Posséder un livre qui n’existe pas

J’aime profondément les fanzines, les objets éditoriaux mystérieux, les livres hors des cadres et des circuits, cela ne vous surprendra pas trop. Tout cela entre régulièrement en conflit avec mon travail de bibliothécaire, de chercheur fanzineux, de rédacteur effréné de sommaires bibliographiques. Je vous parlais déjà (entre autre) de ce décalage ici.

Au fil de mes lectures et articles, il m’est arrivé d’écrire sur des albums étranges. Parmi eux Jalousie, un album fantôme d’Imagex, annoncé mais jamais publié, que l’on peut reconstituer via des revues. Un de mes articles préférés reste celui consacré aux jeux éditoriaux de Vincent Giard, auteur-éditeur québécois dont j’ai raconté les multiples blagues pour bibliothécaires/collectionneurs, et qui m’avait répondu après publication d’un « HAHAHAHAHA » tonitruant par courriel (tout en m’indiquant que ce n’était pas censé être un piège et que j’avais mal cherché, bonjour la frustration).

Sa maison d’édition, que j’évoquais dans l’article sus-cité, était belle, mais, comme souvent dans ces structures innovantes tenant à l’énergie et l’enthousiasme d’un acteur, à un moment les choses se sont enlisées puis terminées, sans bruit (je précise que le Gorgonzola 25 a 2 ans de retard, mais est bien prévu et que je reste fort enthousiaste). La dernière fois que je suis retourné à Montréal, Vincent m’avait invité dans une pizzeria étrange où il m’a appris la fin de sa structure. La Mauvaise Tête n’était plus.

Son catalogue est beau, pile vingt livres dont cet éditeur, toujours amoureux du classement, a laissé une trace en ligne, bien rangée. Et puis des projets qui, eux, ont disparu.

Lors de cette soirée pizzas, Vincent m’a fait un cadeau, un livre de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau. Ce duo d’auteurs a publié Pinkerton et Poulet graingrain dans les débuts de la maison, un duo important pour son image donc. Mais ce livre, je l’ignorai au catalogue :

Toutes les amertumes, non-livre de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau

Et pour cause, si j’avais déjà lu plusieurs de ces pages (publiées dans des fanzines chez Colosse, structure de microédition où l’on retrouve notamment un webdesign de Giard), ce recueil, lui, n’a jamais existé. Il s’agit d’une maquette d’un projet avorté. Pas d’une maquette en blanc : le contenu est complet, les BDs parfaitement lisibles, seuls quelques problèmes de fignolages dans la fabrication indiquent cet état, et des ratures nettes.

Ce livre existe assurément, je le possède, il a été préparé, façonné, tiré, puis abandonné. Pas forcément parce que l’éditeur coulait d’ailleurs, c’est a priori un choix fait bien avant (une date, mais est-elle la bonne ? Indique 2015), une fois le test réalisé. L’éditeur me l’a évoqué, de manière floue, en disant quelque chose comme « le cœur n’y était plus » ou « une fois le test arrivé ce n’était plus le moment », un truc mystérieux et un peu doux du genre. Il n’y en a qu’un exemplaire, les auteurs m’ont confirmé ne pas en avoir (et ont été surpris de le voir en mes mains), le (non) éditeur n’en a plus non plus. Il est là.

Un livre fantôme donc, une autre incarnation des inachevés possibles auxquels j’ai consacré un article post-journée d’étude aux Arts Décos. C’est aussi un témoignage de la richesse de ce matériau passionnant que forment les archives d’éditeurs, tout comme de leur fragilité chez ces petites structures qui n’ont pas de documentalistes et où tout part aux quatre vents, jusqu’à l’autre côté de l’Atlantique. Si demain un chercheur sur la BD québécoise s’intéresse à la Mauvaise tête, trouvera-t-il les autres archives chez Vincent ? Ou tout a été ainsi éparpillé ? Il y a en tous cas peu de chances qu’il vienne le chercher chez moi.

Tout ça me convainc plus que jamais que les bibliothèques s’intéressant à la BD (la Cité internationale de la BD, la bibliothèque municipale de Lausanne, celle de l’École Multidisciplinaire de l’image à Gatineau…) auraient intérêt à une attitude volontaire de récupérations d’archives d’éditeurs. Si la dispersion d’archives concerne aussi de gros éditeurs (les archives de Pif Gadget ont été bazardées dans un hangar, vendues sur eBay, éparpillées…), mais le risque paraît particulièrement fort pour les petits et micro-éditeurs, qui n’ont a priori aucun moyen de stocker tout ça. Il faudrait certes qu’elles soient tenues correctement. Et là je regarde un peu honteusement les archives papier de l’Égouttoir, déjà peu nombreuses (et c’est un autre problème que l’archivage numérique mais ce serait réinventer l’eau chaude), avec cette idée que, tout de même, de l’ordre pourrait y être mis. Une mission nettement plus motivante si je savais qu’un jour elles seraient hébergées quelque part par des gens susceptibles de les rendre accessibles à qui veut.

PS : Il s’avère que lors de mes premiers séjours au Canada, j’avais été particulièrement surpris car on me parlait beaucoup de Joe Dassin (ce qui n’est plus tellement arrivé par la suite) et quand j’écris ce texte voilà que qui me revient en tête (non, pas les Dalton mais)

D.J. Bryant et France Gall en allemand

Durant le confinement, j’ai voulu saluer la politique habituelle des éditions Tanibis, qui mettent de nombreux albums en PDF gratuits depuis longtemps et pas juste sur l’effet d’opportunité. J’ai donc acheté leurs nouveautés : La Vague Gelée, d’EMG, que j’attendais avec impatience (huit ans depuis son premier livre ! J’en ai parlé sur Bodoï) et Cité irréelle, de D.J. Bryant, que je n’attendais pas du tout puisque je n’en avais jamais entendu parler.

En regardant un peu, cet album publié par Fantagraphic en V.O. est plutôt salué par la presse professionnelle et le milieu alternatif, évoquant notamment comme références Daniel Clowes, Adrian Tomine et David Lynch (pour ses films plus que pour sa fameuse BD). Je l’ai lu et c’est une œuvre tout à fait intéressante, certains récits m’ont vraiment embarqué , d’autres moins, mais j’ai été surtout frappé par la page 98.

Soudain, mon cœur se mit à battre la chamade !

Il s’agit d’un extrait du dernier récit, Un objet d’art, mais surtout il s’agit d’une reproduction de Der Computer Nr. 3 , une chanson bien connue de la carrière allemande (moins connue certes) de France Gall lors de son creux de la vague post-Eurovision et pré-Berger. Ceux qui me connaissent savent que j’aime profondément ses chansons d’avant le romantisme doucereux (oui Si maman si est une très belle chanson, je ne le nie pas, je préfère avant c’est tout, je l’expliquerai un jour, j’ai un projet de fanzine). Cette carrière allemande à duré environ de 1966 à 1972, c’est souvent vu comme une période un peu triste, France Gall l’était sans doute, mais les chansons qui en sont sorties me fascinent comme les autres, même si je n’y comprends rien. Der Computer Nr.3 date de 1968 et se veut moderne avec ses impressionnants bruits de boutons électroniques, la version trouvée sur youtube nous montre une France Gall chantant et dansant (en bougeant à peine, comme toujours) sur une scène télévisuelle face à une foule enthousiaste. Le corpus de chansons en allemand en comprend plein d’autres qu’on peut regarder, comme Ein bißchen Goethe, ein bißchen Bonaparte, portrait du garçon idéal, en 1969.

Notez que Claudus1943 a une chaine entière de passages TV incroyables de France Gall, souvent en qualité fort correcte. Complètement fou (comme dirait Yelle pour rester dans le pop francophone).

Bref forcément, voir un Américain citer France Gall en allemand, je suis surpris. D’autant plus qu’il ne s’agit pas exactement du texte de la chanson, mais d’une version mêlant allemand et français, quand celle d’origine n’est qu’en allemand. J’imaginais, je l’avoue, un choix de traduction curieux. Une chanteuse anglophone qui aurait eu un trou de carrière et aurait tourné dans un autre pays et une autre langue ? Mais pourquoi en traduire des bouts ? Puisque le forum bulledair est parfois fréquenté par l’éditeur je l’ai questionné sur ce point précis et certes un petit peu obsessionnel. Et bien la réponse est simple : l’auteur américain a bien cité cette chanson précise, en en traduisant des bouts en anglais. Alors là reste l’autre question, comment et pourquoi un auteur contemporain états-unien un peu hype se retrouve à citer cette chanson ? A-t-elle eu une carrière particulièrement notable en Alaska ou à Seattle où l’auteur a vécu ?

La VO, reproduction de la planche originale qui est d’ailleurs en vente ici si vous avez 1000$ à dépenser pour me faire un cadeau.

A priori il s’agit surtout d’une illustration des nombreuses références pop et jeux de mémoires et mélanges d’influences que l’auteur peut développer. Comme le dit l’éditeur sur le forum : « On pourra trouver (ou pas) dans Cité irréelle des réminiscences du film noir, de Mœbius, de Jack Kirby période romance comics, de Crepax, de Maruo, de la Nouvelle Vague… et donc aussi de France Gall (précisément, sur son blog Sequential Monitor, D. J. Bryant dit avoir découvert les chansons de France Gall… via les BD de Guy Peellaert). »

Sur son blog, D.J. Bryant explique en effet avoir découvert cette chanteuse via un grosse réédition pleine de doc de Jodelle. Anecdote étonnante, car on identifie plutôt les connexions chanteuse pop-Peellaert à Pravda la surviveuse, reprise du physique de Françoise Hardy, mais en effet par un jeu de connexions artistiques et d’époque on peut évidemment tomber sur France Gall. Je ne connais pas très bien les BDs de Peellaert, mais il est vrai qu’il a notamment fait l’entière décoration d’une boite de maquillage France Gall, accompagnée d’une BD en 1967. Un objet rare, que j’adorerai découvrir d’ailleurs, mais plusieurs sources indiquent comme un projet jamais réellement commercialisé (dans son intégralité en tous cas, on trouve parfois la sacoche). Et bon, bon les boites de maquillages ne sont ni les objets les plus collectionnés ni les plus faciles à trouver des années plus tard…. Ci-dessous deux photos promotionnelles de France Gall présentant la boite et le poster-BD à son effigie.

La boite en couleur.
Photographie de Michael Holtz à Paris lors de la campagne de promotion de la boite de maquillage, trace de la page de BD avec France Gall en personnage. On l’aperçoit aussi dans un docu, peut-être est-elle dans l’anthologie consultée par Bryant ?

Enfin, sur son blog, l’auteur détaille son intérêt pour Gall en écrivant « Some of my favorite tracks of hers are Cet air-là, Musique, Der Computer N°3, and Laisse tomber les filles which April March covered as Chick Habit and played at the end of Tarantino’s highly underrated Death Proof. » soit « Certains de mes morceaux préférés à elle sont Cet air-là, Musique, Der Computer N°3 et Laisse tomber les filles, qu’April March a reprise sous le titre Chick Habit et qui passe à la fin du très sous-estimé Boulevard de la mort de Tarantino. » Je suis assez d’accord sur le fait que ces chansons sont très bonnes, j’y rajouterai 24/36, les chansons jazzy avec Gorrager (ha, Y’a du soleil à vendre) ou Avant la bagarre. Bon par contre Boulevard de la mort non, désolé. Mais clairement j’ai des choses à échanger avec ce monsieur autour de France Gall et Cet air-là est vraiment une chanson qui est envoutante et qu’on peut se passer en boucle sans cesse pour entrer dans une transe sixties (sixty six même).

PS : Sur son album Chick Habit April March proposait une reprise en français de la chanson Laisse tomber les filles, et une version anglaise sous le titre Chick Habit , la version Boulevard de la mort semble mixer les deux. En tous cas la version anglophone me semble être une reprise nettement moins classique, notamment dans la voix (qui montre toujours cet aspect fascinant de la différence de nos voix selon les langues).

PS2 : Merveille de l’internet, j’ai reçu le 4 juin ce mot de D.J. Bryant via Tanibis: « France Gall isn’t super well-known in the United States but thanks to the magic of the internet musical tastes are getting less and less based on regionality. I’ve played some France Gall at my day job and had at least one customer who was a Ye Ye fan and recognized it. »

En roulant ma boule, de Raoul Barré (1901)

Avant d’ouvrir la Librairie Z à Montréal, le critique québécois Jean-Dominic Leduc a créé les éditions Mém9ire, consacrées à l’histoire de la BD Québécoise. Avant cela il avait même eu d’autres vies, de comédien notamment. Après la publication de plusieurs ouvrages historiques et numéros d’une revue (Sentinelle), il a lancé la collection « Chronographe », dirigée par Michel Viau, auteur du premier volume d’une importante histoire de la BD québécoise et un des plus grands spécialistes du sujet.

Cette collection avait pour but de proposer des classiques de la bande dessinée québécoises en version numérique de haute qualité, accompagnés d’une petite présentation historique. Au moins deux titres de cette collection furent toutefois imprimés en un petit nombre d’exemplaires Les dossiers de l’ineffable M. Brillant de Jack Der (1952) et donc En roulant ma boule, réédition soignée d’un recueil de gags de 1901, alternant les récits en séquences (toujours via des illustrations pleines pages) et des cartoons en une image. Le titre, apprend-on, vient d’une chanson célèbre du folklore, datant du XVe siècle.

Le très beau dessin de Raoul Barré a évidemment pris un coup sur les questions le fond – on y voit notamment un bourgeois se grimer en « sauvage » et un juif à la caricature qui fait désormais frémir, même si ici il le gag n’est pas proprement négatif (rien à voir avec une caricature antisémite des années 30) – mais l’intéressante introduction de Michel Viau rappelle bien qu’il s’agit ici d’une réédition historique pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la bande dessinée du pays, et non un ouvrage comme un autre. Le thème central des gags est le défilé déguisé de la Saint-Jean, et moque gentiment les notables. Le livre est un des rares de l’auteur, qui ira s’installer à New York en 1903 d’abord comme dessinateur de presse, puis comme animateur pionnier. Il créera un studio en 1914, créera plusieurs dessins animés, participera à la version animée du comics Mutt and Jeff puis, à la fin de sa carrière, travaillera avec Pat Sullivan sur Félix le Chat.

Plus que pour le livre en tant que tel, En roulant ma boule vaut pour ce qu’elle présente (notons d’ailleurs que la réédition comprend la préface originale de Louis Fréchette), dans une perspective historique portée par un éditeur et un directeur de collection fascinés par l’histoire de la BD et voulant faire connaître celle de leur pays. Si le fascicule est publié par un éditeur et a tous les attributs de la publication professionnelle (maquette soignée, ISBN, dépôts légaux…), il rejoint cependant l’esprit des premiers fanzines de bande dessinée, tels GiffWiff ou Phénix, créé par des passionnés agissant en bénévoles amateurs dans les deux sens du terme. Son petit tirage, cherchant à rendre disponible un matériel précieux et oublié, qui a un écho limité, mais apprécié par un fandom, les range aussi assurément de ce côté. Les éditeurs ne renient d’ailleurs pas cette idée puisque la publication papier de cet album numérique a été réalisée pour une occasion précise : le festival Expozine de Montréal en novembre 2015. Un rappel actif des liens entre fanzinat et patrimoine, d’autant plus utile que malheureusement le site qui permettait d’acheter les PDF semble désormais indisponible quand le rare zine papier, lui, est encore là.

En roulant ma boule, Raoul Barré, introduction de Michel Viau,
22,8 x 15 cm, 40 pages, Mém9ire, coll. « Chronographe », 2015.
Chronique publiée en parallèle sur 1fanzineparjour.

Deuxième page du récit principal du recueil.

Mattioli, l’affreux végan et le contexte

Dans le Pif Gadget n° 758 d’octobre 1983, Massimo Mattioli propose un gag de Pinky titré Gastronomie où il est menacé par un horrible…. végan !

Évidemment, vu la date (le mot existait, mais était très peu usité en France ou en Italie) et le contexte général de la planche, on comprend bien que Mattioli (ou le traducteur d’ailleurs) a simplement choisi une planète pour l’extra-terrestre. La série Goldorak, où le héros affronte l’empire belliqueux de Véga, popularisait justement l’étoile, lors pourquoi pas Véga ? (il semble même que ce soit un gimmick classique de SF en général).

C’est quand même un assez formidable hasard que ça tombe sur une page qui parle cuisine. Qui parle notamment de rôtir. Mais le ressort comique ne repose pas que là-dessus, juste sur une sorte de reprise d’un retournement assez classique où le gentil utilise l’orgueil et la bêtise du méchant.

Et 40 ans plus tard, un possible gros facteur d’erreur de lecture pour qui tomberait sur la page sans savoir d’où elle vient, par exemple sur un réseau social x ou y. Un nouvel exemple assez marrant de l’importance du contexte et de chercher les sources de publications.

Et voilà, ma journée est faite avec ce genre de truc !

Voici la page, en ensuite un résumé des débats que ce mini-post a créé sur facebook, très intéressant je trouve !

Massimo Mattioli, Pinky : Gastronomie, Pif Gadget n° 758 d’octobre 1983.

Après avoir posé la page sur Facebook, on m’a signalé que le terme existait dans des fanzines alternatifs de la fin des 70’s, notamment dans des textes de la chanteuse Elli Medeiros.

Mattioli étant lui-même proche du milieu punk, il aurait pu connaître le mot et faire une blague à double niveau : le premier le simple gag pour le lecteur de Pif, qui n’avait aucune chance d’avoir la référence, le second pour quelques happes fews tombant dessus par hasard.

Un auteur italien que j’apprécie par ailleurs beaucoup est ensuite intervenu pour nous indiquer que les végans étaient des méchants assez classiques dans les BD de SF de Mattioli et que c’est la première fois qu’il les voyait dans un contexte de cuisine. Ce qui pour le coup évacuait un peu l’hypothèse.

Il faudrait aussi savoir si la planche comporte le même terme en italien et, si non, si c’est Mattioli lui-même qui traduisait ses planches… On ne saura jamais le fin mot, mais ça reste amusant cette affaire !

Hommage de Blutch à Uderzo : un beau dessin raté

Blutch, Couverture du Libé du 25 mars 2020.

Suite au décès d’Uderzo, Libé a fait appel à Blutch pour sa couverture. Il faut dire que Blutch est assurément un des meilleurs dessinateurs de bande dessinée actuels et qu’il avait déjà rendu hommage à Uderzo à plusieurs reprises, notamment en utilisant Astérix pour la couverture de Variations, son album de réinterprétations de planches canoniques de la bande dessinée paru en 2017.

En couverture de Libé un dessin simple, Astérix et Obélix portant, à la place du menhir habituel, une version géante du Coronavirus, sujet central de l’actualité depuis des semaines. Le dessin est plutôt beau, évidemment, et j’ai vite vu mes réseaux saluer le talent de l’auteur et la beauté de l’hommage. Ainsi qu’une interrogation, plusieurs personnes s’étonnant d’apprendre qu’Uderzo avait succombé du fameux Covid19.

Pourtant, ce n’est pas du tout le cas. Nonagénaire et malade, Albert Uderzo s’est éteint sans rapport avec le fameux virus. « son décès n’est pas lié à l’épidémie de coronavirus en France. » sous-titre Franceinfo avec l’AFP, quand d’autres précisent directement en titre « décès du dessinateur d’Astérix sans lien avec le Covid19 ».

Or le dessin de Blutch crée une ambigüité, en liant artificiellement les deux événements. Une alliance maladroite, qui porte de la confusion plutôt qu’elle ne participe à l’information, bref l’inverse d’un dessin de presse qui touche sa cible. Ce n’est pas dramatique en soi, mais on peut regretter qu’un journal qui emploie Willem (un des meilleurs dessinateurs de presse vivants) et qui a prouvé aimer l’image et la bande dessinée à de nombreuses reprises passe un dessin certes joli, mais aussi faible et même erroné en couverture. Vu les réactions, son analyse rapide – et évidente – donne presque une fausse nouvelle.

Pour la défense de Blutch, lier mollement deux informations sans rapport est un classique du dessin de presse, c’est ce que fait Plantu depuis des années tout en étant salué par l’enseignement et les médias majoritaires, en occupant une place centrale comme dessin de Une du Monde. Tout de même, se retrouver à mettre sur le même plan Blutch et Plantu est un peu déprimant, et semble bien être le signe de ce que Thierry Groensteen a très bien décrit il y a des années (2003) dans un texte nommé Considérations incorrectes sur Plantu que l’on peut lire ici, en voici un extrait qui touche à notre sujet :

« Disons-le sans ambages : c’est un signe parmi d’autres de l’inculture française en matière d’art graphique que cette unanimité dans les louanges adressées à un dessinateur qui n’en mérite certainement pas tant. […]

Plantu use et abuse d’un procédé lassant qui, neuf fois sur dix, ruine d’ailleurs par avance toute prétention du dessin à délivrer un commentaire pertinent : il organise la rencontre entre deux événements d’actualité qui n’ont pour seul point commun que d’être contemporains l’un de l’autre. Souvent arbitraire et laborieuse (voire indigne, comme ce dessin qui faisait intervenir le Front national dans un hommage à l’artiste Vasarely décédé la veille), cette construction syncrétique fonctionne comme une sorte de résumé des deux grands sujets de l’heure, mais n’en éclaire vraiment aucun. […]

Pour ne le comparer qu’aux autres dessinateurs du Monde, Sergueï a plus de fantaisie poétique, Pancho est meilleur portraitiste et Pessin a un sens bien plus aigu de la réplique qui fait mouche. Il faut pourtant s’y résigner : Plantu restera sans doute encore de longues années la coqueluche d’une intelligentsia parisienne qui l’admire… les yeux fermés. »

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Pour l’anecdote, puisque nous parlons de Blutch et d’Astérix, notons que la couverture de Variations était une reprise quasi identique d’une affiche de « Drôles de Gaulois », série de conférences, expositions, animations qui ont eu lieu à Bobigny entre octobre et novembre 2009 et ont donné lieu à un ouvrage l’année suivante. Comme on peut le voir ci-dessous, la couverture de l’ouvrage de réinterprétation est elle-même une légère variation d’un dessin de l’auteur.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est blutch.jpg.
Couvertures de Drôles de Gaulois (Berg internationa, 2010) et de Variations (Dargaud, 2017).