Un article du projet « Chantons la bande dessinée avec... »
Le rap français est rempli de référence aux mangas, ou plus souvent aux anime, évidemment il est difficile de savoir si les chanteurs font référence aux versions papier ou à leurs souvenirs du petit écran. Orelsan convoque aussi bien les Chevaliers du zodiaque, Ken le survivant ou Dragon Ball… toutes des séries passant dans sa jeunesse dans le Club Dorothée. Sincèrement j’imagine mal que cette génération, qui est aussi celle de l’explosion du manga fin 1990-début 2000, n’ai pas aussi en tête les bandes dessinées, au moins pour une partie des références. Je serai moins certain pour des références à Goldorak par exemple (comme cette fameuse chanson des Fatals Picards, qui n’est certes pas du rap).
En tous les cas, Nekfeu a fait la preuve de son intérêt pour les mangas, donc je pars un peu arbitrairement qu’il fait référence à quelque chose qui peut être un anime ou un manga, il l’a assez aimé pour être allé le lire, voire l’a découvert sous cette forme. Et débutons donc avec ce qui est un des premiers gros tubes solo de Nekfeu, jusqu’alors connu comme membre du collectif l’Entourage ou des groupes S-Crew et 1995 : On verra, dont le single extrait de Feu a été certifié disque de diamant à sa sortie en 2015.
La phrase qui nous intéresse est anecdotique, elle m’avait valu une discussion marrante. Dans une bibliothèque où je travaillais, j’avais eu l’occasion de parler de Nekfeu avec un usager trouvant ça bien écrit (on reviendra sur l’aspect « littéraire » de Nekfeu) mais reprochant toujours aux rappeurs de faire l’apologie des drogues. En l’occurrence, si On verra est assez banal dans sa thématique (Carpe diem, il faut vivre maintenant plutôt que se tuer au travail, il faut savoir profiter) c’est une chanson en réalité assez moraliste (voire conservatrice) sur la drogue et tout un tas d’autres plaisirs artificiel.
Tout en mettant joyeusement en scène de l’alcool dans son clip, son texte reproche dès le début aux jeunes de ne plus savoir s’amuser sans, regrette que la nourriture soit devenue « consommation rapide », que les jeunes parlent + via écrans qu’en vrai, il explique qu’il ne laissera pas conduire un ami qui a bu (et c’est très bien)… Et on arrive donc à la phrase interprétée comme une apologie de la drogue :
« Oui, je pense qu’à m’amuser mais, pour la coke, j’ai le nez de Krilin »
Sauf que Krilin, dans Dragon Ball, est un personnage certes humain mais qui n’a pas de nez. Cet attribut est même le ressort comique d’un épisode où il affronte un certain Bactérie, luttant avec son immonde odeur. Krilin suffoque, défaille, jusqu’à ce que, sur le décompte de l’élimination, Sangoku lui rappelle un détail (sens de lecture original) :

« Avoir le nez de Krilin » pour de la cocaïne, c’est littéralement ne jamais pouvoir en prendre. Une position assez constante puisqu’en 2011, dans un duo, il chantait déjà, avec une charge + politique : « Jamais pris de C, j’reste à l’abri des problèmes de bourges »
De l’importance de certaines références dans la réception des œuvres.
Une incompréhension d’autant plus amusante que Nekfeu est connu, et apprécié, voire célébrée, pour ses références littéraires. La page Wikipédia nous dit ainsi, en cohérence avec le discours médiatique :
L’album contient plusieurs références littéraires : trois titres explicitent cette idée, ils empruntent leur nom à des ouvrages (Martin Eden de Jack London, Le Horla de Guy de Maupassant, Risibles Amours de Milan Kundera) ; il fait également référence à Demande à la poussière de John Fante, Émile Zola ou encore Michel Houellebecq.
Nulle référence à Dragon Ball, pourtant un livre, mais on ne parle pas de bande dessinée ici, encore moins de mangas, mais de littérature, m’enfin !