Je ne sais pas si vous connaissez Jérôme Gorgeot, depuis plus de 20 ans il fait des BDs autobios, avec une focale sur une vie qu’on ne voit pas trop dans les BDs : un gars de province, à une époque marqué à droite, etc. Je l’ai croisé pour la première fois sur le site BDAmateur et j’avoue qu’il m’énervait, j’étais ado et encore sans droit de vote et il se vantait d’aimer Sarkozy ! Il en est revenu, sans devenir de gauche, mais a pris beaucoup de distance avec ça je pense… Il était journaliste de presse quotidienne régionale, devenu directeur de cabinet, revenu largement de la politique il a étrangement une petite célébrité sur Tik Tok ! Je sais en tous cas que j’étais étonné par cet autobiographe qui semblait avoir beaucoup de références communes avec moi mais être très différent.
À un moment je ne l’aimais pas du tout, je l’avoue, puis le type est sympathique et a posé clairement des gestes nécessaires pour moi (dans une BD des années 2000, il défendait Dieudonné et la liberté d’expression, mais il a ensuite condamné très clairement la dérive quand il a vu « l’humoriste » faire monter Faurisson sur scène, les deux fois en BD, en assumant se sentir trahi et couillon. Pour moi sur ce sujet Faurisson est la bascule absolue, avant il y a déjà des choses, mais tu peux essaye de croire à l’humour, là non). Bref je vous dis ça car à la base Jérôme c’est quelqu’un qui existe dans un paysage un peu lointain, dont je lisais au début le travail avec énervement mais en étant intrigué, et petit à petit moins énervé, toujours intrigué. On a fini par se croiser, discuter, et bon, sans devenir un fanatique de son travail j’apprécie de le lire et de le voir. Se montrer y compris dans ses erreurs, sans vraiment de fard (non d’autocomplaisance) c’est pas si commun.

Comme beaucoup de fanzineux, Jérôme a une activité diverse à côté de celle d’auteur (et je ne parle pas de faire bouillir la marmite, mais toujours dans le champ des BDs), notamment celle de coorganisateur d’un festival et, surtout, d’éditeur d’un collectif. Ce collectif, Egoscopic, était consacré à l’autobiographie en BD, à une époque où c’était bien plus commun qu’avec Ego comme X, mais en fait plus si commun d’avoir une anthologie juste à ce sujet. Egoscopic a connu 20 numéros copieux (cent pages, en couleur) entre 2012 et 2023, puis s’est arrêté, c’est déjà une longue vie pour un zine et comme souvent ça épuise l’énergie – être auteur est une chose, organisateur de collectif une autre, et vendeur sur des salons vraiment une autre. Bref on peut commander les numéros disponibles ici, c’est curieux Egoscopic car il y a vraiment des contenus inégaux, en ce sens c’est un vrai fanzine bédéphile à l’ancienne, le Jérôme Gorgeot « fan de » y a contacté ses stars : Lolmède, Baudoin, Placid, Duffour, Fifi, Barale, Rochier… au milieu de ses copains, de parfois débutants, de gens croisés sur d’autres stands, j’aime beaucoup cet esprit, c’est dit.
Bref, aussi par le contexte de mon rapport à Jérôme, de ces souvenirs anciens, j’ai mis du temps à me pencher sur Egoscopic, alors que bon, je fais de l’égozine, ça aurait été une débouchée logique. Je ne sais plus comment j’ai fait des pages pour le n° 19, je sais que Jérôme aimait Ceci est mon corps, et j’avais justement une idée de récit court, mais je me demande si ce n’est pas suite à une demande d’El Chico Solo, et que je me suis dit « quitte à être dans ce numéro »… on ne saura jamais mais j’explique bientôt plus clairement la phrase qui vient d’être écrite. En tous cas, en novembre 2022 est sorti le n° 19, sous une belle couv de l’ami Jean Bourguignon (on a fait un bouquin ensemble) et j’y propose des pages. Mais, chose plus curieuse, j’y apparais plusieurs fois ailleurs !

En effet, j’apparais sans surprise dans ce numéro dans mes 3 pages autobiographiques, « Mes vêtements vous parlent », dont l’objet est comme souvent de raconter ma vie à travers des détails de l’expression du corps ou, dans ce cas, de ce qu’il y a dessus. Ce sont des pages assez classiques de ce qui ressemble à mon travail.

Par ailleurs, il s’avère que l’ami El Chico Solo (interviewé comme « fanzineux disparu » dans Gorgonzolail y a des années, depuis régulier de mon zine puis leader suprême du groupe « J’AI ! »), qui publie dans Egoscopic depuis plusieurs numéros, avait décidé d’y raconter son Angoulême précédent. Comme il y a croisé des dessinateurs, il leur a demandé de se dessiner eux-mêmes pour être collé dans ses pages. D’ailleurs c’est un collage littéral puisque ce n’est pas numérique, il imprime au bon format nos dessins et zou. Il ne s’agit que de trois petits dessins, visibles ci-dessous, mais ça se passe dans mon appart avec mon regretté chat Lénine, qui aimait tant dormir sur des gens nouveaux.

Je suis donc personnage dans ma BD, c’est classique. Dans celle d’un autre, ça l’est moins, mais je me dessine. Et voici que je retrouve sur mon disque dur deux pages d’Aleksandar Zograf, formidable dessinateur serbe, régulier de Gorgonzola (et dont on a publié un beau recueil de dessins, Visions hypnagogiques, pas cher), qui fait régulièrement des BD reportages pour une revue de son pays. En octobre 2021, il est venu à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême pour des journées d’étude internationales, nous nous y étions rencontrés pour la première fois. Comme je venais d’arriver là-bas comme bibliothécaire, je faisais visiter les réserves patrimoniales aux invités, et il m’y a dessiné. Je suis donc apparu dans un magazine serbe, apparemment dans une traduction italienne aussi. J’avais traduit ses planches (depuis l’anglais) et Yvang les avait lettré (c’est lui qui lettre toujours Zograf, et d’autres, pour nous), cela devait être publié sur le site de la CIBDI mais ça a changé de direction, le post n’a pas eu lieu, bref. Et donc j’avais ses pages, je ne me voyais pas les mettre dans Gorgonzola, en plus on perdait la couleur, je les ai proposés au camarade Gorgeot qui s’est réjoui d’avoir ainsi l’auteur de Bons baisers de Serbie (un album à vraiment lire) au sommaire ! Et me voici dans un troisième récit, cette fois sous une autre plume.

Je n’aurai participé qu’une fois à ce chouette fanzine, je le regrette un peu, mais jusqu’ici je n’étais jamais apparu dans des BDs d’autant d’auteurs différents dans un même numéro (sauf dans Ceci est mon corps mais je demande à des copains de parler de moi, c’est un peu différent), alors ma foi, c’est quand même pas rien ! Bon, je doute que ce soit un argument marketing pertinent en soi (sauf s’il y a des fans de moi, inconnus au bataillon), mais vous aurez au moins eu un aperçu de la diversité des auteurs de ce beau fanzine, à commander ici donc, je le redis.
PS : Jérôme a aussi publié quelques albums, dont Slaptitudes bucoliques de Jean Bourguignon, où j’apparais aussi, avec les pages publiées par Jean dans Mayenne Underground, publication qui m’a valu une de mes plus belles photos de presse quotidienne régionale, on y revient.
Bandeau : couv des numéros 12, 10 et 16 par Denis Truchi, Zac Deloupy, et Rémy Cattelain (une des stars aussi, un des plus drôles dessinateurs de presse actuel)