En train, je lis souvent des magazines Disney, fidèle à cette phrase du futur Goncourt Didier Decoin(coin) déclarant dans Haga « Savoir lire, parfois, c’est aussi oser grimper sur le dos d’un canard qui porte un béret de marin. »
Si Picsou magazine a ma préférence je me laisse parfois aller à Mickey Parade, devenu Mickey Parade Géant, j’imagine par rapprochement avec Super Picsou Géant, le « parade » étant désormais minuscule entre les deux autres mots. Cela me rappelle un peu Vaillant devenu Vaillant le journal de Pif avant sa transformation en Pif Gadget, disons que je ne serai pas surpris qu’un jour l’épais magazine devienne Mickey Géant tout court.
Un Vaillant de mars 1965 peu avant sa transformation en Vaillant le journal de Pif (ici n° d’août 1966) puis en Pif Gadget (ici le n°1, février 1969)Le premier Mickey Parade (1966), un de mon enfance (1998) et celui dont je vais parler (septembre 2022)
Étudier MickeyParade, et les productions presse Disney en général, serait un sujet passionnant, encore trop peu défriché, laissant souvent l’étude du catalogue et de son patrimoine aux journaux eux-mêmes (via des hors-séries, voire des ouvrages anniversaires, etc.). On oublie souvent en étudiant la presse de bande dessinée combien ces titres restent parmi les plus vendus – d’où le « Top vente » un peu surprenant dans le coin haut gauche des Mickey Parade Géant récents. La chose est aisément vérifiable puisque les tirages et ventes du journal est certifiée par l’ACPM, qui nous montre que malgré une petite baisse le magazine reste vendu à plus de 46 500 exemplaires, ce qui en fait le 139e titre le plus vendu tous genres confondus dans le palmarès 2021-2022. Pas mal du tout et une belle position en jeunesse Picsoumagazine est 81e, Super Picsou Géant 94e, LeJournaldeMickey 103e et Mickeyjunior (méconnu) 116e. Bayard devant un peu en presse jeunesse mais ça reste une très belle performance pour le groupe Héritage (qui possède les titres Disney).
Si je m’emballe à regarder ces chiffres, ce n’est pas du tout le sujet de ce post. Profitant d’un voyage en train j’achète et entame donc le Mickey Parade Géant n° 390 dont le récit central, annoncé en couverture, est « L’Odyssée du Dingo-Tiki » (Ivan Bigarella et Sergio Cabella). J’avance dans cette aventure et tombe soudain sur cette page :
Page 60 du numéro
Il s’agit assez évidemment d’une annotation de rédacteur indiquant un oubli dans la traduction, chose assez courante quand on gère l’édition d’un journal. Le voir imprimé l’est un peu moins. Si cette erreur, qui reste sans gravité, se repère, je m’amuse de sa curieuse place. Alors que Dingo regarde l’immensité du ciel, il discute avec Mickey qui le trouve poète. La dénégation de Dingo résonne étonnamment juste avec la réponse « Manque traduction », comme si la poésie lui était définitivement cryptique, incompréhensible, dans une langue étrangère. Il manque à Dingo la langue poétique nous dit Mickey Parade Géant, en donnant un bel exemple d’une erreur créant du sens. On imagine que le secrétaire de rédaction s’est fait tancer pour ça, j’aimerais pour ma part saluer cette personne qui, par cette bourde qui n’a au fond fait de mal à personne, a multiplié le potentiel poétique de la page.
PS : Montrant cette page à mon ami Jean-Paul Jennequin, traducteur régulier de récits Disney, et notamment dans ce numéro, il m’indique ne pas l’avoir traduit. Je le savais, le traducteur crédité est Laurent Laget, mais je retiens une chose fascinante : il a aussitôt reconnu ne pas être le traducteur, car lui ne laisse pas les « Yuk yuk » mais les transcrit autrement. S’en est suivi une discussion sur la non-harmonisation de la traduction certaines onomatopées Disneyien, autre chose à explorer, si le cœur vous en dit !
Dans la série des entretiens préparatoires, une courte série de questions à José Jover, membre d’Anita Comix, qui a publié dans beaucoup d’endroits dans les 80’s et notamment dans Pif Gadget, avec Aziz Bricolo. Envisagé pour mon livre à paraître chez PLG (Pif Gadget et le communisme) dans quelques mois, j’ai reçu ces réponses il y a quelques semaines, alors que la maquette du livre est bouclée ! Très souvent, le camarade Jover répond à mes questions en développant autre chose, d’imprévu et de tout de même fort intéressant ! C’est l’occasion de parler de bande dessinées, d’édition (José Jover a lancé Tartamudo), du nouveau Pif Gadget et de militantisme, un terme qui – chose rare – n’effraie pas notre invité !
Avant de collaborer avec Pif Gadget, en étiez-vous lecteur ?
Oui bien sûr et aussi de son ancêtre Vaillant !
La série Aziz Bricolo est signée avec Boudjellal et Larbi, vous formiez ensemble un groupe nommé « Anita Comix », souvent présenté comme le premier atelier d’auteur de BD issu de l’immigration. Pouvez-vous présenter un peu ce que vous voulez dire par là et comment la série Aziz Bricolo est arrivée dans Pif Gadget ?
Aziz Bricolo est né d’abord dans le magazine du syndicat national des instituteurs Virgule (1981). J’avais pris rendez-vous avec la rédaction, dont le rédacteur en chef était PEF : auteur Jeunesse célèbre avec son Prince de Motordu mais à l’époque il n’avait publié qu’un seul album Jeunesse : Moi ma grand-mère (La Farandole, 1978). Pef, est devenu un ami très proche aux cours de toutes les années qui ont suivi.
Puis, j’ai dit à mes deux acolytes d’Anita Comix, Farid Boudjellal et Roland Monpierre de se joindre à moi pour ce journal, nous avons donc créé « Aziz Bricolo » pour Virgule. Nous avons commencé à travailler ensemble avant Aziz, avec un personnage que j’avais créé à la fin des années 1970, « Raymond Lafauche » : un pervers sympa et voleur, dont l’occupation principale était à base de gags sur le vol et sur une page ! (courrier des lecteurs bien gratiné d’ailleurs : ils adoraient ou détestaient !). Entre Raymond (qui était le prénom de mon beau père à l’époque) et Aziz, l’aventure a duré deux bonnes années, à raison d’une ou deux pages par mois, d’abord avec Raymond puis avec Aziz : ce dernier était une volonté de Pef qui voulait une série sur la diversité.
Bien plus tard (1987-1988 par-là…), j’ai proposé une autre série BD (Salséro) à Anne-Marie Schropff qui était rédactrice en chef de Pif Gadget, à l’époque encore sise rue du Faubourg Poissonnière. C’était aussi le siège des éditions VMS Vaillant-Miroir du Sprint ET la Farandole, j’avais commencé pour eux un album Jeunesse avec André Igual à l’écriture : La Vie privée des Monstres. C’était encore à la demande de Pef, directeur de collection, mais La Farandole et VMS ont fermé la boîte, avant que ça ne sorte. J’ai ai fait la toute première publication chez Tartamudo des années plus tard, en 1995.
Édition des Fictionnettes de 2004.
Nous avons passé plus d’un an dans des réunions de rédaction, tous les mois chez PifGadget (dernière formule coco historique), dans lesquelles participaient des auteurs comme nous, des repreneurs de personnages de Pif (Yannick avec Hercule), mais aussi des anciens très connus de notre milieu, comme Alberico Motta ou François Corteggiani. Anne-Marie m’a proposé de faire une série comme LaRibambelle, de Roba, alors j’ai pensé reprendre Aziz, mais ce coup-ci sans Roland Monpierre, parti pour d’autres aventures. Ce sera donc avec Larbi Mechkour au dessin et couleur, je l’avais connu à la radio libre « Carbonne 14 » au début des années 1980, et présenté à Farid, avec ils ont fait LesBeurs (Albin Michel, 1985).
Avez-vous, avec votre groupe Anita Comix, ciblé ce journal en fonction de ses valeurs revendiquées ? Ou avez-vous été contacté pour ces mêmes raisons ?
J’ai créé la rencontre d’« Anita Comix », chez moi au Kremlin Bicêtre (1981), et trouvé le nom à cause d’un 33 tours que j’avais sous les yeux à mon atelier à ce moment-là, un disque d’Anita Ward (Ring my bell). Roland Monpierre, que j’ai connu aux Beaux Arts de Paris (octobre 1975, c’était l’un des rares artistes noirs !), et Farid Boudjellal, ami d’enfance de Toulon, ne se connaissaient pas, et lorsque nous avons lancé « Anita comix » nous ne savions pas que nous avions créé le concept Black Blanc Beur ! Je me suis dit aussi, que les rédacteurs en chef préféreraient imaginer voir débarquer une belle sud-américaine, plutôt que trois poilus issus de l’immigration ! Et ça a marché, comme quoi… Plus tard, nous avons participé à la naissance de SOS Racisme dont les leaders étaient des sous-marins du PS, Harlem Désir (choisi pour son nom !) et Julien Dray. Nous avons fait l’affiche pour « La Marche des beurs N°2 : convergence 84 ». Nous apparaissons aussi dans le film Performances, sur les talents issus de l’immigration, avec Rachid Taha et une grande et belle expo à Beaubourg sous l’égide de Jack Lang.
Affiches d’Anita Comix pour Convergence 84 et SOS Racisme
En plus de Pif Gadget, nous avons commencé à bosser pour Pilote, dirigé par Jean-Marc Thévenet, réalisé des tas d’affiches et de plaquettes illustrées, et beaucoup travaillé pour toute la galaxie de la presse communiste : Révolution, Regard, L’Humanité et L’Humanitédimanche, pour qui j’ai illustré des articles de presse et quelques couvertures… PifGadget est dans cette galaxie.
Ma motivation est simple à comprendre : j’ai été un immigré avant ma naturalisation, avec une carte de séjour et une carte de travail. J’ai participé à des associations (oubliées) en faveur des immigrés, telle le CUFI (Comité Unitaire Français Immigrés) et suis entré dans l’extrême gauche Trotskiste d’Alain Krivine. Ils me paraissaient les mieux indiqués au regard des sectes des malades maoïstes, de Lutte Ouvrière, voire des trotskistes dits Lambertiste, dont avait fait partie Jean-Luc Mélenchon, par exemple. On a pu débattre sur ces thèmes ensemble, au début des années 2000 puisque je l’ai fréquenté de près.
C’est la raison pour laquelle il est présent dans le documentaire Jeunesse (collectif avec entre autres, Cavanna, Luis Régo etc) Mon album de l’immigration en France, que j’ai publié et co-dirigé avec ma jeune assistante de l’époque, que j’ai formé, Bérengère Orieux, qui est devenue éditrice de Ici-Même.
Aziz Bricolo est publié en 1987-1988 dans PifGadget, pourquoi la série s’est-elle arrêtée si vite ?
Parce que ça a fait faillite : les communiste feraient mieux d’engager un expert-comptable plutôt que des leaders politiques. François Cortegianni a pu récupérer des originaux des grands anciens, à VMS : DANS LES POUBELLES ! Ils avaient été jetés. Du coup, il m’a offert un original des Rigolus et des Tristus, de Cézard
On entend souvent qu’après 1975 le lien entre Pif Gadget et le communisme devient très ténu. Aviez-vous eu des échanges politiques avec la rédaction ou des collègues ? Sentiez-vous ce ce patronage du parti qui existait toujours ?
De fait, quand Pif Gadget renait de ses cendres vers 2004-2005, j’ai monté l’affaire avec les gars et les filles du journal des jeunesses communistes AvantGarde : à leur demande ! Je suis allé à des réunions place du Colonel Fabien, leur siège, et à L’Humanité, à Saint Denis. J’avais fait un « business plan » à hauteur de 50 000 en kiosques, avec une culbute financière à 30 000 vendus. Patrick Appel-Muller, rédacteur en chef adjoint de L’Humanité, que je connaissais de mes activités de dessinateur dans cette presse, est venu à plusieurs reprises à mon petit bureau de Tartamudo. Il venait prendre des notes pour savoir comment j’allais m’y prendre suite aux réunions !
J’avais monté une équipe de dessinateur, et de journalistes, dont Laurent Mélikian : il pourra témoigner de ce que j’écris là. Me voilà bombardé rédacteur en chef du nouveau Pif Gadget ! Puis, Patrick Apel Muller a pris le pouvoir du journal sur la base de mes notes, et a recruté François Cortegianni comme rédacteur en chef ! Il s’en excuse encore aujourd’hui, et indique que ce n’était pas sa volonté : ce à quoi je luiai dis que c’est de l’histoire ancienne. Bref, de fait au lieu de lancer 50 000 ex comme je l’avais prévu, ils en lancent… 400 000 ex… et ça a marché ! Ils ont même dû retirer les trois premiers numéros. Laurent Mélikian voulait faire un gros dossier dans le magazine LanfeustMag, où il bossait aussi, mais je lui ai dit que je ne voulais pas la guerre avec les cocos. Il a quand même fait une page sur cette histoire dans ce journal (que j’ai gardé bien sûr !).
Enfin, ne vous a-t-on pas par la suite étiqueté parce que vous veniez de Pif Gadget ?
Oui, je suis considéré comme un « militant » EN GÉNÉRAL (pas que pour Pif !), ce à quoi je réponds systématiquement : militant de quoi ?! Militant de la cause littéraire, artistique et des auteurs et artistes, certainement !
Entretien réalisé par courriel en décembre 2021
Les folles années de l’intégration, réédition des Beurs et d’Aziz Bricolo par Tartamudo en 2004.
En 2021, il y aura une journée d’études sur les fanzines à la BnF, normalement un colloque reporté à la Fanzinothèque de Poitiers, mon doctorat officiellement commencé me poussera à écrire régulièrement sur les fanzines (même si ce ne sera pas mon sujet central officiel) alors voici une petite bande dessinée pour 2021. Qui ne parle pas de l’année passée parce que bon. Bonne année : fanzine vivra, fanzine vaincra !
Lorsque je réalise des articles de fond sur un sujet ou un autre, il m’arrive régulièrement de poser des questions à des acteurs directs. Leurs réponses ne sont qu’une source parmi d’autres, mais sont utiles, apportent des éclairages, des informations. Souvent il n’en reste que quelques citations dans les articles, parfois rien. Alors pour en garder mémoire, puisque c’est souvent intéressant, je publie sur ce blog les interviews complètes, il faut bien avoir en tête qu’elles ne sont pas faites pour l’être et sont loin de couvrir des carrières, elles se focalisent sur des points précis. Voici donc un entretien qui me sert actuellement pour rédiger un article sur L’Écho des savanes première période (1972-1982) pour le prochain numéro des Cahiers de la BD. J’ai également interrogé Nikita Mandryka et Martin Veyron.
« Tête, conte philosophique », L’Écho des savanes, n° 16, janvier 1976.
Vous entrez à L’Écho en 1976, j’imagine que vous connaissiez l’origine du journal, en étiez lecteur. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce journal ? Oui, je connaissais le journal. Je publiais déjà dans Charlie Mensuel poussé par Wolinski. Pour les gens de ma génération qui « entraient » en bande dessinée, encore largement méprisée, des revues comme Charlie ou L’Écho représentaient une bouffée d’oxygène. À la même époque, je découvrais la BD « underground » américaine, Crumb notamment, qui m’a indiscutablement influencé.
Vous débutez avec un récit sur le bien et le mal, y publierez un « conte philosophique », une parenté avec l’esprit très marqué par la métaphysique chère au fondateur Mandryka ? J’appréciais – et j’apprécie beaucoup – Mandryka. Mais sa « métaphysique » n’a rien à voir. J’avais, et j’ai toujours, des idées politiques et « philosophiques » qui se manifestaient inévitablement dans mes histoires, d’autant, qu’à cette époque, je travaillais presque toujours sur mes scénarii. L’opposition morale du bien et du mal me faisait plutôt rire. Mais ce n’est qu’un exemple. Cependant si mes sympathies et les haines se manifestaient dans mon travail, je n’ai jamais cru à la validité d’un « art engagé ». Je veux dire par là que je n’ai jamais cru qu’il soit possible de convaincre par la BD qui que ce soit. Si l’on veut agir politiquement il faut agir sur le terrain politique, autrement dit, s’engager comme militant. L’activité artistique se déploie sur un autre plan. Mais on peut être actif sur les 2 plans.
L’Écho de cette période est considéré comme un grand lieu d’expérimentation, au management parfois compliqué, de l’intérieur vous sentiez vous libre de tenter des choses diverses ? Il n’y avait pas de contraintes. J’étais donc parfaitement libre. Mais une de mes histoires pouvait être refusée. Je la portais alors à Charlie. C’était aussi souvent l’inverse. En fait, en allant d’un journal à l’autre, toutes mes histoires ont été publiées. La liberté était donc très grande. Rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui dans la BD « dominante ».
77-82 est à mon sens un vrai beau moment du journal, qui va dans tous les sens avec une certaine furie, participiez-vous à des réunions de rédactions ? Y aviez-vous des amitiés ou inimités ? En bref quelle était l’ambiance de l’écho quand on était un acteur direct ? Je n’ai jamais participé à des réunions de rédaction. Je restais assez solitaire. C’est plutôt à l’occasion de festivals ou de séances de signatures que j’ai rencontré d’autres auteurs.
Vous collaborez à l’Écho jusqu’à son rachat par Albin Michel en 1982, qui l’ancrera vers un côté cul paradoxalement moins jouissif. Votre œuvre a témoigné de capacités érotiques et pourtant vous ne participez pas à la reprise. Comment avez-vous vécu cette période, ou la regardez-vous désormais ? Je ne suis pas sûr du tout d’avoir collaboré à L’Écho jusqu’au rachat par Albin Michel, bien que j’aie eu un album édité par Albin Michel, Contessuaves, mais c’était déjà un esprit très différent de la période précédente. J’avais évolué et publié dans Pilote des histoires largement inspirées du cinéma de Fellini. Je ne suis pas sûr qu’on puisse parler d’érotisme en ce qui me concerne, pas dans le sens où on le dit de Manara par exemple. La sexualité était très présente dans une bande comme Angélique, mais était-elle pour autant érotique ?
Enfin, si jamais il vous semble qu’une chose doit être dite sur l’écho, qui serait important, sur votre vécu en son sein, etc. n’hésitez pas à me donner votre témoignage libre. Il m’est difficile d’ajouter quelque chose : c’est déjà un passé bien lointain. On peut dire cependant une chose qui me paraît essentielle : l’époque qui a vu naitre Charlie Mensuel et L’Écho (pour ne citer que ces deux revues) a été à mon avis, l’âge d’or de la bande dessinée. La vitalité et la créativité qui se sont exprimée dans cette période n’ont rien à voir avec les platitudes consensuelles qui caractérisent (avec des exceptions bien sûr) l’édition de la bande dessinée aujourd’hui. Je sais qu’on pourra m’accuser d’être « passéiste ». Et pourquoi pas ? Oui, je pense que « c’était mieux avant ». Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres (santé, enseignement, droit au travail, etc.), on ne peut pas avoir multiplié les coups sans que cela ait eu des conséquences : et ces conséquences sont des régressions profondes. Paradoxalement, la BD est maintenant considérée comme un médium de bon aloi. Je ne le regrette pas. Je suis ravi, en particulier, qu’elle entre à l’université. Pourtant, cette BD domestiquée paraît bien pâle comparée à la BD sauvage et agressive des années 70.
Bonus : À la lecture de vos pages je trouve une parenté forte avec Nicole Claveloux, connaissiez-vous son travail ? Oui, je connais le travail de Nicole Claveloux et son engagement féministe. Mais je ne la connais pas personnellement. Je ne crois pas l’avoir jamais rencontrée. C’est peut-être dommage.
En 2006 l’Égouttoir et Gorgonzola existaient déjà, j’étais en première et un évènement majeur allait arriver ! C’était la glorieuse époque des blogs BD, je discutais parfois avec Fafé sur MSN et les éditions Groinge avaient lancé Comix Club. Pour moi c’était dans le nec plus ultra, j’aimais déjà Ibn al Rabin et Jean Bourguignon, avec qui je ferai un album plus tard (et bé). C’est aussi dans Comix Club que Bsk a publié un des meilleurs strips de l’histoire.
Mais en tous cas j’avais assez bizarrement dit à Fafé que mon frère écrivait bien et était calé en BD et pourrait écrire des articles, ils avaient vu ses chroniques sur bulledair, il avait un blog à l’époque aussi. Bref, il a ainsi reçu l’appel à participation et j’y ai vu cet appel pour un hommage à Schlingo, on ne m’avait rien demandé, mais j’ai fait cette page qui a été étonnamment acceptée (Était-ce déjà J-P Jennequin à l’époque ou encore Big Ben qui s’en occupait ?). Bon la page est pleine de défauts, mais on y note déjà l’autobio et le goût du sommaire (et le mécontentement face à une aberration). Sans doute lié au fait que je devais l’appel à communication à mon frère je l’y ai dessiné, de manière bien peu avantageuse et je m’en excuse encore.
En tous cas voilà, ma première page de BD était en librairie, j’allais devenir dessinateur pro c’était sur ! Bon, ce fut à vrai dire aussi (je crois ? en tous cas il y en a eu peu) la seule page que j’ai dessinée qui s’est retrouvée en librairie. Dans le numéro suivant, j’écrivais mon premier article. Son sujet ? L’amour que je portais au fanzinat. Pour le coup, là, je n’ai pas fini d’en parler, en librairie comme ailleurs.
L’intégrale des numéros de Jade a été mise en ligne par 6 pieds sous terre. J’avais eu le plaisir d’y entrer par ce texte, qui a bien des défauts (ha, la folie donneuse de leçon de la jeunesse ! Oui je sais, toujours, mais pas pareil) mais qui me semble à vrai dire plutôt vrai. Depuis je me suis collé à de la chronique alimentaire et que je comprends un peu mieux que quand on en vit, il faut bien manger. Je suis depuis revenu à un autre métier que j’apprécie bien plus de faire de manière alimentaire et n’écris donc que si envie, ce qui est bien (et ne m’empêche pas d(accepter des commandes intéressantes). Le texte était paru dans le Jade 200U sur le thème « Nos amis les médias ? », j’avais eu la surprise de le voir précédé d’une BD de Gilles Rochier, auteur des si recommandables LesFrèresCracra, Dernierétage, TempsMort, Ta mère la pute, Solo… Il racontait notre rencontre pour Du9 et a accepté que je reproduise ici la bande dessinée en introduction, merci à luit (son instragram est là). J’avais trouvé – outre que je l’étonnement d’être représenté en austère très calme – qu’il exagérait un peu avec sa question à rallonge qui n’en est pas une, pour le ressort comique. Seulement, après vérification sur l’entretien retranscrit que l’on trouve ici, il s’agissait d’un pur copié/collé. Hum.
Un Gilles Rochier visiblement traumatisé, 2009.
Jeune passionné de Bande Dessinée, j’ai pu, au fil des ans, m’essayer à la critique. Timidement d’abord au sein de la revue Comix Club, dont je suis devenu un collaborateur régulier, puis à travers des chroniques sur le site Du9, jusqu’à l’animation à la rentrée d’une émission radio bimensuelle consacré à ce médium. Durant ces années j’ai eu l’occasion de fréquenter un certain nombre d’expo, galeries, conférences de presse, festivals… et de pouvoir par la même occasion en admirer la faune… Ce qui suit n’est pas un système théorique : il s’agit de simple notes et observations tirées de cette expérience modeste, mais parfois édifiante.
1°)
Le terme de Journaliste en Bande Dessinée porte en lui-même un
paradoxe fort. En effet, ceux qui traitent le mieux du médium sont
rarement officiellement journalistes (ils n’ont pas de carte de
presse), alors que des journalistes assermentés se transforment bien
souvent en simples reproducteurs de services de presse… Le travail
véritable sur ce médium vient généralement de sites et revues
spécialisées,
dont les contributeurs sont amateurs, dans les deux sens du terme :
ils aiment ce dont ils parlent –
et le connaissent donc bien –
et ne sont pas rétribués
pour leurs travaux. Bien souvent d’ailleurs, ce bénévolat garantit
une approche plus sincère.
Ainsi, même
des sites de tendance mainstream, défendant
une conception rétrograde
ou purement commerciale de la bande dessinée comptent parmi leurs
rédacteurs
des gens passionnés
(dont la démarche est d’une grande sincérité), qui ont le mérite
de savoir ce dont ils parlent. Ce qui parait
rarement
être le cas hors de la presse spécialisée.
C’est
là que le bât blesse. On retrouve le même problème de
légitimation qu’avec la diffusion des albums. Il a paru nécessaire
de quitter le ghetto de la librairie spécialisée, pour que les
ouvrages de bande dessinée rejoignent les autres livres. C’était
d’ailleurs un combat légitime. Il n’empêche que sans certains de
ces libraires militants pour la soutenir, la bande dessinée dite
alternative n’aurait jamais pu
avancer comme elle l’a fait, et ne pourra pas continuer à le faire.
Le journaliste spécialisé connaît
le même problème : il lui faudrait pouvoir intégrer des médias
généralistes. En effet, bien
qu’il lui soit toujours essentiel, la critique de bande dessinée
aurait tout intérêt à sortir de son micro-microcosme.Il faut ces revues de fond, ces
sites spécialisés avec un vrai travail et une vraie connaissance du
travail des auteurs, des éditeurs, etc… Il faut avancer, et
continuer de creuser le sillon ne serait-ce que pour donner une manne
critique dans laquelle de « vrais journalistes », un peu
plus scrupuleux que d’autres, pourraient venir s’informer, apprendre,
et vulgariser. C’est le lot de toute critique qui se veut pointue
d’avoir un public restreint. Il n’empêche que, même en sachant
cela, un sentiment de vacuité peut naître chez l’apprenti critique
qui se rend compte que, quelle que soit la dose de sérieux qu’il
mettra dans son travail, il ne pourra jamais concurrencer
l’amateurisme de certains professionnels…
2°)
Au cours d’un micro-festival je surprends par hasard une discussion
devant le stand de ma petite structure. Une personne, qui se révéle
être malheureusement
incontournable dans le microcosme, parle avec beaucoup de plaisir
d’un article qu’il vient de publier sur un site d’information. En
écoutant discrètement cette conversation, à laquelle je n’ai pas
été convié, je reçois une leçon édifiante. Il évoque dans ce
papier des planches d’Aurélia Aurita publiée dans Libération.
La dessinatrice y racontait sa rencontre avec une journaliste d’Elle,
qui lui avouait sans honte n’avoir
pas lu son livre, après quoi Aurita refusait de donner l’interview.
Jusqu’ici je trouvais en effet cela instructif : quel culot de la
part de la journaliste ! Et bien non, notre homme expliqua alors
qu’il était vraiment choqué de l’attitude de diva de l’auteur, que
c’était vraiment se foutre du monde et que, franchement, « comme
si c’était nécessaire de lire un livre pour en parler ».
Cette
phrase, caricaturale au possible, est pourtant véridique. Le pire
dans tout cela étant qu’en plus l’idée peut réellement se
défendre. Ce journaliste tient
le credo d’une bande dessinée diffusée le plus largement possible,
d’où un engagement vers une BD plus caricaturale et souvent
racoleuse1,
et d’un combat incessant contre la majeure partie des alternatifs, sa
seule jauge qualitative étant devenu les chiffres de vente. Dans ce
schéma, il paraît simplement important que la bande dessinée
rentre dans un maximum de médias. Il ne s’agissait dans Elle
que de faire un portrait d’Aurita et non pas un travail critique,
simplement faire découvrir l’auteur (et non son travail) à un
public qui n’y connaît rien. L’incompétence de la journaliste d’
Elle
dans le domaine de la bande dessinée n’aurait donc pas d’importance
puisqu’il ne s’agit que de vulgarisation. Ce point de vue peut tenir,
mais est-il vraiment viable ? On ne peut certes pas demander aux
journalistes généralistes de connaître parfaitement la chose ,
mais, en sacrifiant tout recul critique au bénéfice de la
médiatisation, on ne fera certainement pas le jeu de la bande
dessinée : on préparera plutôt son caveau.
Pourquoi paraît-il donc si aberrant
de défendre une médiatisation populaire pointue ?
3°)
J’ai un jour eu envie de m’adresser à un public un peu plus large,
et ai frappé à la porte d’une revue importante dans le monde de la
japanimation. Mon idée était de traiter de mangas plus alternatifs
au sein d’une revue à large diffusion, pensant (et je le pense
toujours) que les deux n’ont rien d’irréconciliable. Après avoir
sollicité la rédaction, ils m’ont, fort logiquement, demandé un
CV et un essai. J’avais justement publié un article sur Du9
à propos d’un livre de Ebine Yamaji, une mangaka
révélée par Asuka qui me semble être parfaitement accessible et
exigeante. Je leur ai envoyé mon texte, il faisait environ deux
pages, car l’intrigue était particulièrement complexe et que
j’avais vraiment voulu traiter de tout le travail de l’auteur. On m’a
répondu qu’il était trop long.
Parfaitement
prêt à faire des concessions, je réduis l’article à une page et
le renvoie. On me répond qu’il est toujours trop long. «Une bonne
chronique doit faire 500 signes » me signale-t-on. 500 signes ! Je
veux bien croire que j’ai tendance à être bavard, mais 500 signes
représentent environ 6 lignes ! Je me suis essayé à triturer et
découper mon texte pour le réduire à cette portion congrue. Qu’en
restait-il ? Un vague résumé et des compliments. Terminé les
nuances, exit les petites réserves : on aime ou on n’aime pas.
C’est ça la dictature du 500 signes, la revue qui me l’a appris
n’est absolument pas un cas à part. C’est une marge naturelle ? Ma
chronique ressemblait à un triste service de presse, j’ai donc
renoncé à la publier. Je compris mieux alors pourquoi un grand
nombre de « journalistes » se contentent de les
recopier… Et la différence subtile que certains placent entre
chronique et critique.
Quelques
jours plus tard, je reçois un courriel enthousiaste de l’éditeur de
Yamaji . Il était vraiment heureux d’avoir vu sur Du9
une vraie lecture de son livre, un peu plus longue que d’ordinaire,
même s’il me signalait n’être pas d’accord sur tout. J’ai pu par la
suite voir d’autres réactions d’éditeurs, ou d’auteurs, et tous
étaient d’accord pour apprécier une critique un peu approfondie. En
observant les lecteurs, j’ai pu constater qu’eux aussi préféraient
plus de développement à un flot de textes courts purement
informatifs, ne disant rien d’original, et ne donnant envie de rien.
C’est à se demander alors pourquoi la pratique est si développée
si personne n’y trouve son compte.
Une
réponse se trouve peut-être du côté des journalistes eux-mêmes.
La plupart des journalistes reçoivent des services de presse, et cet
usage peut se défendre dans certains cas. Mais pour conserver ce
privilège, il faut en traiter un maximum (généralement un peu chez
chaque éditeur), même superficiellement. D’où une masse de titres
traités en une page, ce qui conduit tout simplement à un paquet de
notices illisibles, et une saturation pour le lecteur qui ne sera pas
plus aiguillé qu’avant. Dès lors il lui est plus simple de se
retourner vers des « valeurs sures » (toujours traités en
tant que tels dans les entrefilets) que d’être curieux. Traiter plus
de titres, pour gagner plus de services de presse ? Il serait sans
doute excessif de réduire le problème à ce seul facteur2,
il n’empêche que dans ce sacrifice de la qualité à la quantité,
les seuls à vraiment y perdre sont une fois de plus les lecteurs…
1 Qu’il appellera populaire, faisant à mes yeux preuve d’un véritable mépris du « peuple » qu’il dit défendre.
2Mais il ne fait aucun doute que les SP jouent un rôle réel dans la dictature du 500 signes, le véritable commerce parallèle qui s’est développé par leurs biais en témoigne.