwika). Les plus curieux avaient même pu la découvrir dessinatrice dans Le Havane Primesautier, fanzine de Charlie Schlingo, elle y révélait un trait Chagalien dont elle n’aurait pas à rougir.

Progressivement éloignée de ce milieu, elle s’était épanouie dans le roman et les nouvelles, réalisant une œuvre pléthorique mais riche, reconnue aussi bien par le public que les institutions. De la littérature jeunesse, mais pas que, parlant toujours à tous et n’hésitant pas à explorer le petit quotidien comme le fantastique.

Toutefois, cela ne le déconnecte pas du tout de la bande dessinée puisque tout amateur se doit d’avoir lu Kaïra, roman ado paru en 2001 chez Flammation, racontant à travers une histoire d’amour le quotidien d’une rédaction de journal de bande dessinée. La conception, les relations avec les auteurs, les fêtes quasi-orgiaques… on y découvrait l’envers de l’édition indépendante, son charme foutraque et ses problèmes logistique. On y reconnaissait bien sûr le Psikopat, mais le roman sentait aussi Hara Kiri. Ouvrage atypique, Kaïra était autant un vecteur de vulgarisation qu’une déclaration d’amour au médium.

Pour conclure, nous vous recommandons d’aller relire son blog, dont la dernière note datée du 19 mai montre cet éternel désir de création.

Le roman Kaïra dans une édition récente

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En conclusion de la republication de 2022, deux rares pages de bande dessinées que Gudule a intégralement réalisée, parue dans Le Havane Primesautier n° (chaud) 7, Artefact, janvier 1980.

Edmond Baudouin 1

Edmond Baudoin est un des auteurs français de BD les plus importants de la fin XXe, son influence est majeure, la diversité de ses approches aussi. Il y a beaucoup à écrire dessus et d’ailleurs j’ai eu le plaisir de faire deux textes sur son œuvre : l’un sur la place du policier et du roman noir, pour cette monographie chez Mosquito, l’autre sur la place du Québec, où il a vécu trois ans, pour le dossier en ligne de neuvième art 2.0. J’en écrirai sans doute d’autres, il y a beaucoup de tentatives, plus ou moins réussies, mais toujours intéressantes, chez Baudoin.

Au rang des choses qui m’ont toujours étonné est que, depuis les années 1980, il y a une quasi constante erreur sur son nom, qui revient régulièrement. Dans des articles, dans des salons (je me souviens d’avoir vu un tableau de dédicaces erroné à BDFil, corrigé quand je suis revenu), mais aussi dans des livres où il est publié. La diversité de supports, quels que soient leurs professionnalismes, et son étendue temporelle me surprend toujours. Il y a assurément encore beaucoup de « Baudouin » à relever, notamment dans les imprimés (là j’ai très majoritairement du en ligne, facile à trouver). Mais en attendant cette recherche, une première salve, en guise d’invitation : si vous en trouvez, n’hésitez pas à me les envoyer à maelrannou @ lilo.org

Chic magazine n° 2, mai 1984
Page d’annonce d’un récit de Baudoin & Wagner dans Le Scribe n° , 200
L’Express, mai 2011.
Chronique sur Planète BD, décembre 2012
Émission de France Inter, février 2014
Chronique sur France Culture, octobre 2015
Interview sur Planète BD, octobre 2015 (de nombreux autres articles de ce site deux fois retenu indiquent correctement le nom de Baudoin)
France 3 Régions, octobre 2017
Un article sur José Jover dans, il me semble, un journal interne d’un lieu l’exposant (CIC je crois ?)
ActuaBD, octobre 2021

Alice hors du miroir, avec Joanna Hellgren

En 2008, les éditions Cambourakis publient Mon frère nocturne et Frances T1, deux bandes dessinées de Joanna Hellgren, autrice suédoise inconnue qui posait avec ces deux premiers livres les prémices d’une œuvre une très ambitieuse. Les deux autres tomes de sa trilogie tiennent d’ailleurs leur promesse, et puis elle a quasiment cessé la bande dessinée. Elle se consacre depuis à des livres illustrés et à des expositions qui ont l’air superbes, on peut voir un peu de tout ça sur son site.

Lors de la sortie de ses premiers livres, je l’ai rencontré lors d’une séance de dédicace. Je ne sais plus comment, mais nous avons pu échanger avec sympathie, j’ai eu son courriel et, quelques mois plus tard, elle a accepté de dessiner quatre pages d’Alice hors du miroir, un projet porté depuis longtemps (j’en avais dessiné moi-même une page vers 2007). C’était une Alice adolescente, ayant quitté le pays des Merveilles et espérant y retourner, c’était d’ailleurs sans doute très adolescent, j’étais un jeune étudiant en lettres ou en éditions, Burton n’avait pas encore fait son adaptation. Mais voilà que Joanna Hellgren dessine ces quatre pages, publiées dans le Gorgonzola n° 15 (octobre 2009), à chaque fois que je les relis je suis surpris tant je les trouve belles, j’ai du mal à considérer que j’ai à voir là-dedans !

Quelque temps plus tard, j’ai écrit un cinquième épisode, cette fois en deux pages, qu’elle a aussi illustré et qui est paru dans le Gorgonzola n° 18 (décembre 2012). J’espérais atteindre la trentaine de pages, pouvoir envisager un livret, une publication, que sais-je ?

Mais tout ça était bénévole et Joanna avait déjà été bien gentille de dessiner ces 6 pages, qui ont l’avantage de se conclure – enfin, elles restent en suspend, mais chacun des épisodes de cette série finissent comme ça. Parfois j’ai envie d’en réécrire, peut-être avec d’autres dessinateurices, peut-être en rêvant qu’un jour Joanna y revienne. En attendant j’ai acheté l’original de la première planche, qui est dans mon salon (enfin, était, là je viens de déménager) et j’ai très envie de m’intéresser à ces travaux récents de Joanna dont j’ignorais l’existence et que je découvre à l’occasion de cette replongée dans ses pages.

PS : Frances existe toujours, en volumineuse intégrale, chez Cambourakis.

PS 2 : Cette exposition bande dessinée réalisée en 2012 a l’air tout bonnement incroyable.

Page pour « J’ai », le fanzine

Alors que les cinémas autres lieux de loisirs restaient fermés, El Chico Solo s’ennuyait sur Facebook et s’est mis à intégrer furieusement des connaissances et amis dans des groupes divers. Un sur les BD rares, un sur les livres et revues sur la BD, un sur les BD franchement bizarres ou moches… Puis face aux exclamations de « J’ai » est née une règle : si l’on peut prouver qu’on possède le truc rare (ou que le posteur a cru rare), l’auteur du post envoie un fanzine. Sacré machin et il y en a qui reçoivent des tonnes de paquets (moi je n’en dois qu’un, mes zines québécois sont globalement inconnus). Il y a aussi des jeux spéciaux régulièrement, auxquels je ne comprend que pouic.

Tout à sa furia El Chico Solo a carrément publié un zine, gratuit contre des timbres, destiné au groupe, avec les meilleurs posts et des BDs et illus inédites, de lui, de Placid, de Zou, de JC Menu, de JP Jennequin, etc. (sommaire ici) J’y ai donc fait une page, destinée à n’être que très peu imprimée et globalement peu compréhensible (mais on y parle BD et égocentrisme, vous ne serez pas perdus). Mais j’ai convaincu El Chico Solo d’en envoyer un exemplaire à la Cité de la BD pour la mémoire !

Ci dessous la page en question donc. Il y a eu d’autres zines en liens avec le groupe, des zines gags, des réponses, je vous avoue que là même membre je n’arrive pas à suivre. Et pour les curieux le groupe est ouvert et accueille des nouveaux membres, rien qu’en regardant ce qui a été publié il y a de quoi se rincer les yeux.

Quelques souvenirs de Nikita Mandryka (1940-2021)

Le 13 juin dernier, Nikita Mandryka est mort. Il est l’auteur d’assez nombreuses BDs mais surtout du Concombre Masqué, série qui a eu l’intérêt assez rare de naviguer non seulement entre différentes revues historiques mais aussi entre des organes aux publics très différents. Jugez donc : début dans Vaillant/Pif Gadget (jeunesse), passage à Pilote (ado-adulte) puis L’Écho des Savanes (adulte) après un désaccord mythique, microscopiquement dans (À suivre…) pour une brève incartade politique (adulte aussi), avant de finir sa carrière de presse dans Spirou (re-jeunesse mais aussi lecteurs nostalgiques). En parallèle le Concombre a vécu en albums chez Dargaud puis, ces dernières années, chez Mosquito et, surtout, Alain Beaulet, qui a publié La Vie secrète du Concombre masqué à peine un mois avant sa mort. On pourrait aussi citer l’étonnant passage du Concombre dans la BD utilitaire avec le fameux Pas de sida pour Miss Poireau, vulgarisant l’usage du préservatif, scénarisé par Moliterni et envoyé dans nombre de collèges et autres lieux d’éducation (édité en 1987 et en 1994). Il fut pour ma part un élément important de mon éducation sexuelle. Le concombre, enfin, était présent en ligne sur un site foisonnant, complètement foutraque, tenu par Mandryka lui-même depuis les années 90, à une époque où c’était franchement rare. On y retrouve des dessins inédits, rééditions, avis philosophico-politiques, souvenirs, republication de séries qui lui plaisaient… Le Concombre était donc malléable et a eu de multiples vies, parfois contradictoires.

Mais si Mandryka a une œuvre riche, dont on a salué l’aspect original, volontiers absurde, surréaliste, marquée par la philosophie orientale (principalement le Tao) comme le burlesque américain, s’il a été récompensé par ses pairs du Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1994, c’est sans doute autant pour son rôle majeur dans l’édition franco-belge (et suisse, puisqu’il vivait dans ce pays). Adolescent, j’étais marqué par les pages ésotériques du Concombre dans les vieux Pilote de mon père, mais aussi pour les pages clairement obscènes dans les vieux numéros de l’Écho. Surtout, je constatais, déjà intéressé sans m’en rendre compte par les coulisses de la bande dessinée, qu’il était celui qui décidait du contenu, le rédacteur en chef tout puissant d’une revue qui me choquait un peu tout en m’épatant par la liberté de ton, mais aussi de création graphique et narrative. « La nouvelle bédé c’est dans l’Écho qu’elle est ! » titre une de ses célèbres couvertures, et c’est sans doute vrai. Une bande dessinée dans un large éventail, mêlant l’underground à l’expérimental en passant par des formes plus classiques mais, souvent, des voix originales. Nous avons déjà évoqué cette époque sur ce blog, avec Philippe Marcelé.

Couverture de l’Écho des savanes n° 15 (décembre 1975)

Nikita Mandryka a participé à l’aventure VaillantPif Gadget puis a migré à Pilote en espérant pouvoir parler à un public plus large, plus adulte, et faire des BDs plus libres. La manière dont son Concombre regardant pousser un jardin zen durant des pages et des pages a eu raison de Goscinny et mené à la création de L’Écho des savanes, avec Gotlib et Bretécher, en 1972, a été raconté des centaines de fois. On raconte moins comment il a dirigé ce journal seul au bout de quelques années et permis à des dizaines d’auteurs d’être publiés, avant de lâcher l’affaire en 1979, effaré par les problématiques de gestion et les luttes de pouvoir qui ne l’intéressent guère. Il revient pourtant dans ce rôle de rédacteur en chef pour la relance de Charlie Mensuel durant un an, de 1982 à 1983, avant de prendre la direction de Pilote. Si la presse est alors en crise et que son travail paraît moins révolutionnaire qu’à L’Écho, ce passage à la tête de trois revues mythique en fait autant un auteur qu’un éditeur d’importance, façonnant à travers ces revues à certain pan de l’histoire de la BD.

Mandryka aimait causer, raconter, nous aurions sans doute été en désaccord sur un certain nombre de choses, mais il était profondément curieux et généreux. Pour le critique que je suis, qui s’intéresse à l’histoire de la presse BD, c’était aussi un « bon client », toujours disponible pour un entretien et prêt à donner de son temps. Depuis que j’écris sur la BD, je l’ai appelé régulièrement, et ai réalisé au moins quatre entretiens avec lui : dans le Gorgonzola n° 4 (juin 2005), sur Du9 avec un très long entretien carrière (décembre 2010), à l’occasion de sa venue à Paris pour un salon hommage à Pif Gadget, qui reste gravé dans ma mémoire pour les plus de 2h30 passées en sa compagnie – et au moins le double à faire le tri sur l’enregistrement, il avait derrière repris le tapuscrit avec beaucoup d’attention –, par téléphone pour nourrir mon article sur L’Écho des savanes dans Les Cahiers de la BD n° 10 (juin 2020) et enfin par courriel pour mon livre sur Pif Gadget et le communisme (à paraître fin 2021 mais réalisé en avril 2019). Il était toujours disponible, prêt à raconter tout et n’importe quoi, il fallait faire le tri, ça allait dans tous les sens, il s’enflammait, parfois en déclarant sa passion pour quelque chose (la dernière fois, signe de sa curiosité constante, pour la thèse de Sylvain Lesage qu’il a tenu à m’envoyer en PDF ensuite !), parfois en m’engueulant à moitié parce que je ne saisissais pas assez, en réalité toujours prêt à rendre service et à partager.

Je ne l’ai rencontré qu’une fois mais je l’aimais bien. Ce grand type si étonnant, héritier d’une bourgeoisie russe en exil, qui a grandi en Tunisie puis s’est lancé dans la bande dessinée à Paris… Il portait avec lui sans doute un sacré bagage, mais aussi un gros pan de l’histoire de la BD et c’est sans doute ce qui a motivé l’adolescent que j’étais à l’interviewer au tout début de Gorgonzola. Pour situer, on parle alors d’un fanzine tiré à 70 exemplaires édité par un lycéen, vendu quasi exclusivement à ses proches. Pas sûr que l’intérêt pour Mandryka ait été très grand et pourtant il a répondu très vite okay pour l’entretien, par téléphone (mes parents avaient été un peu choqués en apprenant que c’était vers la Suisse, à l’époque les box illimités n’étaient qu’un fantasme). Déjà, son cursus d’éditeur et ses choix radicaux m’interrogeaient. À vrai dire, je m’étonne de voir qu’à 16 ans tout cela m’intéressait déjà, mais ce choix d’interview n’était pas anecdotique, c’était un modèle en édition, une figure tutélaire qui, en plus, acceptait le rôle.

Ci-dessous, pour mémoire, l’entretien publié dans le Gorgonzola n° 4 de juin 2005. J’avais 16 ans et on est loin d’un contenu aussi intéressant que les autres, mais c’était le début. Mon troisième entretien en fait (le premier a été Mattt Konture, le deuxième Julie Doucet, mais c’étaient des auteurs que j’interrogeais et non des éditeurs), il a été sacrément important pour la suite. Si dire oui à un long entretien pour une revue ou un site installé est une chose, faire de même pour un gamin sorti de nulle part (et la Mayenne c’est un peu nulle part) en est une autre. Et il l’a fait sans barguigner, en m’accordant autant de temps que je le voulais. Une anecdote qui me fait penser que Mandryka était un homme bien. Nous ne nous parlions que ponctuellement, mais il va me manquer, mon « bon client » préféré.

NB : Mandryka est aussi un auteur qui partage son jour de naissance avec mon grand frère, chose qui ne veut rien dire mais quand même (c’est aussi le jour de naissance de Arthur Rimbaud, Alphonse Allais et André Santini, bon)

Crédit image : Nikita Mandryka en 2011 part Rama (Wikimedia)

Posséder un livre qui n’existe pas

J’aime profondément les fanzines, les objets éditoriaux mystérieux, les livres hors des cadres et des circuits, cela ne vous surprendra pas trop. Tout cela entre régulièrement en conflit avec mon travail de bibliothécaire, de chercheur fanzineux, de rédacteur effréné de sommaires bibliographiques. Je vous parlais déjà (entre autre) de ce décalage ici.

Au fil de mes lectures et articles, il m’est arrivé d’écrire sur des albums étranges. Parmi eux Jalousie, un album fantôme d’Imagex, annoncé mais jamais publié, que l’on peut reconstituer via des revues. Un de mes articles préférés reste celui consacré aux jeux éditoriaux de Vincent Giard, auteur-éditeur québécois dont j’ai raconté les multiples blagues pour bibliothécaires/collectionneurs, et qui m’avait répondu après publication d’un « HAHAHAHAHA » tonitruant par courriel (tout en m’indiquant que ce n’était pas censé être un piège et que j’avais mal cherché, bonjour la frustration).

Sa maison d’édition, que j’évoquais dans l’article sus-cité, était belle, mais, comme souvent dans ces structures innovantes tenant à l’énergie et l’enthousiasme d’un acteur, à un moment les choses se sont enlisées puis terminées, sans bruit (je précise que le Gorgonzola 25 a 2 ans de retard, mais est bien prévu et que je reste fort enthousiaste). La dernière fois que je suis retourné à Montréal, Vincent m’avait invité dans une pizzeria étrange où il m’a appris la fin de sa structure. La Mauvaise Tête n’était plus.

Son catalogue est beau, pile vingt livres dont cet éditeur, toujours amoureux du classement, a laissé une trace en ligne, bien rangée. Et puis des projets qui, eux, ont disparu.

Lors de cette soirée pizzas, Vincent m’a fait un cadeau, un livre de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau. Ce duo d’auteurs a publié Pinkerton et Poulet graingrain dans les débuts de la maison, un duo important pour son image donc. Mais ce livre, je l’ignorai au catalogue :

Toutes les amertumes, non-livre de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau

Et pour cause, si j’avais déjà lu plusieurs de ces pages (publiées dans des fanzines chez Colosse, structure de microédition où l’on retrouve notamment un webdesign de Giard), ce recueil, lui, n’a jamais existé. Il s’agit d’une maquette d’un projet avorté. Pas d’une maquette en blanc : le contenu est complet, les BDs parfaitement lisibles, seuls quelques problèmes de fignolages dans la fabrication indiquent cet état, et des ratures nettes.

Ce livre existe assurément, je le possède, il a été préparé, façonné, tiré, puis abandonné. Pas forcément parce que l’éditeur coulait d’ailleurs, c’est a priori un choix fait bien avant (une date, mais est-elle la bonne ? Indique 2015), une fois le test réalisé. L’éditeur me l’a évoqué, de manière floue, en disant quelque chose comme « le cœur n’y était plus » ou « une fois le test arrivé ce n’était plus le moment », un truc mystérieux et un peu doux du genre. Il n’y en a qu’un exemplaire, les auteurs m’ont confirmé ne pas en avoir (et ont été surpris de le voir en mes mains), le (non) éditeur n’en a plus non plus. Il est là.

Un livre fantôme donc, une autre incarnation des inachevés possibles auxquels j’ai consacré un article post-journée d’étude aux Arts Décos. C’est aussi un témoignage de la richesse de ce matériau passionnant que forment les archives d’éditeurs, tout comme de leur fragilité chez ces petites structures qui n’ont pas de documentalistes et où tout part aux quatre vents, jusqu’à l’autre côté de l’Atlantique. Si demain un chercheur sur la BD québécoise s’intéresse à la Mauvaise tête, trouvera-t-il les autres archives chez Vincent ? Ou tout a été ainsi éparpillé ? Il y a en tous cas peu de chances qu’il vienne le chercher chez moi.

Tout ça me convainc plus que jamais que les bibliothèques s’intéressant à la BD (la Cité internationale de la BD, la bibliothèque municipale de Lausanne, celle de l’École Multidisciplinaire de l’image à Gatineau…) auraient intérêt à une attitude volontaire de récupérations d’archives d’éditeurs. Si la dispersion d’archives concerne aussi de gros éditeurs (les archives de Pif Gadget ont été bazardées dans un hangar, vendues sur eBay, éparpillées…), mais le risque paraît particulièrement fort pour les petits et micro-éditeurs, qui n’ont a priori aucun moyen de stocker tout ça. Il faudrait certes qu’elles soient tenues correctement. Et là je regarde un peu honteusement les archives papier de l’Égouttoir, déjà peu nombreuses (et c’est un autre problème que l’archivage numérique mais ce serait réinventer l’eau chaude), avec cette idée que, tout de même, de l’ordre pourrait y être mis. Une mission nettement plus motivante si je savais qu’un jour elles seraient hébergées quelque part par des gens susceptibles de les rendre accessibles à qui veut.

PS : Il s’avère que lors de mes premiers séjours au Canada, j’avais été particulièrement surpris car on me parlait beaucoup de Joe Dassin (ce qui n’est plus tellement arrivé par la suite) et quand j’écris ce texte voilà que qui me revient en tête (non, pas les Dalton mais)

2021 : Fanzines et mémoires

En 2021, il y aura une journée d’études sur les fanzines à la BnF, normalement un colloque reporté à la Fanzinothèque de Poitiers, mon doctorat officiellement commencé me poussera à écrire régulièrement sur les fanzines (même si ce ne sera pas mon sujet central officiel) alors voici une petite bande dessinée pour 2021. Qui ne parle pas de l’année passée parce que bon. Bonne année : fanzine vivra, fanzine vaincra !

Dérouler La Monstrueuse…

Il y a peu, j’ai relu les trois numéros de La Monstrueuse, et son impact sur moi a semblé évident. Je sais que j’avais aimé ce fanzine mais je n’avais jamais ressenti aussi clairement son influence évidente sur mes choix éditoriaux, mais aussi de recherches, sur des amitiés. Ce texte est né de cette relecture, histoire (d’un peu) payer mon tribut.

Quand j’étais au lycée, mon frère avait réalisé une très grosse commande via un catalogue fourni par l’Association. Ce catalogue proposait bien sur les titres de l’éditeur, mais aussi des dizaines d’autres, et une commande assez diverse avait été passée, sans doute en partie au hasard. Parmi toutes ces publications, trois numéros d’un éphémère fanzine : La Monstrueuse, publiée par Chacal Puant de 1995 à 1997.

Ce zine est une des nombreuses expériences éditoriales de Blanquet, dont j’ignorai encore quasiment tout. Je ne savais notamment rien de sa multiplicité créative et de son importance publicationnelle1. Peut-être avais-je déjà lu son Donjon, sorti en 2003 ? Mon frère, futur cofondateur de L’Égouttoir, était fan de la série et découvrait en partie la BD alternative par ce biais. Je suivais. Nous voici en tous cas avec les trois numéros de La Monstrueuse, fanzine gorgé jusqu’à la gueule de bandes dessinées profondément étranges, certaines poussant même le vice à être publiées en anglais. Mes références les plus iconoclastes devaient alors être Mattioli et Poirier dans Pif Gadget et Thiriet (Le Figurant !) dans Spirou. Il y a plus honteux, certes, mais on est loin de ce que je découvrais.

Numéro 2, couverture de Caroline Sury, 1996.

J’ai été marqué par la lecture de cet épais fanzine agrafé (qui reste la reliure que je préfère), sans doute sans me rendre compte réellement de ce qui m’arrivait. C’était mon premier contact avec la BD underground québécoise : Julie Doucet, avant de lire Ciboire de Criss, mais aussi Henriette Valium, qui me mettait mal à l’aise tout en me séduisant, Richard Suicide ou Siris. Il y avait dans ces pages tout le « centre-sud » auquel Suicide consacrera des années plus tard un livre chez Pow Pow. Leurs dessins m’ont autant frappé que la langue, qu’ils tordent sans barguigner. J’étais touché au cœur et des années plus tard quand j’allais publier Richard, faire un long entretien avec Siris, enfin les rencontrer, j’aurai toujours cette référence derrière la tête. D’ailleurs, je viens de débuter un doctorat. Son sujet à peu près formulé ? « La BD québécoise et ses circulations dans et avec l’espace francophone européen ». De fait, La Monstrueuse est un des jalons et se pointe encore dans un coin de mon œil.

Dans La Monstrueuse il y avait donc aussi des pages en anglais – autant dire en extra-terrestre pour le moi de 14 ans. Je ne les ne comprenais pas, et me forçait à lire et apprécier sans le comprendre le si mystérieux Matti Hagelberg, qui fascinait mon grand frère. Il aura fallu un bon 10 ans pour pleinement apprécier ses livres et je me suis surpris quand, relisant les numéros il y a un mois, j’ai éprouvé une joie si enfantine à pouvoir enfin comprendre les pages publiées ! Brad Johnson ou Mike Diana portaient la même aura de mystère absolu, enfin décrypté. Le résultat ne valait peut-être pas autant d’attente et une laborieuse formation en anglais, le plaisir d’enfin pouvoir lire toute La Monstrueuse, oui.

Bien malgré elle, La Monstrueuse était un guide. L’Horreur est humaine, fanzine encore plus confidentiel géré par Sylvain Gérand, dont le sommaire me fascinait, occupera un rôle un peu similaire. J’ai toujours aimé les sommaires (on peut d’ailleurs trouver tout ceux de La Monstrueuse et de L’Horreur est humaine en cliquant sur ces liens). J’y trouvais des auteurs qui m’interloquaient et allaient ensuite tenter de les retrouver, de les découvrir plus amplement. Ce sera le cas avec Lolmède, on échangera ensuite longuement sur le fanzinat, ou des si étranges (à mes jeunes yeux) Caroline Sury ou Nuvish. L’un de ceux qui garde pour toujours une aura de mystère reste un des plus « naïfs » : Gil Gozzer. Je le recroiserai ensuite ici ou là sans jamais savoir ce qu’est devenu ce dessinateur si drôle. En lisant, les connexions se font avec Jade, Le Dernier Cri, l’Association – seule structure déjà un peu approchée – ouvrant un champ de passion/défrichage de BD alternative et du fandom. Beaucoup d’articles en sont sortis, d’autres sont encore à écrire.

Trois petits livres du suscité Gil Gozzer, le dernier (chronologiquement le premier) ayant d’ailleurs été publié par Blanquet en 1996.

Cette fascination s’exerce parfois de façon presque malsaine, au début je tentais de collecter les auteurs comme des Pokémons2, du fond de ma campagne, sauf que rapidement on se prend au jeu et des relations humaines se nouent. Gorgonzola est un fanzine né entre des champs et un internat dans une ville de province, pas construit avec des camarades d’école ou sur un projet commun, si ce n’est celui de toujours lire et rencontrer des bandes dessinées qui me questionnent voire, c’est arrivé, me bouleversent. Cet appétit a eu des conséquences surprenantes : un fanzine qui existe toujours quinze ans après (même laborieusement), des voyages inattendus et de forts belles amitiés.

Dans La Monstrueuse on trouvait notamment Yvang, dont le fanzine Eczema House paraissait dans les 90’s. Yvang a un trait protéiforme et était très actif en ligne quand je découvrais le zine de Blanquet. Sur ses différents blogs (c’était la grande époque des blogs BD), il déversait des flots de dessins, strips, planches, sous différents pseudonymes. Je suis retombé sur lui dans un magazine éphémère, Zoo – pas l’actuel magazine gratuit, une sorte de journal parlant culture, un truc bizarre paru quand j’étais au collège et qui n’a connu que 5 numéros. Yvang s’était glissé subrepticement dans l’un deux, un courriel fut envoyé (le Pokédex malsain se mêlant à une fascination réelle) et il est arrivé dans L’Abécédaire, un collectif que nous avions publié en 2005, annonçant la joyeuse incohérence éditoriale à suivre.

On y trouvait d’ailleurs aussi Blanquet (seule contribution à nos productions), Anne Van der Linden et Lolmède, mais Yvang est le premier auteur de La Monstrueuse à devenir contributeur régulier. Nous nous rencontrerons en festival puis l’engrenage ne s’arrêtera plus : participations à tous nos collectifs, livres réalisés ensemble, festival-colonies de vacances et visites estivales sur son île… Jusqu’à une conférence commune aux Arts décos de Strasbourg à propos de Samplerman, nouvelle identité du Janus de Belle-Île, dont le premier sample publié était justement dans le Gorgonzola 19, autour de Jean-Claude Poirier (qui, je le rappelle plus haut, est une de mes premières rencontres d’alternative dessinée, avec Thiriet, lui aussi présent dans Gorgonzola).

De La Monstrueuse à Yvang, j’ai aussi découvert des pans énormes du fanzinat underground : Gotoproduction (avec l’ami Léo Quiévreux), Crachoir, Stronx… en accumulateur compulsif Yvang détient des trésors multiples. C’est en fouillant dans les valises qu’il emmenait en festival que je suis tombé sur Cauchemar, réalisé avec le mystérieux 44. Cet auteur inconnu allait devenir l’objet d’un fantasmatique dossier de Gorgonzola, évoqué dès le dossier de notre numéro 20 (sorti en décembre 2014), que l’on pourra bientôt découvrir dans le numéro 25 qui devrait paraître, avec un an de retard mais toujours vivant, en janvier. Les rebonds multiples et involontaires de La Monstrueuse n’ont pas fini de faire des petits.

PS : L’image de couverture est celle du n° 1, par Killoffer, 1996.

Yvang, Eczema House n°2, Gotoproduction, 2001.

1Pour ceux que ça intéresserait, voir l’intéressant entretien avec Lise Fauchereau dans Les Nouvelles de l’estampe n° 257 (2016) : « Pierre-feuille-ciseaux ou Le “je” comme expérience artistique ». En ligne : https://journals.openedition.org/estampe/435

2 Dès les débuts de Gorgonzola on retrouve des entretiens avec Mattt Konture puis Julie Doucet, passent ensuite entre les pages Blanquet, Lolmède, Anne Vand Der Linden et Yvang (qui s’installe) puis Mike Diana, Anne Pakito Bolino, Richard Suicide, Olive, Placid, Matti Hagelberg… Et dans le n° 25 à paraître arrivent Berend J. Vonk et Siris, la pokéchasse n’a donc pas cessée ??