Comme régulièrement, index des articles, recension, entretiens réalisés dans un cadre universitaire, ou au moins proche. J’ai encore quelques articles en attente, puis il y aura un creux, lié à la parentalité et à la fin de thèse (deux sous parties encore !).
Comme à chaque fois, cliquer sur les images amène sur l’article et j’ai tenté d’organiser par type d’articles (articles, entretien, recensions). Et enfin, tout n’est certes pas absolument universitaire, mais ça me semble réunir les travaux ayant cette ambition/exigence.
D’abord j’ai un peu honte, j’avais zappé dans mes précédents index (et c’est quelque chose pour un livre parle d’invisibilisation) la parution au printemps 2024 de l’importante somme Construire un Matrimoine de la BD – Créations, mobilisations et transmissions des femmes dans le neuvième art, en Europe et en Amérique, dirigée par Marys Renné Hertiman et Camille de Singly et publié aux Presses du réel/ArTec. J’y ai écrit un article appelé « D’Yvette Lapointe à Zviane, les femmes dans la création de bande dessinée au Québec ». La bonne nouvelle est que récemment le livre a été mis en accès libre sur openedition ! Vous pouvez donc le retrouver en cliquant sur l’image, mon article comme tout le reste :
Vient ensuite un article qui a mis du temps à sortir, ça faisait longtemps que je voulais étudier un peu plus Yvan Pommaux (j’avais déjà parlé un peu Angelot du Lac dans mon article sur Bayard), notamment la série des John Chatterton, que j’ai lu enfant pour le premier tome, et dont je n’ai découvert les deux autres volumes que bien plus tard. La rencontre avec une collègue spécialiste du conte lors de mes études à l’INET a permis à cet article de naître. C’est avec beaucoup de plaisir que je cosigne donc avec Eva Barcelo-Hermant « John Chatterton : un chat noir dans le labyrinthe des contes et des éditions » pour Publije, revue de l’Université du Mans spécialisée en littérature jeunesse, université où nous avons justement tous les deux fait notre master sur ces sujets.
Dernier article universitaire strictement, un extrait de ma thèse à vrai dire, « Julie Doucet, traverser les frontières » est paru dans l’International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes vol. 63 en cette fin d’année. J’y explore l’énorme influence de l’autrice dans le champ francophone/anglophone, à travers les éditions, rééditions, réceptions, de son travail, et quelques planches iconiques dont le sens semble étonnament transporté au fil des éditions. Au-delà de ça, ça me fait toujours plaisir d’être publié dans des revues canadiennes, celle-ci est publiée par les Presses universitaires de l’Université de Toronto.
Sinon, j’avais publié chez l’Égouttoir il y a plusieurs années une version corrigée et illustrée d’un travail définitionnel du fanzine. Voici la présentation qu’en faisait l’éditeur : « Passionné par les fanzines, auxquels il a consacré de nombreux textes depuis ses années de lycée, Maël Rannou a finit par se lasser qu’on lui demande : « « « Mais un fanzine, c’est quoi ? » » ». Afin de ne pas répéter toujours la même chose, il propose avec Définir le fanzine un bornage historique et plusieurs définitions évolutives de ce concept qui n’a cessé d’évoluer et de couvrir des réalités mouvantes. Afin de montrer cette diversité et d’ouvrir le débat, Lénon, Alex Baladi, El Chico Solo, Léa Murawiec, Jean-Paul Jennequin, Caro Caron et Jean Bourguignon, tous et toutes actifs dans le fanzinat de bande dessinée, ont apporté en BD ou dessin leur propose vision du fanzine. » Ce fut un best-seller, à l’échelle du fanzinat, avec un deuxième tirage (ça fait 300 en tout, calmons-nous) et comme il est épuisé et que je ne fais plus trop de salons, j’ai voulu le rendre dispo. On le trouve donc sur HAL, archives ouvertes de la recherche en France, en fichiers imprimables !
Si là aussi ce n’est pas directement universitaire, j’ai écrit l’introduction du hors-série de la belle revue 303 « L’Appel du fleuve, la Loire en bande dessinée ». Cette revue consacrée à l’art visuel en Pays de la Loire, dont l’existence risque d’être frontalement menacée par la casse culturelle de la présidente de région, propose ici de nombreuses visions de la Loire en bande dessinée, de l’évocation intime au reportage en passant par l’histoire sociale, le futurisme ou l’onirique. Mon texte tente une typologie d’approches du paysage en bande dessinée, mêlant les récits du numéro et d’autres publications, convoquant Élisée Reclus ou Catherine le Forestier. Un texte écrit pile avant d’aller à la maternité, c’est Histoire(s) d’un paysage.
Du côté des entretiens, deux ont été publiés, tous deux réalisés avec ma camarade Irène Le Roy Ladurie. Le premier poursuit mes travaux réguliers sur Pif gadget, en donnant la parole à Claude Bardavid, dernier rédacteur en chef du magazine « canal historique », à l’occasion d’un dossier de Comicalités consacré aux magazines de bande dessinée en France. Titré d’une joyeuse citation, on peut lire « « On n’avait pas l’impression de travailler à la mine » » en cliquant sur l’image :
L’autre a été réalisé il y a plusieurs années et a mis son temps pour arriver en ligne, un dialogue avec Tony Neveux, typographe qui a tenté de créer une spécificité sur la typographie d’auteurices de bande dessinée. Pensé pour un dossier sur la lettre dans la bande dessinée de la revue neuvième art, l’entretien a fini par sortir isolément. « Pour moi, une lettre est une image » est à lire ici :
Si le site n’est pas strictement universitaire, son exigence et son sérieux me semblent tout aussi proches. J’ai donc le plaisir de ponctuellement écrire des recensions pour Nonfiction. La première en mars derniers « L’écocritique, un concept pour lier environnement et littérature », à propos de L’Écocritique. Repenser l’environnement au prisme de la littérature (Sophie Chiari, 2024), l’autre tout récemment « Les éditeurs sous toutes les coutures », à propos d’Être éditeur. Histoire, discours, imaginaires, d’Anthony Glinoer (L’Échappée, 2024). Deux livres verts dans les deux cas, aux sujets bien distincts, les deux sont toutefois de belles réussites :
Et enfin, c’est sur neuvième art, mais vraiment très bref, j’avais écrit un panneau de l’exposition MédiaBD consacrée à l’histoire de la bédéphilie. Ce n’est qu’à peine 2000 signes, et je concluais avec « Le fanzinat bédéphile aujourd’hui ». Pour la peine je mets le lien direct juste avant mais ici un lien vers toute l’exposition, car c’est intéressant et ça va vite à lire :
Comme vous le savez peut-être, je suis passionné par le Québec, de facto aussi par le Canada. Je croise mes passions donc fais une thèse sur la BD québécoise et, étant engagé en politique, m’intéresse de prêt à la politique canadienne. Cela s’est incarné durant plusieurs années par un site dédié (archives ici), par des amitiés avec des élu.e.s ou militant.e.s au Québec et surtout par beaucoup de posts sur un forum de passionnés de politique, où j’ai rédigé sans doute 90% des messages (dans un aspect monologuiste assez effrayant, mais heureusement j’ai quelques retours) des 95 pages de sujets Canada & Québec cumulés. J’ai donc rédigé pour des camarades du parti écologiste cette synthèse des élections qui viennent d’avoir lieu, avec une partie contexte, une partie campagne, une partie résultats. Comme je n’aime pas travailler pour juste quelques personnes, je la poste ici, ça a été pensé pour que des Français puissent comprendre le système électoral et ses enjeux, même si la construction est un peu foutraque.
Mark Carney, un banquier comme figure de la résistance à l’annexion trumpiste…
I. Le contexte Il s’agissait des élections fédérales canadiennes, pays fédéraliste, qui a des gouvernements provinciaux (comme le Québec). Pays bilingue, mais la francophonie est très massivement au Québec (un peu en Ontario et au Nouveau-Brunswick). La question autochtone traverse aussi le pays, Radio-Canada avait recensé que le vote des Premières Nations pouvait avoir une vraie influence dans un 10 % de circo.
Le Canada est le deuxième plus grand pays du monde, il s’y trouve 20 % des réserves d’eaux douces et pas mal de pétrole – vraie fracture dans le pays puisque du côté est (Québec notamment) c’est l’hydroélectricité qui est reine, à l’Ouest c’est le sable bitumineux et le pétrole.
La Chambre des communes comprend 5 partis, malgré un système favorisant le bipartisme hérité de l’Angleterre : le scrutin uninominal à un tour, le seul système pire que le nôtre, je crois ! L’argument c’est qu’il donne des majorités et, je vous le donne en mille, cela fait deux mandats que le parti au pouvoir est minoritaire (trois si on compte les élections de lundi mais je spoile/divulgâche).
Les 5 partis sont : – les conservateurs (droite, pro pétrole, très ancré à l’ouest, globalement peu intéressé au bilinguisme, avec une frange anti avortement et cie mais ce n’était pas la ligne du chef cette fois ci, dérégulateurs… Leur candidat cette fois ci était Pierre Poilièvre, député depuis 2004, francophone et dans une ligne assez trumpiste non revendiquée : anti-écolo, veut arrêter de subventionner l’audiovisuel public (sauf en français), contre les excuses trop fortes envers les premières Nations, par ailleurs un peu fan de crypto, etc. En 2021 les conservateurs ont obtenu + de voix que les libéraux, mais massivement à l’Ouest, avec des 70 % parfois dans des circos, ce qui ne sert à rien, quand les libéraux ont pu en gagner avec 30 % dans des luttes serrées. – Les libéraux, le centre droit qui varie sur l’axe selon les chefs. Justin Trudeau, fils de Premier ministre, dirigeait le pays depuis 2015 : un mandat majoritaire de 4 ans, une élection minoritaire en 2019, une dissolution en 2021 qui a mené strictement au même résultat. Trudeau était plutôt sur l’aile gauche des libéraux, il a mené des réformes sociales, légalisé le cannabis, porté une taxe carbone très impopulaire mais largement redistribuée (pourtant). Après une « Trudeaumania » il était devenu assez détesté en fin de mandat, il a annoncé sa démission tout début janvier alors que les sondages donnaient depuis un an les conservateurs au pouvoir avec une super-majorité en cas d’élection. – Le Nouveau parti démocratique, social-démocrate, toujours tiers parti (sauf en 2011, opposition officielle après une « vague orange », mais le parti à ensuite chuté). Avec une vingtaine de sièges seulement (sur 338 jusqu’ici) ils avaient toutefois la balance du pouvoir et avaient signé un accord avec les libéraux, permettant de vraies réformes sociales, comme un large élargissement d’une assurance dentaire publique, mais comme souvent ils n’en ont tiré aucun profit dans les sondages. Ils ont déchiré l’entente en fin 24, précipitant la fin de Trudeau. – Le Bloc québécois, le parti indépendantiste qui ne se présente qu’au Québec, conchiant le fédéral mais disant devoir y être pour défendre les intérêts du Québec. La colonne idéologique est assez faible, souvent un peu progressiste, et en même temps parfois d’un identitaire qui ne sent pas bon, mais c’est vraiment une coalition indépendantiste donc il y a des droitiers, des gauchistes… Par la magie du mode de scrutin, c’était le 3e parti à la chambre avec 32 sièges pour un peu plus de 7 % au pays (contre 25 sièges pour 17 % pour le NPD) – Les verts, 2 députés, au max de leur carrière 3. « Puissant » en Colombie britannique, mais qui se sont écrasés après des déchirures internes en 2021, leur députée historique et ex cheffe Elisabeth May est redevenue cheffe pour unir les troupes, et a tenté de propulser un co-chef québécois dans la campagne, mais avec leurs sondages ils ne remplissaient pas les critères des débats.
Le 20 janvier Trump devient officiellement président, dès qu’il arrive il met en avant deux idées concernant le Canada : augmenter les tarifs douaniers de 25 %, et annexer le pays, à la blague mais clairement pas du tout finalement.
Résultat, tout l’enjeu de la campagne change, l’aspect « du changement » passe à « de la stabilité » et « une stature économique face à Trump ». Les candidats à la chefferie libérale tentent de faire exister une course mais Mark Carney, jamais élu, écrase les autres candidats (dont l’ex-VPM de Trudeau qui n’obtient que 8 %). Carney est l’ex gouverneur de la banque du Canada, puis d’Angleterre (premier non-Britannique à la diriger), il a notamment été à la manœuvre lors de la crise des subprimes. C’est un libéral plutôt à droite, même s’il ne nie pas les dérèglements climatiques comme certains conservateurs, son outil sur le sujet typiquement ce sont des fonds de pension verts (il gérait des trucs comme ça avant son entrée en politique). Carney ne parle pas très bien français, est très peu charismatique, mais semble Dieu sur Terre. Devenu Premier ministre son premier acte est d’annuler la taxe carbone sur les particuliers (tout en la maintenant sur les entreprises). Si les conservateurs disent qu’eux veulent tout abolir, leur slogan central de campagne « axe the tax » s’effondre.
La campagne n’est pas folle, Carney fait de grosses erreurs, comme confondre la tuerie de Polytechnique Montréal avec une autre en parlant d’une candidate vedette justement porte-parole de l’asso née de ce traumatisme, mais ça glisse. Régulièrement Trump hausse les tarifs et il doit cesser sa campagne pour des conseils de crises comme « vrai premier ministre » et ça marche bien. Le seul sujet désormais c’est Trump.
Les conservateurs voient leur avance fondre, personne ne veut bousculer dans ce contexte, la taxe carbone n’existe plus, et qu’importe si Trump est élogieux avec Carney et n’endosse pas Poilièvre, le lien est totalement fait entre les deux. Poilièvre n’est pas aidé par la Première ministre de l’Alberta qui intervient dans des podcasts MAGA pour appeler Trump à ne pas recevoir le PM en poste car il faut l’affaiblir, Poilièvre étant pour elle la plus alignée sur les positions de Trump et Trump ayant intérêt à sa victoire. Poilièvre se débat avec ce compliment gênant et indique que Carney est le seul légitime à représenter le Canada à ce jour – évident mais une quasi première.
Les tiers partis paraissent inexistants, le Bloc québécois – qu’on prédisait potentielle opposition officielle avec une cinquantaine de sièges face à des conservateurs ultras dominants et des libéraux écrasés en troisième place – se débat avec sa spécificité mais les Québécois commercent beaucoup avec les US et l’économie semble prioritaire. Le NPD fait campagne contre les conservateurs, menace ultime selon eux, mais cela renforce de fait les libéraux, assez vite la campagne du NPD est « donnez-nous assez de députés pour que les libéraux n’aient pas la majorité absolue et que nous puissions encore conquérir des avancées sociales ». Les verts, eux, qui espéraient un 3e ou 4e siège, disparaissent complètement du débat (concrètement aussi des débats des TV publiques car ils ne remplissent pas les conditions nécessaires, faute d’avoir assez de candidats – eux-mêmes disent avoir volontairement désisté des candidats pour favoriser le NPD ou des libéraux selon les circos, bon).
Bref, comme l’ont dit les sondeurs, il n’y a pas vraiment eu de mouvement durant la campagne, il y en a eu un énorme juste avant, puis une ligne. L’objectif central de Carney était d’éviter la bourde qui tue, ce qu’il a fait.
Le résultat attendu était donc une possible majorité libérale, mais très incertaine, et une augmentation des conservateurs sur fond de rebipolarisation. Rien que pour une deuxième place les libéraux auraient signé des deux mains début janvier, ce qui fait dire à quelqu’un comme Nicolas Hénin que les résultats sont la première défaite de Trump dans un pays étranger (depuis l’Australie a fait de même, et là bas le candidat défait promis à la victoire il y a quelques mois était ouvertement trumpiste)… et donc…
Post bluesky du 29 avril.
III. Les résultats
Les sondages ont globalement été justes : alors que la participation était relativement élevée (68,72 %, pas incroyable mais 5 points de plus que la dernière fois, on est à peu près au score de 2015), les deux partis principaux ont obtenu leurs meilleurs scores depuis longtemps, dépassant tous les deux les 40 %. Pour exemple en 2004 avec 39,62 % le conservateur Harper a obtenu un mandat majoritaire, en 1997 le libéral Chrétien avec 38,4 %. Avec 43,7 % pour les libéraux et 41,3 % pour les conservateurs (le meilleur score du parti depuis sa refondation en 2004), les deux partis réunissent à eux seuls 85 % des suffrages, dès lors il n’y a plus beaucoup d’espace pour les autres. 6,3 % pour le Bloc québécois, qui réussit à jouer de sa spécificité locale pour obtenir 23 sièges (-9), même score pour le NPD qui tombe à 7 sièges, répartis dans tout le pays, et perd le statut officiel de parti reconnu à la Chambre. Pour les verts, sous les 1,25 %, seule Elizabeth May est réélue, le sortant d’Ontario est battu, et l’ex-député Paul Manly ne réussit pas à se faire réélire.
Mark Carney réussi donc à obtenir un 4e mandat libéral de suite – un exploit impensable en décembre, mais conforme aux attentes depuis février. Il le souhaitait majoritaire : les libéraux progressent, mais il reste minoritaire, de quelques sièges. Cela a été très serré dans certaines circonscriptions, dont les attributions ont encore pu changer récemment, mais on reste à un gouvernement libéral minoritaire.
Au rang des grosses défaites, le chef du NPD Jagmeet Singh est battu dans sa circonscription de Colombie-Britannique, où il termine même troisième. Plus inattendu, alors que les conservateurs font une percée en Ontario, Pierre Poilièvre est battu par un libéral dans la circonscription qu’il occupe depuis 2004. Certains sondages commençaient à l’annoncer mais c’est un vrai coup de semonce car sans siège de député, on ne peut pas être chef de l’opposition officielle : pas de réponse au Premier ministre en chambre (forcément), plus de résidence officielle… Un député d’Alberta, fief conservateur, réélu systématiquement à + de 70 % dans sa circonscription a accepté de démissionner pour que son chef ait un siège et Mark Carney a indiqué qu’il ne jouerait pas au plus malin et déclencherait la partielle le plus tôt possible, ce qui prendra quand même quelques semaines obligatoires.
Cela contribue à faire de ces élections des élections étranges, même si rien ne paraît avoir été étonnant une fois le lancement fait. On pourrait imaginer que les grands partis ont conservé leurs sièges et en ont grappillé d’autres ici où là, mais la réalité est plus complexe. En réalité il y a eu de lourdes défaites : on a parlé des chefs, mais on a aussi des ex-ministres libéraux, comme Diane Lebouthillier, battue par le Bloc québécois, ce alors que les libéraux atteignent un de leurs plus hauts scores historiques au Québec ! Si l’Alberta et la Saskatchewan sont restées ultraconservatrices, quelques sièges libéraux apparaissent mais en Ontario, essentiel dit-on pour remporter le pays, les libéraux subissent plutôt une défaite et perdent des sièges… tout en gagnant celui du chef conservateur ! En bref : c’est plus compliqué qu’un simple balayage de la carte on des pions conservés aux mêmes endroits, ça a beaucoup bougé, le Bloc a plutôt résisté, et les fractures provinciales sont fortes.
Pour ce qui est sûr : il y a moins de femmes qu’avant et c’est une première depuis plusieurs élections, on rappellera que Carney a rompu avec les cabinets paritaires de Trudeau. On pourra noter qu’il y a autant de femmes qu’avant à être élue, mais il y a aussi 5 sièges de plus qu’en 2021, donc la proportion avait baissé. En réalité avec les dernières variations cela s’est peut-être rééquilibré, on en sera certain à la fin des derniers recomptages judiciaires, mais il reste que les deux grands partis ont investi beaucoup moins de femmes, ce qui a des effets nécessairement, ça ne va pas augmenter à tout le moins, et c’est dynamique en baisse. Pour le reste Carney va gouverner avec une période de grâce faible, et en devant négocier avec le NPD – qui est certes plus faible que jamais mais a la balance du pouvoir… – ou le Bloc, qui a déjà dit qu’ils étaient prêts à utiliser leur balance du pouvoir pour avoir un maximum de gains pour le Québec.
Si la majorité se joue à quelques voix, la voix de la seule élue verte peut peser, paradoxalement Elizabeth May pourrait marquer l’histoire en obtenant un poste impensable il y a peu : celui de première présidente de la Chambre, et premier membre des verts à un tel poste. En effet, la tradition veut que la présidence soit au-dessus des partis et des luttes triviales de la Chambre. Devant assurer l’ordre et la bonne tenue des débats, son titulaire ne peut pas voter ni prendre part aux débats. Dès lors, quand une majorité ne tient à rien, il est très risqué de sacrifier un vote pour la présidence, et l’on peut se dire qu’il vaut mieux faire nommer à la présidence quelqu’un issu d’un autre parti. L’idéal stratégiquement reste d’affaiblir l’adversaire dangereux en lui enlevant un vote, mais May a indiqué être intéressée et prête pour le poste, donc ce 1,23 % des verts pourrait valoir cher…
En résumé : un portrait pas bien excitant, mais il n’y a pas de petites joies
Un dernier truc sans rapport mais qui m’a amusé. Carney est né dans les Territoire du Nord-Ouest, puis à grandi en Alberta avant d’aller faire ses études à l’étranger et à Toronto, en Ontario, où il s’est fait élire : trois provinces ou territoires de vie pour un premier ministre ! Poilièvre avait cependant le même avantage, en plus d’être bilingue : né en Alberta, il a grandi en Saskatchewan chez des Fransaskois qui l’ont adopté, et a été élu en Ontario (avant de repartir en Alberta bientôt). Vivre dans trois province se retrouve aussi sur le parcours de Jagmeet Singh, né en Ontario, puis ayant grandi en partie à Terre-Neuve (après un passage en Inde), études aux USA, retour en Ontario, puis élection en 2019 en Colombie Britannique où il vivait depuis ! Intéressant de voir que ces trois leaders fédéraux ont tous plusieurs provinces dans leurs parcours de vie, mais je l’ai surtout vu mobilisé pour Poilièvre.
En dehors de la dernière image (issue du site La Presse), et du post de Nicolas Hénin, elles viennent de wikicommons.
La fin décembre 2024-début janvier 2025 a été particulièrement riche en articles, ce qui a pu donner un effet de publication assez sidérant. En réalité certains de ces articles étaient en travail depuis 4 ans, en attente de publication, d’autres plus raisonnablement depuis 2 ans, mais tout a été publié en même temps par le hasard des calendriers des revues !
Photo volée à Jean-Paul Jennequin, car on ne trouve vraiment pas beaucoup de visuels en ligne et j’ai la flemme de scanner le miens.
Inverses, revue des Littératures, arts et homosexualités a consacré en octobre un numéro au roman graphique (on sait comme j’aime moyennement ce terme, mais le sujet n’est pas là ^^). J’y ai comparé la manière dont les œuvres de Julie Delporte et Mirion Malle dévoilent petit à petit un réveil queer. La revue n’existe qu’en papier, le site n’est même pas à jour, mais j’ai eu l’autorisation de la verser sur HAL après quatre mois d’embargo, vous pouvez donc lire l’article « Delporte et Malle, deux regards queers en évolution » en cliquant sur la couv ci-dessus (et ce sera pareil pour tous les articles) !
Je saute en janvier malgré des parutions en décembre car j’ai eu le plaisir de diriger un numéro d’@nalyses, revue de littératures franco-canadiennes et québécoise sur le thème « Vingt-cinq ans de bande dessinée québécoise au XXIe siècle ». Vous pouvez lire mon introduction en cliquant sur la fort belle couv de Xavier Cadieux, il y a des manques dans ce dossier, mais je suis content d’avoir eu des contributions venant d’approches différentes, et qui ne se limitent pas à Guy Delisle, Julie Doucet (que j’adore pourtant) ou Michel Rabagliati. On a des articles sur des artistes/séries (dont un sur une série de Goldstyn, un auteur important jamais étudié, paru dans la presse jeunesse, et dans une revue de très large diffusion), des monographies de revues ou d’éditeurs, une étude du strip québécois contemporain… Mais si je voulais en parler tout de suite c’est que j’y signe un article qui propose aussi une analyse comparative des travaux de Mirion Malle et Julie Delporte, mais cette fois sous l’angle du rapport à la québécité dans les œuvres, comme la couv amène sur mon intro, vous pouvez le lire ici : « Deux autrices franco-québécoises : itinéraires croisés de Julie Delporte et de Mirion Malle ». J’incite vraiment à lire les deux papiers en regard, c’est intéressant d’avoir deux analyses d’œuvres des mêmes artistes, par le même chercheur, mais sur un sujet différent. Bon bien sûr des bouts se ressemblent, notamment dans l’intro ou les parties biographiques, mais c’est normalement bien distinct. Dans ce dossier, j’ai aussi écrit un bref préambule d’une BD reportage de Sophie Imrem reprenant des conférences de Sylvain Lemay, suivi d’une reprise des BDs par Lemay lui-même, la chose étant assez atypique je devais la présenter.
Gabriel Delmas & Marie Bardiaux-Vaïente, Fille d’Œdipe, 6 pieds sous terre.
Pour la revue ¿ Interrogations ? , je suis très largement sorti de mon champ d’expertise en travaillant certes sur de la bande dessinée, mais en m’engageant sur le champ de la mythocritique. Bien incapable de faire cela seul, j’ai coécrit ce cette lecture comparative des adaptations d’Antigone Marie Enriquez, docteure en littérature comparée spécialiste de l’adaptation en bande dessinée. J’y ai apporté mes études liées aux formats éditoriaux, aux analyses d’encadrement des adaptations (paratexte, choix graphiques…), et nous avons croisé nos regards. Cela donne un article que nous avons mis pas mal de temps à sortir mais dont nous sommes désormais très fiers, qui se lit en cloquant sur l’image en bien basse définition, ce alors que j’avais fourni des HD à l’éditeur, mais l’image et les revues universitaires ce n’est pas encore toujours ça. Vous y voyez une de mes cases favorites de cet album, cette tête d’Antigone quasi fantomatique déclarant « Aucun homme ne peut me sauver »
Une BD d’Yves Chaland en supplément d’Astrapi, août 1983.
Enfin, un article d’abord pensé pour un colloque auquel je n’avais finalement pu participer, qui explore un sujet qui me tient très à cœur, par ailleurs publié dans Belphégor, une revue d’études des littératures populaires et cultures médiatiques où je vise de publier depuis quasiment le début de mon doctorat. J’avais envisagé de faire mon M1 de littérature sur les BDs des magazines Bayard, avant de me consacrer à Pif gadget, des années plus tard j’ai pu donc un peu me pencher sur Astrapi et Okapi, revue de mon enfance, et évoquer Je Bouquine, pour parler de l’intrigant mélange en leur sein de BD très classiques, voire planplans, et de bande dessinée clairement alternative ou innovante. Cela reste un article très exploratoire, qui donne envie d’aller plus loin, pour moi le premier ! Mais pour ça il faudra sans doute que je termine ma thèse avant, car là, c’est un trop gros champ à ouvrir… Vous pouvez lire « Okapi et Astrapi: précurseurs inattendus de la bande dessinée alternative ? » en cliquant sur le mini-album d’Adolphus Claar ci-dessus, et par ailleurs j’ai déposé sur un entrepôt de données un court entretien avec Florence Terray, secrétaire de rédaction d’Okapi, matière première d’une partie de cet article, que je laisse donc à qui voudrait se pencher dessus !
Portrait d’Appollo par Joe Dog.
Ce n’est pas à proprement parler universitaire et je l’évoquais dans un de mes posts récents, mais Du9 a publié en janvier l’intégralité de mon entretien avec Appollo en trois parties : « L’universel depuis quelque part ». Appollo est un des meilleurs scénaristes contemporains, j’ai beaucoup aimé explorer, avec l’aide de Delphine Ya-Chee-Chan, tout son parcours depuis les premiers fanzines lycéens, en passant par son rapport à la BD dite historique, sa vision du métier, son rapport aux fanzines – il en dirige toujours un – et son regard venant de l’Océan indien tout en prétendant parler de sujet très vaste, mais simplement dans le décor qu’il connaît. Je suis très content !
Et ce tour se termine avec une nouvelle recension pour le Bulletin des bibliothèques de France, le très intéressant La Fabrique de la bande dessinée, dirigé par Pascal Robert, qui, s’il est inégal comme nombre de collectif, met vraiment bien en avant toute une nouvelle génération de chercheureuses.
Bandeau : Mirion Malle, extraitde la page 36 d’Adieu triste amour, version québécoise (Pow Pow)
« Mine de rien je suis dans la dernière année de ma thèse sur La bande dessinée québécoise et ses circulations dans et avec l’espace francophone européen. » écrivais-je il y a quelques mois, bon désormais c’est réellement la dernière année (hum…). Dans le cadre de cette thèse je réalise de réguliers entretiens, certes forcément très orientés sur mon sujet. J’en ai désormais une petite dizaine, après celui avec Julie Delporte je vous propose donc celui avec Zviane, autour du rapport entre son travail et l’Europe. Zviane est une personnalité majeure de la BDQ contemporaine, on se connaît depuis très longtemps, depuis le forum BDAmateur dans les années 2004-2005, on a connu MSN, on s’est vu dans le métro à Montréal, j’ai logé chez elle en son absence, elle a finalement contribué à Gorgonzola une seule fois (n°8, juin 2006)… On ne parle pas de tout ça dans cet entretien, j’aurai bien aimé qu’on parle plus de BDamateur, mais il faudra qu’un jour j’y consacre réellement du temps pour un article dédié. En attendant cet entretien est centré sur un sujet précis, qui passe bien au delà de dizaines de choses intéressantes à dire sur l’évolution (et la plasticité) de son dessin, son travail autobio mais aussi sa réflexion sur la bande dessinée (à lire dans Ping pong), sur la richesse énorme de Football fantaisie… Je parlais de mon goût des entretiens dans le post précédent, je crois que Zviane serait quelqu’un de vraiment pertinent pour un prochain très long entretien carrière…
La page de Zviane sur BDamateur, on y voit son inscription en 2005 et des pages du Plan B.
Avant d’entamer le sujet de notre entretien, peux-tu revenir sur ton arrivée dans le monde de la bande dessinée, toi qui étais plutôt en musicologie au début de ta carrière ? Et peut-être parler de tes influences, étaient-elles québécoises ou franco-belge, ou les deux ? J’ai commencé dans les fanzines. En fait j’ai toujours dessiné, j’ai commencé la BD dans les fanzines. J’ai été vraiment longtemps dans un atelier de bande dessinée à Longueuil, pendant bien dix ans, et on faisait un fanzine appelé Le Cactus, on allait à Expozine, etc. Au début, c’était avant que je sois sur Internet, mais à un moment je publie Le Point B par chapitres dans notre fanzine, et en même temps j’ai parti un blog, puis j’ai commencé à aller sur le forum de BDAmateur. Le Point B a été mon premier livre et est paru pendant que j’étudiais la composition à Montréal, j’étais passionné par la musicologie, je me dirigeais pour être prof de théorie musicale en CEGEP, mais si j’aimais la musicologie j’étais vraiment pas faite pour le métier, ça matchait pas avec mon envie de liberté on va dire ! J’ai toujours fait la bande dessinée en parallèle, j’ai commencé à avoir un petit succès sur internet, mon blog a été édité chez Mécanique générale [La plus jolie fin du monde est parue en 2007]… Mes influences étaient vraiment françaises, même pas franco-belge c’était surtout français : David B., Lewis Trondheim, Marjane Satrapi… L’Association en somme. On avait les Tintin ou Gaston Lagaffe à la maison, mon frère les lisait tous, il trippait, il a lu tous les Spirou, les LuckyLuke, mais moi ça m’intéressait pas tant. La BD ça m’intéressait pas tant enfant, les livres tout court à vrai dire ! C’est adulte que j’ai vraiment plongée dans la BD. Même LuckyLuke c’est récemment que j’ai vraiment lu ça, et c’est comme ma BD franco-belge préférée, mais c’est pas dans les influences. Maintenant peut-être, j’y ai pris des choses sur les couleurs dans Football Fantaisie, j’aime comment il joue avec, mais c’est récent.
Et justement, là on va un peu vite, comment ce livre est arrivé ? C’est via Jimmy Beaulieu j’imagine, Iris avait aussi publié son blog à cette période. Pendant des années j’ai suivi des cours de bande dessinée à Longueuil, quelques années plus tard j’ai vu que c’était Jimmy Beaulieu le prof au Cegep du Vieux-Montréal et j’ai vraiment voulu suivre ses cours et m’y suis inscrite. C’est comme ça que je l’ai connu, par l’entremise de cet atelier de cours du soir, avant que le blog soit connu, je faisais des bandes dessinée pour Vestibulle, le fanzine de l’atelier du Vieux Montréal, c’est impressionnant, tout le monde est passé par cet fanzine, à mon avis c’est vraiment important pour la BD québécoise. J’ai eu l’envie de partir mon blog en lisant ceux d’Iris, de Pascal Girard et d’Evelyn Moreau. J’ai publié Le Point B puis après ça Jimmy m’a dit qu’il était intéressé pour faire le blog alors on a fait ça ! Après ça j’ai voulu publier la suite du blog mais Jimmy avait quitté Mécanique générale et je ne voulais pas travailler avec un autre éditeur, je l’ai donc fait avec mon frère, qui avait parti une petite maison d’édition, mais c’est le seul livre qu’ils ont jamais publié. Après ça c’était pas mal lancé, j’ai lâché l’université, faite une résidence d’auteur à la Maison des auteurs à Angoulême, juste après j’ai publié Apnée et c’est là que ça a vraiment commencé la bande dessinée pour moi je pense. J’avais déjà publié des livres, bien sûr, mais pour moi c’était plus de l’ordre de test, c’est vraiment à ce moment que je quitte l’amateurisme, en tous cas c’est ma perception.
Recueil du blog, 2008.
J’aimerai qu’on reparle de BDAmateur, car avant les livres diffusés en France il y a eu ce site, les blogs BD, où tu commences déjà à échanger avec des européens. J’aimerai que tu me parles un peu de cette période, du réseau que tu as constitué, d’amitiés, de comment se formalisaient les échanges, etc. Je suivais beaucoup de blogs français, je me souviens d’un que j’aimais beaucoup, qui a arrêté, qui s’appellait Raphaël B. et faisais des BD en scroll, à dérouler, ça m’intéressait beaucoup. Évidemment il y avait Boulet mais je l’ai rencontré à Gattineau avant de lire son blog, je l’avais déjà vu pour l’interface que je trouvais un peu funny funny mais je l’avais pas vraiment lu, ça m’intéressait pas. Après l’avoir rencontré je suis allé le lire, et j’ai beaucoup aimé ça, on est devenu ami. À cette époque on échangeait beaucoup avec les gens sur MSN, après ICQ. Je me suis beaucoup rapproché d’Iris via les blogs et BDamateur, où elle était aussi, et on avait des correspondances avec des Français. Elle était très amie avec Lisa Mandel. Quand j’étais en résidence à la Maison des auteurs, Iris a fait un espèce de tour de France pour voir sa famille, parce que sa mère est française, elle était allé à Marseille voir Lisa Mandel et était aussi passée à Angoulême, on avait fait un fanzine ensemble là-bas, S’tie qu’on est ben (2009), une espèce de test pour voir si on pourrait travailler ensemble et faire un blog. C’était un fanzine sur ce qui nous amusait chez les français d’ailleurs. Notre principal source d’inspiration c’étaient le blog des Chicou chicou, animé par Boulet et Aude Picault1. C’était un blog de personnages fictifs, qui devait représenter une bande d’amis, mais nous on savait qui était vraiment derrière puisque c’étaient nos copains. On aimait beaucoup la formule, on voulait faire quelque chose comme ça, mais à notre sauce. Au fond, l’inspiration principale était française.
Avant de parler de l’Ostie d’chat j’aimerai évoquer une autre trace d’échanges franco-québécois. Je sais que tu n’aimes pas trop en parler mais tu as contribué à de nombreux collectifs de Glénat Québec, qui faisait un volume thématique chaque année, et notamment le premier, Histoires d’hiver (2009), dont tu as fait la couverture. Comment cela s’est-il passé, l’arrivée de Glénat Québec, ta publication chez eux ? Oh boy ! Alors ça n’a pas forcément eu beaucoup d’écho ici, je me souviens que quand c’est arrivé les éditeurs voulaient surtout du folklore québécois pour attirer des français. Nous autres on était un peu tanné d’être toujours « Oh Tabernacle ! Caribous ! » tsé ça sonnait un peu comme ça mais en même temps un concours BD c’était toujours intéressant. Aussi ça permettait de publier en couleurs et tu sais, ka publication en couleur, ici au Québec, c’était quand même rare, ce n’est toujours pas si évident. Publier une petite BD en couleur comme ça c’était intéressant, je ne sais pas si tu as déjà essayé de publier en couleur mais il y a vraiment beaucoup à apprendre, ce qui est à l’écran n’est pas ce qui va être imprimé, donc c’était une bonne opportunité pour ça. Et puis il y avait un peu d’argent à gagner, ce n’était pas énorme si je me souviens, comme 1000 $, mais quand tu débutes c’est quand même pas mal cool. A cette époque là j’adorais les concours, je courrais les concours, dès qu’il y en avait un je participais. J’ai donc participé trois fois, je savais même plus…
Peut-être même plus, tu as gagné trois fois une publication en tous cas. Il y avait Histoires d’hiver, Partie de pêche… Ha oui, celui sur le hockey, c’était vraiment des thèmes qui font « Oh oh oh le Québec ». Sur l’accueil au Québec il me semble que c’était assez indifférent, après il faut dire que moi je fais des salons de BDs depuis mon premier livre en 2006 et j’ai vraiment vu le gros gros changement qu’il y a eu dans la popularité de la bande dessinée au Québec. Quand j’ai commencé, dans les salons du livre, c’était vraiment destiné aux enfants, on était en retard par rapport à l’Europe, avec les blogs ma génération a trouvé un espace et maintenant on a ça au Québec. Ce qui fait que Glénat Québec était vraiment entre deux chaises, et même si c’était relativement indépendant de Glénat France, c’est que c’était vraiment destiné au public français je pense. On savait que ça existait, mais il y a eu une couple de choix éditoriaux qui ont été assez impopulaire dans le milieu. Ils ont quand même scoré une couple de bons auteurs, mais ce n’est pas une maison d’édition qui a gagné l’estime du milieu, mettons. Dans mon idée ils ont sans doute cherché à trouver des talents locaux pour les exporter, mais c’était vraiment un projet bizarre. Le responsable était un québécois, qui aimait la BD mais qui m’a plus fait l’impression d’un homme d’affaire que d’un amateur d’art. Comme on en parle, on avait discuté avec Glénat Québec pour faire un album chez eux, ça n’avait rien donné, je ne sait même plus de quel projet il s’agissait. J’avais complètement oublié ça !
Couverture d’histoire d’hiver, 2009.
Pour revenir à l’Ostie d’chat, il s’agit d’une bande dessinée à quatre main, chacune faisant plus ou moins un chapitre, et se répondant, peux-tu revenir sur la manière dont vous travailliez ? En fait à cette époque, en 2011, j’ai déménagé dans la même rue qu’Iris. On était voisine, donc j’allais chez elle, on prenait l’apéro et on discutait de ce qui allait se passer ensuite. Souvent c’était une semaine elle, une semaine moi, il y avait une ligne vague mais ça restait toujours une surprise quand même. On savait ce qui allait exactement ce qui allait se passer, mais pas comment ça allait être raconté : les blagues, les dialogues, etc. Moi quand je le faisais, mon public, c’était Iris, et quand elle le faisait c’était moi son public. Le but n’était pas du tout de faire des albums à l’époque.
Vous le mettez quand même en ligne, en visant un public. Les albums sont ensuite publiés chez Delcourt, éditeur français, ce qui induit bien une réception mondiale quasiment dès l’origine. Vos deux blogs étaient déjà un peu connu, comment ça s’est fait tout ça ? On avait beaucoup de lecteurs français, à mon avis parce que Boulet nous a fait beaucoup de pub. On avait aussi des invités parfois, qui ont dessiné des pages, c’est arrivé trois fois et c’était toujours des Français : Boulet, Wouzit et un récit par Marine Blandin et Sébastien Chrisostome2. Donc c’est possible qu’ils nous aient amené du public aussi. Quand on lisait les commentaires, on se rendait compte qu’il y avait beaucoup de français, rien qu’à la façon d’écrire on pouvait deviner, je me souviens qu’on était un peu surpris qu’il y en ait tant que ça car c’était très québécois, mais c’est vraiment Boulet qui nous envoyait des lecteurs. Il y avait tout de même un petit succès dans le monde de la BD québécoise. Iris m’a raconté qu’une fois elle était dans un party et qu’elle parlait à des gens qui n’avait aucune idée de qui elle était, et qui lui avaient dit qu’ils ne lisaient pas de BD, « à part l’Ostie d’chat évidemment ». Iris était comme « bah c’est moi ça ». Pour moi le succès était pas mal dû au fait que c’était récurrent, on avait la discipline de faire un épisode toutes les semaines, comme on alternait c’était un toutes les deux semaines, avec des petits chapitres de 4/5 pages et des petits formats, l’équivalent du A5, faque ça allait assez rapidement.
Tu as exprimé ta peur du folklore avec Glénat Québec, tu n’avais pas peur justement, surtout en le faisant éditer en France, que L’Ostie d’chat soit très folklorisant ? C’est sur que ça aurait pu, mais on ne répondait pas à un travail de commande avec un thème, on ne faisait que raconter des choses en lien avec nos vies. C’est pas du tout la même chose et on ne forçait rien. Et puis au début notre public c’était des québécois, il n’y avait donc pas à faire « comme si », on ne pensait vraiment pas aux Français et encore moins à le faire publier en France. Même à la fin, quand on faisait le troisième tome on savait que ce serait publié ensuite chez Delcourt, on se disait « s’ils ne comprennent pas, tant pis pour eux », c’était vraiment pas la question. Pour revenir à l’éditeur, on s’est retrouvé avec comme l’équivalent du premier tome sur internet et on s’est dit que ça serait le fun de faire un livre. On l’a proposé à La Pastèque, qui était plutôt intéressée, on a lunché, mais ils voulaient faire un gros tome avec toute, comme l’intégrale, alors que nous on voulait une série. Ils voulaient un beau livre avec de la couleur et nous on voulait quelque chose de pas cher, sur du papier cheap, à la Archie. On a finit par faire une intégrale mais elle reste par chère3, c’est un livre de toilette l’Ostie d’chat, pas un beau livre. On a imprimé trois copies de toutes les pages qu’on avait déjà dessinées, pour le faire lire à du monde, pour voir si ça se tenait en livre papier. Iris en a envoyé le PDF à Lisa Mandel et moi je l’ai fait lire à Boulet, quand j’étais chez lui. Il a trouvé ça super bon et m’a dit qu’on devrait le proposer à Shampoing. Nous on était comme « Shampoing ? Delcourt ? Pourquoi ? », mais en même temps c’était un peu comme un rêve. C’était la collection de Lewis Trondheim, qu’on lisait depuis des années. Et puis se faire éditer par un éditeur français pour un québécois c’est comme un rêve, ne serait-ce que pour les avances. Les avances sont faramineuses comparé à ici. Mon livre chez Mécanique générale c’était 1000 $, pour le premier tome chez Delcourt c’était 12 500€, alors il fallait le diviser en deux mais on avait quand même trois tomes, et les euros valent plus que l’argent canadien. Bien sûr aussi, la distribution est vraiment plus grande, c’est pas juste le Québec mais toute l’Europe francophone, j’étais confiante que ça se vende bien au Québec, mais là ça allait plus loin. Boulet a écrit un email à Trondheim, avec le PDF, j’ai jamais pu voir ce qu’il a écrit, il a refusé que je le liste. Après une coupe de journées, je suis allé voir dans mes spams et il y avait un email de Trondheim, on s’attendait un peu à dealer mais son message c’était « okay on y va, on va le publier ». D’ailleurs c’est lui qui nous a dit qu’on ne touchait pas le langage, qu’on laissait tel quel.
Première page du feuilleton, par Iris.
Oui, si tu peux revenir là-dessus car c’est évoqué dans Trip. Iris avait déjà eu une expérience avec un éditeur français et ils lui avaient demandé de faire un lexique. Et je crois qu’il venait de sortir en France un livre avec un lexique, je me rappelle plus c’était quoi le livre… mais il y avait des astérisques pour expliquer et je me disais « voyons donc, c’est donc bin ridicule ». Cette fois-ci c’est Trondheim qui nous a dit directement « On ne fait pas de lexique » et on était comme « Super, parce qu’on n’en voulait pas ». On l’aurait fait s’il nous l’avait demandé, parce qu’on sait que parfois les Français ont de la misère avec le dialecte québécois. Mais finalement on a pas eu besoin de poser la question, ce qui est très bien.
Guy Delisle m’a dit qu’une différence qu’il a vu entre ses publications à l’Association et chez Delcourt c’est notamment sur sa diffusion au Québec, Delcourt ayant une plus grande force de frappe à l’étranger. Toi c’est différent car tu étais publiée au Québec mais est-ce que paradoxalement tes livres « français » ont été mieux diffusés ? Je ne dirai pas ça, je pense que c’était vrai encore quelques années avant, mais en 2012 la bande dessinée québécoise était en plein essor. L’Ostie d’chat s’est plus vendu que mes livres québécois, mais c’est le territoire français qui a fait la différence. Je ne me rappelle plus très bien des feuilles de ventes je dois t’avouer, mais j’ai pas l’impression qu’à l’époque où c’est sorti il y avait une si grande différence au Québec.
Au niveau de la réception, j’imagine que tu as échangé sur cette série avec des Français, que tu l’as dédicacée à Angoulême ou ailleurs. Comment était-il reçu ? Y avait-il des choses qui revenaient chez les lecteurs ? On l’a signé à deux à Angoulême une fois, c’est tout, on n’a pas fait de tournée. Quand on était en France séparément on pouvait signer l’Ostie d’chat, mais au milieu d’autres livres, c’est dur de penser les livres en vase clos. Ha si, une fois j’ai dédicacé dans une foire du livre à Bordeaux, L’Escale du livre, c’était pas vraiment mon public, les gens ne connaissaient pas, mais j’ai quand même vendu une coupe d’Ostie d’chat. Il y a un homme qui l’a acheté, l’a lu le soir et est revenu le lendemain en me disant « Il y a une expression québécoise que je ne comprends pas ! Est-ce que vous pourriez comme me traduire s’il vous plaît ? » Il a ouvert le livre et m’a pointé l’expression en question, c’était « Chow mein », c’est un plat chinois ! Dans le contexte c’était assez évident, mais il a dû se dire « bon c’est une BD québécoise ce doit être une expression québécoise ». Pour sa défense le chow mein c’est une grosse référence à un film québécois, des références de ce genre il y en a une coupe comme ça. Par exemple à un moment Jean-Sébastien dit à sa nouvelle copine, qui est indienne, « T’as de la neige dans tes mitaines », ça aussi c’est une réplique d’un film culte québécois, La Guerre des tuques, mais c’est pas grave si tu l’as pas.
Puisque tu as travaillé avec des éditeurs québécois, tout de même distribués en Europe (dès le début pour La Pastèque, assez vite pour Pow Pow), peux-tu me décrire un peu les différences de relations ? Même si il y a aussi la différence entre un éditeur de proximité, alternatif, et un des plus gros éditeurs du marché. C’est forcément plus difficile quand c’est par email, Luc on habite la même ville. Pour Delcourt c’est d’autant plus marqué que pour tout ce qui est graphisme ils engagent des compagnies de sous-traitantes, donc dès qu’on avait des questions sur le graphisme, il fallait passer par un intermédiaire. La communication était plus difficile. Ça n’allait pas créer de problèmes, mais c’est moins agréable que de travailler avec quelqu’un en qui on a 100 % confiance. Et Luc [Bossé] est très très très transparent, ce qui n’est pas le cas avec une grosse boîte, mais on a toujours eu de supers bons rapports avec Delcourt et ceux qui nous suivaient là-bas. Quand on allait à Angoulême, on rencontrait pour la première fois ceux avec qui on travaillait, puis on les voyait deux jours, c’est différent. Une chose avec Delcourt c’est que j’ai l’impression que pas mal de monde achetait le livre parce que c’était la collection, ils ne nous connaissaient pas et se disaient « Ha je vais découvrir », alors que chez Pow pow, quand on va à Angoulême maintenant, on a un public qui nous connaît, qui a ses auteurs préférés, qui sait ce qu’il veut. Cette année [2023], j’étais surprise de voir à quel point j’ai eu beaucoup de libraires qui sont venus me voir, j’en ai au moins quatre qui sont venus me parler de Football fantaisie, ça dit quelque chose aussi de comment Pow pow s’implante peu à peu dans les librairies en France.
Le titre de Libé, 15 avril 2022.
Football fantaisie est un gros livre expérimental, tout en couleur, assez risqué, qui a eu des prix au Québec, une belle presse en France, notamment une page dans Libération, peux-tu me parler de ça ? C’est sûr que la langue n’est plus tant un sujet ici, en faisant une langue nouvelle tu élimines ce problème. Ou alors j’en créée un autre ! Cette interview c’est drôle, car j’ai vraiment énervé Facebook, pas les Français je pense, mais les Français de Facebook, c’est seulement un type de personne. Je n’ai pas choisi le titre ! [« J’avais un fantasme, faire un livre avec des fautes d’orthographe »] Quand je l’ai vu en vrai je me suis dit comme « Ha, pourquoi elle a mis ça ? », c’est très provocateur et le livre est provocateur, donc ça me plaît, mais ça met l’accent sur quelque chose qui est vraiment pas le cœur de Football fantaisie, c’est ça que je trouve un peu dommage. Mais après Libération, wow, je ne m’attendais pas à ça, c’est un article très complet dans un grand quotidien, mais je pense que Marie Klock4 a vraiment pogné quelque chose avec le Québec. Elle était venue la première fois pour un festival de musique pis elle était sous le choc de Montréal, ici la limite entre l’underground et l’overground est dans doute plus flou qu’en France. En bande dessinée il y a moins de star system, même ceux qui vivent professionnellement de la BD continuent à faire des fanzines en parallèle, c’est comme normal tandis que c’est plus séparé en France j’ai l’impression.
Cette distinction se maintient dans le temps ? Dans son essai sur le fanzine au Québec Izabeau Legendre explique justement que dans les années 80 on ne peut pas parler d’undeground ou BD alternative au Québec, car il n’y a pas de mainstream, comme si toute production québécoise était alternative par rapport à ce qui vient d’Europe et USA. C’est un peu moins le cas quand même non ? C’est sur, ça a bougé, mais moi j’ai publié un fanzine par exemple, je le tirais à 500 exemplaires, c’est pas très loin du mille exemplaires de plusieurs de mes livres. La différence est pas si marquée, c’est pas des tirages si loin des uns des autres, et tu peux gagner plus d’argent en autoéditant parfois. Surtout qu’avec les moyens d’aujourd’hui la qualité d’impression est très bonne même sur de petits tirages. Cette proximité fait que le milieu c’est vraiment le fun. Cette proximité fait que le milieu c’est vraiment le fun, parce que quand il y a de nouvelles personnes qui poppent là-dedans c’est assez facile de s’insérer, j’ai trouvé que la France c’était plus hiérarchisé dans le domaine de la bande dessinée. Je ne sais pas si c’est comme ça dans d’autres domaines, mais probablement. Pis aussi, j’ai rencontré des jeunes françaises dans un salon à Montréal et leur première question c’est « Où tu as étudié ? », comme si l’école c’était vraiment important, que c’était le niveau 1, puis tu as un niveau 2… Il y a des gens qui ont 50 ans, on fait carrière dans n’importe quoi puis commencent à faire des fanzines tout d’un coup. C’est plus low profile, moins glamour si tu veux.
Tu me disais que ça l’est de plus en plus quand même… Oui mais non, il y a un succès d’estime qui est plus présent, mais glamour je dirais pas là.
J’ai du mal à imaginer le milieu de la BD français comme glamour, Angoulême c’est pas Cannes ! Justement, là je suis en train de changer de carrière. Je mets mon pied dans le monde du cinéma, qui est un autre monde complètement. Le rythme de production est plus chaotique, il y a plus d’argent en jeu, il y a plus de risques à prendre, il y a beaucoup de séduction, c’est pas mal moins zen. Là le glamour existe, je le vois, même au Québec, souvent j’ai impression de parler à des masques. Et je trouve qu’on est tellement mieux dans un monde sans glamour, dans la bande dessinée.
Entretien réalisé par Zoom le 2 novembre 2023, corrigé et complété par courriel en janvier 2025
1 La première version du blog est également animée par Domitille Collardey et Olivier Tallec. Lisa Mandel, Erwann Surcouf et Ohm les rejoignent ensuite. 2 Né à Montréal en 1980, Chrisostome est québécois, mais a grandit en France après ses dix ans, pays où il se forme à la bande dessinée, étudie et travaille. 3 L’intégrale est vendue 25,50 €. 4 Marie Klock est une musicienne et chanteuse qui écrit parfois pour Libération, notamment sur la bande dessinée.
Il y a quelque temps, le projet de recherche pan-canadien sur la BD « Au-delà des 2 solitudes – Beyond the 2 Solitudes » avait proposé un appel à recherche-création. Il s’agissait de faire une ou quelques pages de bande dessinée sur ce sujet des oppositions entre nationalités canadiennes, linguistiques notamment, pouvant également aborder les sujets des migrants de différentes communautés culturelles, premières nations, etc.
J’avais pour ma part proposé une petite planche un peu légère, récit d’un moment vécu que j’avais trouvé amusant mais pas si anecdotique. L’identité de l’intervenante est préservée mais je tiens à dire qu’elle n’a rien d’une horrible chauvine (les saillies parfois xénophobes de certains indépendantistes l’énervent d’ailleurs, une indépendance n’ayant pour elle de sens que de gauche et respectant l’autodétermination des Premières Nations), mais cela témoigne de tension qui me paraissent traverser tout québécois francophone.
Bref je l’ai soumise, j’ai été sélectionné (je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de propositions), rémunéré (ce qui n’est pas commun) et a priori exposé dans diverses universités canadiennes mais j’avoue n’en rien savoir. Ce n’est même pas en ligne.
J’aimais bien cette page, alors la voici ! (vous pouvez la lire en plus grand en faisant un clic droit et « Ouvrir l’image dans un nouvel onglet »)
Sur son blog, Thierry Groensteen, un théoricien avec un parcours lui donnant une place importante dans le milieu de la bande dessinée, fait un petit billet sur les fausses planches originales, à partir d’une fausse planche de Crumb mise aux enchères puis retirée. Au-delà de la réflexion générale, et de l’étonnement de voir que des experts ont pu valider la mise en vente d’une planche des 70’s de Crumb en français, ce qui est absolument délirant, il émet une hypothèse – plutôt affirmée – sur l’origine de la planche : « Selon toute apparence, ce faux aurait été fabriqué par les Canadiens qui, à une époque, avaient pour habitude de procéder ainsi quand ils “traduisaient” la production du maître de l’underground : ils la redessinaient purement et simplement ! »
L’objet du délit.
Bien que travaillant depuis des années sur la bande dessinée québécoise je n’avais jamais eu vent de cette habitude. Elle est peut-être réelle dans certains cas, mais paraît surprenante pour Crumb. La figure de l’unground est en effet publiée dans Mainmise, une revue contre-culturelle québécoise, genre d’Actuel qui tisse des liens avec l’underground états-unien comme européen, de manière certes fort amateure, mais assez officielle. Si des ajouts de dessins ont parfois lieux (je n’ai pas recomparé de pages mais le 26 août 2021 sur Facebook Jean-Christophe Menu écrivait en commentaire d’un de mes posts sur le groupe J’AI ! que les adaptations étaient aussi graphique : « genre rajouter une tête de mort Hell’s Angels dans le ciel ! ») la revue possédait une autorisation de republication, après avoir adhéré à un syndicate de la presse underground US, et n’avait pas vraiment de raison de tout redessiner au-delà de quelques petits gags ici où là. Une pratique qui est déjà une drôle d’idée, mais Maimise reste une revue contestataire qui ne respecte rien, c’est bien normal !
Pour en revenir à la planche, j’ai partagé rapidement l’information à des amis québécois spécialistes de la bande dessinée qui ont été très surpris de cette affirmation de Thierry Groensteen. De fait, aucun texte ou source reconnue n’indique cette « habitude » du recopiage de planche pour aller plus vite (qui, quand même, pose question).
Plus précisément, observer la planche incriminée confirme que cette affirmation est fausse, au moins dans ce cas. Les traductions de Mainmise sont extrêmement marquées dans le vocabulaire, la couverture du deuxième recueil de Crumb au Québec (1972 selon la BAnQ) affiche d’ailleurs fièrement « Adapté en québécois par Raymond Lavallée » – j’en profite pour remercier Placid d’avoir posté la photo de ces deux volumes, que j’utilise en couverture de cet article.
Et de fait, dans Mainmise le récit en question s’appelle « Blancmanche » (pour Whiteman en VO) et non « Blanchot », si les deux titres ont été redessinés il ne s’agit clairement pas des mêmes pages. Il y manque certains détails de bords de la fausse planche, qui pourraient être une simple question de maquette, et le dessin diffère un peu, on trouve aussi dans la fausse planche un sous-titre « Progressiv… ». Surtout, texte est aussi très différent : « “Visez-le !… … L’est au bord de la dépression…” » dit le début du récitatif quand sur la planche de Mainmise on peut lire « Pov’ Blancmanche est ben’ down’ », ce qui est quand même singulièrement différent.
Extrait des Comix de mainmise vol. 2 (version suisse, 1973.
Mais après tout, qui sait, il s’agit peut-être d’un faux québécois de Crumb tout autre ! Ce serait quand même une drôle d’idée quand on peut photocopier une version existante mais allons-y. Dans cette histoire, que la fausse planche propose en une grande version très tassée alors qu’elle est connue en anglais et dans l’édition Mainmise sur bien plus de pages, les cases 9 & 10 donnent des éléments assez clairs sur l’origine. Ce n’est pas le cas de toutes les pages de l’auteur, mais par un heureux hasard il s’avère que dans cette histoire le personnage fait soudain une déclaration de ferveur nationaliste. En effet, il s’exclame dans là VO « I’m american » puis « A citizen of the United States ! »
En pleine « Révolution tranquille », qui marque le réveil et l’affirmation du peuple québécois, le texte traduit par Lavallée en joue donc et transforme la déclaration en cohérence avec la scène locale : « Je suis un Québécois ! » « Un citoyen du Khanada ! ». Le fédéralisme états-unien est transposé à celui du Canada, de manière assez simple. Le drapeau prend le fleurdelysé québécois.
Et que nous dit la fausse planche ? La qualité n’est pas terrible, je n’ai pas mieux, mais la transposition est typiquement européenne : « Je suis un Français ! » « Un citoyen de l’Europe-Unie ». Le drapeau est bien tricolore (avec un machin au milieu que je ne distingue pas).
Il y a donc fort à parier que la fausse planche soit parfaitement française, et bien plus récente que des années 70. Savoir d’où elle sort et sa date réelle est un autre sujet, sur lequel je n’ai aucune compétence. Mais il paraît clair que dire qu’il s’agit d’une habitude, peu attestée faisant penser qu’il s’agit forcément des canadiens, alors que les éléments textuels indiquent clairement la France, à la rigueur l’Europe, est aller un rien vite en besogne.
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Les deux versions Suisses des versions Québécoises, 1973.
Pour en revenir à Mainmise, si Crumb publie dès 1967 en France en couverture du premier numéro d’Actuel (sa première publi française est même a priori antérieure), magazine qui publie un premier album en 1974 sous forme d’un hors-série, les deux albums des éditions Mainmise ont été publiés dans une édition européenne dans la foulée (aucune date n’est indiquée,). La première édition possède une couverture différente, tout en gardant le titre – pourtant peu porteur dans nos contrées – Les Comix de Mainmise.
J’aurai pensé l’édition pirate, car à part cette couverture, elle reprend sinon la préface et la traduction québécoise. Il existe peut-être des nuances que je ne peux pas chercher. Le volume 2 est lui absolument identique en apparence, le « adapté en québécois » est en couverture, tout comme un prix en dollar. Seule différence avec l’édition québécoise : comme sur le premier volume un éditeur est mentionné « Éditions des Egraz – Yverdon ». Yverdon est une ville Suisse francophone et nous pourrions avoir un étonnant objet en termes de circulation : publication pirate (ou non) d’un comix Étatsunien traduit en français québécois mais diffusé en Europe par un éditeur suisse. Bon, si ce qui est écrit sur la couverture est vrai, je n’en sais trop rien car je n’ai pas enquêté sur l’éditeur (une rapide recherche fait surtout ressortir les Crumb), et ça aurait pu être un mensonge pour brouiller les pistes, mais comme les deux volumes sont bien présents dans le catalogue de la bibliothèque nationale suisse avec une adresse (une boite postale) et une date (1973, ce qui en ferait donc le premier album de Crumb en Europe puisque celui d’Actuel paraît l’année suivante), cela laisse bien penser à quelque chose de déposé à peu près officiellement.
MAJ IMPORTANTE : Rolf Kesselring, éditeur suisse bien connu de pleins de choses étranges dont de la BD underground et la première revue de mangas en Europe, a créé sa librairie « La Marge » à Yverdon en 1970, il serait bien probable qu’il soit l’éditeur en question. Il a d’ailleurs publié un album de Crumb, Crumbland, sous son nom en 1975, toujours à Yverdon. (merci JC Menu pour l’info)
Merci à Placid, Jean-Christophe Menu et à mes informateurs rigoureux de la page « La bande dessinée québécoise », particulièrement Francis Hervieux et Richard Gendron.
Après la rencontre avec Julie Delporte, deuxième volet des comptes-rendus de rencontres québécoises au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême ! Il s’agit encore d’une autrice de chez Pow pow, mais qui venait alors de sortir son premier livre.
Couverture du premier album d’Éloïse Marseille (Pow pow, 2023)
Dans la pow
Entre 12h et 13h le vendredi 27 janvier 2023, à la suite de la très poétique et militante rencontre avec Julie Delporte, et toujours dans ce petit espace décloisonné du Nouveau Monde, les festivalier.ère.s d’Angoulême ont eu l’heureuse opportunité de rencontrer Eloïse Marseille, jeune autrice québécoise, illustratrice, peintre murale et tatoueuse.
La jeune artiste, aux média multi-matières, venait + particulièrement parler, dans le cadre de cette rencontre avec Sophie Gindensperger, de sa 1ère bande dessinée, récemment parue, Confessions d’une femme normale (Pow Pow, 2022). Tissant elle aussi le fil de l’autobiographie, à sa manière propre, pleine de clarté et de jovialité, l’œuvre raconte une relation au corps, cisaillé entre les filets d’une honte liée à la sexualité, et ce que ce tabou crée de solitude en nous plaçant dans un rapport conflictuel à la normalité.
Sophie Gindensperger, qui animait la rencontre, a dans un premier temps proposé à l’autrice de se concentrer sur les objectifs intimes de ses Confessions, qu’elle a interprétées comme une mise à nu de son cheminement amoureux trébuchant. Le concédant volontiers, Eloïse Marseille a alors défini son œuvre comme une expérience d’écriture thérapeutique et libératrice, qui l’aide, – ce qu’elle espère aussi pour son lectorat -, à se construire et se reconstruire affectivement. L’artiste a en effet évoqué à cette occasion les relectures qu’elles avaient faites de ses journaux intimes écrits durant son adolescence et la compassion qu’elle avait alors éprouvée pour son moi passé, émotion qui a nourri chez elle un désir de partager un vécu qui a pu être pesant, et quelquefois aussi, embarrassant, avec quelques expériences sexuelles cocasses.
Cette observation a amené l’autrice à réfléchir à l’inexistence de son éducation sexuelle, qui a fait qu’elle a découvert son sexe à 22 ans. Sans mots usuels pour exprimer, toute jeune fille, ces papillons dans le poupou qui s’éveillaient soudainement en elle, – image que je trouve d’un imaginaire merveilleux et que l’autrice lit comme la preuve de l’absence de cette éducation -, Éloïse Marseille a révélé qu’elle avait alors très tôt accordé au dessin une fonction masturbatoire – fonction aussi précisément, j’ai alors pensé, de langage. L’artiste a par ailleurs regretté qu’en raison de cette absence de transmission des mots, ces apprentissages sexuels si essentiels soient finalement pris en charge par la pornographie mainstream, qui en déplace les réalités plurielles et les enjeux. Expression dont les images gâchent beaucoup la relation d’un individu à sa propre sexualité, cette instance éducative improvisée expose en effet une représentation très violente de la sexualité, à l’inverse d’une pornographie féministe, mais d’une réception + confidentielle et le fait de petites boîtes de production avec une caisse de résonance à portée limitée. L’autrice est alors revenue sur les injonctions qui avaient pesé sur son regard de jeune femme et ce désir, très fort, mais qui lui venait donc d’ailleurs, d’être par exemple vue comme formant un couple avec son compagnon. Aussi ce regard décentré a-t-il donc dû être déplacé et délégitimé pour permettre l’avènement d’un regard + libre et serein sur ces questions, et qui est un processus toujours en cours.
Idem, page 24
Ce regard nouveau, à la fois tendre et qui proteste, a amené l’animatrice à aborder conjointement la question des étapes de la création et celle de la réception de l’œuvre, devant ce geste de dénuement lucide et souriant qui s’y exprime. D’abord, Éloïse Marseille a précisé que le 1er ton recherché pendant l’écriture avait été celui de la légèreté, mais que le livre avait finalement pris une autre tournure. Ce moment de la rencontre dit bien pour moi l’énergie intrinsèque des textes, qui est telle qu’ils échappent quelquefois à leurs auteurices en elleux-mêmes, comme pour vivre de leur vie autonome – témoignage délicat aussi à mes yeux, dans le cas de l’écriture autobiographique, d’une progression toujours en cours du moi qui s’écrit. Cette vibration de ce moi qui s’écrit et qui change en s’écrivant se lit aussi dans la construction de ces Confessions, que l’autrice perçoit comme décousue, car elle n’en avait de fait pas du tout prévu la densité. Éloïse Marseille s’est par ailleurs émue de la réception de son œuvre par des hommes : plusieurs lui disent en effet se sentir beaucoup vus dans ses Confessions, ce qui m’a laissée à la fois curieuse et songeuse, surtout après que l’artiste a reconnu qu’elle avait beaucoup de mal à dessiner les garçons, sa théorie étant qu’une intimité quotidienne avec le corps est nécessaire pour savoir dessiner celui-ci. Ainsi donc d’après l’artiste invitée, on dessine mieux les filles quand on est une fille et les garçons quand on est un garçon. Le regard le + émouvant pour moi reste cependant celui de sa mère : Éloïse Marseille était persuadée que celle-ci n’allait pas aimer son livre mais apprendra à la salle que sa mère a en fait été une lectrice enjouée et compatissante et qui a, à l’occasion de la lecture des Confessions de sa fille, pris conscience de tout ce qu’elle ne lui avait pas appris et qui retient de cette œuvre qu’elle aurait aimé être + présente – témoignage là aussi sensible à mes yeux de ce que l’écriture peut permettre de rétablissement de liens que l’on pensait, sinon rompus, du moins, et sans vraiment de bruit pour en appréhender les cassures, ébréchés.
En l’occurrence, demandera en conclusion Sophie Gindensperger, de qui vient ce goût de l’exploration de la sexualité féminine et comment l’autrice invitée tisse-t-elle des liens entre ses.ces univers artistiques ? Place-t-elle par exemple son œuvre sous le patronage de la maîtresse de cérémonie de cette 50e édition du festival, Julie Doucet ? Si elle partage cet entrain dans la découverte d’une intimité féminine et aussi dans la pluralité des approches artistiques, Éloïse Marseille ne pense pas s’inscrire dans le sillage de l’autrice, dont elle ne découvre l’œuvre que depuis peu, et ne pense pas + largement s’inscrire dans une lignée, même si elle reconnaît que cette incapacité à se situer vient sans doute du syndrome de l’imposteur, particulièrement développé chez les autrices. Toutefois, elle reconnaît après réflexion certains modèles inspirants, telles que Cathon, également publiée chez Pow Pow – d’après elle éditeur qui fait vraiment confiance à ses autrices dans leur développement d’une parole singulière -, et Mirion Malle, avec en particulier C’est comme ça que je disparais (La ville brûle, 2020), qui résonne avec une autre très belle rencontre du festival, consacrée à l’enveloppe corporelle dans la bande dessinée féminine. Éloïse Marseille s’est dit aussi pour terminer très impressionnée par les œuvres de Brecht Evens, et + spécialement par son travail de manipulation de l’espace, qui est pour elle un sujet familier, notamment, j’ai pensé, en tant que peintre murale et tatoueuse, approches qui offrent nécessairement des étendues de création très différentes. Éloïse Marseille apprendra d’ailleurs à la salle qu’avec un trait particulièrement graphique et aussi beaucoup d’humour, elle s’essaie à inclure la bande dessinée dans sa pratique du tatouage et ainsi à assurer une continuité entre ces différents espaces de création : une poétique, finalement, d’un peau à peau, qui enseigne et permet une intimité étroite entre les arts, mais qui donne aussi par là même un nouvel espace, et donc apprend, à sa manière, la liberté.
En novembre 2022 je fais un point sur mes publications en début de troisième année de doctorat, alors que je me réinscris pour une 4e (et théoriquement dernière) année, voici le nouveau point ! J’écrivais en conclusion : « À suivre : d’autres recensions (pour le BBF et Communication…), des articles pour le Bulletin des bibliothèques de France, La Revue française d’histoire du livre, Comicalité, Voix Plurielles, Mémoires du livre, Archives des lettres canadiennes, Images du travail, Travail des images, Hermès et quelques autres projets, ainsi que deux directions de revues ». Le temps universitaire étant ce qu’il est, certains de ces articles ne sont toujours pas parus (voire écrit), mais la majorité oui, et par ailleurs d’autres se sont invités là !
En amorce toutefois, j’avais oublié dans ma dernière synthèse, une recension pour Textimages, revue d’étude du dialogue texte-image, qui a consacré un numéro à « Espaces et formes du texte dans la bande dessinée » sous la direction de Blanche Delaborde, Benoît Glaude et Pierre-Olivier Douphis. Je n’y avais pas écrit de long article, ce n’est pas vraiment mon champ, mais j’avais avec plaisir donné ma lecture de Presse et bande dessinée. Une aventure sans fin, ouvrage collectif dirigé par Alexier Lévrier et Guillaume Pinson aux Impressions nouvelles. Textimages n° 21 est paru au printemps 2022, désolé pour l’oubli et revenons donc au post-novembre.
Paru très peu de temps après mon point de l’an dernier, « Sylvie Rancourt, après Montréal » me permet d’étendre dans le Voix plurielles Vol. 19 n° 2 (novembre 2022) une communication donnée lors d’un chouette colloque sur la bande dessinée hors champ, en profitant d’un numéro sur le thème « Hors des centres : bande dessinée et comics au Canada » , dirigé par Chris Reyns-Chikuma et Jean Sébastien. J’y étudie le travail de Sylvie Rancourt, autrice intégrée au champ comme une originalité, avec un discours souvent répété sur la naïveté et son arrêt de la bande dessinée, ce alors qu’elle n’est ni complètement ignare de la bande dessinée (elle a indiqué en avoir toujours lu) et qu’elle a continué à produire des centaines de planches, mais après avoir quitté la capitale pour la campagne québécoise, où son travail était donc complètement inaperçu. Une relative invisibilité accentuée par son choix de faire dessiner ses récits par d’autres personnes, des personnes encore moins installée qu’elle dans le milieu et souvent très amateures. Il y a honnêtement encore beaucoup à écrire sur elle et ce travail je pense, mais ce papier premier une première étude de son travail post-2000 et je suis vraiment très content d’avoir pu le mener, d’autant que j’ai envisagé tout un doctorat sur Rancourt.
Un exemple de mini-zines auto-édités par Rancourt dans les années 2010
Images du travail, travail des images est une belle revue étudiant, comme son nom l’indique, la représentation picturale du travail, avec un angle en grande majorité sociologique. Leur n° 14, paru en février 2023, voit son dossier être entièrement consacré à la bande dessinée, sous la codirection de Jean-Paul Géhin, Françoise F. Laot et Pierre Nocérino. On y trouve notamment plusieurs contributions en partie en bande dessinée, ce qui est très stimulant, mais je n’avais ni le temps ni la compétence pour répondre sur cet axe. Il s’avère que la revue a aussi une section de textes courts, d’analyses brèves d’une image, potentiellement d’une planche, qui m’a permis de participer quand même avec ce commentaire d’une planche de La Petite Russie, une bande dessinée semi-biographique de Francis Desharnais sur une communauté autogérée du Québec.
Après avoir publié quelques recensions dans le Bulletin des bibliothèques de France, j’y ai publié le point d’étape « Fanzines et bibliothèques en France : une relation contradictoire », synthèse d’observations et enquêtes auprès des quelques rares fonds de bibliothèques territoriales accueillant des fanzines, et de leur politique pour la mise en valeur de ces fonds atypiques (souvent il n’y en a pas vraiment, mais parfois du désir !).
Le gros projet universitaire de cette année, hormis la rédaction de thèse débutée en juin, est sans nul doute la codirection de mon premier numéro de revue universitaire. C’est grâce à Philippe Rioux, qui m’a invité à faire ce travail avec lui, que j’ai eu la chance de pouvoir travailler sur le vol. 14 (n° 1) de Mémoires du livre/Studies in book culture consacré à « La bande dessinée vagabonde ». Pour le premier numéro que cette revue bilingue publiée par l’Université de Sherbrooke consacre à la bande dessinée, nous avons pris le parti des circulations, des transferts culturels et jeux d’adaptation et resémantisations. Les propositions ont été nombreuses et c’était proprement passionnant, même si le sujet permet sans nul doute de publier nombre d’autres articles. Pour ma part, je cosigne logiquement l’introduction avec Philippe, où nous détaillons un peu nos ambitions, mais ait aussi eu le plaisir de cosigner un autre texte, avec Noémie Sirat, à propos des Nombrils et de la place de leur québécité dans son parcours européen au sein du magazine Spirou. L’article se nomme « Vers les Nombrils universels » et constitue clairement un angle important de mon travail de recherche, annoncé dès le résumé de quelques paragraphes de ma thèse quand je me suis inscrit. Je suis très très heureux qu’il paraisse, tout comme tout le numéro, on trouve les articles cités en lien et tout le numéro en cliquant sur l’image ci-dessous :
Au rang des recensions je suis bien content du doublé au sein de la belle revue Communication, éditée par l’Université de Laval, mais au Québec, à laquelle j’avais forcément envie de contribuer. J’avais écrit ces textes il y a bien un an et il s’agissait de retour sur des ouvrages de Fan Studies, champ que j’ai vraiment envie d’explorer même si ce n’était pas l’urgence de la thèse. J’ai donc lu avec grand intérêt deux ouvrages sur le sujet : Les fans, Une approche sociologique, de Gabriel Segré (Presses universitaires Blaise Pascal, 2020), dans une collection que j’aimais tellement que j’ai finis par y écrire un livre entre-temps, et Les Fans. Publics actifs et engagés, de Mélanie Bourdaa (C&F Editions, 2021), qui s’impose comme la spécialiste française des études de fans et est pour sa part en sciences de l’information et de la communication.
Enfin, toujours dans les recensions, j’ai profité de cette rentrée pour publier ma première note de lecture sur le carnet biblio de La Brèche, association de chercheureuses sur la bande dessinée qui est chère à mon cœur, puisque j’ai été des cofondateur, puis membre de sa collégiale durant deux ans. Mais je n’avais encore rien publié sur le carnet, chose désormais faîte avec ce recueil d’entretien avec des éditeurs de bandes dessinées alternatives par Frédéric Hojlo.
Dans les choses à venir encore en 2023-24 donc, outre la thèse, mes premiers articles sur Comicalité (il était temps ! Mais a priori rien de moins que trois dans trois dossiers différents), et des propositions en cours chez Hermès, Belphégor, Meridian Critic, ¿ Interrogations ?… Avec plusieurs collaborations, ce qui me réjouit ! Des articles pour neuvième art, bien sûr, et pleins de projets, mais que je mets de côté pour la rédaction de thèse.
Guy Delisle a toujours publié de la fiction : ses premières planches publiées au Québec en étaient, comme celles publiées en France à partir de 1995 (d’abord dans le fanzine réunionnais Le Cri du Margouillat, quelques mois après dans Lapin, revue de l’Association), et ses premiers albums : Réflexions (1996), Aline et les autres (1999), etc. La prépublication de Shenzen commence dans le Lapin n° 20 en juillet 1998, le recueil paraissant en 2000 et lançant la carrière d’autobiographe de Delisle. Pyongyang, journal de Corée du Nord (2003), est un des grands succès de l’Association, et quand Delisle passe chez Delcourt avec Chroniques Birmanes (2007) puis Chroniques de Jérusalem (2011), il obtient carrément le Fauve d’or d’Angoulême. Chez le même éditeur paraissent les quatre volumes du Guide du mauvais père (2013-2018), qui se veulent plus un ensemble de gags sur la parentalité, puis dernièrement Chroniques de jeunesse (2021), récit d’un job d »été dans une iconique usine à papier de Québec durant trois ans. Il s’y représente toujours sous ce visage simple et reconnaissable :
Extrait du Guide du Mauvais Père T1, Delcourt, 2013.
L’œuvre autobiographique marque la réception du travail de Delisle. Il n’a pourtant jamais abandonné les albums n’appartenant pas à ce champ : Inspecteur Moroni (Dargaud, 3 tomes, 2001-2004), Comment ne rien faire (La Pastèque, 2002, où l’on retrouve toutefois un alter ego pouvant évoque l’autofiction), Louis (Delcourt, 2 tomes, 2005-2008), adaptation de Jean Echenoz avec Ici ou ailleurs (L’Association, 2019), etc. L’annonce de sa participation au projet Donjon, série de fantasy tentaculaire scénarisée par Joann Sfar et Lewis Trondheim, a cependant surpris, pas tant pour l’aspect fictionnel que pour le récit de genre et l’aspect animalier. Pour le reste, Delisle est complètement issu du même monde éditorial que Sfar et Trondheim, par ailleurs son éditeur chez Delcourt, donc la collaboration n’est pas étonnante. J’ai lu cet album avec un réel plaisir. Globalement j’aime bien Donjon, mais dans la masse il y a quand même de l’anecdotique, ici j’ai trouvé le scénario vraiment intéressant, avec un attachant personnage d’apprenti juriste devenue porte-parole des morts de la Nécropole des pauvres, menacée de destruction par les bourgeois…
Si je voulais développer mon avis sur l’album, je pourrais toutefois le faire sous la forme d’une classique chronique pour un des divers sites auquel je contribue. Ce qui m’a intrigué dans cet album et que je voulais développer ici est ce court passage, à l’intersection des pages 23-24 (pour les folios de l’album, sur la numérotation stricte des planches il s’agit des 21-22).
Le récit sera globalement incompréhensible à qui n’a pas lu l’album, mais on ne peut que reconnaître les traits de l’auteur, légèrement transformés par l’aspect animalier, dans le malheureux signataire. Le moins que l’on puisse dire est qu’il se dessine en fâcheuse posture ! Un amusant clin d’œil, au gré d’un personnage secondaire, permettant de faire du lien inter-œuvres pour les aficionados.
Si la boutade est sans nul doute l’argument principal, on ne peut que noter un deuxième étage à cette scène. Le personnage, sans nom, est ici tué par Guillaume de la Cour. Ce poulet fort peu sympathique est, lui, un personnage récurrent du multivers de Donjon (période Zénith). Ce juriste joyeusement escroc, expert en contrats aux micro-détails douteux et porteur de l’épée du destin, est particulièrement remarquable pour son manque d’éthique, son antipathie évidente et… son patronyme évoquant de manière à peine masquée l’éditeur de la série, Guy Delcourt.
Bien sûr, le personnage existant depuis des années sans encombre, il s’agit plus d’un clin d’œil boutade de Sfar et Trondheim au cursus de leur éditeur, venu d’école de commerce (même s’il a débuté dans les fanzines) et apportant une vision très marketée à l’édition franco-belge. Le croiser ici ne déroge pas à la règle habituelle. Il reste que le fait que Delisle ait choisi de donner ses traits à ce personnage décapité par la représentation, même connivente, de son éditeur, ne peut que faire fantasmer sur l’état de leurs relations…
PS : En écrivant cet article, je découvre qu’il existe un auteur de bande dessinée, entré en activité bien après la création du personnage, qui porte le même nom (écrit légèrement différemment). Cela étant, au regard de ses planches, je doute qu’il ne dessine un jour un Donjon consacré au vil poulet, ce qui aurait été amusant.
Merci à Séverine Marque qui m’a scanné les pages de l’album, que je n’avais plus sous la main !
Mine de rien je suis dans la dernière année de ma thèse sur La bande dessinée québécoise et ses circulations dans et avec l’espace francophone européen. Il va falloir commencer à rédiger et soutenir vers mars ou avril. Comme dans le cadre d’autres travaux, travaillant sur un sujet en partie contemporain, je récolte une part d’information dans des entretiens, que je croise et avec lesquels je bâtis quelques idées. J’ai assez vite voulu interviewer Julie Delporte, incarnation pour moi de l’autrice québécoise avant même d’avoir la nationalité canadienne, exemple de ces circulations. Cela donne à l’entretien un thème évidemment assez éloigné de tout ce qu’on peut dire sur son œuvre brillante (voir par exemple cet entretien-là), mais qui aborde la question du sentiment d’appartenance à la BD québécoise, BD nationale sans passeport.
Extrait de Journal
Tu nais en tant qu’autrice au Québec, les premiers fanzines datent de 2008, peux-tu un peu revenir sur ton parcours ? Quand arrives-tu ici ? Tu débutes d’abord par l’écriture sur la BD dans le cadre de tes études c’est ça ? C’était en 2005, j’étudiais en journalisme, j’aimais déjà beaucoup la bande dessinée alors en parallèle j’ai animé une émission sur la bande dessinée (Dans ta bulle ! sur Choq.fm) pendant de nombreuses années, et j’ai aussi écrit un peu sur la bande dessinée. Une fois diplômée en journalisme, je n’arrivais pas à trouver de médias où exercer cette profession dans des conditions qui me plaisaient, donc je suis revenue aux études, cette fois en cinéma. J’aimais beaucoup le cinéma, cependant l’objectif c’était d’abord d’écrire un mémoire sur la bande dessinée. À l’époque j’envisageais une carrière universitaire dans la recherche sur la bande dessinée, un peu comme toi, mais ce n’était pas un but précis non plus, je voulais surtout satisfaire ma curiosité et augmenter mes connaissances générales en art. C’est en parallèle de l’écriture de mon mémoire que je me suis mise moi-même à faire de la bande dessinée, pour essayer d’abord. Je ne m’attendais pas du tout à pouvoir en faire professionnellement !
La pratique du dessin était-elle déjà là malgré tout ? Je viens plutôt de l’écriture, quand j’étais petite je remplissais des cahiers avec des textes, je dessinais un peu mais pas énormément. Je n’étais pas un « génie » du dessin qui le pratiquait partout et tout le temps comme souvent les auteurs de BD le racontent. En fait, tous les arts m’intéressaient. On avait une petite caméra vidéo à la maison par exemple, et très vite je l’ai prise pour faire des choses. J’ai toujours été très interdisciplinaire mais plutôt douée avec le langage, je rêvais davantage d’être écrivaine que dessinatrice.
Tu apparais au milieu d’un bouillonnement créatif à Montréal, autour de la structure Colosse, est-ce que tu as suivi les cours de l’atelier de Jimmy Beaulieu ? À cette époque-là, il y avait toute une vague de nouveaux auteurs qui apparaissaient (Pascal Girard, Iris, etc.). J’ai suivi les cours de Jimmy Beaulieu à l’atelier du Cégep du Vieux Montréal, mais aussi ceux de David Turgeon quand il les a donnés pour remplacer Jimmy. J’ai écrit et dessiné Encore ça dans un des cours, et Jimmy a voulu en faire un Colosse, ce qui m’a rendue vraiment heureuse. J’en ai fait plusieurs autres mais là où ça a vraiment changé pour moi, c’est quand je suis allée un an à White River Junction, dans le Vermont. J’étais « fellow » au Center for Cartoon Studies, autrice invitée en résidence dans cette école de bande dessinée. La bourse ne donnait pas vraiment de quoi vivre mais j’avais accès gratuitement à l’école. Je pouvais assister aux cours mais aussi apporter un regard plus expérimental. Le but de cette résidence est vraiment de donner une chance à de jeunes auteurs je pense. J’ai eu de la chance d’en bénéficier tôt dans ma carrière, j’avais commencé mon Journal en ligne avant d’aller à l’école, puis j’y ai rencontré l’éditrice de Koyama Press (Annie Koyama) qui l’a publié en anglais par la suite. C’est là que j’ai vraiment développé ce travail au crayon de couleur. Mon dessin est constamment en changement, si le crayon est un peu ma marque de fabrique, dans Corps vivante il est devenu plus précis et réaliste qu’il ne l’était dans Journal. J’imagine que ça bougera encore dans mes prochains projets.
C’est comme une lente affirmation du fait que tu es dessinatrice. J’imagine que c’est aujourd’hui à peu près clair dans ta tête mais tu le remettais beaucoup en cause au début. Oui, mais je ne peux encore m’empêcher d’avoir un peu un syndrome de l’imposteur sur le côté graphique de mon travail, j’ai toujours tendance à croire que c’est mon écriture qui est vraiment intéressante. Bon, j’essaie de changer d’avis là-dessus, je prends de plus en plus confiance.
Bien que rédigé en français, Journalest donc d’abord publié au Canada anglophone. Je n’avais trouvé personne pour le publier en français, je pense que le fait que ce soit en couleur rendait ça vraiment très compliqué à l’époque, très peu d’éditeurs francophones pouvaient imprimer de la couleur au Québec, surtout pour le premier livre d’un auteur. D’ailleurs le premier éditeur en français [le livre a depuis été republié par Pow Pow], L’Agrume, n’était pas québécois. Pour mon second livre, Je vois des antennes partout, ça a d’ailleurs été la même chose, il est d’abord paru chez Drawn & Quaterly, un éditeur québécois, mais anglophone, avant que Pow Pow ne le publie.
Ha oui, je savais pour le premier, mais je ne savais pas que ça avait été le cas aussi pour celui-ci. C’est donc ton premier à paraître chez Pow Pow, qui va alors publier tous tes autres livres en première édition. J’ai l’impression qu’en France c’est vraiment avec Moi aussi, je voulais l’emporter – pourtant publié par un éditeur québécois contrairement au Journal – que tu apparais vraiment dans la presse, pour le public. En fait c’est pas mal vrai ici aussi, c’est ce livre-là qui a vraiment eu le plus d’échos.
Pour en venir au cœur de l’entretien, en terme « national », j’ai l’impression que tu es perçue comme une autrice québécoise, est-ce que tu le ressens comme ça aussi ? Il faudrait peut-être demander aux autres comment ils me perçoivent mais, en ce qui me concerne, mes éditeurs sont québécois, mes collègues de travail sont québécois – ou Français émigrés –, une grosse part de mon travail est autobiographique et se passe au Québec, je n’ai jamais créé en bande dessinée ailleurs qu’au Québec, sauf ponctuellement pour des résidences. Alors oui, je suis une autrice québécoise. Après, c’est l’histoire de l’immigration : est-ce que je peux me sentir 100 % québécoise ? J’ai toujours l’accent français… L’immigration des Français au Québec est une immigration ultra-privilégiée par rapport à d’autres parcours de vie. Les Québécois ont une histoire d’amour-haine avec les immigrants français. Je ne suis pas vraiment fière d’être une Française à Montréal, j’essaie de m’intégrer sans toutefois renier mes origines. Dans tous les cas, si on me considère comme une autrice québécoise, cela me rend fière. Du côté de la réception en France, je ne me rends pas compte si je suis perçue davantage comme québécoise ou française, je n’ai pas eu beaucoup d’entretiens en France, quand Moi aussi, je voulais l’emporter est sorti il n’y en avait pas assez de copies arrivées en Europe, c’était le début de la distribution européenne de Pow Pow…
Extrait de Moi aussi je voulais l’emporter
Et du côté des médias québécois, est-ce que cela t’est renvoyé (le fait que tu es d’origine française) ? Pas trop. Je sais qu’à la radio ça peut être compliqué. J’ai des amis qui travaillent à Radio-Canada qui m’ont déjà dit qu’ils tâchent de limiter l’accent français en ondes, je ne sais pas si c’est vrai. Mais bon, ça ne me pèse pas en tous cas, dans le milieu personne ne me renvoie que je suis française, ou vraiment très rarement. Je ne suis pas la seule aussi il faut dire… Chez Pow Pow il y a Mirion Malle et moi. Qui d’autre ? En fait, je ne sais pas si on est tant.
Justement je pensais à elle, car c’est un pendant intéressant. Comme toi elle émigre, et le Québec imprègne son œuvre, dans le décor comme le vocabulaire, mais elle avait déjà une carrière en France avant. C’est un peu différent pour elle, car elle a plus d’éditeurs français que québécois. Je ne me rends pas compte si les lecteurs la considèrent comme québécoise ou française. On nous vous probablement comme des montréalaises ! Je me dis que c’est peut-être plus sur la réception en France que le fait que l’on soit des émigrées a une incidence : il y a une sorte d’imaginaire positif (peut-être parfois exotisant !) du Québec en France. Je sais qu’on est assez lues en Europe francophone et il y a plein de jeunes qui veulent émigrer, alors je me dis que ça joue peut-être sur notre rayonnement… Obom, qui est à moitié française mais y a peu vécu (seulement très jeune), a une carrière importante au Québec mais elle n’est quasiment pas lue en France : cela dit c’est sans doute une question de distribution de ses livres avant tout. Chez Pow Pow quelqu’un comme Sophie Bédard a un beau succès ici, mais je crois qu’elle est encore assez peu lue en France… Alors nos origines géographiques jouent peut-être pour accrocher le public français.
Dans ta bande dessinée, je trouve qu’on perçoit le Québec mais en même temps ça me semble assez simple pour le public français. Ça se fait assez naturellement, j’ai l’impression que je n’écris rien qu’un Québécois ou un Français ne pourrait pas comprendre, je peux mettre du vocabulaire québécois en tout cas. Il faudrait sans doute demander à Luc [Bossé, son éditeur] ce qu’il en pense. Mais on n’a jamais discuté de la manière dont j’écris… Je ne doute pas que j’ai des traces de français de France qui doivent m’échapper dans mes productions. Il y doit y avoir les deux sortes de Français qui s’y croisent : cela reflète sûrement ma façon de parler, après toutes ces années que j’ai passées à Montréal.
Là où la question de l’identité se ressent aussi, ça peut être tout bêtement administratif : le droit d’avoir un prix de la BD québécoise, de recevoir une bourse du gouvernement du Québec, etc. cela était-il conditionné à une nationalité, une durée de résidence ? Pour les prix c’est un débat interne aux prix j’imagine, mais pour les bourses du Québec et du Canada, dès que nous avons le statut de résident permanent nous y avons droit. Avoir la nationalité canadienne ou pas – moi je l’ai depuis plusieurs années – ne change rien. Une chose qui peut être intéressante peut-être, c’est la différence dans la manière dont on réussit à vivre de nos créations. Je suis vraiment une autrice qui a toujours vécu dans la création au Québec, dans un petit marché où même quand on vend assez bien, c’est quasiment impossible de vivre de la BD alternative, du coup on y vit principalement de bourses de création. J’ai l’impression que quelqu’un, avec une production publiée en France et une carrière qui y a débuté, vit bien plus de publications et de droits d’auteurs que de subventions… c’est peut-être là qu’est la différence la plus marquée à vrai dire.
Enregistré à Montréal le 30 août 2022, repris par courriel en juillet 2023.