Quand Mickey et Dingo poétisent

En train, je lis souvent des magazines Disney, fidèle à cette phrase du futur Goncourt Didier Decoin(coin) déclarant dans Haga « Savoir lire, parfois, c’est aussi oser grimper sur le dos d’un canard qui porte un béret de marin. »

Si Picsou magazine a ma préférence je me laisse parfois aller à Mickey Parade, devenu Mickey Parade Géant, j’imagine par rapprochement avec Super Picsou Géant, le « parade » étant désormais minuscule entre les deux autres mots. Cela me rappelle un peu Vaillant devenu Vaillant le journal de Pif avant sa transformation en Pif Gadget, disons que je ne serai pas surpris qu’un jour l’épais magazine devienne Mickey Géant tout court.

Un Vaillant de mars 1965 peu avant sa transformation en Vaillant le journal de Pif (ici n° d’août 1966) puis en Pif Gadget (ici le n°1, février 1969)
Le premier Mickey Parade (1966), un de mon enfance (1998) et celui dont je vais parler (septembre 2022)

Étudier Mickey Parade, et les productions presse Disney en général, serait un sujet passionnant, encore trop peu défriché, laissant souvent l’étude du catalogue et de son patrimoine aux journaux eux-mêmes (via des hors-séries, voire des ouvrages anniversaires, etc.). On oublie souvent en étudiant la presse de bande dessinée combien ces titres restent parmi les plus vendus – d’où le « Top vente » un peu surprenant dans le coin haut gauche des Mickey Parade Géant récents. La chose est aisément vérifiable puisque les tirages et ventes du journal est certifiée par l’ACPM, qui nous montre que malgré une petite baisse le magazine reste vendu à plus de 46 500 exemplaires, ce qui en fait le 139e titre le plus vendu tous genres confondus dans le palmarès 2021-2022. Pas mal du tout et une belle position en jeunesse Picsou magazine est 81e, Super Picsou Géant 94e, Le Journal de Mickey 103e et Mickey junior (méconnu) 116e. Bayard devant un peu en presse jeunesse mais ça reste une très belle performance pour le groupe Héritage (qui possède les titres Disney).

Si je m’emballe à regarder ces chiffres, ce n’est pas du tout le sujet de ce post. Profitant d’un voyage en train j’achète et entame donc le Mickey Parade Géant n° 390 dont le récit central, annoncé en couverture, est « L’Odyssée du Dingo-Tiki » (Ivan Bigarella et Sergio Cabella). J’avance dans cette aventure et tombe soudain sur cette page :

Page 60 du numéro

Il s’agit assez évidemment d’une annotation de rédacteur indiquant un oubli dans la traduction, chose assez courante quand on gère l’édition d’un journal. Le voir imprimé l’est un peu moins. Si cette erreur, qui reste sans gravité, se repère, je m’amuse de sa curieuse place. Alors que Dingo regarde l’immensité du ciel, il discute avec Mickey qui le trouve poète. La dénégation de Dingo résonne étonnamment juste avec la réponse « Manque traduction », comme si la poésie lui était définitivement cryptique, incompréhensible, dans une langue étrangère. Il manque à Dingo la langue poétique nous dit Mickey Parade Géant, en donnant un bel exemple d’une erreur créant du sens. On imagine que le secrétaire de rédaction s’est fait tancer pour ça, j’aimerais pour ma part saluer cette personne qui, par cette bourde qui n’a au fond fait de mal à personne, a multiplié le potentiel poétique de la page.

PS : Montrant cette page à mon ami Jean-Paul Jennequin, traducteur régulier de récits Disney, et notamment dans ce numéro, il m’indique ne pas l’avoir traduit. Je le savais, le traducteur crédité est Laurent Laget, mais je retiens une chose fascinante : il a aussitôt reconnu ne pas être le traducteur, car lui ne laisse pas les « Yuk yuk » mais les transcrit autrement. S’en est suivi une discussion sur la non-harmonisation de la traduction certaines onomatopées Disneyien, autre chose à explorer, si le cœur vous en dit !

Les Mickey de Gottfredson chez Glénat

Cet article fut rédigé pour Du9, qui n’en voulait pas, trouvant des points pas assez clairs où répétitifs. C’est bien normal et la relecture est toujours fine sur Du9, cependant je n’arrivais vraiment pas à améliorer le texte selon les désidératas puisque ce qui semblait peu logique à l’éditeur l’était pour moi. Aujourd’hui je dois bien avouer qu’il est parfois un peu bizarrement fichu.

Et puis l’article a été remis à plus tard, puis sa conclusion – qui appelait à une autre édition reprenant l’américaine – a été exaucée, rendant le papier obsolète. Comme bizarrement je l’aime quand même bien je le pose là, sur ce site que je veux utiliser comme une sorte de garage d’articles et de choses vues, dîtes, lues, ici où là. Voici donc un article périmé mais que j’aime bien.

Un placement de lettrage audacieux.

Un écrin pour Gottfredson ?

Chez Disney il y a les artisans, petites mains des studios, dont le travail honnête et intègre fait le boulot sans plus. Et il y a ces auteurs qui ont réussi à apparaître derrière l’anonymat, ceux que les fans ont réussi à reconnaître, ont collectionné, ont pisté… Jusqu’à les faire apparaître enfin en pleine lumière. Du côté des canards le plus fameux d’entre eux est Carl Barks – même si l’on peut aussi y croiser quelqu’un comme Luciano Bottaro –, du côté des souris c’est indiscutablement Floyd Gottfredson qui s’impose.

Mon article est sans doute rempli de fautes, mais moi je n’ai pas les moyens d’avoir un relecteur.

Arrivé tôt aux Studio Disney à la fin des années 30, l’intervalliste va rapidement devenir le dessinateur régulier du strip de Mickey et conservera ce poste durant plus de quarante ans. Ce travail très visible, car publié dans de multiples journaux, sera longtemps regardé de loin par la hiérarchie, qui priorisait les dessin animés et voyaient les bandes quotidiennes comme de simples produits dérivés. Pourtant, ou peut-être grâce à cette (relative) liberté, Floyd Gottfredson réussi à imprimer un style propre et à imposer sa patte. À cet égard il fait partie des auteurs les plus célébrés du corpus Disney pour leur apport à la bande dessinée.

Dès lors, l’annonce d’une édition française intégrale de ses œuvres a tout de suite fait naître espoirs et craintes. Espoirs, car découvrir de manière chronologique et soignée un travail dont la publication a toujours été éparse et sans exégèse est plutôt réjouissant. Craintes car l’intégrale Carl Barks avait laissé un goût amer, le format peu adapté écrasant des pages pourtant riches en détails. Malgré des introductions intéressantes (signés JP Jennequin) ces albums se contentait de reprendre un packaging italien et n’ont guère montré l’intérêt de Glénat pour ce fonds. L’éditeur semblait le faire car il fallait bien, au milieu de la licence, sans laisser paraître un intérêt réel pour ce patrimoine1.

Mais les éditions de Barks avaient l’excuse d’être réalisées pour les rendre attractives aux enfants, et il est certain que les choix l’exceptionnelle édition de Fantagraphic – clairement dédiée aux collectionneurs – n’aurait pas été adapté2. Dans le cas de Gotfredson l’édition retenue vise explicitement le collectionneur, l’amateur, sans doute parce que le potentiel actuel de strips souvent désuets est moins fort auprès du jeune public. Ainsi on découvre des livres de très grand format, avec appareil critique, signet et coût à l’avenant (29,50 € le volume). Et il semble que cela prenne, la presse unanime saluant un écrin magnifique pour un auteur majeur3,4… ce qui est assez déprimant, tant les pages sont massacrées.

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Une page bien trop grande et remplie pour être lisible malgré de subtils dégradés.

Il y a d’abord un non-choix. Si l’on fait des ouvrages pour collectionneur on va jusqu’au bout et l’on respecte un critère essentiel de la publication d’origine : le noir et blanc. Et contrairement au Barks l’argument du public-enfant pouvant découvrir Mickey ne tient pas, le pseudo-luxe de l’édition les exclus de fait. Un comparatif en bibliothèque le montre bien : le petit format massif des Barks, malgré tous leurs défauts, est régulièrement emprunté ; les Gottfredson, faisant parfois la moitié de la taille des enfants, sont désertés. La présentation leur dit bien « Ceci n’est pas pour vous », créant un problème de positionnement évident.

Pourtant, s’arrêtant au milieu du gué, l’éditeur a décidé de coller des couleurs pour… pourquoi d’ailleurs : Rendre le dessin plus lisible ? Difficile de faire plus clair que le trait disneyien de Gottfredson. Pour le rendre plus commercial ? Je doute que cela fonctionne vu le problème de positionnement évoqué plus haut… Il s’agit pourtant sans doute de cette raison, mais dans ce cas il était possible d’utiliser des aplats sobres détachant le dessin, pas ces constants dégradés photoshop franchement laids qui assombrissent régulièrement des coins des dessins où les détails disparaissent au lieu d’être mis en lumière ! Autre hypothèse : il s’agit d’une volonté délibérée afin de cacher « esthétiquement » une reproduction moyenne.

Les couleurs massacrantes sont toutefois une habitude des rééditions, seulement L’Âge d’or de Mickey Mouse ne s’arrête pas en si bon chemin. Si je suis incompétent pour juger la traduction et que l’appareil critique est plutôt intéressant5, le lettrage des bulles est catastrophique : alternance de taille de lettrage dans la même case juste pour des questions de place, aucun travail d’adaptation graphique… Comme on le voit dans les exemples joints, il n’est pas rare de voir des bulles à moitié vide ou, au contraire, un texte très serré dans son phylactère. À ce moment on commence à comprendre que l’apparence de luxe revendiqué par l’éditeur n’est qu’une fumisterie.

Des tailles de caractères changeant allégrement, des typos toutes serrées ou « flottantes »…

Et c’est là qu’il faut en venir au format, le fameux format salué par ceux qui y voient un moyen d’enfin mettre en valeur le dessin, de rendre service à l’auteur. Outre que cette vision de la crédibilité artistique par le grand format est assez pathétique, on en est ici très éloigné. Car si le livre est grand les bandes restent assez petites, très nombreuses sur une page (6 strips en général) et plutôt écrasées, très peu d’espace étant laissé entre elles. Loin de servir la bande dessinée, ce format réussi à la fois l’exploit d’être peu pratique – essayez de le lire autrement que posé sur une surface plane… – et pas adapté. Affichant tous les strips collés, il créé un effet de masse empêchant la respiration et ne permettant pas d’apprécier le rythme particulier du strip quotidien. On rajoutera que si l’on avait vraiment voulu montrer un dessin plus grand – pourquoi pas, de manière raisonnable cela peut-être agréable – c’est forcément un format à l’italienne qui aurait été choisi, afin de pouvoir respecter l’homothétie des planches.

Un format à l’italienne, plus proche des strips d’origines, un livre plus massif que volontairement impressionnant, un respect du noir et blanc, un appareil critique ordonné… Voici ce qu’une véritable édition patrimoniale aurait du respecter pour pouvoir prétendre au titre. Et c’est justement ce qu’on fait les éditions Fantagraphics, avec une superbe édition restaurée sortie il y a déjà quelques années quand, liée sans doute par un contrat absurde et visiblement peu concerné par son patrimoine, Glénat se contente de (mal) adapter une discutable édition italienne.

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1On notera que cela n’a pas empêché La Dynastie Donald Duck d’obtenir le Fauve du Patrimoine en 2012 à Angoulême…

2 Une voix médiane reprenant les format des Picsou Magazine, à la manière des Trésors de Picsou, aurait pu être une bonne option pour faire une édition correcte sans la rendre inintéressante pour un enfant.

3« Les fans de Mickey ne doivent pas rater cette collection remarquablement rééditée. » sur planètebd http://www.planetebd.com/comics/glenat/l-age-d-or-de-mickey-mouse/1-6-1-7/15003.html

4« L’édition se présente sous la forme d’un grand volume cartonné, dans lequel les planches peuvent se déployer dans toute leur hauteur. Le rendu est splendide et l’on éprouve un réel plaisir à découvrir ces aventures dans de si confortables conditions. » sur actuabd http://www.actuabd.com/L-Age-d-or-de-Mickey-Mouse-T6-Par

5Quoiqu’apparemment publié sans la moindre logique : ici on a un portrait de collaborateur, là une fiche personnage, là un article général… Le tout pouvant se trouver au début comme à la fin de l’ouvrage, voire au milieu !