Au détour d’un intéressant article du Devoir (le grand quotidien plutôt pro-indépendance et de gauche au Québec) sur la surreprésentation des ultra-riches dans les séries télévisées, où la sociologue Julia Posca (qui travaille pour l’IRIS, passionnante structure anti-orthodoxie libérale) donne de pertinentes analyses, cette sentence, de la plume du rédacteur Stéphane Baillargeon :
« Glass Onion ou Squid Games noircissent le trait au possible et donnent aux milliardaires des allures de méchants de bande dessinée. »
On a lu bien pire sur la bande dessinée, pourtant ça m’a un peu chiffonné. L’auteur parle d’actes immoraux, souvent accompagnées de postures et de faciès qu’on imagine bien, j’ai en tête les masques de Squid game d’ailleurs. Rien de bien violent pourtant, il s’agit là de parler des méchants caricaturaux à la Olrik, M. Choc ou Pat Hibulaire, de ceux qui vont détruire le monde d’un grand rire. Encore que M. Choc a un casque alors on ne sait pas, et Olrik est plutôt séduisant, César dans Astérix n’étant pas laid non plus.
A vrai dire, un des méchants les plus iconiques dans mes lectures (je ne prétends pas que ce soit universel) est sans doute Angel face, dans Blueberry, mais certes [SPOIL] il s’enlaidit à la fin.
Dans les comics je vois bien les méchants monstrueux – salut à Double face –, je comprends bien l’image choisie. Et en vrai, il y a plein de méchants Franco-belges au faciès repoussant aussi, pas de soucis. Des méchants vraiment caricaturaux, vilains et tout – supers-vilains est d’ailleurs le nom donné aux adversaires des super-héros tiens.
Ce qui m’étonne n’est pas un problème de fond plutôt qu’une surprise. Fondamentalement la bande dessinée n’a rien inventé, elle a repris les faciès et usages graphiques des méchants de l’illustration pour enfants, de la caricature politique, du dessin d’opinion, etc. Ce sont de vieux procédés pas tant liés au « méchant de bande dessinée » qu’à la représentation imagée du méchant – avec ce que ça a d’ailleurs de problématique avec le mix qu’il peut exister entre une imagerie iconographique du méchant et une imagerie antisémite du juif, mais autre sujet.
Une représentation commune, historique, ancrée, qu’on retrouve dans la « culture populaire » à laquelle appartiennent généralement bien plus les séries à succès que les BD à succès (hors Astérix une BD franco-belge à succès touche toujours un public relativement modeste comparée à un film à succès). Ces riches caricaturaux et méchants de séries (aux physiques plus ou moins agréables, comme ceux de BD) ressemblent donc à des méchants de séries avant tout, puisant aux mêmes sources de la bande dessinée.
Spécifier ici la « bande dessinée » a donc sans doute malgré tout un usage dépréciatif, des méchants pas très sérieux, pas très finement observé, contrairement à ceux habituels dans les séries ? Mmouais. De toute manière Squid Game n’a jamais prétendu raconter une histoire vraie ni faire du reportage sociologique.
Bon, rien de grave là-dedans, mais un micro-énervement : en 2022 était-il bien nécessaire d’aller chercher la bande dessinée pour dire ça ?
Bandeau : Tim Sale et Jeph Loeb, Batman: The Long Halloween, DC comics, 1996.