Fanzine hommage à Placid et Muzo

Quand Stan Lee envisageait de publier Pif Gadget

Le sujet est peu étudié, y compris par moi qui ne fait que l’aborder de très loin dans mon livre, mais Pif Gadget a connu quelques versions étrangères. Je ne parle pas là d’exports, nombreux (j’évoque notamment le cas du Québec ici avec Sylvain Lemay), mais de transpositions du magazine dans d’autres pays (certes il y a eu quelques Pif Gadget spécifiquement québécois, mais c’est rare… et c’est dans l’article !).

Il s’agit par exemple de Pajtás magazin Pif en Hongrie, créé en 1978 et traduisant une bonne part de matériel français à côté de créations locales. Le journal a même existé en parallèle de l’import du magazine français, jusqu’en 1982. Ce journal est très mal documenté et je n’ai aucun lien avec la Hongrie, c’est un champ qui reste à explorer. Pif collection a fait de petits textes sur ces magazines, on les trouve dans le menu de gauche sous le titre « les versions étrangères » (étrangement je ne peux y faire de lien direct), on y découvre également une édition espagnole, de 1978 aussi, qui reprend carrément le graphisme du journal français.

Le forum des fans de Pif Gadget, dans un abondant et érudit sujet, a également trouvé une version danoise dès 1973. Yps, magazine allemand, est souvent évoqué, le journal ayant eu une grande longévité et du succès. C’est cependant un magazine préexistant qui s’est mis à accueillir largement les productions Vaillant, jusqu’à faire de Pif et Hercule les mascottes du titre, et pas une transposition directe. Cela étant, tous ces exemples montrent bien, quelle que soit la stratégie commerciale employée (traductions de bandes dessinées, export ou magazine directement transposé), qu’il y avait une vraie volonté de diffusion internationale du journal.

Version espagnole (n° 6, 1978) et danoise (n°9, 1974) de Pif Gadget, trouvés sur Pimpf

Si le sujet reste à étudier, une chose est certaine : dans les différents titres connus, aucun ne semblait être en anglais. La chose n’est pas forcément surprenante, en Grande-Bretagne les magazines européens comme la bande dessinée n’étaient pas si implantés, quand les États-Unis apparaissent comme des ennemis naturels du journal proche des communistes. Mais si le récit politique peut exister, diverses études ont bien montré que le service commercial de Vaillant n’était pas spécialement idéologue, et voici que des documents nous montrent qu’il a été question de manière très sérieuse que la Maison des Idées publie le journal aux USA.

Oui, vous m’avez bien lu, je parle de Marvel, éditeur de super-héros qu’il n’a pas hésité à mettre au service de la lutte contre l’URSS durant la Guerre froide (encore en cours à l’époque de ces échanges). C’est JL Mast, un des rares Français à dessiner pour Marvel mais aussi régulier exégète du comics, qui en a trouvé trace et m’a transmis les photographies qui suivent. Il dépouillait alors les archives de Stan Lee au American Heritage Center (Wyoming), afin de nourrir sa bande dessinée Fathers of Marvel Comics (que l’on peut suivre ici). Qu’il en soit mille fois remercié, tant ce petit trésor était inattendu.

Le total de documents représente six courriers. Ils indiquent que d’autres discussions ont eu lieu, au téléphone ou peut-être lors d’un festival. Il est notamment documenté qu’en 1972 une importante délégation de Pif Gadget, comprenant Hugo Pratt, André Chéret et Claude Compeyron, cadre du PCF et directeur des éditions Vaillant (puis Vaillant-Miroir Sprint) de 1970 à 1979, s’est rendue aux États-Unis. Pratt s’amuse dans son autobiographie en imaginant ce que ce dernier a du répondre au questionnaire d’entrée demandant si l’on est communiste… Je n’ai pas de certitude sur la présence de Limansky, responsable commercial, dans cette délégation mais ce serait probable. Dans mon article sur Pif au Québec on peut notamment voir que Limansky traverse l’Atlantique pour promouvoir le journal dans les mêmes années, montrant bien que c’était une pratique possible. Et il s’avère que les premiers échanges postaux sont datés de septembre 1973 donc peuvent correspondre à cette période.

Nos traces débutent par un courrier de Linda M. Reilly, une employée de Marvel (a priori du côté licencing). En le lisant, on comprend que Limansky a proposé à Marvel d’acheter les droits de Pif Gadget et de publier le journal pour le marché anglophone. Suite à cet échange, Linda M. Reilly écrit donc le 6 septembre à Limansky pour lui demander des exemplaires du journal, montrant bien que la discussion à dépassé la courtoisie.

Courrier de Linda M. Reilly à André Limansky
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.

Nous sautons ensuite au 24 septembre, il est fort probable que Limansky ait répondu à Mme Reilly mais nous n’en avons pas copie. Cette lettre est directement adressée à Stan Lee et reçoit une réponse quatre jours plus tard :

Courrier d'André Limansky à Stan Lee
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.
Courrier de Stan Lee à André Limansky
American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.

Limansky informe son possible partenaire qu’il prépare une version anglophone de Pif Gadget, visant les États-Unis et l’Angleterre. Sans l’évoquer, il pense sans doute au reste du Royaume et au Canada où il y a déjà une agressive politique en zone francophone. Il indique aussi d’une venue le 10 décembre à New York, et s’enquiert de sa présence et de celle de son équipe de confiance.

Stan Lee lui répond directement et rapidement, montrant que l’affaire est sérieuse. S’il réitère sa demande de matériel dans les mois qui viennent, il explique à Limansky qu’il tentera d’être au maximum disponible lors de sa venue afin de prendre le temps nécessaire pour leur projet, temps qu’il imagine important puisqu’il évoque « la semaine entière ». Lee veut aussi lui montrer les bureaux de Marvel et les méthodes de travail américaines, afin que le français comprenne bien le fonctionnement différent de l’industrie du comics. Plus anecdotiquement, il termine d’un mot chaleureux en français « With very best regards, mon cher ami…. ». L’affaire n’est pas conclue mais semble partir sur de bonnes bases. Et s’il y avait un doute un télégramme envoyé trois jours plus tard (la date est donné par JL Mast car je ne la vois pas sur le document) confirme l’intérêt de Lee :

Le scénariste, mais surtout président de Marvel comics international, écrit (je traduis rapidement) : « Cher André, ceci pour confirmer le fait que je suis extrêmement intéressé pour publier Pif et vos gadgets pour les marchés britanniques et états-uniens. Une lettre suivra avec plus de détails. » Notons que Lee a bien corrigé le marché Anglais indiqué par Limansky en Britannique, et quelques coquilles dans le nom de rue ou de ville (Sayette et Parisx, sans doute lié à la dictée).

Nous n’avons pas la réponse de Limansky, elle est de fait venue par téléphone, mais une autre copie de télégramme de Lee, peu lisible, est enregistrée dans les archives encore une fois trois jours plus tard (4 octobre) :

American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.

Le texte est peu lisible, c’est une copie, pâle, et en photo. le voici : « Just received your call. Please grand me a three month option effective immediately for Pif Gadget for Great Britian and United States most important and urgent best » (en réalité tout est en majuscule, mais c’est tout de même plus lisible ainsi). On le voit, Lee pose une option de trois mois, il est extrêmement intéressé et la chose est urgente. Par ailleurs, le rythme d’échange est effréné, on peut imaginer que Lee a reçu quelques exemplaires pour accélérer ainsi le rythme alors qu’il parlait encore quelques jours plus tôt de recevoir des choses en octobre ou novembre, pour en discuter en décembre.

On attend donc la suite avec grande impatience mais… rien. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’aucun échange n’a eu lieu, téléphonique, ou même écrit, Limansky est peut-être même bien venu en décembre, mais aucune trace dans ce lot d’archives. C’est l’année suivante, le 5 avril 1974, bien loin de l’empressement initial, qu’on retrouve un courrier du responsable de Pif Gadget.

American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.

Dans ce courrier Limansky ne désespère pas et explique à Lee qu’il lui enverra bientôt des récits pouvant être « bons pour l’international », indiquant avoir suivi les conseils de Lee. Il y a assurément eu des allers-retours, sans doute certaines BDs ne paraissaient pas traduisibles pour Lee, mais nous n’en saurons, cette fois, vraiment pas plus. Si ce n’est qu’il n’y aura jamais de Pif en anglais sur les marchés imaginés.

Est-ce juste que les contenus étaient finalement trop européens pour Marvel ? Trop chers (sans doute pas) ? Peut-être le lien avec le PCF a-t-il fini par peser, mais Lee devait bien en avoir connaissance en octobre 1973 alors qu’il était emballé. Une hypothèse plus crédible se trouve également dans ces archives, qui m’a tout autant été soufflée par JL Mast (l’ai-je déjà remercié ? Il a aussi un site officiel), est celle de la crise pétrolière. Certes, elle avait déjà débuté en septembre 1973, mais son impact continue durant plusieurs années, notamment sur les matières premières et le papier (ce qui nous rappelle quelque chose…). Une lettre qui ne concerne pas Pif Gadget atteste en tous cas de cette problématique dans la période

American Heritage Center, Wyoming, Stan Lee Papers.

Holli Resnicoff, assistant de l’éditeur, indique à un autre éditeur français, Opéra Mundi, que « l’extrême crise du papier aux USA » impose de reporter toutes nouvelles publications. Le courrier date du 18 avril, quelques jours après la relance de Limansky, on peut imaginer qu’il a eu une réponse ressemblante.

Il ne faut cependant pas totalement tirer un trait sur les liens Marvel/Pif Gadget, même s’il ne furent pas exactement ce qui était attendu. Des années plus tard, en 1990, le journal français lance Pif Super Géant, dans la foulée des poches et magazines dérivés, un rien calqué sur Super Picsou Géant. Cette publication comique, qui accueille les héros du journal, publie de temps à autre des hors-séries « Aventures ». Curieusement (enfin, sans doute parce que cela avait du succès), à côté de Loup Noir, Robin des bois ou Docteur Justice, Spiderman et Hulk apparaissent. J’aime particulièrement la quatrième de couverture de ce numéro de juillet 1991 qui accueille tout ce petit monde :

quatrième de couverture mêlant des héros français et spiderman,.

La présence de Hulk est uniquement liée à sa présence dans un épisode de l’homme-araignée, le journal lui donne tout de même la couverture. Au numéro suivant c’est Spidey. Une arrivée donc pour la collaboration Marvel/Pif Gadget, mais sans doute nettement moins aboutie qu’espérée par Limansky, et plus proche du chant du cygne : le journal met la clef sous la porte en décembre 1993, les super-héros n’auront pas suffi à le sauver.

(Vous ai-je bien dit qu’il fallait remercier JL Mast ?)

Pif Géant ! Aventures, juillet et décembre 1991.

Autour d’une case de « La Synagogue » de Joann Sfar

J’ai terminé hier l’album La Synagogue, de Joann Sfar (Dargaud, 2022). Comme beaucoup de gens, j’ai beaucoup aimé Sfar, puis j’en ai fait un peu une overdose quant aux tics énervants. Et puis régulièrement je relis ses albums qui m’ont marqué, et apprécie de nouveaux albums, notamment les derniers Chats du Rabbin. Globalement, mes albums favoris restent le Petit monde golem, les Chats et les Grands vampire, Pascin aussi. Globalement je constate que je suis généralement touché par ses titres abordant, d’une manière plus ou moins directe, son rapport au judaïsme, mêlé à l’intime, souvent foisonnant et beau.

J’ai un avis mitigé sur La Synagogue, car un certain nombre d’incartades de l’auteur (comme la première case du bandeau, ou celle sur la tragique affaire Halimi) me semblent assez contestables (Paris est quand même une des dernières grandes villes PS, si l’antisémitisme du meurtre de Sarah Halimi est évident c’est un sujet important de droit que l’irresponsabilité, etc.), elles sont cependant très anecdotiques dans le récit central, même si la construction de l’album est fondée sur des incartades, des allers-retours… C’est assez plaisant dans la majorité des cas, l’album brasse des choses intéressantes sur ce juif qui ne croit guère et se retrouve à garder la synagogue pour échapper aux offices, alors que le terrorisme antijuif se développe.

Mais c’est sur la deuxième case du bandeau que je veux revenir, celle-ci :

p. 125, case 4.

Elle est en partie logique et en partie étonnante. Logique car on y voit un jeune Sfar adorer Rahan, comme tous les enfants de sa génération, et l’acheter à un vendeur militant lors d’une fête locale. Nous avons déjà un peu exploré cette diffusion ici. Le vendeur lui évoque Raymond Poïvet, ce grand dessinateur qui a notamment illustré l’iconique série de Science-Fiction Les Pionniers de l’Espérance, qui paraît de décembre 1945 à août 1974 dans le magazine. Il est assez connu que la série n’était plus très populaire dans les 1970, que le jeune Sfar ne connaisse pas Poïvet est donc normal (de toute façon Sfar est né en 1971, donc il devait acheter des magazines d’occasion), et cette case a sans doute une vocation humoristique montrant comment le jeune dessinateur ne reconnaît alors pas le « grand » dessinateur par excellence du réalisme français.

Ce qui est plus surprenant, c’est de voir le vendeur parler de Marijac. Grand prix de la ville d’Angoulême 1979, il est sans doute le moins connu des lauréats, c’est pourtant quelqu’un de réellement important. Auteur de bande dessinée, résistant, autour des Trois mousquetaires du maquis, Marijac a une activité de scénariste et d’éditeur, à travers l’important journal Coq hardi. Et justement, si Coq hardi est un journal clairement résistant, comme Vaillant, il est aussi clairement gaulliste, et financé à sa création par le MNL.

Puisqu’il s’agit a priori d’un vendeur d’occasions, pourquoi pas, on peut imaginer qu’il fasse découvrir à ce grand ado fan de BD un tas de vieux papiers dessinés des années 60. Donc pourquoi pas Marijac, et tant pis pour l’idéologie ! On dira qu’il y a prescription pour ce bouquiniste qui amenait les idées gaullistes au sein des fêtes communistes, cela reste amusant de se dire que Sfar s’amuse de la licence d’aller chez les coco, ce qui énerve son père, pour qu’on lui parle d’un auteur gaulliste par excellence.

Cela étant, en termes de flexibilité idéologique, Poïvet n’était pas le dernier. Outre sa participation au journal collabo Le Téméraire (avec des planches a priori peu idéologisées contrairement à Liquois ou Erik – dont la série sera pourtant reprise sous un autre nom dans Coq hardi !), et sa participation très active à Vaillant puis Pif Gadget, il a aussi participé à Coq hardi en dessinant Colonel X, scénarisé par Marijac, en 1947 Médioni nous apprend même que l’atelier de Poïvet se trouvait au-dessus des locaux de Coq hardi. C’est sans doute ce héros, qui reste un Résistant, un homme porteur de valeurs qu’un communiste peut apprécier, l’attache étant moins sensible des années après la mort du Général, que notre vendeur présentait au jeune Sfar. On lui pardonnera donc son incartade.

Coq Hardi n° 54, avril 1947. Début d’une aventure du Colonel X…

PS : la possibilité que Sfar ait mis un mot de grand auteur ancien un peu hasard, par réminiscence de la collaboration Poïvet/Marijac, est aussi envisageable. C’était l’occasion un peu de tout ça.

PS2 : Je serai ce dimanche au Mémorial de la Shoah a 14h30 pour une table ronde autour de la bande dessinée sous l’occupation, j’y parlerai évidemment de Vaillant/Pif (et de son ancien nom, Le Jeune patriote).

Index de mes articles universitaires, point 2 sur ?

Après un premier point paru en mars 2022 sur les publication de ma première année et demi de doctorat, voici le point sur mes articles universitaires depuis, alors que j’entame ma troisième année ! (je ne compte pas les livres, j’en parlerais dans un post à part).

Alors bon, qu’y-a-t-il eu, comme vous le savez le temps universitaire fait que des choses paraissent des lustres après leur publication. Bref voici donc les articles parus entre mars de fin octobre 2022 !

La belle et intelligente couv de Jean-Charles Andrieu de Lévis

La très belle revue d’histoire culturelle Sociétés & Représentations a consacré son n° 53 (comme la Mayenne !) à la bande dessinée et particulièrement à la manière dont a été abordée l’histoire de la bande dessinée, sa façon de constituer ses archives, etc. Dirigé par Sylvain Lesage, ce numéro est particulièrement riche (et épais), avec de contributions de chercheurs et chercheuses que j’apprécie beaucoup, comme Benoît Crucifix, Florian Moine, Jessica Kohn… J’y ai signé un texte que je vois un peu comme le pendant de celui-ci, nommé « Bande dessinée québécoise : historiographie d’un champ sous double influence ».

La revue est en papier et sur Cairn, donc indisponible gratuitement aux non-chercheurs, mais j’ai déposé le texte (dans sa maquette finale, car la revue l’autorise ce qui est déjà ça) sur HAL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03668615

Ce n’est qu’une recension mais elle fait plaisir car elle est dans la Revue française des sciences de l’information et de la communication, une bonne grosse revue dans mon domaine. Pour le moments les appels à articles m’excitent modérément mais il y a de beaux dossiers réguliers, donc faire des recensions reste un moyen de participer à ce bel ensemble. Et ça tombe bien car le livre très multi-disciplinaire d’Anna Giaufret se cale bien avec une analyse InfoCom. Ma recension ici : https://journals.openedition.org/rfsic/13625

N’ayant sans doute alors pas tout compris à ce que demande comme travail un article universitaire j’avais, après un stimulant colloque, proposé deux articles à Strenae, très chouette revue sur le livre jeunesse et les objets culturels de l’enfance. Les deux ont été accepté, et il a fallu les écrire. Cela a pris du temps mais voici que la revue est parue et tout le dossier est vraiment passionnant, et riche avec une quinzaine d’articles tout de même ! Le site est en accès libre et on trouvera donc facilement mes deux texte.

Le premier, vu comme une sorte d’addendum à mon ouvrage sur Pif Gadget et le communisme et à des années de travail sur la question, aborde le sujet de Pif Gadget et l’écologie politique, occasion de lier mon engagement militant et cette recherche, sur un axe inattendu : https://journals.openedition.org/strenae/9420

Le second, nettement plus lié à ma thèse et croisant des sujets se recherche et passion, porte sur Pif Gadget au Québec et a été coécrit avec Sylvain Lemay, mon codirecteur de thèse, à travers l’étude de nombreux journaux et de la communication à propos du journal dans la province (où l’aspect communiste, pour le coup, était tu) https://journals.openedition.org/strenae/9439

Un contenu qui va aller en augmentant au fil des semaines, et donc à surveiller !

Ce n’est pas strictement universitaire mais cela reste lié à de la recherche, j’ai été chargé de diriger le dossier sur Julie Doucet (présidente de la BD !) pour neuvième art, revue en ligne de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. Le dossier a été lancé vendredi dernier avec un article introductif de Marie Bardiaux-Vaïente et un long entretien que j’ai réalisé. Il a joliment été titré d’un extrait de l’échange « J’ai trop besoin de toucher, de manipuler la matière, de remuer ». Suivront d’autres articles, textes et témoignages, assurément un autre de ma main puis de johanna Schipper, Izabeau Legendre, Jean-Philippe Martin et Irène Le Roy Ladurie. Et potentiellement d’autres les dossiers étant ouverts à l’infini.

Si vous vous le demandez, le dessin de couv est celui de la couverture du n°14 de la seconde série des Aventures de Pif le chien (juin 1957).

Et c’est en novembre qu’est sorti mon article sans doute écrit depuis le plus longtemps pour le moment, en rythme universitaire je sais que ce n’est pas si long. Suite au colloque PIFERAI sur les strips de Pif le chien, les Éditions universitaires de Dijon ont donc publié le petit ouvrage Pif le chien – Esthétique, politique et société, sous la direction d’Henri Garric et Jean Vigreux, avec des noms qu’on retrouve dans Strenae, mais pas que. J’ai pour ma part fait une analyse pas du tout penchée sur l’idéologie mais sur l’historique éditorial et les réutilisation des strips par les éditions Vaillants, soit un article nommé « D’un support à l’autre, usage et réusage des strips de Pif le chien ». Un autre article universitaire sur Pif attend sa publication, mais j’espère que c’est le dernier à court terme, histoire de ne pas m’en dégouter ^^ En tous cas avec la sortie du livre et sa promo, tout ça a une convergence d’actualité qui, pour le coup, est assez intéressante.

Un article un peu hors de mes sujets de recherches, même si deux des personnes étudiées sont du Québec, tout de même, mais que j’ai tenu à écrire car le thème du dossier m’intéresse beaucoup. Par ailleurs, publier dans Alternative francophone, revue consacrées à la francophone « en mode mineur » dont j’aime beaucoup le postulat en cinq points et dont j’apprécie le fait qu’elle soit publiée par l’Université de l’Alberta, province où la francophonie est bien minoritaire, me faisait bien plaisir. Mon texte sur la vulgarisation/transmission scientifique du point de vue des auteurs/médiateurs se trouve sur ce lien, au milieu d’un beau numéro sur « La bande dessinée scientifique – Les nouveaux territoires du documentaire » : « Depuis la table à dessin : transmettre la science du côté des auteurs. »

*

À suivre : d’autres recensions (pour le BBF et Communication…), des articles pour le Bulletin des bibliothèques de France, La Revue française d’histoire du livre, Comicalité, Voix Plurielles, Mémoires du livre, Archives des lettres canadiennes, Images du travail, Travail des images, Hermès et quelques autres projets, ainsi que deux directions de revues : un numéro de Mémoires du livre sur la bande dessinée vagabonde avec Philippe Rioux à paraître au premier semestre 2023, et un numéro (appel en cours) d’@nalyses sur « Vingt ans de bande dessinée québécoise au XXIe siècle ».

Bandeau de couv : photo d’un tiroir de mots prédécoupés pour les collages de Julie Doucet, dans son atelier, août 2022.

Entretien préparatoire : José Jover, Aziz Bricolo, la politique et Pif Gadget.

Dans la série des entretiens préparatoires, une courte série de questions à José Jover, membre d’Anita Comix, qui a publié dans beaucoup d’endroits dans les 80’s et notamment dans Pif Gadget, avec Aziz Bricolo. Envisagé pour mon livre à paraître chez PLG (Pif Gadget et le communisme) dans quelques mois, j’ai reçu ces réponses il y a quelques semaines, alors que la maquette du livre est bouclée ! Très souvent, le camarade Jover répond à mes questions en développant autre chose, d’imprévu et de tout de même fort intéressant ! C’est l’occasion de parler de bande dessinées, d’édition (José Jover a lancé Tartamudo), du nouveau Pif Gadget et de militantisme, un terme qui – chose rare – n’effraie pas notre invité !

Avant de collaborer avec Pif Gadget, en étiez-vous lecteur ?

Oui bien sûr et aussi de son ancêtre Vaillant !

La série Aziz Bricolo est signée avec Boudjellal et Larbi, vous formiez ensemble un groupe nommé « Anita Comix », souvent présenté comme le premier atelier d’auteur de BD issu de l’immigration. Pouvez-vous présenter un peu ce que vous voulez dire par là et comment la série Aziz Bricolo est arrivée dans Pif Gadget ?

Aziz Bricolo est né d’abord dans le magazine du syndicat national des instituteurs Virgule (1981). J’avais pris rendez-vous avec la rédaction, dont le rédacteur en chef était PEF : auteur Jeunesse célèbre avec son Prince de Motordu mais à l’époque il n’avait publié qu’un seul album Jeunesse : Moi ma grand-mère (La Farandole, 1978). Pef, est devenu un ami très proche aux cours de toutes les années qui ont suivi.

Puis, j’ai dit à mes deux acolytes d’Anita Comix, Farid Boudjellal et Roland Monpierre de se joindre à moi pour ce journal, nous avons donc créé « Aziz Bricolo » pour Virgule. Nous avons commencé à travailler ensemble avant Aziz, avec un personnage que j’avais créé à la fin des années 1970, « Raymond Lafauche » : un pervers sympa et voleur, dont l’occupation principale était à base de gags sur le vol et sur une page ! (courrier des lecteurs bien gratiné d’ailleurs : ils adoraient ou détestaient !). Entre Raymond (qui était le prénom de mon beau père à l’époque) et Aziz, l’aventure a duré deux bonnes années, à raison d’une ou deux pages par mois, d’abord avec Raymond puis avec Aziz : ce dernier était une volonté de Pef qui voulait une série sur la diversité.

Bien plus tard (1987-1988 par-là…), j’ai proposé une autre série BD (Salséro) à Anne-Marie Schropff qui était rédactrice en chef de Pif Gadget, à l’époque encore sise rue du Faubourg Poissonnière. C’était aussi le siège des éditions VMS Vaillant-Miroir du Sprint ET la Farandole, j’avais commencé pour eux un album Jeunesse avec André Igual à l’écriture : La Vie privée des Monstres. C’était encore à la demande de Pef, directeur de collection, mais La Farandole et VMS ont fermé la boîte, avant que ça ne sorte. J’ai ai fait la toute première publication chez Tartamudo des années plus tard, en 1995.

Édition des Fictionnettes de 2004.

Nous avons passé plus d’un an dans des réunions de rédaction, tous les mois chez Pif Gadget (dernière formule coco historique), dans lesquelles participaient des auteurs comme nous, des repreneurs de personnages de Pif (Yannick avec Hercule), mais aussi des anciens très connus de notre milieu, comme Alberico Motta ou François Corteggiani. Anne-Marie m’a proposé de faire une série comme La Ribambelle, de Roba, alors j’ai pensé reprendre Aziz, mais ce coup-ci sans Roland Monpierre, parti pour d’autres aventures. Ce sera donc avec Larbi Mechkour au dessin et couleur, je l’avais connu à la radio libre « Carbonne 14 » au début des années 1980, et présenté à Farid, avec ils ont fait Les Beurs (Albin Michel, 1985).

Avez-vous, avec votre groupe Anita Comix, ciblé ce journal en fonction de ses valeurs revendiquées ? Ou avez-vous été contacté pour ces mêmes raisons ?

J’ai créé la rencontre d’« Anita Comix », chez moi au Kremlin Bicêtre (1981), et trouvé le nom à cause d’un 33 tours que j’avais sous les yeux à mon atelier à ce moment-là, un disque d’Anita Ward (Ring my bell). Roland Monpierre, que j’ai connu aux Beaux Arts de Paris (octobre 1975, c’était l’un des rares artistes noirs !), et Farid Boudjellal, ami d’enfance de Toulon, ne se connaissaient pas, et lorsque nous avons lancé « Anita comix » nous ne savions pas que nous avions créé le concept Black Blanc Beur ! Je me suis dit aussi, que les rédacteurs en chef préféreraient imaginer voir débarquer une belle sud-américaine, plutôt que trois poilus issus de l’immigration ! Et ça a marché, comme quoi… Plus tard, nous avons participé à la naissance de SOS Racisme dont les leaders étaient des sous-marins du PS, Harlem Désir (choisi pour son nom !) et Julien Dray. Nous avons fait l’affiche pour « La Marche des beurs N°2 : convergence 84 ». Nous apparaissons aussi dans le film Performances, sur les talents issus de l’immigration, avec Rachid Taha et une grande et belle expo à Beaubourg sous l’égide de Jack Lang. 

Affiches d’Anita Comix pour Convergence 84 et SOS Racisme

En plus de Pif Gadget, nous avons commencé à bosser pour Pilote, dirigé par Jean-Marc Thévenet, réalisé des tas d’affiches et de plaquettes illustrées, et beaucoup travaillé pour toute la galaxie de la presse communiste : Révolution, Regard, L’Humanité et L’Humanité dimanche, pour qui j’ai illustré des articles de presse et quelques couvertures… Pif Gadget est dans cette galaxie.

Ma motivation est simple à comprendre : j’ai été un immigré avant ma naturalisation, avec une carte de séjour et une carte de travail. J’ai participé à des associations (oubliées) en faveur des immigrés, telle le CUFI (Comité Unitaire Français Immigrés) et suis entré dans l’extrême gauche Trotskiste d’Alain Krivine. Ils me paraissaient les mieux indiqués au regard des sectes des malades maoïstes, de Lutte Ouvrière, voire des trotskistes dits Lambertiste, dont avait fait partie Jean-Luc Mélenchon, par exemple. On a pu débattre sur ces thèmes ensemble, au début des années 2000 puisque je l’ai fréquenté de près.

C’est la raison pour laquelle il est présent dans le documentaire Jeunesse (collectif avec entre autres, Cavanna, Luis Régo etc) Mon album de l’immigration en France, que j’ai publié et co-dirigé avec ma jeune assistante de l’époque, que j’ai formé, Bérengère Orieux, qui est devenue éditrice de Ici-Même.

Aziz Bricolo est publié en 1987-1988 dans Pif Gadget, pourquoi la série s’est-elle arrêtée si vite ?

Parce que ça a fait faillite : les communiste feraient mieux d’engager un expert-comptable plutôt que des leaders politiques. François Cortegianni a pu récupérer des originaux  des grands anciens, à VMS : DANS LES POUBELLES ! Ils avaient été jetés. Du coup, il m’a offert un original des Rigolus et des Tristus, de Cézard

On entend souvent qu’après 1975 le lien entre Pif Gadget et le communisme devient très ténu. Aviez-vous eu des échanges politiques avec la rédaction ou des collègues ? Sentiez-vous ce ce patronage du parti qui existait toujours ?

De fait, quand Pif Gadget renait de ses cendres vers 2004-2005, j’ai monté l’affaire avec les gars et les filles du journal des jeunesses communistes Avant Garde : à leur demande ! Je suis allé à des réunions place du Colonel Fabien, leur siège, et à L’Humanité, à Saint Denis. J’avais fait un « business plan » à hauteur de 50 000 en kiosques, avec une culbute financière à 30 000 vendus. Patrick Appel-Muller, rédacteur en chef adjoint de L’Humanité, que je connaissais de mes activités de dessinateur dans cette presse, est venu à plusieurs reprises à mon petit bureau de Tartamudo. Il venait prendre des notes pour savoir comment j’allais m’y prendre suite aux réunions !

J’avais monté une équipe de dessinateur, et de journalistes, dont Laurent Mélikian : il pourra témoigner de ce que j’écris là. Me voilà bombardé rédacteur en chef du nouveau Pif Gadget ! Puis, Patrick Apel Muller a pris le pouvoir du journal sur la base de mes notes, et a recruté François Cortegianni comme rédacteur en chef ! Il s’en excuse encore aujourd’hui, et indique que ce n’était pas sa volonté : ce à quoi je luiai dis que c’est de l’histoire ancienne. Bref, de fait au lieu de lancer 50 000 ex comme je l’avais prévu, ils en lancent… 400 000 ex… et ça a marché ! Ils ont même dû retirer les trois premiers numéros. Laurent Mélikian voulait faire un gros dossier dans le magazine Lanfeust Mag, où il bossait aussi, mais je lui ai dit que je ne voulais pas la guerre avec les cocos. Il a quand même fait une page sur cette histoire dans ce journal (que j’ai gardé bien sûr !).

Enfin, ne vous a-t-on pas par la suite étiqueté parce que vous veniez de Pif Gadget ?

Oui, je suis considéré comme un « militant » EN GÉNÉRAL (pas que pour Pif !), ce à quoi je réponds systématiquement : militant de quoi ?! Militant de la cause littéraire, artistique et des auteurs et artistes, certainement !

Entretien réalisé par courriel
en décembre 2021

Les folles années de l’intégration, réédition des Beurs et d’Aziz Bricolo par Tartamudo en 2004.

Quelques souvenirs de Nikita Mandryka (1940-2021)

Le 13 juin dernier, Nikita Mandryka est mort. Il est l’auteur d’assez nombreuses BDs mais surtout du Concombre Masqué, série qui a eu l’intérêt assez rare de naviguer non seulement entre différentes revues historiques mais aussi entre des organes aux publics très différents. Jugez donc : début dans Vaillant/Pif Gadget (jeunesse), passage à Pilote (ado-adulte) puis L’Écho des Savanes (adulte) après un désaccord mythique, microscopiquement dans (À suivre…) pour une brève incartade politique (adulte aussi), avant de finir sa carrière de presse dans Spirou (re-jeunesse mais aussi lecteurs nostalgiques). En parallèle le Concombre a vécu en albums chez Dargaud puis, ces dernières années, chez Mosquito et, surtout, Alain Beaulet, qui a publié La Vie secrète du Concombre masqué à peine un mois avant sa mort. On pourrait aussi citer l’étonnant passage du Concombre dans la BD utilitaire avec le fameux Pas de sida pour Miss Poireau, vulgarisant l’usage du préservatif, scénarisé par Moliterni et envoyé dans nombre de collèges et autres lieux d’éducation (édité en 1987 et en 1994). Il fut pour ma part un élément important de mon éducation sexuelle. Le concombre, enfin, était présent en ligne sur un site foisonnant, complètement foutraque, tenu par Mandryka lui-même depuis les années 90, à une époque où c’était franchement rare. On y retrouve des dessins inédits, rééditions, avis philosophico-politiques, souvenirs, republication de séries qui lui plaisaient… Le Concombre était donc malléable et a eu de multiples vies, parfois contradictoires.

Mais si Mandryka a une œuvre riche, dont on a salué l’aspect original, volontiers absurde, surréaliste, marquée par la philosophie orientale (principalement le Tao) comme le burlesque américain, s’il a été récompensé par ses pairs du Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1994, c’est sans doute autant pour son rôle majeur dans l’édition franco-belge (et suisse, puisqu’il vivait dans ce pays). Adolescent, j’étais marqué par les pages ésotériques du Concombre dans les vieux Pilote de mon père, mais aussi pour les pages clairement obscènes dans les vieux numéros de l’Écho. Surtout, je constatais, déjà intéressé sans m’en rendre compte par les coulisses de la bande dessinée, qu’il était celui qui décidait du contenu, le rédacteur en chef tout puissant d’une revue qui me choquait un peu tout en m’épatant par la liberté de ton, mais aussi de création graphique et narrative. « La nouvelle bédé c’est dans l’Écho qu’elle est ! » titre une de ses célèbres couvertures, et c’est sans doute vrai. Une bande dessinée dans un large éventail, mêlant l’underground à l’expérimental en passant par des formes plus classiques mais, souvent, des voix originales. Nous avons déjà évoqué cette époque sur ce blog, avec Philippe Marcelé.

Couverture de l’Écho des savanes n° 15 (décembre 1975)

Nikita Mandryka a participé à l’aventure VaillantPif Gadget puis a migré à Pilote en espérant pouvoir parler à un public plus large, plus adulte, et faire des BDs plus libres. La manière dont son Concombre regardant pousser un jardin zen durant des pages et des pages a eu raison de Goscinny et mené à la création de L’Écho des savanes, avec Gotlib et Bretécher, en 1972, a été raconté des centaines de fois. On raconte moins comment il a dirigé ce journal seul au bout de quelques années et permis à des dizaines d’auteurs d’être publiés, avant de lâcher l’affaire en 1979, effaré par les problématiques de gestion et les luttes de pouvoir qui ne l’intéressent guère. Il revient pourtant dans ce rôle de rédacteur en chef pour la relance de Charlie Mensuel durant un an, de 1982 à 1983, avant de prendre la direction de Pilote. Si la presse est alors en crise et que son travail paraît moins révolutionnaire qu’à L’Écho, ce passage à la tête de trois revues mythique en fait autant un auteur qu’un éditeur d’importance, façonnant à travers ces revues à certain pan de l’histoire de la BD.

Mandryka aimait causer, raconter, nous aurions sans doute été en désaccord sur un certain nombre de choses, mais il était profondément curieux et généreux. Pour le critique que je suis, qui s’intéresse à l’histoire de la presse BD, c’était aussi un « bon client », toujours disponible pour un entretien et prêt à donner de son temps. Depuis que j’écris sur la BD, je l’ai appelé régulièrement, et ai réalisé au moins quatre entretiens avec lui : dans le Gorgonzola n° 4 (juin 2005), sur Du9 avec un très long entretien carrière (décembre 2010), à l’occasion de sa venue à Paris pour un salon hommage à Pif Gadget, qui reste gravé dans ma mémoire pour les plus de 2h30 passées en sa compagnie – et au moins le double à faire le tri sur l’enregistrement, il avait derrière repris le tapuscrit avec beaucoup d’attention –, par téléphone pour nourrir mon article sur L’Écho des savanes dans Les Cahiers de la BD n° 10 (juin 2020) et enfin par courriel pour mon livre sur Pif Gadget et le communisme (à paraître fin 2021 mais réalisé en avril 2019). Il était toujours disponible, prêt à raconter tout et n’importe quoi, il fallait faire le tri, ça allait dans tous les sens, il s’enflammait, parfois en déclarant sa passion pour quelque chose (la dernière fois, signe de sa curiosité constante, pour la thèse de Sylvain Lesage qu’il a tenu à m’envoyer en PDF ensuite !), parfois en m’engueulant à moitié parce que je ne saisissais pas assez, en réalité toujours prêt à rendre service et à partager.

Je ne l’ai rencontré qu’une fois mais je l’aimais bien. Ce grand type si étonnant, héritier d’une bourgeoisie russe en exil, qui a grandi en Tunisie puis s’est lancé dans la bande dessinée à Paris… Il portait avec lui sans doute un sacré bagage, mais aussi un gros pan de l’histoire de la BD et c’est sans doute ce qui a motivé l’adolescent que j’étais à l’interviewer au tout début de Gorgonzola. Pour situer, on parle alors d’un fanzine tiré à 70 exemplaires édité par un lycéen, vendu quasi exclusivement à ses proches. Pas sûr que l’intérêt pour Mandryka ait été très grand et pourtant il a répondu très vite okay pour l’entretien, par téléphone (mes parents avaient été un peu choqués en apprenant que c’était vers la Suisse, à l’époque les box illimités n’étaient qu’un fantasme). Déjà, son cursus d’éditeur et ses choix radicaux m’interrogeaient. À vrai dire, je m’étonne de voir qu’à 16 ans tout cela m’intéressait déjà, mais ce choix d’interview n’était pas anecdotique, c’était un modèle en édition, une figure tutélaire qui, en plus, acceptait le rôle.

Ci-dessous, pour mémoire, l’entretien publié dans le Gorgonzola n° 4 de juin 2005. J’avais 16 ans et on est loin d’un contenu aussi intéressant que les autres, mais c’était le début. Mon troisième entretien en fait (le premier a été Mattt Konture, le deuxième Julie Doucet, mais c’étaient des auteurs que j’interrogeais et non des éditeurs), il a été sacrément important pour la suite. Si dire oui à un long entretien pour une revue ou un site installé est une chose, faire de même pour un gamin sorti de nulle part (et la Mayenne c’est un peu nulle part) en est une autre. Et il l’a fait sans barguigner, en m’accordant autant de temps que je le voulais. Une anecdote qui me fait penser que Mandryka était un homme bien. Nous ne nous parlions que ponctuellement, mais il va me manquer, mon « bon client » préféré.

NB : Mandryka est aussi un auteur qui partage son jour de naissance avec mon grand frère, chose qui ne veut rien dire mais quand même (c’est aussi le jour de naissance de Arthur Rimbaud, Alphonse Allais et André Santini, bon)

Crédit image : Nikita Mandryka en 2011 part Rama (Wikimedia)

Entretien préparatoire : Christian Flamand, le communisme et Pif Gadget.

Dans la série des entretiens préparatoires, une courte série de questions à Christian Flamand. Entré très jeune chez Pif Gadget, il y fut assistant de Jean-Claude Poirier (Horace, Supermatou…) et auteur pour les « Poches ». Intéressant petit texte, car je conclus mon livre (parution chez PLG, 2021) par une ouverture liée à l’écologie politique… Avec l’envie de consacrer une communication de colloque à ce sujet et voici que Christian, qui a répondu un peu trop tard pour le livre, m’en parle !

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Christian Flamand vers 2013.

Avant de collaborer avec Pif Gadget, en étiez-vous lecteur ? Quand vous y rentrez chez Vaillant êtes-vous au courant que le magazine est lié au PCF ? Vous en parle-t-on ?
J’ai acheté Pif Gadget dès le numéro 1 (dommage, ma mère l’a jeté depuis…), mais enfant, j’étais déjà lecteur de Vaillant, et très admirateur d’Arnal et de Cézard… Ils font partie de ceux qui m’ont donné envie de faire ce métier. Quand je suis entré chez Pif fin 1972, il était de notoriété publique que la rédaction était liée au PCF, le bruit courait d’ailleurs que les bonnes ventes de Pif-Gadget permettaient de maintenir L’Huma à flot… Mais ce lien restait anecdotique et on ne m’en parlait pas plus que ça. 

Quels étaient à l’époque vos positions politiques et votre regard par rapport à l’étiquette rouge posée sur Vaillant ? Cela vous plaisait-il, vous gênait-il ou bien même vous laissait-il indifférent ?
J’avais 17 ans quand mes dessins ont été acceptés dans la série Poche, et encore assez gamins dans ma tête, donc ma position politique était encore assez floue… Mes parents n’avaient aucune culture politique, et de ce fait ne m’ont jamais influencé. Les jeunes gens de ma génération étaient plutôt de sensibilité socialiste. Moi j’avais des sympathies pour le PSU, situé entre la SFIO et le PCF. Donc, bien que n’étant pas adhérent au PCF (j’avais même quelques difficultés de dialogue avec les quelques camarades que je rencontrais à la Fête de l’Huma…), je me sentais plutôt à l’aise dans cette grande mouvance de gauche. Je me suis très vite rapproché de l’écologie, concept défendu très tôt par Pif-Gadget, et mon premier vote en 1974 a d’ailleurs été pour René Dumont. 

Un Supermatou de Flamand dans le Roi du rire poche n° 12 (mars 1979)

Votre série n’est pas marquée par la politique, mais avez-vous eu des échanges sur le sujet avec d’autres dessinateurs laissant penser qu’ils voyaient cet axe dans leur travail ?
Les jeunes dessinateurs des Poches avaient relativement peu de contacts avec les stars de l’hebdo. On présentait nos dessins rue Lafayette et on reprenait le train presque aussitôt pour retourner en province… Il est évident que le travail des auteurs était plutôt influencé par des idées progressistes : la tolérance, la parité, l’écologie, une certaine liberté d’humour qu’on ne retrouvait pas dans d’autres titres de la presse enfantine. Mais cela était non écrit, induit dans l’esprit de l’époque.

De manière générale avez-vous ressenti une quelconque manière le lien au PCF lors de votre collaboration ou était-ce uniquement une chose sue sans plus ?
Très honnêtement, jamais personne à la rédaction ne m’a demandé de faire passer un quelconque message idéologique. Le lien au PCF était connu et accepté, et cela ne semblait avoir aucune importance dans le cadre de notre travail. On sentait au contraire une certaine liberté d’action, peut-être idéologique en y pensant après coup, et on sentait que notre travail était respecté. Et payé convenablement, avant que les choses se gâtent à la fin des années 70…

Dans l’autre sens, ne vous a-t-on pas étiqueté idéologiquement, a priori à tort, parce que vous veniez de Vaillant ?
On m’a effectivement souvent posé la question. Cela ne m’a d’ailleurs jamais dérangé. J’imagine que d’aucuns ont pu penser que j’avais ma carte. Un célèbre joueur auxerrois de l’AJA des années 80 pensait d’ailleurs que j’étais communiste, comme lui… Au détour d’une conversation, il a appris que ce n’était pas le cas, et il en a été extrêmement peiné. Il a eu même du mal à me retutoyer !

Réalisé par courriel le 07 juillet 2020.


Mattioli, l’affreux végan et le contexte

Dans le Pif Gadget n° 758 d’octobre 1983, Massimo Mattioli propose un gag de Pinky titré Gastronomie où il est menacé par un horrible…. végan !

Évidemment, vu la date (le mot existait, mais était très peu usité en France ou en Italie) et le contexte général de la planche, on comprend bien que Mattioli (ou le traducteur d’ailleurs) a simplement choisi une planète pour l’extra-terrestre. La série Goldorak, où le héros affronte l’empire belliqueux de Véga, popularisait justement l’étoile, lors pourquoi pas Véga ? (il semble même que ce soit un gimmick classique de SF en général).

C’est quand même un assez formidable hasard que ça tombe sur une page qui parle cuisine. Qui parle notamment de rôtir. Mais le ressort comique ne repose pas que là-dessus, juste sur une sorte de reprise d’un retournement assez classique où le gentil utilise l’orgueil et la bêtise du méchant.

Et 40 ans plus tard, un possible gros facteur d’erreur de lecture pour qui tomberait sur la page sans savoir d’où elle vient, par exemple sur un réseau social x ou y. Un nouvel exemple assez marrant de l’importance du contexte et de chercher les sources de publications.

Et voilà, ma journée est faite avec ce genre de truc !

Voici la page, en ensuite un résumé des débats que ce mini-post a créé sur facebook, très intéressant je trouve !

Massimo Mattioli, Pinky : Gastronomie, Pif Gadget n° 758 d’octobre 1983.

Après avoir posé la page sur Facebook, on m’a signalé que le terme existait dans des fanzines alternatifs de la fin des 70’s, notamment dans des textes de la chanteuse Elli Medeiros.

Mattioli étant lui-même proche du milieu punk, il aurait pu connaître le mot et faire une blague à double niveau : le premier le simple gag pour le lecteur de Pif, qui n’avait aucune chance d’avoir la référence, le second pour quelques happes fews tombant dessus par hasard.

Un auteur italien que j’apprécie par ailleurs beaucoup est ensuite intervenu pour nous indiquer que les végans étaient des méchants assez classiques dans les BD de SF de Mattioli et que c’est la première fois qu’il les voyait dans un contexte de cuisine. Ce qui pour le coup évacuait un peu l’hypothèse.

Il faudrait aussi savoir si la planche comporte le même terme en italien et, si non, si c’est Mattioli lui-même qui traduisait ses planches… On ne saura jamais le fin mot, mais ça reste amusant cette affaire !

À propos de Paul Tell, diffuseur militant de presse communiste (entretien)

Dans le cadre de mon projet d’ouvrage Pif Gadget et le communisme, à paraître en 2021 chez PLG dans le prolongement de mon mémoire de master 1 et d’une conférence donnée cette année au Festival d’Angoulême, je m’intéresse à des liens que je n’avais pas encore étudiés. Parmi eux, la réception des valeurs du journal par les lecteurs et la vente militante, un classique de la diffusion de la presse d’après-guerre. Le Parti communiste français a beaucoup investi la diffusion militante et j’ai eu la chance d’avoir des contacts avec différents ex-vendeurs et enfants de vendeurs grâce au groupe Facebook des fans de Vaillant et Pif, ce qui a donné lieu à des entretiens. Comme ils ne seront pas repris in extenso dans le livre j’en publierai directement ici, car ce sont des documents très intéressants. Débutons donc avec Fanny et Fabien Tell, qui nous parlent de leur père.

Un vendeur ambulant de L’Humanité dans 50 ans de cinéma de l’Huma. La Terre fleurira (1928-1981), Les Mutins de Pangée/Ciné-archives, 2015.

Qui était votre père et savez-vous comment il s’est retrouvé à vendre la presse communiste, sur quel secteur et durant combien d’années ?

Fanny Tell : Mon père Paul TELL (né le 13 02 1930, disparu le 26 décembre 1998 à Cavaillon) est le fils de Félicien TELL (né en 1902, décédé en 1986). Ouvrier agricole, il est communiste, anticlérical, anti-colonialiste et syndicaliste. Il est arrêté en 1941 et déporté pour raison politique à Buchenwald. Il survit au camp, deviens petit paysan, participe à fonder le syndicat agricole MODEF et devient conseiller municipal de son village, Sénas (Bouches-du-Rhône).
Mon père s’engage politiquement à la Libération. Il a 14 ans et milite d’abord aux côtés de son père au Parti communiste français et surtout à la CGT. Après avoir été ouvrier agricole, il est devenu secrétaire de la CGT, spécialisé dans le monde agricole, et élu à la Mutualité sociale agricole1. En 1977 il est élu maire de notre village d’Orgon (2500 hab), à côté de Sénas, et quitte son travail pour se consacrer entièrement à son poste. Après avoir perdu les élections en 1983 il se retrouve sans emploi, je vous laisse imaginer quels étaient ses revenus !
Au chômage durant quelques temps très difficiles pour notre famille de 5 enfants avec une mère au foyer, il travaille alors quelques années comme salarié commercial pour le journal La Terre puis devient commercial pour SOCASSUR, qui assurait les collectivités locales, avec en charge une bonne partie de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est à peu près le seul moment où il a eu un salaire décent.
Mon père a vendu la presse communiste dans cette zone jusqu’à sa mort, en particulier L’Humanité dimanche.

Fabien Tell :J’ai toujours connu mon père vendant ces journaux le dimanche matin, je sais qu’ils les vendaient avant ma naissance. Je dirais des années 50 jusqu’à sa disparition en 1998. Sur le plan professionnel, après avoir été aide familial chez son père, mon père a toujours eu un « métier » de militant dans un organisme proche du PCF ou de la CGT jusqu’à la fin de sa vie.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire : nombre de titres approximatif, connaissance du fonds, est-ce sur les marchés ou aussi en porte-à-porte, etc. ? Était-il rémunéré pour cela où était-ce un acte totalement militant ?

Fanny Tell : Il a d’abord vendu Vaillant puis Pif Gadget ainsi que L’Humanité dimanche et La Marseillaise2 pour lequel il devient correspondant local. Il vendait aussi Regards, assez confidentiel et, vu notre milieu social, La Terre3.
Il diffusait les journaux le dimanche directement aux habitués puis en porte à porte et au café, il n’y avait pas de marché ce jour-là. Je suis née en 1969 et je l’accompagnais quelquefois quand j’étais enfant, j’adorai cela jusqu’à à peu près mes 12 ou 14 ans. J’étais chargée d’apporter Pif Gadget et L’Humanité dimanche aux voisins « abonnés ». Les familles me recevaient avec plaisir et les enfants avec joie, j’avais le droit à des bonbons j’étais, ravie. Petit à petit les gens continuaient à prendre Pif Gadget mais moins L’Huma dimanche.
C’était totalement bénévole sauf pour les quelques années, 2 ou 3  ans, où il a été salarié comme commercial par La Terre.

Fabien Tell : Dans mon souvenir, il devait, au plus fort des ventes, distribuer une trentaine d’Huma dimanche et une quinzaine de Pif Gadget pour un village de 2000 habitants. La vente n’était pas rémunérée, c’est sûr si ce n’est le fait d’avoir l’abonnement gratuit si je me souviens bien.
En fait, j’accompagnais très souvent mon père le dimanche car, étant le seul garçon, il y avait une volonté de transmission. J’étais très jeune (6-13 ans) et je ne me souviens pas avoir dû les vendre moi-même, j’en ai parfois livré à des habitués.

En tant que militant, comment voyait-il les publications liées à Pif : simple distraction pour les enfants ou y voyait-il les mêmes valeurs que dans les autres titres, mettait-il cela en avant dans ses ventes ?

Fanny Tell : Il y voyait certes une distraction, il lisait lui-même Pif Gadget et s’en amusait, ainsi que des gadgets, mais il était très conscient des idées véhiculées, qu’il qualifiait de progressistes. Les valeurs de solidarité, d’anti racisme et d’éducation à la science et à la culture générale étaient essentielles à ses yeux.
Il n’avait pas besoin de mettre ces valeurs-là en avant tout le monde ou presque lisait Pif sauf les familles anticommunistes forcenées.

Fabien Tell : C’était un lecteur assidu de Pif Gadget comme toute la famille (5 enfants). Je pense qu’il était conscient du rôle culturel d’un journal comme Pif Gadget face à l’invasion de l’idéologie américaine au travers des BD comme Mickey. Pour ses ventes, il ne mettait pas cela en avant, il n’était pas un prosélyte. À l’époque Pif se vendait fort bien du à la qualité des ses BD (pour tous les âges) et son gadget inimitable. Ce dernier, dans mon souvenir, visait plus à titiller l’esprit ou la curiosité scientifique qu’à simplement divertir. D’où peut-être son succès dans une époque qui se modernisait.

Paul Tell, la vingtaine, lors de son service militaire a Casablanca en « camp disciplinaire car anti-colonialiste et syndicaliste . Il en reviendra encore plus solidaire des immigres du Magreb qu’il défendra dans le milieu agricole, aux Prud’hommes notamment » selon sa fille.

De manière générale liait-il les publications de bande dessinées aux publications plus proches de l’information ou n’y voyait-il que de la distraction, sans idéologie nette ?

Fanny Tell : Chez nous pas de Mickey Parade jugé trop capitaliste avec Picsou. Pas de Tintin non plus, trop raciste et colonialiste, mais Astérix était en revanche bien vu, jugé intelligent et instructif même. Pour lui une BD devait être distrayante et drôle, mais avec un aspect éducatif et des valeurs.

Savez-vous si les vendeurs recevaient des « consignes » du parti au sens d’arguments de communications marqués : telle semaine plus parler de tel aspect, mettre plus en avant ce titre, etc. ?

Fanny Tell : Je n’en sais rien du tout, mais connaissant mon père qui détestait ce qu’il appelait le « catéchisme du parti », il devait faire un peu ce qu’il voulait à ce niveau-là.
Il faut peut-être voir avec mon frère plus âgé qui doit avoir des souvenirs sans doute plus précis que les miens, la mémoire est subjective .

Fabien Tell : Si vous parlez de Pif Gadget, je ne pense pas. Pour L’Humanité dimanche, je n’en ai pas le souvenir. À l’époque la communication au sens d’aujourd’hui n’existait pas encore. La presse partidaire revendiquait faire de la propagande qui n’était pas connotée comme aujourd’hui.

Pour vous enfant qui lisiez ces magazines, Pif était-il de cette « famille communiste », si oui qu’est-ce qui vous y faisait le plus penser ?

Fanny Tell : Oui, je savais déjà enfant que Pif Gadget était un journal de la famille communiste vu ma famille il aurait difficile de l’ignorer !
Pour moi, ce qui m’y faisait penser étaient les valeurs prônées par certains personnages comme Rahan le héros pacifiste et qui tente de découvrir d’autres tribus en ayant foi dans la bonté des hommes et leur solidarité. L’anti racisme du journal les valeurs de fraternité, d’amitié entre les peuples, l’égalité et le combat contre l’injustice m’apparaissaient à cette époque comme communiste ou progressiste.

Fabien Tell : Je dirais que Pif Gadget était plutôt d’inspiration humaniste et clairement dans la philosophie des Lumières : « le osez savoir !! » kantien. Les BD « tous publics » (Rahan, Doc Justice, Corto Maltese, Robin des bois) mettaient en avant à la fois la dénonciation de l’injustice et l’usage de la raison pour la combattre. L’homme qui marche debout est vraiment une métaphore de l’homme dressé pour ses droits.
Le fait d’avoir perdu un peu cette orientation, du fait du succès commercial de Pif Gadget, dans les années 80 pour concurrencer la presse jeune me semble avoir été une erreur. Pif était bien identifié par les gens comme un journal avec une opinion et cela n’empêchait pas ses ventes.
J’ai nettement perçu au début des années 80 un changement dans la nature des BD ciblant plus un public ado. Pif est devenu un journal jeunesse comme beaucoup d’autres. Certes le reflux de l’idée communiste, la chute du mur et la Mcdonalisation ont fortement joué, mais dans mon souvenir le changement rédactionnel a commencé avant. Je suis peut-être en train d’inventer des souvenirs…

Fanny, vous êtes ensuite devenue journaliste, avec un parcours atypique. Le contact quotidien dès l’enfance avec la presse et les discours d’émancipation a du influer ce parcours ?

Oui, tout à fait. Sociologiquement, étant enfants d’ouvriers agricoles, nous avions peu de chances d’une part de faire des études supérieures, d’autre part d’accéder à un métier « réservé » à une élite.

Outre le désir de mon père de pousser ses enfants à faire des études pour s’émanciper de la condition ouvrière (nous serons 3 sur 5 à faire des études supérieures), plusieurs choses ont eu une influence sur mon parcours et celui de mes frères et sœurs. D’une part, l’éducation était sacrée pour mes parents qui suivaient de près notre scolarité. De l’autre, nous avions accès au Livre, à la presse et à la culture

Mes parents achetaient beaucoup de livres, chose rare dans les familles de mes copains de classe. Par exemple, ils avaient investi dans l’encyclopédie Tout l’univers pour notre scolarité. À la maison : classiques de la littérature française (Zola, Hugo, Maupassant…), livres d’histoire, essais, revues (Courrier de l’UNESCO, La Recherche). Lorsque je commence des études de Lettres modernes en 1987 ma mère m’offre le Robert et plus tard un abonnement à la revue littéraire Europe. Aux fêtes de La Marseillaise, nous allions au salon du livre ; l’accès au spectacle vivant, à l’histoire et l’histoire de l’art, était valorisé également par une famille sensibilisée via l’école du parti. Une de mes sœurs tentera les Beaux-Arts. Mon père faisait tous les jours une revue de presse de tous les journaux qu’il archivait par thème.

J’ai travaillé dès mes 15 ans (baby-sitter, femme de ménage, animatrice en colonie de vacances et centre de loisirs) pour acheter mes livres scolaires. En 1988, sur les traces de ma sœur étudiante en A.E.S, je deviens surveillante d’externat pour financer mes études. Ma passion ? Le Livre, l’écriture et la culture. La formation aux métiers du Livre n’est pas accessible aux étudiants salariés. Je commence une maitrise de Lettres sur le roman sud-africain engagé contre l’Apartheid doublé d’un cursus de F.L.E. En 1995, l’artiste peintre Théo Gerber écrit un livre qui ne trouve pas d’éditeur classique. J’écris alors mon premier article sur cet ouvrage et le propose aux journaux locaux basés à Aix-en-Provence : Taktik, Le Provençal, et La Marseillaise.

La Marseillaise le publie et m’en demande bientôt d’autres. En 1996, je suis recrutée au siège de Marseille au moment où le quotidien s’ouvre à toutes les forces de gauche. J’apprends sur le terrain : social, éducation, droits des femmes, droits des minorités, extrême droite.

En 2000, je rentre chez « Demain ! », filiale de Canal + spécialisée entre autres dans l’écologie et le lien social, qui sera liquidée peu après suite au rachat par Vivendi. Je me réoriente alors dans la « presse institutionnelle à Bagneux, où se situaient les locaux de “Demain”, puis auprès du conseil régional d’Île-de-France comme journaliste multimédia en 2007 après l’obtention d’un concours de fonctionnaire territoriale.

Avec le recul, ce parcours non linéaire m’apparait comme logique.

Entretien réalisé par courriel
du 31 mars au 4 avril 2020

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est tell.jpg.
Paul Tell fut candidat à de nombreuses élections pour le PCF dans son secteur. Ici, il suppléait le sénateur Louis Minetti pour les élections législatives de 1993. Archives électorales du CEVIPOF.

1 Régime de sécurité sociale des professions agricoles.
2 Quotidien régional du Sud -est (hebdomadaire dans le Sud-Ouest) issu de la résistance et longuement rattaché aux mouvement communiste.
3 Hebdomadaire fondé par Waldeck Rochet en 1937, consacré au monde paysan.