Par le hasard du petit monde, un camarade de cantine municipale de Laval a sorti son premier album, projet dont il rêvait depuis des décennies, en septembre chez Mosquito, bel éditeur indépendant dont j’ai souvent recensé des livres. Nous nous étions croisés souvent, toujours avec plaisir, et il m’avait présenté ses planches, pour d’éventuels conseils d’éditeurs. Je ne crois pas lui avoir été très utile, mais c’était un verre très sympathique. Peu après il m’a annoncé sa joie d’être édité chez Mosquito, un des éditeurs qu’il estime le plus. Dans l’enthousiasme il m’avait demandé une préface mais cela n’était finalement pas possible, rien de grave, je lui avais dit que ça me donnerait l’occasion de parler de son livre. Voici donc ma presque préface aux Trois visages de Tullula-Belle, de Stéphane Doreau et Geoffroy Larcher, sorti en ce début de mois chez Mosquito/
« Stéphane, c’est cet homme au sourire doux, très discret. On me le présente un jour, au bout de la table dans une cantine du foyer des jeunes travailleurs, à Laval, où nous déjeunons entre collègues. Nous ignorions encore que, quelques années après, nous allions tous les deux quitter nos postes, suivant chacun deux carrières vers le neuvième art.
« Il aime la BD, comme toi », me dit-on pour nous introduire. C’est une phrase qui me gêne toujours un peu, d’abord car si j’écris sur la bande dessinée, je dessine plutôt mal. Ensuite parce que j’ai un goût plutôt underground, qui fait qu’il y a souvent un malentendu avec des amateurs de « beau dessin ». De toute façon, il ne veut pas montrer son travail pour le moment, ce n’est pas fini. Il se concentre sur ce projet mystérieux, hors de ses heures de travail, sans faire de bruit, suivant son désir de toujours.
Lors d’une exposition, je peux enfin voir quelques-unes de ses planches, avec une maîtrise formelle importante mais, déjà, un goût de la fantaisie. Stéphane est un amateur au sens strict : il aime profondément le dessin, et c’est donc avec beaucoup de sérieux et d’attention qu’il travaille cette bande dessinée qu’il porte en lui depuis plusieurs années. Il reprend, refait, veut un produit fini, au risque du labeur. Alors lorsqu’il m’a présenté Tullula Belle, après des années, j’avais un peu peur d’être déçu et de lui donner trop de critiques.
Problème : s’il en était avide, je n’en avais pas tant à formuler. Ici un plan ou une approche, quelques coups de crayon en trop, peut-être, et encore. L’adaptation de cette histoire méconnue, écrite par le scénariste Geoffroy Larcher, est construite au cordeau, triant les mots avec finesse. Elle témoigne d’année de lecture et de passion pour la bande dessinée, cœur d’une compréhension intime. Ses couleurs, alors inachevées, étaient déjà placées avec une grande intelligence, ajoutant un charme suranné à l’ensemble, loin d’un remplissage. J’ai découvert le travail de Stéphane d’un coup, avec un album complet, et ce fut une très belle surprise. La cohérence graphique de l’univers, qui est évidemment onirique et si apaisant, malgré la violence de ce qui s’y déroule, m’a particulièrement marqué.
Je le savais amateur de Toppi, je me réjouis de le voir retrouver le catalogue de Mosquito, où il le voisine. Cet éditeur qui donne sa chance à un auteur qui ose enfin montrer son travail, d’une qualité remarquable pour un premier album. Si Stéphane accomplit un rêve d’enfant en faisant découvrir au monde le village de Mordaille, il était auteur pourtant depuis longtemps. Maintenant que son nom sera sur une couverture, il osera sans doute l’assumer et nous pourrons lire plus rapidement d’autres volumes, alors que débute une nouvelle carrière.
Maël Rannou
Critique et scénariste de BD
Ex-bibliothécaire de Laval »