La bande dessinée de Marion Fayolle est quasi intégralement publiée par les éditions Magnani (des pages ont pu paraître ailleurs, notamment dans Nyctalope, fanzine étudiant dont elle était membre). L’an dernier l’éditeur a publié un petit livre d’entretien avec Tony Côme : Fond perdu. Petit format, beaucoup de densité dans le propos et une forme qui m’a parfois énervée (pas de questions mais un dialogue formulé avec des interpellations de l’intervieweur, bon). Il reste que Fayolle étant une autrice vraiment intrigante et quelqu’un qui a une vraie réflexion sur son travail, même si c’est en rebond, c’était une lecture tout à fait intéressante. Pas mal de pages pourraient être retenues, mais je m’arrête sur celle-ci :
Cette tension entre le résultat final imprimé qui serait l’œuvre véritable et les originaux, qui ne serait que des traces, est une semi-banalité, elle était par exemple extrêmement bien expliquée dans L’Art selon madame Goldgruber de Mahler (qui reste un de mes livres théoriques favoris). Dans une difficulté économique forte pour les auteurs, l’artification des originaux est cependant une vraie source financière, et la prise en compte de cet élément de la chaîne (qui disparaît de plus en plus avec la création numérique) est cependant intéressante, mais on vit aujourd’hui un peu l’excès inverse de l’époque où les imprimeurs jetaient les originaux, où qu’ils servaient de coloriages à des enfants (une anecdote qu’on m’a raconté sur un auteur québécois, je crois, j’ai oublié lequel, zut). Je me souviens d’auteurs créant de « faux originaux » pour les expositions faute d’originaux sur papier, puisque le public veut des originaux, ce qui pose quand même des questions sur le sens de tout ça.
Cela m’a particulièrement frappé quand j’étais en poste à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, en charge des bibliothèques, la conservatrice jugeait important de rappeler toujours l’imprimé et le processus industriel – ce que je rejoignais – mais je voyais bien combien pour la majorité des financeurs comme des fans des raretés imprimés avaient un intérêt bien moindre qu’un original. Sans aller contre l’original absolument, c’est une incompréhension qui m’a toujours frappé, exposer la bande dessinée doit se faire en exposant les magazines, les impressions d’origines, mais aussi les films plastiques, les bleus de colorisation, pourquoi pas des éléments de gravures de planches, etc. De la même manière, il serait pertinent de réussir à conserver la BD numérique native avec ses différents supports, les calques Photoshop par exemple ou les différents fichiers natifs de sites portant la bande dessinée en ligne (je pense aux Autres gens, à Professeur Cyclope, qui sont perdus a priori).
Fayolle a un discours assez clair « l’original c’est le livre », et elle a raison. Ou à tout le moins c’est l’aboutissement, qui a de multiples strates. Paradoxalement le descriptif de son travail donne très envie de l’exposer : ces rhodoïd, des grains, parfois ces coulures et ces documents peu compréhensibles en exposition sont des objets plastiques très curieux, mais dans un ensemble. Dans le même esprit je lisais il y a peu un message de Benoît Peeters vantant sur Facebook le PAFF, le musée de la bande dessinée de Pordenone, en expliquant notamment ceci :
« la collection permanente est très intéressante aussi, avec des partis pris muséographiques inédits et réellement interactifs. L’accent est mis constamment sur le dialogue avec les imprimés. Les planches originales ne se découvrent que dans un second temps, comme autant de surprises. »
Il ne s’agit donc pas de supprimer l’original, mais de bien lier le tout, de rappeler d’où viennent les choses, et cette différence aussi, intrinsèques, entre le marché de l’art unique et la bande dessinée qui est d’abord un art de la reproduction. Il y a eu de vraies propositions sur l’exposition, et il est agréable de voir des originaux et pas juste des reproductions géantes de cases comme les premières expositions qui cherchait le gigantisme de l’art admis, mais il semble essentiel d’assumer la réalité de la bande dessinée et pas juste d’exposer de grandes planches magistrales qui seraient impressionnantes, finalement en courant de manière complexée derrière les musées de peinture.
La Musée de la bande dessinée de la CIBDI a justement acquis récemment des bleus de coloristation d’Évelyne Tranlé, complémentaires des planches déjà possédées, c’est intéressant – même s’il s’agit encore d’œuvres uniques et signées. Cela montre en tous cas cette démultiplication de ce que peut être l’original et rappelle que le choix de ce qui est précieux revient beaucoup à celles et ceux qui conserveront, feront la médiation, l’histoire…
Occasion de rebondir d’ailleurs sur la couleur, avec la conclusion de l’extrait ci-dessus du livre d’entretien de Fayolle. Elle évoque la différence entre les originaux et la reproduction – l’original pour elle – par la superposition de ses divers supports, mais aussi le grain qui disparaît, etc. Elle m’évoque des entretiens d’auteurs ou des textes de commentateurs face à des originaux se plaignant de reproductions qui n’ont rien à voir avec les originaux et les gâchent. Mais la réalité est que l’impression n’a pas à avoir la couleur de l’original, de la même manière que le RVB des couleurs sur écrans n’est pas reproductible à l’identique en CMJN (les couleurs d’imprimeries, sans exception du type pantones ou sérigraphies). Tout le travail des photograveurs (qui se perd) était bien de réussir à trouver l’équilibre de cette balance de couleur avec le degré de perte qui fait que c’est acceptable. D’autres réussissaient à anticiper cela justement dans les originaux papiers. Si l’original est le livre, il faut admettre qu’il soit juste naturellement différent. Bon il ne faut pas faire n’importe quoi non plus, et n’avoir rien à faire de la reproduction, mais il y a sans doute une certaine souplesse entre faire n’importe quoi et chercher l’absolue reproduction de quelque chose qui n’a pas à être identique.
Le mieux reste d’avoir en tête à la création que le résultat sera forcément différent, et d’admettre que c’est là que sera l’œuvre, certains créateurs ont la formation et la compétence pour l’anticiper, mais tous devraient a minima être à un moment averti que dans le naturel de cet art de la reproduction, la trahison et l’abandon fait partie du processus.
Dans ma furia d’apprentissages et d’études, je réalise cette année en parallèle de ma scolarité à l’INET et de ma fin de thèse une licence d’ethnologie à l’Université de Strasbourg. Cette licence est riche et me permet de découvrir un pan de sciences sociales qui m’a toujours intéressé sans en avoir les bases, que je tente d’acquérir. Une chose que j’apprécie dans cette formation, outre qu’elle est proposée en enseignement à distance ce qui est bien pratique pour moi, est qu’elle est assez tournée sur les questions culturelles, qui m’intéressent particulièrement en anthropologie/ethnologie, et qu’elle est ouverte à ce que ses étudiants proposent des analyses de sujets très proches d’eux, en termes géographiques ou d’intimité.
Dans ce cadre, un cours qui me semblait particulièrement intéressant à l’inscription, intérêt confirmé à la lecture, était celui d’anthropologie des cultures matérielles. Il fallait pour ce devoir analyser un objet sous son aspect matériel, j’ai choisi pour cela un mini-fanzine de Jean-Paul Jennequin, Le Mini de la semaine n° 116, paru en 2023. J’ai plutôt eu une bonne note et en suis bien content, et ça m’a donné envie d’extrapoler ce devoir en article. Pour ce devoir j’ai aussi réalisé un entretien avec l’auteur et (micro) (auto) éditeur, que je trouve plutôt intéressant pour qui aime le fanzinat dans son expression la plus modeste – et en même temps très ambitieuse par son ampleur (en nombre et en durée). Le voici donc.
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Entretien avec Jean-Paul Jennequin sur les Minis de la semaine Échange par courriel du 22 au 26 décembre 2023
Quand tu créés ce fanzine, j’imagine que tu t’inspires d’autres égozines, quelles sont tes influences et pourquoi avoir choisi ce format A6 alors qu’avec Improbablement tu étais sur un fanzine A5 plus épais ? D’ailleurs les deux ont-ils coexistés et si oui avec quelles intentions ? Improbablement et Le Mini de la semaine sont deux projets très différents. Le premier était une compilation de petites BD autobios que je réalisais dans un carnet. Il y avait donc un temps de décalage entre la réalisation et la publication (un an au début, quatre ans à la fin). Le second était un mini-comic réalisé et publié dans la foulée. Je le dessinais directement sur les pages que j’allais ensuite photocopier à 30 exemplaires dans la boutique de photocopie près de chez moi. C’était donc beaucoup plus immédiat. Quant au choix du format A6, il vient de mon amour pour les mini-comics qui a commencé au milieu des années 1980 avec la découverte de Small-Press Comics Explosion, un magazine américain consacré aux mini-comics. Dans le premier numéro que j’ai eu, Matt Feazell, le grand ponte des minis à l’époque, donnait le « patron » pour réaliser un mini-comic de huit pages. À l’époque, j’avais réalisé sept numéros d’un mini intitulé Ridicule Bidule Bleu. Revenir au mini-comic dans les années 2000, après des années à faire des fanzines solos ou collectifs qui demandaient beaucoup plus de travail (collecte des contributions, maquette, photocopie, assemblage…), c’était un retour aux sources.
Pour la question des influences, je voudrais ajouter deux choses. D’abord, enfant, j’adorais les mini-récits du journal Spirou. Plier et assembler un mini-livre, c’était merveilleux. Dès qu’il y avait un petit livre à plier et assembler, j’étais partant, que ce soit dans Spirou, dans Lisette ou dans d’autres revues pour jeunes. Vers 10 ans, je fabriquais même mes propres mini-livres avec des feuilles de papier à lettres. J’avais créé un patron pour en tirer un maximum de pages et une fois le mini découpé et assemblé, j’y collais les cases d’une page de BD, en général tirée de Spirou.
Ensuite, les mini-comics font aussi partie de ma « culture américaine » qui a commencé avec la découverte des comics Marvel, que je me suis mis très vite à lire en v.o. Et un comic book peut très bien être réalisé par une seule personne, soit de manière ponctuelle, comme les comics solos de Robert Crumb, soit de façon régulière comme le Cerebus de Dave Sim ou Yummy Fur de Chester Brown. Dans Réinventer la bande dessinée, Scott McCloud explique que tout ce qu’il y a à faire pour « entrer dans (le monde de) la BD », c’est de dessiner un mini-comic, de le photocopier et d’en donner un exemplaire à un.e ami.e. Les années 1980 et le début des années 1990 ont vu, dans le monde anglo-saxon (États-Unis, Canada, Royaume-Uni) une véritable explosion de zines A5 et de mini-comics. Il y a dans le monde anglo-saxon, surtout aux États-Unis, cette idée que l’on peut se débrouiller tout seul, sans dépendre d’une structure éditoriale, pour faire un fanzine ou éditer ses BD. Mes grosses influences sont des gens comme Matt Feazell (déjà cité), John Porcellino de King Cat Comics & Stories et Colin Upton, un Canadien de Vancouver qui a publié et publie encore toutes sortes de mini-comics, souvent autobiographiques mais pas seulement.
J’ajouterai que je déteste le terme d’« égozine ». En français, le mot « égo » a des connotations très négatives et, de plus, laisse supposer que l’on ne fait que parler de soi. Je préfère le terme anglais de « personalzine », qui recouvre tous les genres de zines réalisés par une seule personne, pas seulement des zines de BD ou des zines autobios. The Adamantine – La Gazette de Harry Morgan était un personalzine français qui ne contenait pas de BD ou de textes autobiographiques.
Les Minis de la semaine ont plus de cent-dix numéros, ils ne sont cependant en réalité pas hebdomadaires, pourrais-tu revenir sur la date de création du fanzine et les éventuelles périodes de forte production, ou de creux ? En fait, si, Le Mini de la semaine a été strictement hebdomadaire du numéro 1 (14 au 20 février 2005) au numéro 114 (16 au 22 avril 2007). Et puis, j’ai complètement laissé tomber. J’ai eu de temps en temps des velléités de refaire des mini-comics. J’ai même sorti une série de minis au format A5 qui devait durer un an, à pagination variable, dont chaque titre était une improvisation sur les lettres de l’alphabet selon le principe AA, AB, BB, BC, CC, etc. Mais je n’ai pas dépassé le numéro 13 ! Je n’ai vraiment repris Le Mini de la semaine que tout récemment, en sortant enfin un mini réalisé il y a un an (le 115) et les deux que je t’ai donnés (116 et 117).
Pourquoi dans ce cadre garder de « de la semaine » fantasmatique ? J’avais un titre, j’avais envie de le garder. Relancer quelque chose au numéro 1, ça ne m’avait pas trop réussi. Et même si ces numéros ne sortent pas toutes les semaines, j’essaye d’en réaliser un par semaine, même si je ne le fabrique pas tout de suite.
Le groupe « J’AI » a-t-il eu un rôle dans un potentiel retour plus nombreux du Mini ? Dans un potentiel retour tout court. J’avais reçu pas mal de poj’aittes, dont certaines contenaient des mini-comics. J’avais envie de renvoyer quelque chose à ces correspondants.
Quel public ont ces minis, j’imagine qu’il y a une époque où c’était épistolaire, tiens-tu une « liste d’abonnés » ou est-ce aléatoire ? Quand je les faisais entre 2005 et 2007, j’allais tout de suite donner des exemplaires à des amis libraires, près de chez moi. Je donnais les autres aux amis de passage à Paris et, parfois, je les envoyais. En 2023, je compte essentiellement sur une distribution postale, là encore à des copains, l’idée étant de leur envoyer trois minis consécutifs dans une enveloppe timbrée lettre verte.
Tu m’as donné ces derniers exemplaires en festival, quel lien vois-tu entre ces mini zines et la connexion sociale ? Cela m’a d’autant plus frappé que lors du festival en question tu as exprimé que c’était une de tes très rares interactions physiques de ces derniers temps et que, pour ma part, elle s’est quasiment limitée à ce don ce jour-là. Alors bon, la situation était un peu spéciale. Cet été s’est déclenchée chez moi une maladie auto-immune qui s’appelle la myasthénie, qui rend très fatigable. Je suis sous traitement et ça va mieux, mais je ne suis pas beaucoup sorti de chez moi, puis de mon quartier, ces derniers mois. Le SoBD était ma première sortie BD depuis pas mal de temps. Mais c’est vrai que j’ai toujours préféré donner mes minis lorsque je rencontrais les gens, souvent quand ils passaient chez moi.
Cela m’évoque un peu le zine Ça va ?, de Libens, je ne sais pas si tu connais ? Je connais ! David Libens m’en avait envoyé un paquet par poste. Il faut dire que je ne risquais pas de le croiser puisqu’à l’époque, il habitait à Bruxelles et moi à Paris. J’avais dû lui envoyer des Improbablement… ou lui en donner au Festival d’Angoulême. J’aime beaucoup son travail, que j’avais découvert par l’entremise de Nylso et Jo Manix.
Tu as une intense vie numérique, sur les réseaux sociaux, pourquoi ne pas juste publier ces BD en ligne mais bien les imprimer ? Le numérique a une existence éphémère. Publier en ligne, je le fais aussi, mais un mini-comic, c’est quelque chose de plus permanent. C’est toujours le plaisir de fabriquer un petit livre, celui que j’avais étant enfant avec les mini-récits de Spirou. Je crois que ma devise devrait être « Il faut faire des petits livres ! »
Tu pourrais faire de ces zines une simple feuille pliée, mais tu les agrafes et massicotes (manuellement ?) Pourquoi ? Un vrai mini-comic se doit d’être agrafé et massicoté. J’en reviens toujours à mon modèle américain des années 1980. J’ai une grande agrafeuse réglable qui permet d’agrafer des formats divers, je l’ai acheté quand j’en ai eu assez d’agrafer les Improbablement avec une agrafeuse normale sur un bloc de polystyrène, avant de plier moi-même les agrafes, et j’ai un petit massicot pour photographes, hérité de feu mon compagnon Pierre, dont la photo était l’un des hobbies. Ce massicot a juste la bonne taille pour massicoter un mini au format A6. Je l’ai « eu » quand j’ai commencé à vivre avec Pierre, donc dans les années 1980. Mais je crois que ce n’est que dans les années 2000 que je me suis avisé qu’il pouvait servir à massicoter des mini-comics.
Dans le processus d’envois ou de don des Minis, apprécies-tu un retour : retour sur la lecture, troc de fanzine, etc. ? Oui, mais je ne l’attends pas non plus. Souvent, les gens à qui je les donne font aussi de la BD et me donnent leur production. Ou bien, ils postent des photos des minis sur Facebook, comme les membres du groupe « J’AI ! » ou plus récemment Jérôme Gorgeot, d’Egoscopic. Mais en fait, je n’attends rien, au départ. J’ai juste envie de faire plaisir.
Chaque Mini se termine avec un tampon indiquant la date, cette marque très reconnaissable de ces « tampons calendrier », parfois pas bien appuyée, etc. C’est devenu la plus grande constante des numéros d’ailleurs, pourquoi ? Tu as un autre usage de ces tampons ou c’est uniquement à cet usage ? C’est encore la faute à Matt Feazell ! Chaque fois qu’il faisait un tirage d’un de ses – nombreux – mini-comics, il mettait la date avec un tampon. J’ai commencé à utiliser le tampon dans mes BD autobios reprises ensuite dans Improbablement. Tout naturellement, j’ai fait la même chose avec Le Mini de la semaine. Bon, cela dit, j’avais un peu laissé tomber le tampon ces dernières années et puis, il y a un ou deux ans, au détour d’une discussion en ligne, Benoît Jahan s’est avisé que je devais me remettre au tampon et m’en a offert un. Mais je ne sais pas si je vais l’utiliser comme par le passé, pour dater les « tirages », puisque désormais j’imprime mes minis chez moi, sur mon imprimante de bureau, au fur et à mesure des besoins. Par contre, je tamponne la date dans mes carnets pour savoir quand j’ai écrit ou dessiné telle ou telle chose. Je suis un enfant des années 1960 : à l’époque, il n’y avait aucun moyen de reproduction bon marché disponible. Le tampon encreur avec la date ou bien l’adresse était un objet de fascination. Il l’est resté.
Précisions du 24 décembre 2023 :
Tu allais chez un photocopieur en bas de chez toi, c’est que chose qui a en partie disparu, mais peut-être toujours en bas de chez toi. Comme tu as massicot et agrafe ça me donne l’impression que tu imprime/Photocopie à domicile désormais, tu parles d’ailleurs de tirage au fil de l’eau… Bref, ma question est de savoir si tu imprimes chez toi et si oui depuis quand ? Alors premier point : le photocopieur n’était pas juste en bas de chez moi mais tout près, boulevard Voltaire. Et il est toujours là : il s’agit de « De toutes les couleurs », un photocopieur très prisé par les étudiants en art, paraît-il. En tout cas, chaque fois que je passe devant, c’est blindé de monde, donc je n’y suis plus allé depuis 2015, quand j’avais photocopié Bulles Gaies 11. J’utilise donc pour l’impression mon imprimante HP ENVY7640. Je viens de faire une douzaine d’impressions du Mini 115 parce que j’ai encore pas mal d’envois à en faire. Donc, oui, j’imprime chez moi et pour depuis quand… ben… depuis que j’ai relancé le Mini, donc décembre 2023. Ah, non, je te dis une bêtise ! Depuis plus longtemps. Il y quelques mois, j’avais essayé de faire un mini-comic « de luxe » en colorisant l’un de mes vieux Mini de la semaine et en l’imprimant sur un papier un peu plus épais. Je les avais envoyés à mon ami Xavier Lancel, pour qu’il les vende dans sa boutique Croafunding à Lille. Finalement, cet unique numéro du Mini de JPJ ne s’est pas vendu.
Pour ta maladie auto-immune j’avais suivie mais à moitié, je n’avais pas le détail, mais je vois toute l’importance de cette « sortie » où je t’ai croisé. J’aime beaucoup l’aspect physique de la transmission de zine en direct, même si comme les échanges de courriels qui sont de vrais échanges, les échanges de zines à distance en sont aussi, mais ça a un charme. Ah oui, j’aime aussi beaucoup recevoir des zines par courrier (moins en envoyer, parce que c’est du boulot !) C’est d’ailleurs le fait d’en avoir reçu par des amis de « J’AI ! » qui m’a en partie remotivé pour en faire, comme je te le disais.
Image de chapeau : plat intérieur du Mini de la semaine n°116.
En 2022 neuvième art, revue en ligne de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, me confiait la direction d’un dossier sur Julie Doucet. Je suis encore fort reconnaissant de la confiance des deux rédacteurs en chef (Irène Le Roy Ladurie et Sylvain Lesage) et nous l’avons lancé avec quelques articles. Ensuite, le principe est que les dossiers restent ouverts, et il y a bien des articles prévus.
Seulement, après changement de site, les dossiers ont disparu sous leur ancienne forme, ça reviendra sans doute, mais cela ne fonctionne pas pour le moment. Et les liens transmis jusqu’ici ont tous changé. Bref voici donc ici un endroit ou ce dossier apparaît dans son entièreté, et j’essaierai de le mettre à jour si jamais ça rechange… et quand de nouveaux articles paraîtront, car c’est prévu !
« J’ai trop besoin de toucher, de manipuler la matière, de remuer » – entretien avec Julie Doucet, par Maël Rannou, octobre 2022. Afin de lancer le dossier, un long entretien réalisé avec l’autrice un mois plus tôt, dans son atelier de Montréal. L’occasion de revenir son ses premiers contacts avec la bande dessinée, son rapport au milieu, et son lien constat avec la création graphique et la publication.
« Une douceur charnelle de l’abondance », par Marie Bardiaux-Vaïente, octobre 2022. Paru en regard de l’entretien, ce texte a une vocation généraliste sur l’œuvre de Doucet. L’idée était de demander à une chercheuse qui soit aussi une praticienne et une militante féministe de relire l’œuvre de bande dessinée de Doucet et d’en parler comme à une consœur tout en détaillant les point marquants dans ses divers regards.
« Allers et retours dans le fanzinat : de Dirty Plotte au Pantalitaire », par Izabeau Legendre, novembre 2022. Contrairement à un propos régulièrement entendu, Julie Doucet a peut-être cessé la bande dessinée dans sa forme la plus classiquement entendue, mais n’a jamais rompu avec la narration graphique, très souvent appuyée d’une pratique d’impression, de reproduction, etc. Dans ce texte Izabeau Legendre, met la lumière sur les années de fanzinat de l’autrice après son « départ de la bande dessinée » de la fin des années 1990.
« L’Oie de Cravan, un éditeur qu’on n’attend pas », entretien avec Benoît Chaput, par Maël Rannou, janvier 2023. Lors de mon séjour montréalais, sans penser à l’origine à ce dossier, j’avais rencontré l’éditeur de L’Oie de Cravan, éditeur de poésie montréalais qui a publié nombre de livres de Julie Doucet, sans limite de forme. Il publie aussi Obom, Gigi Perron ou Michel Hellman, en autres auteurices de bande dessinée. L’échange étant très intéressant et permettant d’embrasser cette question des frontières floues du travail de Doucet, il a logiquement trouvé sa place dans le dossier.
« An english lesson », par Jean-Philippe Martin, janvier 2023. Une des classiques sections de la revue est la « planche commentée », à partir de collections du Musée de la bande dessinée, entité de la CIBDI. Le musée possède justement deux planches de la Grand Prix de la ville d’Angoulême 2022, un récit court intéressant à plusieurs titres. Outre qu’il provient de la période Dirty Plotte, sans doute la plus connue et incarnante dans la production de l’autrice, on y trouve aussi l’usage du collage, qui devient marquant dix ans plus tard quand elle s’éloigne de milieu de la bande dessinée, et une mise en scène de son « broken english ». Dans un pays bilingue où le français reste très minoritaire, sauf au Québec, elle rappelle ici combien, en naviguant constamment dans les deux zones linguistiques, elle est une des rares autrices de BD à parler aux « deux solitudes ». Le conseiller scientifique de la CIBDI à exploré ces deux belles pages dans une analyse détaillée, explorant les schémas narratifs et leur esthétique générale.
J’aime beaucoup le travail d’Appollo, excellent scénariste dont les histoires se passent la plupart du temps dans l’océan Indien, notamment à La Réunion où il réside (un entretien a été réalisé pour Du9, je ne l’ai pas encore retranscrit et Du9 n’a pas re-ressuscité, à suivre). N’allez pas cependant en faire un auteur régionaliste, mais disons qu’il raconte des histoires inscrites dans l’Histoire et des territoires où elle est souvent absente des récits nationaux.
Début 2024 (un peu avant dans l’île) est sorti son nouveau titre avec Téhem : Vingt décembre, chroniques de l’abolition (Dargaud). L’album revient sur le processus selon lequel l’abolition de l’esclavage est proclamée, puis se met en place, à travers la figure d’Edmond Albius, esclave cafre rendu célèbre pour avoir découvert, enfant, comment féconder la vanille, trésor de la richesse de l’île. En parallèle de son itinéraire personnel, le lecteur croisera Sarda Garriga, méconnu dans l’Hexagone mais envoyé de La République pour appliquer l’abolition et gouverne l’île pendant deux ans, et deux dessinateurs : Antoine Roussin et Martial Potémont. Roussin dessine, peint et a importé les presses d’imprimerie dans l’île, important paysagiste de l’île, il travaille pendant quelque temps avec Potémont, artiste parisien au dessin plus fin, dont il va reproduire les dessins (et, a priori, parfois également s’approprier le travail).
Je veux écrire une chronique de Vingt décembre et revenir sur cet album ailleurs, de la même manière que je dois écrire (après ma thèse) quelques papiers sur Potémont et les débuts de la bande dessinée réunionnaise, suite à mon stage de sept semaines à la Bibliothèque départementale de La Réunion l’an dernier. Mais retenez que Potémont est un étonnant pionnier puisqu’il réalise lors de sa venue sur ce qui est alors encore l’île Bourbon, outre une série de gravures diverses et notamment de dessins d’actualités assez féroces, plusieurs planches de bande dessinée, qui semblent laisser penser qu’il a lu les travaux de Rodolphe Töpffer.
Les quelques pages qu’il publie en 1848 dans La Lanterne magique parlent de l’esclavage, jouent du décalage texte-images et osent parfois des conclusions audacieuses – on peut feuilleter ici plusieurs récits de Potémont et Roussin, « Triomphe du magnétisme » de Potémont est notamment frappant par l’explosion finale.
Bref, je reparlerai et de l’album, et de Potémont, disons que les deux sont liés. Téhem et Appollo offrent même d’intéressantes séquences où des cases de diverses planches de Potémont s’incrustent dans l’image en regard de celles du dessinateur contemporain :
Dans cet album, soudain, un amusant échange retient mon attention. On y voit le jeune Albius rêver à sa vie d’homme libre après l’abolition. Il aurait un petit terrain et pourrait alors y exploiter la vanille. Et pour le cultiver :
Aussitôt m’est venu à l’esprit un des dessins d’actualité de Potémont que j’évoquais plus haut. L’hommage est direct et évident à qui connaît le dessin, donc passera globalement assez inaperçu. Il est intéressant de voir combien l’album mêle donc hommage directement explicite, avec extraits originaux à la clef, et références plus subtiles, avec un gag rescénarisé. Il y a peu de chance que ce soit particulièrement noté alors voici le dessin en question, titré « Les nouveaux Blancs » – surprenante, mais réelle expression utilisée pour désigner les noirs devenus libres. Le dessin est donc de Potémont, la lithographie réalisée par Antoine Roussin, l’image récupérée sur le site de l’Iconothèque de l’Océan indien qui pose des filigranes énervants et sans fondement (même si sur cette page il reste discret et que son « utilité » est encore plus absurde puisqu’on le voit à peine).
Martial Potémont reste 10 ans à La Réunion (1847-1857), il y produit beaucoup de dessins puis rentre à Paris. Il y aura une relative notoriété avec des vues de la Capitale gravées à l’eau-forte. Il n’a a priori pas fait d’autres bandes dessinées qu’à La Réunion, et uniquement durant ses premières années. On redécouvre cependant régulièrement des dessins et planches inconnues, les tirages de l’époque sont très rares, donc peut-être y-a-t-il d’autres bandes dessinées cachées à découvrir (où à jamais perdues) dans la presse de l’île de la mi-XIXe…
Ce qui reste sans doute mon meilleur fanzine (en fait ce n’en est pas un selon ma définition, mais selon celle de Léa Murawiec si, mais ça c’est dans Définir le fanzine). Et tout en couleur s’il vous plaît. Il faudrait le réimprimer (enfin l’imprimer, il ne l’ai jamais été).
Il est intéressant d’y noter la forme : une couverture, des crédits, une reliure (agrafée) et surtout un numéro. IL n’y a pas (encore) de n° 2 toutefois. C’était une collaboration avec Gwendal Rannou au scénario, mon grand frère, Les éditions L’Égouttoir étaient déjà là.
J’évoque ce récit dans un article qui vient de paraître sur Comicalités, le lien vers lequel j’envoyais sur Facebook était mort, de fait ces réseaux ne sont pas très stable, cette adresse devrait l’être plus !
Le document est daté du dimanche 27 février 1994, j’avais alors à peine 5 ans, étant né le 20 février 1989, mon frère avait (et a toujours) deux ans de plus. Il n’est pas étonnant que nous ayons dessiné ça un dimanche, car comme le dit la chanson…
Ci-dessous les pages donc, et la retranscription des textes :
« C’est la panique chez les hommes les géants a blesser tout le monde »
« Pourquoi ils ont tous peur de nous » En bas, une bulle sur deux pages : « Moi je suis petit mais je suis cap d’écraser une maison »
« Normal parce’on est des géants » « Les gens meurent un par un car les docteurs sont blessés. »
« Bientôt les géants occupent l’univers » (avec quelques doutes d’orth)
« Planète Lune » « Super un extraterestre » « Arrête de crier ou je te pète la figure »
Monstre : « Ah ah je te rattrape sacripient » Légende : « Coupe de la fusée » Humain dans la fusée : « Je l’ai échaper belle il ne va pas venir me chercher » Texte off : « L’homme ses enfuit dans sa fusée mais le géant le rattrappe et l’ecrase (on dirait un tas de feraille) »
« Alors le monste est revenu sur terre voir c’est compagnon »
« Voila, voila, votre mousse » « Ce monstre qui a tué le dernière homme est devenu empereur de l’univers des monstres »
« Apporter moi ma mousse !!!!! »
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Il y a des mystères dans ce récit, les personnages ne se reconnaissent pas toujours hyper bien, et cette histoire de mousse m’échappe. Après discussion avec mon frère et vu le dessin à base de bleu, le plus crédible nous semble que le monstre prend un bain et demande du produit pour faire du bain moussant, chose dont nous raffolions. C’est bien plus crédible que la bière à laquelle on peut penser avec « apportez moi ma mousse », car pour le coup l’alcool était plutôt absent chez nous (et ma foi, c’était pas mal).
Sur son blog, Thierry Groensteen, un théoricien avec un parcours lui donnant une place importante dans le milieu de la bande dessinée, fait un petit billet sur les fausses planches originales, à partir d’une fausse planche de Crumb mise aux enchères puis retirée. Au-delà de la réflexion générale, et de l’étonnement de voir que des experts ont pu valider la mise en vente d’une planche des 70’s de Crumb en français, ce qui est absolument délirant, il émet une hypothèse – plutôt affirmée – sur l’origine de la planche : « Selon toute apparence, ce faux aurait été fabriqué par les Canadiens qui, à une époque, avaient pour habitude de procéder ainsi quand ils “traduisaient” la production du maître de l’underground : ils la redessinaient purement et simplement ! »
Bien que travaillant depuis des années sur la bande dessinée québécoise je n’avais jamais eu vent de cette habitude. Elle est peut-être réelle dans certains cas, mais paraît surprenante pour Crumb. La figure de l’unground est en effet publiée dans Mainmise, une revue contre-culturelle québécoise, genre d’Actuel qui tisse des liens avec l’underground états-unien comme européen, de manière certes fort amateure, mais assez officielle. Si des ajouts de dessins ont parfois lieux (je n’ai pas recomparé de pages mais le 26 août 2021 sur Facebook Jean-Christophe Menu écrivait en commentaire d’un de mes posts sur le groupe J’AI ! que les adaptations étaient aussi graphique : « genre rajouter une tête de mort Hell’s Angels dans le ciel ! ») la revue possédait une autorisation de republication, après avoir adhéré à un syndicate de la presse underground US, et n’avait pas vraiment de raison de tout redessiner au-delà de quelques petits gags ici où là. Une pratique qui est déjà une drôle d’idée, mais Maimise reste une revue contestataire qui ne respecte rien, c’est bien normal !
Pour en revenir à la planche, j’ai partagé rapidement l’information à des amis québécois spécialistes de la bande dessinée qui ont été très surpris de cette affirmation de Thierry Groensteen. De fait, aucun texte ou source reconnue n’indique cette « habitude » du recopiage de planche pour aller plus vite (qui, quand même, pose question).
Plus précisément, observer la planche incriminée confirme que cette affirmation est fausse, au moins dans ce cas. Les traductions de Mainmise sont extrêmement marquées dans le vocabulaire, la couverture du deuxième recueil de Crumb au Québec (1972 selon la BAnQ) affiche d’ailleurs fièrement « Adapté en québécois par Raymond Lavallée » – j’en profite pour remercier Placid d’avoir posté la photo de ces deux volumes, que j’utilise en couverture de cet article.
Et de fait, dans Mainmise le récit en question s’appelle « Blancmanche » (pour Whiteman en VO) et non « Blanchot », si les deux titres ont été redessinés il ne s’agit clairement pas des mêmes pages. Il y manque certains détails de bords de la fausse planche, qui pourraient être une simple question de maquette, et le dessin diffère un peu, on trouve aussi dans la fausse planche un sous-titre « Progressiv… ». Surtout, texte est aussi très différent : « “Visez-le !… … L’est au bord de la dépression…” » dit le début du récitatif quand sur la planche de Mainmise on peut lire « Pov’ Blancmanche est ben’ down’ », ce qui est quand même singulièrement différent.
Mais après tout, qui sait, il s’agit peut-être d’un faux québécois de Crumb tout autre ! Ce serait quand même une drôle d’idée quand on peut photocopier une version existante mais allons-y. Dans cette histoire, que la fausse planche propose en une grande version très tassée alors qu’elle est connue en anglais et dans l’édition Mainmise sur bien plus de pages, les cases 9 & 10 donnent des éléments assez clairs sur l’origine. Ce n’est pas le cas de toutes les pages de l’auteur, mais par un heureux hasard il s’avère que dans cette histoire le personnage fait soudain une déclaration de ferveur nationaliste. En effet, il s’exclame dans là VO « I’m american » puis « A citizen of the United States ! »
En pleine « Révolution tranquille », qui marque le réveil et l’affirmation du peuple québécois, le texte traduit par Lavallée en joue donc et transforme la déclaration en cohérence avec la scène locale : « Je suis un Québécois ! » « Un citoyen du Khanada ! ». Le fédéralisme états-unien est transposé à celui du Canada, de manière assez simple. Le drapeau prend le fleurdelysé québécois.
Et que nous dit la fausse planche ? La qualité n’est pas terrible, je n’ai pas mieux, mais la transposition est typiquement européenne : « Je suis un Français ! » « Un citoyen de l’Europe-Unie ». Le drapeau est bien tricolore (avec un machin au milieu que je ne distingue pas).
Il y a donc fort à parier que la fausse planche soit parfaitement française, et bien plus récente que des années 70. Savoir d’où elle sort et sa date réelle est un autre sujet, sur lequel je n’ai aucune compétence. Mais il paraît clair que dire qu’il s’agit d’une habitude, peu attestée faisant penser qu’il s’agit forcément des canadiens, alors que les éléments textuels indiquent clairement la France, à la rigueur l’Europe, est aller un rien vite en besogne.
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Pour en revenir à Mainmise, si Crumb publie dès 1967 en France en couverture du premier numéro d’Actuel (sa première publi française est même a priori antérieure), magazine qui publie un premier album en 1974 sous forme d’un hors-série, les deux albums des éditions Mainmise ont été publiés dans une édition européenne dans la foulée (aucune date n’est indiquée,). La première édition possède une couverture différente, tout en gardant le titre – pourtant peu porteur dans nos contrées – Les Comix de Mainmise.
J’aurai pensé l’édition pirate, car à part cette couverture, elle reprend sinon la préface et la traduction québécoise. Il existe peut-être des nuances que je ne peux pas chercher. Le volume 2 est lui absolument identique en apparence, le « adapté en québécois » est en couverture, tout comme un prix en dollar. Seule différence avec l’édition québécoise : comme sur le premier volume un éditeur est mentionné « Éditions des Egraz – Yverdon ». Yverdon est une ville Suisse francophone et nous pourrions avoir un étonnant objet en termes de circulation : publication pirate (ou non) d’un comix Étatsunien traduit en français québécois mais diffusé en Europe par un éditeur suisse. Bon, si ce qui est écrit sur la couverture est vrai, je n’en sais trop rien car je n’ai pas enquêté sur l’éditeur (une rapide recherche fait surtout ressortir les Crumb), et ça aurait pu être un mensonge pour brouiller les pistes, mais comme les deux volumes sont bien présents dans le catalogue de la bibliothèque nationale suisse avec une adresse (une boite postale) et une date (1973, ce qui en ferait donc le premier album de Crumb en Europe puisque celui d’Actuel paraît l’année suivante), cela laisse bien penser à quelque chose de déposé à peu près officiellement.
MAJ IMPORTANTE : Rolf Kesselring, éditeur suisse bien connu de pleins de choses étranges dont de la BD underground et la première revue de mangas en Europe, a créé sa librairie « La Marge » à Yverdon en 1970, il serait bien probable qu’il soit l’éditeur en question. Il a d’ailleurs publié un album de Crumb, Crumbland, sous son nom en 1975, toujours à Yverdon. (merci JC Menu pour l’info)
Merci à Placid, Jean-Christophe Menu et à mes informateurs rigoureux de la page « La bande dessinée québécoise », particulièrement Francis Hervieux et Richard Gendron.
Le groupe Facebook réussi bizarrement à exister, en changeant un peu son but, avec des défis, des jeux… Le dernier en date est un fanzine hommage à Placid et Muzo, série involontairement quasi surréaliste de Nicolaou. Un gabarit de 4 cases égales, typique des poches, a été fourni et la contrainte était de dessiner un gag rapidement, en 4 minutes. Bon en réalité tout le monde a quasi fait plus, mais enfin cela fait un fanzine avec plus de 70 participations, des gags et une version papier sur le stand J’AI/L’Égouttoir en janvier.
J’ai pour ma part dessiné un gag, mais aussi un jeu, fidèle à la répartition « 100 gags/100 jeux » des poches sauf que bon, on n’a pas ce nombre. Bref, voici en exclu mondiale (wouhou) le jeu, qui fut mon dernier dessin de 2023. Le gag et le reste dans le zine !
Illustration de couv : Publicité sur le fanzine, dessin de Vincent Vanoli.
Après la rencontre avec Julie Delporte, deuxième volet des comptes-rendus de rencontres québécoises au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême ! Il s’agit encore d’une autrice de chez Pow pow, mais qui venait alors de sortir son premier livre.
Dans la pow
Entre 12h et 13h le vendredi 27 janvier 2023, à la suite de la très poétique et militante rencontre avec Julie Delporte, et toujours dans ce petit espace décloisonné du Nouveau Monde, les festivalier.ère.s d’Angoulême ont eu l’heureuse opportunité de rencontrer Eloïse Marseille, jeune autrice québécoise, illustratrice, peintre murale et tatoueuse.
La jeune artiste, aux média multi-matières, venait + particulièrement parler, dans le cadre de cette rencontre avec Sophie Gindensperger, de sa 1ère bande dessinée, récemment parue, Confessions d’une femme normale (Pow Pow, 2022). Tissant elle aussi le fil de l’autobiographie, à sa manière propre, pleine de clarté et de jovialité, l’œuvre raconte une relation au corps, cisaillé entre les filets d’une honte liée à la sexualité, et ce que ce tabou crée de solitude en nous plaçant dans un rapport conflictuel à la normalité.
Sophie Gindensperger, qui animait la rencontre, a dans un premier temps proposé à l’autrice de se concentrer sur les objectifs intimes de ses Confessions, qu’elle a interprétées comme une mise à nu de son cheminement amoureux trébuchant. Le concédant volontiers, Eloïse Marseille a alors défini son œuvre comme une expérience d’écriture thérapeutique et libératrice, qui l’aide, – ce qu’elle espère aussi pour son lectorat -, à se construire et se reconstruire affectivement. L’artiste a en effet évoqué à cette occasion les relectures qu’elles avaient faites de ses journaux intimes écrits durant son adolescence et la compassion qu’elle avait alors éprouvée pour son moi passé, émotion qui a nourri chez elle un désir de partager un vécu qui a pu être pesant, et quelquefois aussi, embarrassant, avec quelques expériences sexuelles cocasses.
Cette observation a amené l’autrice à réfléchir à l’inexistence de son éducation sexuelle, qui a fait qu’elle a découvert son sexe à 22 ans. Sans mots usuels pour exprimer, toute jeune fille, ces papillons dans le poupou qui s’éveillaient soudainement en elle, – image que je trouve d’un imaginaire merveilleux et que l’autrice lit comme la preuve de l’absence de cette éducation -, Éloïse Marseille a révélé qu’elle avait alors très tôt accordé au dessin une fonction masturbatoire – fonction aussi précisément, j’ai alors pensé, de langage. L’artiste a par ailleurs regretté qu’en raison de cette absence de transmission des mots, ces apprentissages sexuels si essentiels soient finalement pris en charge par la pornographie mainstream, qui en déplace les réalités plurielles et les enjeux. Expression dont les images gâchent beaucoup la relation d’un individu à sa propre sexualité, cette instance éducative improvisée expose en effet une représentation très violente de la sexualité, à l’inverse d’une pornographie féministe, mais d’une réception + confidentielle et le fait de petites boîtes de production avec une caisse de résonance à portée limitée. L’autrice est alors revenue sur les injonctions qui avaient pesé sur son regard de jeune femme et ce désir, très fort, mais qui lui venait donc d’ailleurs, d’être par exemple vue comme formant un couple avec son compagnon. Aussi ce regard décentré a-t-il donc dû être déplacé et délégitimé pour permettre l’avènement d’un regard + libre et serein sur ces questions, et qui est un processus toujours en cours.
Ce regard nouveau, à la fois tendre et qui proteste, a amené l’animatrice à aborder conjointement la question des étapes de la création et celle de la réception de l’œuvre, devant ce geste de dénuement lucide et souriant qui s’y exprime. D’abord, Éloïse Marseille a précisé que le 1er ton recherché pendant l’écriture avait été celui de la légèreté, mais que le livre avait finalement pris une autre tournure. Ce moment de la rencontre dit bien pour moi l’énergie intrinsèque des textes, qui est telle qu’ils échappent quelquefois à leurs auteurices en elleux-mêmes, comme pour vivre de leur vie autonome – témoignage délicat aussi à mes yeux, dans le cas de l’écriture autobiographique, d’une progression toujours en cours du moi qui s’écrit. Cette vibration de ce moi qui s’écrit et qui change en s’écrivant se lit aussi dans la construction de ces Confessions, que l’autrice perçoit comme décousue, car elle n’en avait de fait pas du tout prévu la densité. Éloïse Marseille s’est par ailleurs émue de la réception de son œuvre par des hommes : plusieurs lui disent en effet se sentir beaucoup vus dans ses Confessions, ce qui m’a laissée à la fois curieuse et songeuse, surtout après que l’artiste a reconnu qu’elle avait beaucoup de mal à dessiner les garçons, sa théorie étant qu’une intimité quotidienne avec le corps est nécessaire pour savoir dessiner celui-ci. Ainsi donc d’après l’artiste invitée, on dessine mieux les filles quand on est une fille et les garçons quand on est un garçon. Le regard le + émouvant pour moi reste cependant celui de sa mère : Éloïse Marseille était persuadée que celle-ci n’allait pas aimer son livre mais apprendra à la salle que sa mère a en fait été une lectrice enjouée et compatissante et qui a, à l’occasion de la lecture des Confessions de sa fille, pris conscience de tout ce qu’elle ne lui avait pas appris et qui retient de cette œuvre qu’elle aurait aimé être + présente – témoignage là aussi sensible à mes yeux de ce que l’écriture peut permettre de rétablissement de liens que l’on pensait, sinon rompus, du moins, et sans vraiment de bruit pour en appréhender les cassures, ébréchés.
En l’occurrence, demandera en conclusion Sophie Gindensperger, de qui vient ce goût de l’exploration de la sexualité féminine et comment l’autrice invitée tisse-t-elle des liens entre ses.ces univers artistiques ? Place-t-elle par exemple son œuvre sous le patronage de la maîtresse de cérémonie de cette 50e édition du festival, Julie Doucet ? Si elle partage cet entrain dans la découverte d’une intimité féminine et aussi dans la pluralité des approches artistiques, Éloïse Marseille ne pense pas s’inscrire dans le sillage de l’autrice, dont elle ne découvre l’œuvre que depuis peu, et ne pense pas + largement s’inscrire dans une lignée, même si elle reconnaît que cette incapacité à se situer vient sans doute du syndrome de l’imposteur, particulièrement développé chez les autrices. Toutefois, elle reconnaît après réflexion certains modèles inspirants, telles que Cathon, également publiée chez Pow Pow – d’après elle éditeur qui fait vraiment confiance à ses autrices dans leur développement d’une parole singulière -, et Mirion Malle, avec en particulier C’est comme ça que je disparais (La ville brûle, 2020), qui résonne avec une autre très belle rencontre du festival, consacrée à l’enveloppe corporelle dans la bande dessinée féminine. Éloïse Marseille s’est dit aussi pour terminer très impressionnée par les œuvres de Brecht Evens, et + spécialement par son travail de manipulation de l’espace, qui est pour elle un sujet familier, notamment, j’ai pensé, en tant que peintre murale et tatoueuse, approches qui offrent nécessairement des étendues de création très différentes. Éloïse Marseille apprendra d’ailleurs à la salle qu’avec un trait particulièrement graphique et aussi beaucoup d’humour, elle s’essaie à inclure la bande dessinée dans sa pratique du tatouage et ainsi à assurer une continuité entre ces différents espaces de création : une poétique, finalement, d’un peau à peau, qui enseigne et permet une intimité étroite entre les arts, mais qui donne aussi par là même un nouvel espace, et donc apprend, à sa manière, la liberté.
Dans le cadre de ma formation d’élève conservateur territorial des bibliothèques à l’Institut national des études territoriales, nous avons un cours obligatoire de « Valeurs de la République » et devons produire un document sur une valeur parmi toute une liste. Nous avons ainsi décidé de nous pencher sur l’exemplarité et de produire une « charte de l’anti-exemplarité » qui ne quittera sans doute jamais quelques tréfonds de la formation interne des grands écoles (c’est un tronc commun inter-école). Alors pour la mémoire qui n’en mérite pas tant, mes trois dessins illustrant trois de ces exemples de « non exemplarité ».
Le FIBD 2023 a été riche pour la bande dessinée québécoise, forcément puisque sa présidente était Julie Doucet. J’ai pu, à titre personnel, animer une rencontre avec elle, Obom, Marc Tessier, Siris et Julie Delporte, c’était particulièrement fort et émouvant. Mais le festival a accueilli nombre d’autres rencontres, parfois plus intimes dans leurs espaces, avec des autrices (en l’occurrence) plus émergentes. Travaillant pour la CIBDI je n’ai pas pu y assister mais Natacha Czornyj-Béhal, petite reportrice qui commence à être repérée dans les travées des festivals où nous nous promenons, les a pris en note. Et ces comptes-rendus me sont directement utiles pour ma thèse (dont la rédaction explique une relative absence ici), j’imagine sans mal qu’ils puissent l’être pour d’autres. Voici donc le premier, qui revient sur une rencontre avec Julie Delporte, dont j’ai déjà plusieurs fois parlé ici et dont je reparlerai sans nul doute encore ! Suivra un autre compte-rendu, avec Éloïse Marseille cette fois (publiée chez le même éditeur).
Un corps à soi.e
Entre 11h et 12h le vendredi 27 janvier 2023, 2ème jour de la 50e édition du FIBD, la déjà si fiévreuse ville d’Angoulême accueillait au Forum ouvert et vibrant du Nouveau Monde l’autrice Julie Delporte, artiste française expatriée au Québec aux expressions multidisciplinaires.
Cette rencontre, animée par François Poudevigne, était en particulier tournée vers le dernier album paru de l’artiste, entre autres dessinatrice, graveuse et céramiste, en janvier 2023 pour la France, Corps vivante, et + largement, vers la texture autobiographique de ses créations. Corps vivante a dans ce sens d’emblée été inscrite dans le sillage de Moi aussi je voulais l’emporter (Montréal, 2017) et du Journal de l’autrice, d’abord édité chez L’Agrume (Paris, 2014 – Koyama Press, Toronto, 2013), éditeur de littérature graphique & jeunesse, puis aux éditions Pow Pow (Montréal, 2020), fondées par l’auteur Luc Bossé.
Mi-récit mi-essai qui retrace un moment de la sexualité de l’autrice, « la ligne de [s]on devenir lesbien », Corps vivante continue d’épaissir le trait du Journal, fil de funambule sur lequel l’intime reste résolument politique, – articulation définie à l’occasion de cette rencontre comme proprement féministe -, et ainsi, comprend toujours une part de risque. En l’occurrence, cette couleur militante trouvait pleinement sa résonnance dans cette 50e édition du festival, placée sous le patronage prodigieusement foisonnant et dynamitant de Julie Doucet, définie comme une des premières autrices à avoir dit que le milieu de la bande dessinée était un univers machiste. Cette rencontre avec Julie Delporte a ainsi permis de réfléchir aux relations entre les œuvres autobiographiques de la jeune autrice, situées entre continuité et discontinuité, mais aussi à l’incidence créatrice de ses mères et sœurs dans l’écriture. En effet, Julie Delporte s’est très tôt dans cette rencontre affirmée dans son besoin de récits des autres pour se construire et comme créatrice de livres qu’elle aimerait elle-même lire. Son statut d’autrice n’a donc jamais été très loin dans son discours, de celui, profondément humble et nourrissant, de lectrice – fonction aussi assumée dans le cas de son œuvre par Mirion Malle et l’autrice du Drap blanc, Céline Huyghebaert.
Replaçant Corps vivante dans sa pleine dimension autobiographique, François Poudevigne a d’abord envisagé l’autobiographie, non pas uniquement comme contenant du résultat d’une construction individuelle, mais comme lieu où peut justement se faire cette construction. Aussi la question a-t-elle été pour commencer de savoir si Corps vivante avait participé de cette élaboration personnelle. En l’occurrence, si Julie Delporte a d’abord pensé Corps vivante comme réponse à une volonté d’explication, – alors que les pages de Moi aussi je voulais l’emporter seraient davantage performatives -, l’autrice considère aujourd’hui que le processus d’écriture de cette œuvrea aussi joué un rôle dans sa construction personnelle. + particulièrement, si elle se dit affranchie de cette injonction à être une femme telle que les canons l’imposent, l’écriture de Corps vivante l’a aussi amenée à s’interroger sur son identité queer, comme s’il n’était décidément pas possible d’échapper au sentiment d’imposture. L’écriture autobiographique est par conséquent apparue à l’occasion de cette rencontre, aussi belle que nécessaire, dans sa vertu autant euristique que réparatrice.
C’est alors que s’est posée logiquement la question de la facture de l’œuvre, et en particulier, de son genre et de sa langue. L’autrice a alors défini Corps vivante comme relevant de l’autothéorie, et s’est par là-même située dans la lignée de l’autrice des Argonautes (2015), Maggie Nelson, qui utilise ce mot-valise pour désigner une forme de non-fiction qui mêle autobiographie et théorie critique. Aussi la question de l’accord au féminin dans le titre, qui finit par l’emporter, a-t-elle à nouveau articulé l’intime au politique et au critique. Si cette position militante par la langue n’était pas pensée à priori par l’autrice, celle-ci reconnaît le sens de sa présence, même si ce choix ne trouve pas forcément dans l’absolu le même écho selon les publics. En effet, l’écriture inclusive et épicène avance bien au Québec, à l’inverse de la France, où on sent une résistance, même si Julie Delporte ne perçoit aucune différence marquée entre les réceptions de son œuvre en Amérique du Nord et en Europe.
François Poudevigne a ensuite interrogé ce paradoxe de l’œuvre, qui écrit sur la violence tout en relevant d’après lui d’une écriture de l’équilibre et de la sérénité : a-t-il donc fallu négocier avec la colère ? Si elle affirme que l’écriture s’est développée sans colère, Julie Delporte a conscience que le discours familial a amuï sa parole, qu’il s’est alors agi avec cette œuvre de réinvestir pour pleinement la faire vibrer. Il demeure que c’est non lors de l’écriture mais lors de la relecture de son texte qu’elle s’émeut de ce qu’elle a vécu et qui fait qu’elle pense beaucoup à la réception de ses œuvres, qu’elle souhaite bénéfique et thérapeutique. Cette réflexion sur une reconquête nécessaire par la langue et la voix a été l’occasion de référer à la réflexion de Monique Wittig sur le male gaze, qui évoque le fantasme masculin du lesbianisme comme l’ultime récupération car fait d’une invasion par les hommes d’un lieu où ils ne sont précisément pas. Il s’agit donc avec cette œuvre de récupérer et un espace et un corps.
Cette réappropriation du corps et de sa vitalité propre s’est aussi nourrie au sein d’un travail graphique qui pourrait être dit d’absorption. En effet, Julie Delporte avait d’abord commencé pour Corps vivante à dessiner des tissus, à mon avis motif à même d’exprimer la porosité des matières qui s’imbibent, comme c’est le cas de la langue, nécessairement imprégnée et nourrie d’une position face au monde. Finalement, Julie Delporte a fait le choix de redessiner des photographies, en particulier beaucoup de paysages et de végétaux, et ne savait pas vraiment quelles images iraient avec quels mots. L’autrice voit ainsi dans Corps vivante un film expérimental, inattendument performatif, dans lequel les mots agiraient comme une voix off. La reconquête du corps par le végétal est passée + spécifiquement par l’emploi d’un certain type de crayon, très gras et sensuel, qui apparaît à l’autrice comme un corps dans le dessin. Aussi, si son Journal développait l’esthétique du carnet en se fondant sur la pratique du collage, Corps vivante est le fait d’une autrice + confiante dans sa capacité à dessiner et la capacité de son œil à regarder le monde et appréhender le vertige prodigieux de ses détails, et + avancée encore dans sa reconstruction individuelle.
Profondément soucieuse de la réception que l’on peut faire de son œuvre, Julie Delporte apprendra à l’audience à la suite d’une question posée par une auditrice, que c’est parce qu’une enseignante ne pouvait pas faire étudier à sa classe Corps vivante, une œuvre sans pagination, qu’elle a finalement décidé d’y introduire cette convention pour en permettre l’étude. Ainsi donc, si Corps vivante rompt quelque peu avec l’esthétique du carnet et de ses traces de doigts et de scotch caractéristiques du Journal et de Moi aussi je voulais l’emporter, l’œuvre porte malgré tout l’empreinte de ses lecteurices et reste donc, elle pourtant déjà si intensément créative, un drap blanc à toujours sculpter et graisser de couleurs, pour reprendre, chacune, et dire le corps qui nous appartient.
Toutes les images (hormis le bandeau avec les couvertures) sont extraites de Corps vivante, Pow Pow, 2022.