Notes techniques d’un apprenti journaliste (Jade 200U – Nos amis les médias ?, septembre 2009)

L’intégrale des numéros de Jade a été mise en ligne par 6 pieds sous terre. J’avais eu le plaisir d’y entrer par ce texte, qui a bien des défauts (ha, la folie donneuse de leçon de la jeunesse ! Oui je sais, toujours, mais pas pareil) mais qui me semble à vrai dire plutôt vrai. Depuis je me suis collé à de la chronique alimentaire et que je comprends un peu mieux que quand on en vit, il faut bien manger. Je suis depuis revenu à un autre métier que j’apprécie bien plus de faire de manière alimentaire et n’écris donc que si envie, ce qui est bien (et ne m’empêche pas d(accepter des commandes intéressantes).
Le texte était paru dans le Jade 200U sur le thème « Nos amis les médias ? », j’avais eu la surprise de le voir précédé d’une BD de Gilles Rochier, auteur des si recommandables Les Frères Cracra, Dernier étage, Temps Mort, Ta mère la pute, Solo… Il racontait notre rencontre pour Du9 et a accepté que je reproduise ici la bande dessinée en introduction, merci à luit (son instragram est là).
J’avais trouvé – outre que je l’étonnement d’être représenté en austère très calme – qu’il exagérait un peu avec sa question à rallonge qui n’en est pas une, pour le ressort comique. Seulement, après vérification sur l’entretien retranscrit que l’on trouve ici, il s’agissait d’un pur copié/collé. Hum.

Un Gilles Rochier visiblement traumatisé, 2009.

Jeune passionné de Bande Dessinée, j’ai pu, au fil des ans, m’essayer à la critique. Timidement d’abord au sein de la revue Comix Club, dont je suis devenu un collaborateur régulier, puis à travers des chroniques sur le site Du9, jusqu’à l’animation à la rentrée d’une émission radio bimensuelle consacré à ce médium. Durant ces années j’ai eu l’occasion de fréquenter un certain nombre d’expo, galeries, conférences de presse, festivals… et de pouvoir par la même occasion en admirer la faune… Ce qui suit n’est pas un système théorique : il s’agit de simple notes et observations tirées de cette expérience modeste, mais parfois édifiante.

1°) Le terme de Journaliste en Bande Dessinée porte en lui-même un paradoxe fort. En effet, ceux qui traitent le mieux du médium sont rarement officiellement journalistes (ils n’ont pas de carte de presse), alors que des journalistes assermentés se transforment bien souvent en simples reproducteurs de services de presse… Le travail véritable sur ce médium vient généralement de sites et revues spécialisées, dont les contributeurs sont amateurs, dans les deux sens du terme : ils aiment ce dont ils parlent – et le connaissent donc bien – et ne sont pas rétribués pour leurs travaux. Bien souvent d’ailleurs, ce bénévolat garantit une approche plus sincère. Ainsi, même des sites de tendance mainstream, défendant une conception rétrograde ou purement commerciale de la bande dessinée comptent parmi leurs rédacteurs des gens passionnés (dont la démarche est d’une grande sincérité), qui ont le mérite de savoir ce dont ils parlent. Ce qui parait rarement être le cas hors de la presse spécialisée.

C’est là que le bât blesse. On retrouve le même problème de légitimation qu’avec la diffusion des albums. Il a paru nécessaire de quitter le ghetto de la librairie spécialisée, pour que les ouvrages de bande dessinée rejoignent les autres livres. C’était d’ailleurs un combat légitime. Il n’empêche que sans certains de ces libraires militants pour la soutenir, la bande dessinée dite alternative n’aurait jamais pu avancer comme elle l’a fait, et ne pourra pas continuer à le faire. Le journaliste spécialisé connaît le même problème : il lui faudrait pouvoir intégrer des médias généralistes. En effet, bien qu’il lui soit toujours essentiel, la critique de bande dessinée aurait tout intérêt à sortir de son micro-microcosme.Il faut ces revues de fond, ces sites spécialisés avec un vrai travail et une vraie connaissance du travail des auteurs, des éditeurs, etc… Il faut avancer, et continuer de creuser le sillon ne serait-ce que pour donner une manne critique dans laquelle de « vrais journalistes », un peu plus scrupuleux que d’autres, pourraient venir s’informer, apprendre, et vulgariser. C’est le lot de toute critique qui se veut pointue d’avoir un public restreint. Il n’empêche que, même en sachant cela, un sentiment de vacuité peut naître chez l’apprenti critique qui se rend compte que, quelle que soit la dose de sérieux qu’il mettra dans son travail, il ne pourra jamais concurrencer l’amateurisme de certains professionnels…

2°) Au cours d’un micro-festival je surprends par hasard une discussion devant le stand de ma petite structure. Une personne, qui se révéle être malheureusement incontournable dans le microcosme, parle avec beaucoup de plaisir d’un article qu’il vient de publier sur un site d’information. En écoutant discrètement cette conversation, à laquelle je n’ai pas été convié, je reçois une leçon édifiante. Il évoque dans ce papier des planches d’Aurélia Aurita publiée dans Libération. La dessinatrice y racontait sa rencontre avec une journaliste d’Elle, qui lui avouait sans honte n’avoir pas lu son livre, après quoi Aurita refusait de donner l’interview. Jusqu’ici je trouvais en effet cela instructif : quel culot de la part de la journaliste ! Et bien non, notre homme expliqua alors qu’il était vraiment choqué de l’attitude de diva de l’auteur, que c’était vraiment se foutre du monde et que, franchement, « comme si c’était nécessaire de lire un livre pour en parler ».

Cette phrase, caricaturale au possible, est pourtant véridique. Le pire dans tout cela étant qu’en plus l’idée peut réellement se défendre. Ce journaliste tient le credo d’une bande dessinée diffusée le plus largement possible, d’où un engagement vers une BD plus caricaturale et souvent racoleuse1, et d’un combat incessant contre la majeure partie des alternatifs, sa seule jauge qualitative étant devenu les chiffres de vente. Dans ce schéma, il paraît simplement important que la bande dessinée rentre dans un maximum de médias. Il ne s’agissait dans Elle que de faire un portrait d’Aurita et non pas un travail critique, simplement faire découvrir l’auteur (et non son travail) à un public qui n’y connaît rien. L’incompétence de la journaliste d’ Elle dans le domaine de la bande dessinée n’aurait donc pas d’importance puisqu’il ne s’agit que de vulgarisation. Ce point de vue peut tenir, mais est-il vraiment viable ? On ne peut certes pas demander aux journalistes généralistes de connaître parfaitement la chose , mais, en sacrifiant tout recul critique au bénéfice de la médiatisation, on ne fera certainement pas le jeu de la bande dessinée : on préparera plutôt son caveau. Pourquoi paraît-il donc si aberrant de défendre une médiatisation populaire pointue ?

3°) J’ai un jour eu envie de m’adresser à un public un peu plus large, et ai frappé à la porte d’une revue importante dans le monde de la japanimation. Mon idée était de traiter de mangas plus alternatifs au sein d’une revue à large diffusion, pensant (et je le pense toujours) que les deux n’ont rien d’irréconciliable. Après avoir sollicité la rédaction, ils m’ont, fort logiquement, demandé un CV et un essai. J’avais justement publié un article sur Du9 à propos d’un livre de Ebine Yamaji, une mangaka révélée par Asuka qui me semble être parfaitement accessible et exigeante. Je leur ai envoyé mon texte, il faisait environ deux pages, car l’intrigue était particulièrement complexe et que j’avais vraiment voulu traiter de tout le travail de l’auteur. On m’a répondu qu’il était trop long.

Parfaitement prêt à faire des concessions, je réduis l’article à une page et le renvoie. On me répond qu’il est toujours trop long. «Une bonne chronique doit faire 500 signes » me signale-t-on. 500 signes ! Je veux bien croire que j’ai tendance à être bavard, mais 500 signes représentent environ 6 lignes ! Je me suis essayé à triturer et découper mon texte pour le réduire à cette portion congrue. Qu’en restait-il ? Un vague résumé et des compliments. Terminé les nuances, exit les petites réserves : on aime ou on n’aime pas. C’est ça la dictature du 500 signes, la revue qui me l’a appris n’est absolument pas un cas à part. C’est une marge naturelle ? Ma chronique ressemblait à un triste service de presse, j’ai donc renoncé à la publier. Je compris mieux alors pourquoi un grand nombre de « journalistes » se contentent de les recopier… Et la différence subtile que certains placent entre chronique et critique.

Quelques jours plus tard, je reçois un courriel enthousiaste de l’éditeur de Yamaji . Il était vraiment heureux d’avoir vu sur Du9 une vraie lecture de son livre, un peu plus longue que d’ordinaire, même s’il me signalait n’être pas d’accord sur tout. J’ai pu par la suite voir d’autres réactions d’éditeurs, ou d’auteurs, et tous étaient d’accord pour apprécier une critique un peu approfondie. En observant les lecteurs, j’ai pu constater qu’eux aussi préféraient plus de développement à un flot de textes courts purement informatifs, ne disant rien d’original, et ne donnant envie de rien. C’est à se demander alors pourquoi la pratique est si développée si personne n’y trouve son compte.

Une réponse se trouve peut-être du côté des journalistes eux-mêmes. La plupart des journalistes reçoivent des services de presse, et cet usage peut se défendre dans certains cas. Mais pour conserver ce privilège, il faut en traiter un maximum (généralement un peu chez chaque éditeur), même superficiellement. D’où une masse de titres traités en une page, ce qui conduit tout simplement à un paquet de notices illisibles, et une saturation pour le lecteur qui ne sera pas plus aiguillé qu’avant. Dès lors il lui est plus simple de se retourner vers des « valeurs sures » (toujours traités en tant que tels dans les entrefilets) que d’être curieux. Traiter plus de titres, pour gagner plus de services de presse ? Il serait sans doute excessif de réduire le problème à ce seul facteur2, il n’empêche que dans ce sacrifice de la qualité à la quantité, les seuls à vraiment y perdre sont une fois de plus les lecteurs…

1 Qu’il appellera populaire, faisant à mes yeux preuve d’un véritable mépris du « peuple » qu’il dit défendre.

2Mais il ne fait aucun doute que les SP jouent un rôle réel dans la dictature du 500 signes, le véritable commerce parallèle qui s’est développé par leurs biais en témoigne.

Mattioli, l’affreux végan et le contexte

Dans le Pif Gadget n° 758 d’octobre 1983, Massimo Mattioli propose un gag de Pinky titré Gastronomie où il est menacé par un horrible…. végan !

Évidemment, vu la date (le mot existait, mais était très peu usité en France ou en Italie) et le contexte général de la planche, on comprend bien que Mattioli (ou le traducteur d’ailleurs) a simplement choisi une planète pour l’extra-terrestre. La série Goldorak, où le héros affronte l’empire belliqueux de Véga, popularisait justement l’étoile, lors pourquoi pas Véga ? (il semble même que ce soit un gimmick classique de SF en général).

C’est quand même un assez formidable hasard que ça tombe sur une page qui parle cuisine. Qui parle notamment de rôtir. Mais le ressort comique ne repose pas que là-dessus, juste sur une sorte de reprise d’un retournement assez classique où le gentil utilise l’orgueil et la bêtise du méchant.

Et 40 ans plus tard, un possible gros facteur d’erreur de lecture pour qui tomberait sur la page sans savoir d’où elle vient, par exemple sur un réseau social x ou y. Un nouvel exemple assez marrant de l’importance du contexte et de chercher les sources de publications.

Et voilà, ma journée est faite avec ce genre de truc !

Voici la page, en ensuite un résumé des débats que ce mini-post a créé sur facebook, très intéressant je trouve !

Massimo Mattioli, Pinky : Gastronomie, Pif Gadget n° 758 d’octobre 1983.

Après avoir posé la page sur Facebook, on m’a signalé que le terme existait dans des fanzines alternatifs de la fin des 70’s, notamment dans des textes de la chanteuse Elli Medeiros.

Mattioli étant lui-même proche du milieu punk, il aurait pu connaître le mot et faire une blague à double niveau : le premier le simple gag pour le lecteur de Pif, qui n’avait aucune chance d’avoir la référence, le second pour quelques happes fews tombant dessus par hasard.

Un auteur italien que j’apprécie par ailleurs beaucoup est ensuite intervenu pour nous indiquer que les végans étaient des méchants assez classiques dans les BD de SF de Mattioli et que c’est la première fois qu’il les voyait dans un contexte de cuisine. Ce qui pour le coup évacuait un peu l’hypothèse.

Il faudrait aussi savoir si la planche comporte le même terme en italien et, si non, si c’est Mattioli lui-même qui traduisait ses planches… On ne saura jamais le fin mot, mais ça reste amusant cette affaire !

À propos de Paul Tell, diffuseur militant de presse communiste (entretien)

Dans le cadre de mon projet d’ouvrage Pif Gadget et le communisme, à paraître en 2021 chez PLG dans le prolongement de mon mémoire de master 1 et d’une conférence donnée cette année au Festival d’Angoulême, je m’intéresse à des liens que je n’avais pas encore étudiés. Parmi eux, la réception des valeurs du journal par les lecteurs et la vente militante, un classique de la diffusion de la presse d’après-guerre. Le Parti communiste français a beaucoup investi la diffusion militante et j’ai eu la chance d’avoir des contacts avec différents ex-vendeurs et enfants de vendeurs grâce au groupe Facebook des fans de Vaillant et Pif, ce qui a donné lieu à des entretiens. Comme ils ne seront pas repris in extenso dans le livre j’en publierai directement ici, car ce sont des documents très intéressants. Débutons donc avec Fanny et Fabien Tell, qui nous parlent de leur père.

Un vendeur ambulant de L’Humanité dans 50 ans de cinéma de l’Huma. La Terre fleurira (1928-1981), Les Mutins de Pangée/Ciné-archives, 2015.

Qui était votre père et savez-vous comment il s’est retrouvé à vendre la presse communiste, sur quel secteur et durant combien d’années ?

Fanny Tell : Mon père Paul TELL (né le 13 02 1930, disparu le 26 décembre 1998 à Cavaillon) est le fils de Félicien TELL (né en 1902, décédé en 1986). Ouvrier agricole, il est communiste, anticlérical, anti-colonialiste et syndicaliste. Il est arrêté en 1941 et déporté pour raison politique à Buchenwald. Il survit au camp, deviens petit paysan, participe à fonder le syndicat agricole MODEF et devient conseiller municipal de son village, Sénas (Bouches-du-Rhône).
Mon père s’engage politiquement à la Libération. Il a 14 ans et milite d’abord aux côtés de son père au Parti communiste français et surtout à la CGT. Après avoir été ouvrier agricole, il est devenu secrétaire de la CGT, spécialisé dans le monde agricole, et élu à la Mutualité sociale agricole1. En 1977 il est élu maire de notre village d’Orgon (2500 hab), à côté de Sénas, et quitte son travail pour se consacrer entièrement à son poste. Après avoir perdu les élections en 1983 il se retrouve sans emploi, je vous laisse imaginer quels étaient ses revenus !
Au chômage durant quelques temps très difficiles pour notre famille de 5 enfants avec une mère au foyer, il travaille alors quelques années comme salarié commercial pour le journal La Terre puis devient commercial pour SOCASSUR, qui assurait les collectivités locales, avec en charge une bonne partie de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est à peu près le seul moment où il a eu un salaire décent.
Mon père a vendu la presse communiste dans cette zone jusqu’à sa mort, en particulier L’Humanité dimanche.

Fabien Tell :J’ai toujours connu mon père vendant ces journaux le dimanche matin, je sais qu’ils les vendaient avant ma naissance. Je dirais des années 50 jusqu’à sa disparition en 1998. Sur le plan professionnel, après avoir été aide familial chez son père, mon père a toujours eu un « métier » de militant dans un organisme proche du PCF ou de la CGT jusqu’à la fin de sa vie.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire : nombre de titres approximatif, connaissance du fonds, est-ce sur les marchés ou aussi en porte-à-porte, etc. ? Était-il rémunéré pour cela où était-ce un acte totalement militant ?

Fanny Tell : Il a d’abord vendu Vaillant puis Pif Gadget ainsi que L’Humanité dimanche et La Marseillaise2 pour lequel il devient correspondant local. Il vendait aussi Regards, assez confidentiel et, vu notre milieu social, La Terre3.
Il diffusait les journaux le dimanche directement aux habitués puis en porte à porte et au café, il n’y avait pas de marché ce jour-là. Je suis née en 1969 et je l’accompagnais quelquefois quand j’étais enfant, j’adorai cela jusqu’à à peu près mes 12 ou 14 ans. J’étais chargée d’apporter Pif Gadget et L’Humanité dimanche aux voisins « abonnés ». Les familles me recevaient avec plaisir et les enfants avec joie, j’avais le droit à des bonbons j’étais, ravie. Petit à petit les gens continuaient à prendre Pif Gadget mais moins L’Huma dimanche.
C’était totalement bénévole sauf pour les quelques années, 2 ou 3  ans, où il a été salarié comme commercial par La Terre.

Fabien Tell : Dans mon souvenir, il devait, au plus fort des ventes, distribuer une trentaine d’Huma dimanche et une quinzaine de Pif Gadget pour un village de 2000 habitants. La vente n’était pas rémunérée, c’est sûr si ce n’est le fait d’avoir l’abonnement gratuit si je me souviens bien.
En fait, j’accompagnais très souvent mon père le dimanche car, étant le seul garçon, il y avait une volonté de transmission. J’étais très jeune (6-13 ans) et je ne me souviens pas avoir dû les vendre moi-même, j’en ai parfois livré à des habitués.

En tant que militant, comment voyait-il les publications liées à Pif : simple distraction pour les enfants ou y voyait-il les mêmes valeurs que dans les autres titres, mettait-il cela en avant dans ses ventes ?

Fanny Tell : Il y voyait certes une distraction, il lisait lui-même Pif Gadget et s’en amusait, ainsi que des gadgets, mais il était très conscient des idées véhiculées, qu’il qualifiait de progressistes. Les valeurs de solidarité, d’anti racisme et d’éducation à la science et à la culture générale étaient essentielles à ses yeux.
Il n’avait pas besoin de mettre ces valeurs-là en avant tout le monde ou presque lisait Pif sauf les familles anticommunistes forcenées.

Fabien Tell : C’était un lecteur assidu de Pif Gadget comme toute la famille (5 enfants). Je pense qu’il était conscient du rôle culturel d’un journal comme Pif Gadget face à l’invasion de l’idéologie américaine au travers des BD comme Mickey. Pour ses ventes, il ne mettait pas cela en avant, il n’était pas un prosélyte. À l’époque Pif se vendait fort bien du à la qualité des ses BD (pour tous les âges) et son gadget inimitable. Ce dernier, dans mon souvenir, visait plus à titiller l’esprit ou la curiosité scientifique qu’à simplement divertir. D’où peut-être son succès dans une époque qui se modernisait.

Paul Tell, la vingtaine, lors de son service militaire a Casablanca en « camp disciplinaire car anti-colonialiste et syndicaliste . Il en reviendra encore plus solidaire des immigres du Magreb qu’il défendra dans le milieu agricole, aux Prud’hommes notamment » selon sa fille.

De manière générale liait-il les publications de bande dessinées aux publications plus proches de l’information ou n’y voyait-il que de la distraction, sans idéologie nette ?

Fanny Tell : Chez nous pas de Mickey Parade jugé trop capitaliste avec Picsou. Pas de Tintin non plus, trop raciste et colonialiste, mais Astérix était en revanche bien vu, jugé intelligent et instructif même. Pour lui une BD devait être distrayante et drôle, mais avec un aspect éducatif et des valeurs.

Savez-vous si les vendeurs recevaient des « consignes » du parti au sens d’arguments de communications marqués : telle semaine plus parler de tel aspect, mettre plus en avant ce titre, etc. ?

Fanny Tell : Je n’en sais rien du tout, mais connaissant mon père qui détestait ce qu’il appelait le « catéchisme du parti », il devait faire un peu ce qu’il voulait à ce niveau-là.
Il faut peut-être voir avec mon frère plus âgé qui doit avoir des souvenirs sans doute plus précis que les miens, la mémoire est subjective .

Fabien Tell : Si vous parlez de Pif Gadget, je ne pense pas. Pour L’Humanité dimanche, je n’en ai pas le souvenir. À l’époque la communication au sens d’aujourd’hui n’existait pas encore. La presse partidaire revendiquait faire de la propagande qui n’était pas connotée comme aujourd’hui.

Pour vous enfant qui lisiez ces magazines, Pif était-il de cette « famille communiste », si oui qu’est-ce qui vous y faisait le plus penser ?

Fanny Tell : Oui, je savais déjà enfant que Pif Gadget était un journal de la famille communiste vu ma famille il aurait difficile de l’ignorer !
Pour moi, ce qui m’y faisait penser étaient les valeurs prônées par certains personnages comme Rahan le héros pacifiste et qui tente de découvrir d’autres tribus en ayant foi dans la bonté des hommes et leur solidarité. L’anti racisme du journal les valeurs de fraternité, d’amitié entre les peuples, l’égalité et le combat contre l’injustice m’apparaissaient à cette époque comme communiste ou progressiste.

Fabien Tell : Je dirais que Pif Gadget était plutôt d’inspiration humaniste et clairement dans la philosophie des Lumières : « le osez savoir !! » kantien. Les BD « tous publics » (Rahan, Doc Justice, Corto Maltese, Robin des bois) mettaient en avant à la fois la dénonciation de l’injustice et l’usage de la raison pour la combattre. L’homme qui marche debout est vraiment une métaphore de l’homme dressé pour ses droits.
Le fait d’avoir perdu un peu cette orientation, du fait du succès commercial de Pif Gadget, dans les années 80 pour concurrencer la presse jeune me semble avoir été une erreur. Pif était bien identifié par les gens comme un journal avec une opinion et cela n’empêchait pas ses ventes.
J’ai nettement perçu au début des années 80 un changement dans la nature des BD ciblant plus un public ado. Pif est devenu un journal jeunesse comme beaucoup d’autres. Certes le reflux de l’idée communiste, la chute du mur et la Mcdonalisation ont fortement joué, mais dans mon souvenir le changement rédactionnel a commencé avant. Je suis peut-être en train d’inventer des souvenirs…

Fanny, vous êtes ensuite devenue journaliste, avec un parcours atypique. Le contact quotidien dès l’enfance avec la presse et les discours d’émancipation a du influer ce parcours ?

Oui, tout à fait. Sociologiquement, étant enfants d’ouvriers agricoles, nous avions peu de chances d’une part de faire des études supérieures, d’autre part d’accéder à un métier « réservé » à une élite.

Outre le désir de mon père de pousser ses enfants à faire des études pour s’émanciper de la condition ouvrière (nous serons 3 sur 5 à faire des études supérieures), plusieurs choses ont eu une influence sur mon parcours et celui de mes frères et sœurs. D’une part, l’éducation était sacrée pour mes parents qui suivaient de près notre scolarité. De l’autre, nous avions accès au Livre, à la presse et à la culture

Mes parents achetaient beaucoup de livres, chose rare dans les familles de mes copains de classe. Par exemple, ils avaient investi dans l’encyclopédie Tout l’univers pour notre scolarité. À la maison : classiques de la littérature française (Zola, Hugo, Maupassant…), livres d’histoire, essais, revues (Courrier de l’UNESCO, La Recherche). Lorsque je commence des études de Lettres modernes en 1987 ma mère m’offre le Robert et plus tard un abonnement à la revue littéraire Europe. Aux fêtes de La Marseillaise, nous allions au salon du livre ; l’accès au spectacle vivant, à l’histoire et l’histoire de l’art, était valorisé également par une famille sensibilisée via l’école du parti. Une de mes sœurs tentera les Beaux-Arts. Mon père faisait tous les jours une revue de presse de tous les journaux qu’il archivait par thème.

J’ai travaillé dès mes 15 ans (baby-sitter, femme de ménage, animatrice en colonie de vacances et centre de loisirs) pour acheter mes livres scolaires. En 1988, sur les traces de ma sœur étudiante en A.E.S, je deviens surveillante d’externat pour financer mes études. Ma passion ? Le Livre, l’écriture et la culture. La formation aux métiers du Livre n’est pas accessible aux étudiants salariés. Je commence une maitrise de Lettres sur le roman sud-africain engagé contre l’Apartheid doublé d’un cursus de F.L.E. En 1995, l’artiste peintre Théo Gerber écrit un livre qui ne trouve pas d’éditeur classique. J’écris alors mon premier article sur cet ouvrage et le propose aux journaux locaux basés à Aix-en-Provence : Taktik, Le Provençal, et La Marseillaise.

La Marseillaise le publie et m’en demande bientôt d’autres. En 1996, je suis recrutée au siège de Marseille au moment où le quotidien s’ouvre à toutes les forces de gauche. J’apprends sur le terrain : social, éducation, droits des femmes, droits des minorités, extrême droite.

En 2000, je rentre chez « Demain ! », filiale de Canal + spécialisée entre autres dans l’écologie et le lien social, qui sera liquidée peu après suite au rachat par Vivendi. Je me réoriente alors dans la « presse institutionnelle à Bagneux, où se situaient les locaux de “Demain”, puis auprès du conseil régional d’Île-de-France comme journaliste multimédia en 2007 après l’obtention d’un concours de fonctionnaire territoriale.

Avec le recul, ce parcours non linéaire m’apparait comme logique.

Entretien réalisé par courriel
du 31 mars au 4 avril 2020

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Paul Tell fut candidat à de nombreuses élections pour le PCF dans son secteur. Ici, il suppléait le sénateur Louis Minetti pour les élections législatives de 1993. Archives électorales du CEVIPOF.

1 Régime de sécurité sociale des professions agricoles.
2 Quotidien régional du Sud -est (hebdomadaire dans le Sud-Ouest) issu de la résistance et longuement rattaché aux mouvement communiste.
3 Hebdomadaire fondé par Waldeck Rochet en 1937, consacré au monde paysan.

Hommage de Blutch à Uderzo : un beau dessin raté

Blutch, Couverture du Libé du 25 mars 2020.

Suite au décès d’Uderzo, Libé a fait appel à Blutch pour sa couverture. Il faut dire que Blutch est assurément un des meilleurs dessinateurs de bande dessinée actuels et qu’il avait déjà rendu hommage à Uderzo à plusieurs reprises, notamment en utilisant Astérix pour la couverture de Variations, son album de réinterprétations de planches canoniques de la bande dessinée paru en 2017.

En couverture de Libé un dessin simple, Astérix et Obélix portant, à la place du menhir habituel, une version géante du Coronavirus, sujet central de l’actualité depuis des semaines. Le dessin est plutôt beau, évidemment, et j’ai vite vu mes réseaux saluer le talent de l’auteur et la beauté de l’hommage. Ainsi qu’une interrogation, plusieurs personnes s’étonnant d’apprendre qu’Uderzo avait succombé du fameux Covid19.

Pourtant, ce n’est pas du tout le cas. Nonagénaire et malade, Albert Uderzo s’est éteint sans rapport avec le fameux virus. « son décès n’est pas lié à l’épidémie de coronavirus en France. » sous-titre Franceinfo avec l’AFP, quand d’autres précisent directement en titre « décès du dessinateur d’Astérix sans lien avec le Covid19 ».

Or le dessin de Blutch crée une ambigüité, en liant artificiellement les deux événements. Une alliance maladroite, qui porte de la confusion plutôt qu’elle ne participe à l’information, bref l’inverse d’un dessin de presse qui touche sa cible. Ce n’est pas dramatique en soi, mais on peut regretter qu’un journal qui emploie Willem (un des meilleurs dessinateurs de presse vivants) et qui a prouvé aimer l’image et la bande dessinée à de nombreuses reprises passe un dessin certes joli, mais aussi faible et même erroné en couverture. Vu les réactions, son analyse rapide – et évidente – donne presque une fausse nouvelle.

Pour la défense de Blutch, lier mollement deux informations sans rapport est un classique du dessin de presse, c’est ce que fait Plantu depuis des années tout en étant salué par l’enseignement et les médias majoritaires, en occupant une place centrale comme dessin de Une du Monde. Tout de même, se retrouver à mettre sur le même plan Blutch et Plantu est un peu déprimant, et semble bien être le signe de ce que Thierry Groensteen a très bien décrit il y a des années (2003) dans un texte nommé Considérations incorrectes sur Plantu que l’on peut lire ici, en voici un extrait qui touche à notre sujet :

« Disons-le sans ambages : c’est un signe parmi d’autres de l’inculture française en matière d’art graphique que cette unanimité dans les louanges adressées à un dessinateur qui n’en mérite certainement pas tant. […]

Plantu use et abuse d’un procédé lassant qui, neuf fois sur dix, ruine d’ailleurs par avance toute prétention du dessin à délivrer un commentaire pertinent : il organise la rencontre entre deux événements d’actualité qui n’ont pour seul point commun que d’être contemporains l’un de l’autre. Souvent arbitraire et laborieuse (voire indigne, comme ce dessin qui faisait intervenir le Front national dans un hommage à l’artiste Vasarely décédé la veille), cette construction syncrétique fonctionne comme une sorte de résumé des deux grands sujets de l’heure, mais n’en éclaire vraiment aucun. […]

Pour ne le comparer qu’aux autres dessinateurs du Monde, Sergueï a plus de fantaisie poétique, Pancho est meilleur portraitiste et Pessin a un sens bien plus aigu de la réplique qui fait mouche. Il faut pourtant s’y résigner : Plantu restera sans doute encore de longues années la coqueluche d’une intelligentsia parisienne qui l’admire… les yeux fermés. »

*
**

Pour l’anecdote, puisque nous parlons de Blutch et d’Astérix, notons que la couverture de Variations était une reprise quasi identique d’une affiche de « Drôles de Gaulois », série de conférences, expositions, animations qui ont eu lieu à Bobigny entre octobre et novembre 2009 et ont donné lieu à un ouvrage l’année suivante. Comme on peut le voir ci-dessous, la couverture de l’ouvrage de réinterprétation est elle-même une légère variation d’un dessin de l’auteur.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est blutch.jpg.
Couvertures de Drôles de Gaulois (Berg internationa, 2010) et de Variations (Dargaud, 2017).

La bande dessinée Québécoise (France Québec Mag n°180, août 2017)

Reprise de l’article publié par le magazine de l’Association France-Québec, dont je suis membre depuis plusieurs années, longtemps inactif si ce n’est par cet article publié il y a deux ans et demi (j’ai décidé de m’y investir activement cette année, en entrant au CA de Laval-Québec, structure locale de l’association dans ma ville). Depuis quelques petites choses ont changé : malheureusement La Mauvaise Tête a cessé sa production, de son côté Pow Pow s’est par contre largement développé, avec un catalogue de plus en plus riche et essentiel (Lisez Les Petits Garçons, de Sophie Bédard !). La revue Front froid semble avoir cessé ses activités en périodique pour se consacrer à l’édition d’albums, dans le même esprit que la revue, quand Planches existe toujours après une période de flottement, et affiche un beau programme pour l’année à venir après avoir coédité son premier album en lien avec le festival de Montréal. Ces réserves posées, voici l’article tel que publié à l’époque.

Couverture du numéro où l’article a été publié.

La Bande Dessinée québécoise (BDQ) est issue d’une longue tradition graphique, notamment celle de la caricature anglo-saxonne. Ainsi, quand Punch in Canada paraît en 1849, la première revue d’humour dessiné, souvent politique, du Québec s’inspire directement de son aîné. S’il ne dure que quelques numéros, de nombreux autres magazines du même type naissant, développant une approche graphique populaire. C’est le 18 août 1909 qu’un certain Morisette publie Petit chien sauvage et savant dans Le Canard, ce strip muet est la première publication connue d’un auteur québécois qui dépasse le dessin unique pour être une vraie bande dessinée [NDA : Depuis, suite à des échanges avec un historien de la BDQ, il s’avère que cette affirmation issue d’un ouvrage de Mira Falardeau n’a aucune réalité historique, rien ne prouve que l’auteur soit québécois ni même qu’il s’appelle Morisette !]. Par la suite, plusieurs auteurs se démarquent dans la presse généraliste, souvent pour des pages d’humour à la manière des journaux étasuniens. Parmi eux, Albéric Bourgeois créé Timothée pour La Patrie, série au long cours ou des bulles sont utilisés dès 1904, une première dans la BD francophone ! Mais malgré ces débuts prometteurs, la concurrence américaine – ou un système de vente de strips centralisés par journaux et états permet de faire largement baisser les coûts – balaie rapidement la création locale…

La BDQ traverse alors une longue période de disettes. Bien sûr des productions existent, principalement des séries hagiographiques catholiques… La Société Saint-Jean-Baptiste publie des contes, des revues spécialisées sont publiées par la JEC, Fides sort quelques albums… Mais le but est purement didactique et cela se poursuit jusqu’à l’après-guerre. Une exception notable, celle d’Onésime, par Albert Chartier. Ce personnage, extrêmement connu outre-Atlantique, mais quasi inconnu ici, est publié pour en 1943 dans le Bulletin des Agriculteurs du Québec. Très lue, cette revue professionnelle accueillera les aventures de ce gentil naïf jusqu’en 2002, avec plus de 600 planches à son actif ! Pour beaucoup de Québécois, il s’agit de la seule création locale d’un niveau équivalent aux magazines européens. Chartier est également des années durant un des seuls auteurs québécois à vivre de la BD.

En 1968, alors que des magazines comme Spirou ou Tintin traversent l’océan (de manière parfois aléatoire), la vague contre-culturelle mondiale touche évidemment le Québec, qui est lui-même en pleine mutation et « révolution tranquille ». Le groupe Chiendent, mené par le poète Claude Haffely et des plasticiens contemporains, tente de monter un groupement à l’américaine pour placer ses bandes dans la presse québécoise. Quelques-unes paraissent, mais le contenu radical désarçonne et les auteurs vaquent à d’autres occupations tout en marquant durablement les lecteurs. De nombreux fanzines naissent, Jacques Hurtubise et son Hydrocéphale illustré (1971) créent le comics-book Capitaine Kébec, puis il lance Croc en 1979, magazine d’humour inspiré de Pilote qui sera leur premier vrai succès. 189 numéros paraissent, jusqu’en 1995, publiant les premiers travaux d’auteurs majeurs comme Fournier & Godbout (Michel Risque) ou Jean-Paul Eid. Il ne s’agit cependant pas que de BD, mais aussi beaucoup d’humour, d’actualités… Hurtubise lance donc une revue de grande qualité nommée Titanic, exclusivement consacrée à la BD, en 1983. Mais c’est un échec, un fanzine underground nommé Iceberg naît même en opposition amusée !

Trois générations de revues québécoises consacrées ou laissant grande place à la bande dessinée.

Il reste que Croc permet une vague de professionnalisation sans précédent, et s’il cantonne à l’humour le magazine ancre l’idée qu’une BDQ est possible. De très nombreux fanzines se créent, ainsi que des petites maisons d’édition osant la BD (Kami Case, Zone convective, Mille-Îles…), et une revue d’humour dessinée concurrente, Safarir, qui vivra jusqu’au milieu des années 2000, mais là aussi sans être exclusivement centré sur la BD et en s’éloignant de la satire propre à Croc. Safarir est un des rares exemples de revue québécoise ayant tenté de percer sur le marché européen puis États-Uniens avec des publications spécifiques, mais l’échec est patent dans les deux cas.

La deuxième moitié des 80’s voient aussi apparaître les travaux Julie Doucet et Sylvie Rancourt. Ces deux autrice, relativement éloignées du milieu de la BDQ et dont les travaux ne se croisent pas, ont la spécificité – outre d’être des femmes, chose assez rare à l’époque –, de pratiquer l’autobiographie et l’auto-édition. Longtemps elles seront parmi les plus célèbres représentants du 9e art québécois hors des frontières. Julie Doucet s’impose rapidement comme une pionnière de la BD underground francophone et est publiée en France dès les débuts de L’Association, maison d’édition majeure du renouveau des 90’s. Elle raconte ses rêves, sa vie de femme, son quotidien… Sans pudeur et loin des conventions avec un dessin volontiers trash. De son côté Sylvie Rancourt raconte, sans savoir spécialement dessiner, son quotidien de strip-teaseuse et vend ses BD dans les boîtes où elle danse, avant qu’elles soient reprises et commercialisées, notamment au USA ! Les spécificités propres à ces autrices cultes sont une particularité inexplicable – la raison la plus logique est qu’il s’agit d’un hasard – de la BDQ.

Les années 90 voient donc une génération d’auteurs arriver après des années stimulantes, où le marché reste très contraint par les productions franco-belges et américaines, mais où une carrière d’auteur est possible. Cela permettra l’émergence de structures plus fortes et de tout un tissu alliant auteurs, éditeurs, librairies… Les éditions La Pastèque se créent en 1998, Mécanique générale est fondé par l’auteur-libraire Jimmy Beaulieu à peu près à la même époque… Des fanzines puis des livres, permettant de concrétiser des travaux aperçus depuis des années : Benoît Joly, Pascal Girard, Luc Giard… La longévité de ces structures permet de voir différentes générations réunies. En même temps qu’ils republient des auteurs underground, comme Siris, ou de jeunes auteurs lors de l’avènement des blogs BD (Iris, Zviane…), ils se lancent dans des travaux patrimoniaux : Fournier & Godbout, Jean-Paul Eid ou Albert Chartier retrouvent le chemin des librairies !

Après une longue période de gestation liée à un environnement très peu protecteur, la production de BD québécoise a su s’affirmer et se rendre incontournable. Si pour beaucoup d’auteurs le Graal reste de percer en Europe (le marché francophone québécois restant très restreint), la simplification des communications facilite largement les échanges. Ainsi Paul à Québec, autobiographie de Michel Rabagliati ancrée dans son territoire, a obtenu le prix du Public à Angoulême en 2010 quand Guy Delisle a, lui, remporté le Fauve d’Or en avec ses Chroniques de Jérusalem en 2012. Du côté des ados Les Nombrils, des Sherbrookois Delaf et Dubuc, paraît dans Spirou et est une des séries les plus populaires des ados français. Une réalité montrant bien que la BDQ peut percer de manière totalement autonome, au-delà du pittoresque.

Parallèlement à ces structures historiques et à ces auteurs au CV déjà bien long voyant leurs carrières récompensées, une effervescence est encore en cours : de nombreux festivals, prix, formations… se créent. L’éditeur Glénat a même créé une filière spéciale, « Glénat Québec », pour repérer les talents locaux, associés à la force de frappe d’une des plus grosses maisons d’édition française. Enfin, de nombreuses structures se créent, comme les maisons d’édition Pow Pow et La Mauvaise Tête, lancée par des auteurs, qui présentent les travaux de la jeune garde québécoise sous des graphismes magnifiques (Michel Hellman, Vincent Giard, Luc Bossé, Zviane…). Du côté des revues, on peut saluer deux initiatives méritant particulièrement d’être soulignées : Front Froid, consacrée à la BD de genre, axe original permettant de mettre en lumière des auteurs au style plus réaliste dans des formats courts, et Planches, lancée voici trois ans pour promouvoir des auteurs québécois de tous styles. Si aujourd’hui l’objet de Planches a un peu évolué, la revue comporte toujours de nombreux auteurs locaux et met en avant cette production dans de longs dossiers révélant par la publication comme l’analyse la richesse de la production québécoise.

Les Mickey de Gottfredson chez Glénat

Cet article fut rédigé pour Du9, qui n’en voulait pas, trouvant des points pas assez clairs où répétitifs. C’est bien normal et la relecture est toujours fine sur Du9, cependant je n’arrivais vraiment pas à améliorer le texte selon les désidératas puisque ce qui semblait peu logique à l’éditeur l’était pour moi. Aujourd’hui je dois bien avouer qu’il est parfois un peu bizarrement fichu.

Et puis l’article a été remis à plus tard, puis sa conclusion – qui appelait à une autre édition reprenant l’américaine – a été exaucée, rendant le papier obsolète. Comme bizarrement je l’aime quand même bien je le pose là, sur ce site que je veux utiliser comme une sorte de garage d’articles et de choses vues, dîtes, lues, ici où là. Voici donc un article périmé mais que j’aime bien.

Un placement de lettrage audacieux.

Un écrin pour Gottfredson ?

Chez Disney il y a les artisans, petites mains des studios, dont le travail honnête et intègre fait le boulot sans plus. Et il y a ces auteurs qui ont réussi à apparaître derrière l’anonymat, ceux que les fans ont réussi à reconnaître, ont collectionné, ont pisté… Jusqu’à les faire apparaître enfin en pleine lumière. Du côté des canards le plus fameux d’entre eux est Carl Barks – même si l’on peut aussi y croiser quelqu’un comme Luciano Bottaro –, du côté des souris c’est indiscutablement Floyd Gottfredson qui s’impose.

Mon article est sans doute rempli de fautes, mais moi je n’ai pas les moyens d’avoir un relecteur.

Arrivé tôt aux Studio Disney à la fin des années 30, l’intervalliste va rapidement devenir le dessinateur régulier du strip de Mickey et conservera ce poste durant plus de quarante ans. Ce travail très visible, car publié dans de multiples journaux, sera longtemps regardé de loin par la hiérarchie, qui priorisait les dessin animés et voyaient les bandes quotidiennes comme de simples produits dérivés. Pourtant, ou peut-être grâce à cette (relative) liberté, Floyd Gottfredson réussi à imprimer un style propre et à imposer sa patte. À cet égard il fait partie des auteurs les plus célébrés du corpus Disney pour leur apport à la bande dessinée.

Dès lors, l’annonce d’une édition française intégrale de ses œuvres a tout de suite fait naître espoirs et craintes. Espoirs, car découvrir de manière chronologique et soignée un travail dont la publication a toujours été éparse et sans exégèse est plutôt réjouissant. Craintes car l’intégrale Carl Barks avait laissé un goût amer, le format peu adapté écrasant des pages pourtant riches en détails. Malgré des introductions intéressantes (signés JP Jennequin) ces albums se contentait de reprendre un packaging italien et n’ont guère montré l’intérêt de Glénat pour ce fonds. L’éditeur semblait le faire car il fallait bien, au milieu de la licence, sans laisser paraître un intérêt réel pour ce patrimoine1.

Mais les éditions de Barks avaient l’excuse d’être réalisées pour les rendre attractives aux enfants, et il est certain que les choix l’exceptionnelle édition de Fantagraphic – clairement dédiée aux collectionneurs – n’aurait pas été adapté2. Dans le cas de Gotfredson l’édition retenue vise explicitement le collectionneur, l’amateur, sans doute parce que le potentiel actuel de strips souvent désuets est moins fort auprès du jeune public. Ainsi on découvre des livres de très grand format, avec appareil critique, signet et coût à l’avenant (29,50 € le volume). Et il semble que cela prenne, la presse unanime saluant un écrin magnifique pour un auteur majeur3,4… ce qui est assez déprimant, tant les pages sont massacrées.

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Une page bien trop grande et remplie pour être lisible malgré de subtils dégradés.

Il y a d’abord un non-choix. Si l’on fait des ouvrages pour collectionneur on va jusqu’au bout et l’on respecte un critère essentiel de la publication d’origine : le noir et blanc. Et contrairement au Barks l’argument du public-enfant pouvant découvrir Mickey ne tient pas, le pseudo-luxe de l’édition les exclus de fait. Un comparatif en bibliothèque le montre bien : le petit format massif des Barks, malgré tous leurs défauts, est régulièrement emprunté ; les Gottfredson, faisant parfois la moitié de la taille des enfants, sont désertés. La présentation leur dit bien « Ceci n’est pas pour vous », créant un problème de positionnement évident.

Pourtant, s’arrêtant au milieu du gué, l’éditeur a décidé de coller des couleurs pour… pourquoi d’ailleurs : Rendre le dessin plus lisible ? Difficile de faire plus clair que le trait disneyien de Gottfredson. Pour le rendre plus commercial ? Je doute que cela fonctionne vu le problème de positionnement évoqué plus haut… Il s’agit pourtant sans doute de cette raison, mais dans ce cas il était possible d’utiliser des aplats sobres détachant le dessin, pas ces constants dégradés photoshop franchement laids qui assombrissent régulièrement des coins des dessins où les détails disparaissent au lieu d’être mis en lumière ! Autre hypothèse : il s’agit d’une volonté délibérée afin de cacher « esthétiquement » une reproduction moyenne.

Les couleurs massacrantes sont toutefois une habitude des rééditions, seulement L’Âge d’or de Mickey Mouse ne s’arrête pas en si bon chemin. Si je suis incompétent pour juger la traduction et que l’appareil critique est plutôt intéressant5, le lettrage des bulles est catastrophique : alternance de taille de lettrage dans la même case juste pour des questions de place, aucun travail d’adaptation graphique… Comme on le voit dans les exemples joints, il n’est pas rare de voir des bulles à moitié vide ou, au contraire, un texte très serré dans son phylactère. À ce moment on commence à comprendre que l’apparence de luxe revendiqué par l’éditeur n’est qu’une fumisterie.

Des tailles de caractères changeant allégrement, des typos toutes serrées ou « flottantes »…

Et c’est là qu’il faut en venir au format, le fameux format salué par ceux qui y voient un moyen d’enfin mettre en valeur le dessin, de rendre service à l’auteur. Outre que cette vision de la crédibilité artistique par le grand format est assez pathétique, on en est ici très éloigné. Car si le livre est grand les bandes restent assez petites, très nombreuses sur une page (6 strips en général) et plutôt écrasées, très peu d’espace étant laissé entre elles. Loin de servir la bande dessinée, ce format réussi à la fois l’exploit d’être peu pratique – essayez de le lire autrement que posé sur une surface plane… – et pas adapté. Affichant tous les strips collés, il créé un effet de masse empêchant la respiration et ne permettant pas d’apprécier le rythme particulier du strip quotidien. On rajoutera que si l’on avait vraiment voulu montrer un dessin plus grand – pourquoi pas, de manière raisonnable cela peut-être agréable – c’est forcément un format à l’italienne qui aurait été choisi, afin de pouvoir respecter l’homothétie des planches.

Un format à l’italienne, plus proche des strips d’origines, un livre plus massif que volontairement impressionnant, un respect du noir et blanc, un appareil critique ordonné… Voici ce qu’une véritable édition patrimoniale aurait du respecter pour pouvoir prétendre au titre. Et c’est justement ce qu’on fait les éditions Fantagraphics, avec une superbe édition restaurée sortie il y a déjà quelques années quand, liée sans doute par un contrat absurde et visiblement peu concerné par son patrimoine, Glénat se contente de (mal) adapter une discutable édition italienne.

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1On notera que cela n’a pas empêché La Dynastie Donald Duck d’obtenir le Fauve du Patrimoine en 2012 à Angoulême…

2 Une voix médiane reprenant les format des Picsou Magazine, à la manière des Trésors de Picsou, aurait pu être une bonne option pour faire une édition correcte sans la rendre inintéressante pour un enfant.

3« Les fans de Mickey ne doivent pas rater cette collection remarquablement rééditée. » sur planètebd http://www.planetebd.com/comics/glenat/l-age-d-or-de-mickey-mouse/1-6-1-7/15003.html

4« L’édition se présente sous la forme d’un grand volume cartonné, dans lequel les planches peuvent se déployer dans toute leur hauteur. Le rendu est splendide et l’on éprouve un réel plaisir à découvrir ces aventures dans de si confortables conditions. » sur actuabd http://www.actuabd.com/L-Age-d-or-de-Mickey-Mouse-T6-Par

5Quoiqu’apparemment publié sans la moindre logique : ici on a un portrait de collaborateur, là une fiche personnage, là un article général… Le tout pouvant se trouver au début comme à la fin de l’ouvrage, voire au milieu !