Index de mes articles universitaires, point 1 sur ?

Cela n’échappe pas à celles et ceux qui me suivent : j’écris beaucoup, de la chronique d’album au livre, en passant par la tribune d’opinion (et Julie Doucet a bien gagné !) ou l’article de fond. Depuis que j’ai débuté mon doctorat en septembre 2020 je publie aussi, forcément, des articles universitaires. Généralement long, parfois un peu laborieux, ils passent par le fameux principe de la relecture en double aveugle (deux correcteurs anonymes relisent le texte, anonyme aussi, le commentent et l’évaluent). De mon expérience c’est intéressant mais parfois curieux (j’ai parfois eu des relecteurs aux avis diamétralement opposés), c’est en tous cas un rythme très différent de la presse et une reprise assez éreintante. Moi qui déteste me relire ou revenir sur un truc fait dans le passé j’y suis bien obligé, c’est le jeu, et je découvre aussi des délais parfois très long, le délai moyen est bien de six à huit mois entre écriture et publication mais, dans certains cas (notamment les actes de colloques), ça peut prendre des années.

Autre chose remarquée, je suis en Sciences de l’information et de la communication, une matière qui est par principe aux croisement. J’écris donc dans des revues diverses avec des articles publiées ou en cours de publications dans des revues d’histoire (surtout, puisque mon labo est quand même un labo d’histoire culturelle), d’arts et lettres, de métiers du livres et des bibliothèques, de journalisme… Tout ça pouvant entrer dans les « revues qualifiantes » nécessaires pour chercher des postes une fois docteur. Tout ça est loin mais pas inintéressant. Je constate aussi des pratiques différentes selon les revues, plus ou moins exigeantes, même si je n’ai jamais eu l’occasion de traiter avec une revue prédatrice (de toute façon par principe si quelqu’un veut que je paie pour publier je fuis).

Bref, ci-dessous la liste des articles universitaires que j’ai publié à ce jour depuis le début de mon doctorat, certain ont été écrit bien avant : l’année anticipant ce doctorat pour Le Temps des médias notamment, en dialogue avec ma directrice, me permettant de débuter avec déjà un revue qualifiante dans mon CV, ou carrément dans des colloques fait il y a des années, comme celui sur Glénat. J’attends toujours la publication de celui sur Pif le chien, tenu en 2019.

Octobre 2020 : « La bande dessinée durant le Printemps érable (2012), un outil de diffusion et de mobilisation pour une lutte en cours », Le Temps des médias, 2020/2 (n° 35), p. 54-71. Premier vrai article publié dans le cadre de mon doctorat, en répondant à un appel pour un dossier sur les luttes sociales, il mêle mes quatre thèmes favoris : BD, politique, Québec et fanzines ! Autant dire que je pouvais m’arrêter là (mais non). J’ai envie de leur proposer un varia depuis longtemps, ce sera possible quand j’aurai fini les quatre articles en retard j’imagine….
En ligne : https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-le-temps-des-medias-2020-2-page-54.htm (pour ceux qui n’ont pas cairn je l’ai mis sur hal aussi).

Je trouve ça curieux ces revues universitaires ne changeant jamais de couv, il n’y a même pas le thème (et en plus ils se sont gourés sur l’année).

Juin 2021 : « La bande dessinée québécoise et ses liens avec l’Europe francophone : une histoire artistique et critique encore à établir », Études canadiennes / Canadian Studies, 90 | 2021, 113-139.
Un texte présentant les intuitions de ma recherche future, je l’avais écris en début de doctorat, c’est un peu touffus, pas forcément très construit, mais particulièrement utile en début de recherche pour commencer à centrer mon propos. Un article à paraître cette année en est un peu le pendant du côté historiographie. De manière plus générale ça m’intéressait assez de publier dans la seule revue d’études canadiennes en France et je suis plutôt bien tombé avec un n° sur la jeune recherche pile quand je débutais la mienne ! En plus ils ont décidé de mettre tous les numéros sur OpenEdition dès parution avec ce numéro https://journals.openedition.org/eccs/4774

Entre les gros folios, les textes au milieu de l’image géante et la couleur de typo on a autant un recueil d’articles, vraiment chouette, qu’un essai plastique et d’édition, qui me questionne un peu plus.

Juin 2021 : «  Inachève bien les chevaux, tentative de typologie des bandes dessinées inachevées », Éclat n°1, p.
Si ce n’est pas strictement une revue universitaire (il n’y avait d’ailleurs pas de relecture en double aveugle), cette revue éditée par la Haute école des arts du Rhin et 2024 publie les actes d’une journée d’étude passionnante tenue en octobre 2019 sur la BD fragmentée, curieusement mêlée à des dessin d’étudiants et à une mise en page en typo viollete-rose, pourquoi pas. J’avoue assumer modérément le jeu de mot de titre finalement ^^ Texte sur hal : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02549690

Autre exemple de revue avec toujours la même couv mais là le thème est annoncé.

Août 2021 : « La bande dessinée argentine et la politique, autour d’un malentendu – Entretien avec Latino Imparato », Caravelle n° 116, p. 151-166.
Comme j’ai fait un dossier de revue sur la BD argentine, une anthologie de BD colombienne, que je publie aussi des chiliens dans Gorgonzola, des gens croient que je suis expert de la zone latino-américaine : en fait, absolument pas, je ne parle d’ailleurs ni espagnol ni portugais ! Alors quand on m’a contacté pour un dossier sur la BD argentine et la politique dans une des plus grosses revues d’études hispaniques et lusophones j’étais un peu embêté. In fine, on m’a proposé de réaliser un entretien avec un acteur de l’édition en France, c’était alors beaucoup plus simple et pas un réel article universitaire, mais bien dans une revue universitaire, le malentendu du titre pourrait aussi désigner mon rapport à la BD latino-américaine.
C’est en ligne sur OpenEdition : https://journals.openedition.org/caravelle/10859

Novembre 2021 : « Jacques Glénat et les fanzines », avec Philippe Capart, et « Titeuf et la génération Tchô », dans Reyns-Chikuma Chris (dir.), 50 ans d’histoire des éditions Glénat, Presses de l’Université de Liège, coll. « ACME ».
La journée d’étude a du avoir lieu en 2018, bizarrement l’éditeur a tenu à fusionner la communication de Philippe et moi, qui parlait du jeune Glénat-Guttin, pourquoi pas mais ce sont vraiment deux blocs indépendants réunis un peu artificiellement. Constatant que durant ce colloque personne n’avait parlé de Titeuf et Tchô, juste tout de même importante chez Glénat, j’ai proposé un article sur ce sujet aussi. C’était beaucoup, mais j’aime vraiment cet article, même si croyant que le livre ne sortirai jamais j’en ai proposé une version plus grand public et limité à Titeuf à Bédéphile, et que les deux trucs sont finalement sortis en même temps, hum.

Décembre 2021 : « Le Prix de la critique ACBD de la bande dessinée québécoise : construction, limites et réceptions d’un objet contradictoire », InterFaces n°31 (2).
Article pour la revue en ligne de l’Universidade Federal do Rio de Janeiro, revue majoritairement en portugais consacrant son dossier au thème « Prix : querelles et consécrations ». C’était intéressant à faire, sur une matière très contemporaine (qui a déjà évoluée) et c’est en ligne : https://revistas.ufrj.br/index.php/interfaces/issue/view/1922/

D’autres articles sont déjà écris : deux pour Strenae, un pour Société & Représentation, un est en cours de rédaction pour Alternative francophone, un autre pour la Revue française d’histoire du livre… Un projet de numéro coordonné pour Mémoires du livre, des projets pour le Bulletin des bibliothèques de France et Sur le journalisme… Mais aboutiront-ils ? Quand paraîtront-ils ? C’est un mystère ! M’enfin, c’est déjà pas mal en un an et demi de doctorat ces publications.

Edmond Baudouin 1

Edmond Baudoin est un des auteurs français de BD les plus importants de la fin XXe, son influence est majeure, la diversité de ses approches aussi. Il y a beaucoup à écrire dessus et d’ailleurs j’ai eu le plaisir de faire deux textes sur son œuvre : l’un sur la place du policier et du roman noir, pour cette monographie chez Mosquito, l’autre sur la place du Québec, où il a vécu trois ans, pour le dossier en ligne de neuvième art 2.0. J’en écrirai sans doute d’autres, il y a beaucoup de tentatives, plus ou moins réussies, mais toujours intéressantes, chez Baudoin.

Au rang des choses qui m’ont toujours étonné est que, depuis les années 1980, il y a une quasi constante erreur sur son nom, qui revient régulièrement. Dans des articles, dans des salons (je me souviens d’avoir vu un tableau de dédicaces erroné à BDFil, corrigé quand je suis revenu), mais aussi dans des livres où il est publié. La diversité de supports, quels que soient leurs professionnalismes, et son étendue temporelle me surprend toujours. Il y a assurément encore beaucoup de « Baudouin » à relever, notamment dans les imprimés (là j’ai très majoritairement du en ligne, facile à trouver). Mais en attendant cette recherche, une première salve, en guise d’invitation : si vous en trouvez, n’hésitez pas à me les envoyer à maelrannou @ lilo.org

Chic magazine n° 2, mai 1984
Page d’annonce d’un récit de Baudoin & Wagner dans Le Scribe n° , 200
L’Express, mai 2011.
Chronique sur Planète BD, décembre 2012
Émission de France Inter, février 2014
Chronique sur France Culture, octobre 2015
Interview sur Planète BD, octobre 2015 (de nombreux autres articles de ce site deux fois retenu indiquent correctement le nom de Baudoin)
France 3 Régions, octobre 2017
Un article sur José Jover dans, il me semble, un journal interne d’un lieu l’exposant (CIC je crois ?)
ActuaBD, octobre 2021

Entretien préparatoire : José Jover, Aziz Bricolo, la politique et Pif Gadget.

Dans la série des entretiens préparatoires, une courte série de questions à José Jover, membre d’Anita Comix, qui a publié dans beaucoup d’endroits dans les 80’s et notamment dans Pif Gadget, avec Aziz Bricolo. Envisagé pour mon livre à paraître chez PLG (Pif Gadget et le communisme) dans quelques mois, j’ai reçu ces réponses il y a quelques semaines, alors que la maquette du livre est bouclée ! Très souvent, le camarade Jover répond à mes questions en développant autre chose, d’imprévu et de tout de même fort intéressant ! C’est l’occasion de parler de bande dessinées, d’édition (José Jover a lancé Tartamudo), du nouveau Pif Gadget et de militantisme, un terme qui – chose rare – n’effraie pas notre invité !

Avant de collaborer avec Pif Gadget, en étiez-vous lecteur ?

Oui bien sûr et aussi de son ancêtre Vaillant !

La série Aziz Bricolo est signée avec Boudjellal et Larbi, vous formiez ensemble un groupe nommé « Anita Comix », souvent présenté comme le premier atelier d’auteur de BD issu de l’immigration. Pouvez-vous présenter un peu ce que vous voulez dire par là et comment la série Aziz Bricolo est arrivée dans Pif Gadget ?

Aziz Bricolo est né d’abord dans le magazine du syndicat national des instituteurs Virgule (1981). J’avais pris rendez-vous avec la rédaction, dont le rédacteur en chef était PEF : auteur Jeunesse célèbre avec son Prince de Motordu mais à l’époque il n’avait publié qu’un seul album Jeunesse : Moi ma grand-mère (La Farandole, 1978). Pef, est devenu un ami très proche aux cours de toutes les années qui ont suivi.

Puis, j’ai dit à mes deux acolytes d’Anita Comix, Farid Boudjellal et Roland Monpierre de se joindre à moi pour ce journal, nous avons donc créé « Aziz Bricolo » pour Virgule. Nous avons commencé à travailler ensemble avant Aziz, avec un personnage que j’avais créé à la fin des années 1970, « Raymond Lafauche » : un pervers sympa et voleur, dont l’occupation principale était à base de gags sur le vol et sur une page ! (courrier des lecteurs bien gratiné d’ailleurs : ils adoraient ou détestaient !). Entre Raymond (qui était le prénom de mon beau père à l’époque) et Aziz, l’aventure a duré deux bonnes années, à raison d’une ou deux pages par mois, d’abord avec Raymond puis avec Aziz : ce dernier était une volonté de Pef qui voulait une série sur la diversité.

Bien plus tard (1987-1988 par-là…), j’ai proposé une autre série BD (Salséro) à Anne-Marie Schropff qui était rédactrice en chef de Pif Gadget, à l’époque encore sise rue du Faubourg Poissonnière. C’était aussi le siège des éditions VMS Vaillant-Miroir du Sprint ET la Farandole, j’avais commencé pour eux un album Jeunesse avec André Igual à l’écriture : La Vie privée des Monstres. C’était encore à la demande de Pef, directeur de collection, mais La Farandole et VMS ont fermé la boîte, avant que ça ne sorte. J’ai ai fait la toute première publication chez Tartamudo des années plus tard, en 1995.

Édition des Fictionnettes de 2004.

Nous avons passé plus d’un an dans des réunions de rédaction, tous les mois chez Pif Gadget (dernière formule coco historique), dans lesquelles participaient des auteurs comme nous, des repreneurs de personnages de Pif (Yannick avec Hercule), mais aussi des anciens très connus de notre milieu, comme Alberico Motta ou François Corteggiani. Anne-Marie m’a proposé de faire une série comme La Ribambelle, de Roba, alors j’ai pensé reprendre Aziz, mais ce coup-ci sans Roland Monpierre, parti pour d’autres aventures. Ce sera donc avec Larbi Mechkour au dessin et couleur, je l’avais connu à la radio libre « Carbonne 14 » au début des années 1980, et présenté à Farid, avec ils ont fait Les Beurs (Albin Michel, 1985).

Avez-vous, avec votre groupe Anita Comix, ciblé ce journal en fonction de ses valeurs revendiquées ? Ou avez-vous été contacté pour ces mêmes raisons ?

J’ai créé la rencontre d’« Anita Comix », chez moi au Kremlin Bicêtre (1981), et trouvé le nom à cause d’un 33 tours que j’avais sous les yeux à mon atelier à ce moment-là, un disque d’Anita Ward (Ring my bell). Roland Monpierre, que j’ai connu aux Beaux Arts de Paris (octobre 1975, c’était l’un des rares artistes noirs !), et Farid Boudjellal, ami d’enfance de Toulon, ne se connaissaient pas, et lorsque nous avons lancé « Anita comix » nous ne savions pas que nous avions créé le concept Black Blanc Beur ! Je me suis dit aussi, que les rédacteurs en chef préféreraient imaginer voir débarquer une belle sud-américaine, plutôt que trois poilus issus de l’immigration ! Et ça a marché, comme quoi… Plus tard, nous avons participé à la naissance de SOS Racisme dont les leaders étaient des sous-marins du PS, Harlem Désir (choisi pour son nom !) et Julien Dray. Nous avons fait l’affiche pour « La Marche des beurs N°2 : convergence 84 ». Nous apparaissons aussi dans le film Performances, sur les talents issus de l’immigration, avec Rachid Taha et une grande et belle expo à Beaubourg sous l’égide de Jack Lang. 

Affiches d’Anita Comix pour Convergence 84 et SOS Racisme

En plus de Pif Gadget, nous avons commencé à bosser pour Pilote, dirigé par Jean-Marc Thévenet, réalisé des tas d’affiches et de plaquettes illustrées, et beaucoup travaillé pour toute la galaxie de la presse communiste : Révolution, Regard, L’Humanité et L’Humanité dimanche, pour qui j’ai illustré des articles de presse et quelques couvertures… Pif Gadget est dans cette galaxie.

Ma motivation est simple à comprendre : j’ai été un immigré avant ma naturalisation, avec une carte de séjour et une carte de travail. J’ai participé à des associations (oubliées) en faveur des immigrés, telle le CUFI (Comité Unitaire Français Immigrés) et suis entré dans l’extrême gauche Trotskiste d’Alain Krivine. Ils me paraissaient les mieux indiqués au regard des sectes des malades maoïstes, de Lutte Ouvrière, voire des trotskistes dits Lambertiste, dont avait fait partie Jean-Luc Mélenchon, par exemple. On a pu débattre sur ces thèmes ensemble, au début des années 2000 puisque je l’ai fréquenté de près.

C’est la raison pour laquelle il est présent dans le documentaire Jeunesse (collectif avec entre autres, Cavanna, Luis Régo etc) Mon album de l’immigration en France, que j’ai publié et co-dirigé avec ma jeune assistante de l’époque, que j’ai formé, Bérengère Orieux, qui est devenue éditrice de Ici-Même.

Aziz Bricolo est publié en 1987-1988 dans Pif Gadget, pourquoi la série s’est-elle arrêtée si vite ?

Parce que ça a fait faillite : les communiste feraient mieux d’engager un expert-comptable plutôt que des leaders politiques. François Cortegianni a pu récupérer des originaux  des grands anciens, à VMS : DANS LES POUBELLES ! Ils avaient été jetés. Du coup, il m’a offert un original des Rigolus et des Tristus, de Cézard

On entend souvent qu’après 1975 le lien entre Pif Gadget et le communisme devient très ténu. Aviez-vous eu des échanges politiques avec la rédaction ou des collègues ? Sentiez-vous ce ce patronage du parti qui existait toujours ?

De fait, quand Pif Gadget renait de ses cendres vers 2004-2005, j’ai monté l’affaire avec les gars et les filles du journal des jeunesses communistes Avant Garde : à leur demande ! Je suis allé à des réunions place du Colonel Fabien, leur siège, et à L’Humanité, à Saint Denis. J’avais fait un « business plan » à hauteur de 50 000 en kiosques, avec une culbute financière à 30 000 vendus. Patrick Appel-Muller, rédacteur en chef adjoint de L’Humanité, que je connaissais de mes activités de dessinateur dans cette presse, est venu à plusieurs reprises à mon petit bureau de Tartamudo. Il venait prendre des notes pour savoir comment j’allais m’y prendre suite aux réunions !

J’avais monté une équipe de dessinateur, et de journalistes, dont Laurent Mélikian : il pourra témoigner de ce que j’écris là. Me voilà bombardé rédacteur en chef du nouveau Pif Gadget ! Puis, Patrick Apel Muller a pris le pouvoir du journal sur la base de mes notes, et a recruté François Cortegianni comme rédacteur en chef ! Il s’en excuse encore aujourd’hui, et indique que ce n’était pas sa volonté : ce à quoi je luiai dis que c’est de l’histoire ancienne. Bref, de fait au lieu de lancer 50 000 ex comme je l’avais prévu, ils en lancent… 400 000 ex… et ça a marché ! Ils ont même dû retirer les trois premiers numéros. Laurent Mélikian voulait faire un gros dossier dans le magazine Lanfeust Mag, où il bossait aussi, mais je lui ai dit que je ne voulais pas la guerre avec les cocos. Il a quand même fait une page sur cette histoire dans ce journal (que j’ai gardé bien sûr !).

Enfin, ne vous a-t-on pas par la suite étiqueté parce que vous veniez de Pif Gadget ?

Oui, je suis considéré comme un « militant » EN GÉNÉRAL (pas que pour Pif !), ce à quoi je réponds systématiquement : militant de quoi ?! Militant de la cause littéraire, artistique et des auteurs et artistes, certainement !

Entretien réalisé par courriel
en décembre 2021

Les folles années de l’intégration, réédition des Beurs et d’Aziz Bricolo par Tartamudo en 2004.

Alice hors du miroir, avec Joanna Hellgren

En 2008, les éditions Cambourakis publient Mon frère nocturne et Frances T1, deux bandes dessinées de Joanna Hellgren, autrice suédoise inconnue qui posait avec ces deux premiers livres les prémices d’une œuvre une très ambitieuse. Les deux autres tomes de sa trilogie tiennent d’ailleurs leur promesse, et puis elle a quasiment cessé la bande dessinée. Elle se consacre depuis à des livres illustrés et à des expositions qui ont l’air superbes, on peut voir un peu de tout ça sur son site.

Lors de la sortie de ses premiers livres, je l’ai rencontré lors d’une séance de dédicace. Je ne sais plus comment, mais nous avons pu échanger avec sympathie, j’ai eu son courriel et, quelques mois plus tard, elle a accepté de dessiner quatre pages d’Alice hors du miroir, un projet porté depuis longtemps (j’en avais dessiné moi-même une page vers 2007). C’était une Alice adolescente, ayant quitté le pays des Merveilles et espérant y retourner, c’était d’ailleurs sans doute très adolescent, j’étais un jeune étudiant en lettres ou en éditions, Burton n’avait pas encore fait son adaptation. Mais voilà que Joanna Hellgren dessine ces quatre pages, publiées dans le Gorgonzola n° 15 (octobre 2009), à chaque fois que je les relis je suis surpris tant je les trouve belles, j’ai du mal à considérer que j’ai à voir là-dedans !

Quelque temps plus tard, j’ai écrit un cinquième épisode, cette fois en deux pages, qu’elle a aussi illustré et qui est paru dans le Gorgonzola n° 18 (décembre 2012). J’espérais atteindre la trentaine de pages, pouvoir envisager un livret, une publication, que sais-je ?

Mais tout ça était bénévole et Joanna avait déjà été bien gentille de dessiner ces 6 pages, qui ont l’avantage de se conclure – enfin, elles restent en suspend, mais chacun des épisodes de cette série finissent comme ça. Parfois j’ai envie d’en réécrire, peut-être avec d’autres dessinateurices, peut-être en rêvant qu’un jour Joanna y revienne. En attendant j’ai acheté l’original de la première planche, qui est dans mon salon (enfin, était, là je viens de déménager) et j’ai très envie de m’intéresser à ces travaux récents de Joanna dont j’ignorais l’existence et que je découvre à l’occasion de cette replongée dans ses pages.

PS : Frances existe toujours, en volumineuse intégrale, chez Cambourakis.

PS 2 : Cette exposition bande dessinée réalisée en 2012 a l’air tout bonnement incroyable.

Entretien avec Elsa Abderhamani (Bien, monsieur.)

Pour le numéro 13 des Cahiers de la BD sorti en janvier dernier, j’ai réalisé la majeure partie du dossier sur l’engagement. Dans les travaux préparatoire j’ai rapidement échangé avec Elsa Abderhamani, une autrice-éditrice dont j’aime énormément le travail comme la radicalité des propos. In fine j’ai du en utiliser deux phrases. Nous l’avions évoqué à l’époque avec elle, je publie donc notre échange. C’est frustrant car elle ne semble pas avoir de site où acheter son formidable ensemble de zines sortis récemment (l’image chapeau en est un) qui sont pile dans le sujet. Reste son compte instagram.

Le zine Bien, monsieur. est un peu plus facile à trouver et se commande sur leur site. Ce travail collectif est très recommandable et mêle des formes bien différentes de récits politiques, dont toujours des propositions des deux fondatrices (Elsa Abderhamani, donc, et Juliette Mancini).

EDIT : On peut trouver quelques uns de ses zines au Monte-en-l’Air (Ménilmontant) et sur le site du FRAC PICARDIE.

Bien, monsieur. n° 6, hiver 2017. Couverture d’ Elsa Abderhamani et Juliette Mancini.

Politique, militant ? Ce sont des termes que la majorité des artistes fuient comme la peste mais qui semblent revendiqués par Bien, Monsieur. Sur quel constat initial avez vous créé la la revue?

Pour préciser le terme militant, Bien,monsieur. est l’association de plusieurs thèmes et idées que Juliette et moi partageons sur le féminisme, l’anti racisme, les rapports de pouvoir, etc. On fait particulièrement attention à ne pas privilégier une idéologie, ou nommer des groupes, des personnes politiques. On ne s’associe pas à un courant politique en particulier.

Mais il me semble que ceux et celles qui dessinent et se disent apolitiques ont tort, c’est impossible. On participe ou non à l’ordre établi.

Avec Juliette, nous avons eu l’idée de cette revue en 2015, juste avant et après les attentats à Paris, qui ont accéléré la création de notre association. C’était une période de brouhaha constant et de publications continues de dessins et de représentations violentes, ce qui rajoutait à la violence et au stress subis par les attentats. Nous avions besoin et le désir de nous exprimer, sur ce qu’il se passait, sans nécessairement réagir dans l’urgence et la colère. Et comme cette revue était dans notre esprit depuis quelques mois, nous l’avons créée rapidement, et sorti un premier numéro dès la fin 2015.

Notre envie de départ était également de nous lâcher, d’expérimenter, et de ne pas nous contenter de faire de jolis dessins.

Peut être une illustration
A droite, une de mes pages favorites (et des plus puissantes) de ce zine

Quelle forme de bande dessinée la plus percutante dans le combat politique ?

C’est une question difficile.

J’ai tendance à penser que ça dépend du sujet, et qu’il faut réserver le témoignage et la parodie à des cas exceptionnels, en ce qui concerne les différentes formes de luttes. Pour la parodie humoristique, les seules fois où j’ai eu un peu peur du ton en lien avec le sujet abordé dans des histoires pour Bien, monsieur. c’était justement en lien avec l’humour choisi.

Il y a tellement de manières de rire, et d’angles d’attaques, on oublie souvent qu’on n’a pas tous et toutes le même humour. Et qu’on peut être particulièrement blessantes en pensant pourtant avoir une idée géniale…

Je peux te donner ma façon de choisir une approche : si je décide le ton humoristique, je ris toujours de plus privilégié·e, plus puissant·e, que moi. Et lorsque je me rends compte qu’au contraire, mon propos peut être méprisant envers une personne qui a moins de droits, moins de pouvoirs, moins accès à la parole que moi, je ne choisis jamais le ton humoristique.

Pareil pour le récit esthétique et le témoignage ; la question que je me pose avant tout c’est : d’où je parle, et à qui je m’adresse, et quelles sont les personnes que ça pourrait atteindre ?

Ensuite, et ça ne veut pas dire que j’ai raison, mais j’applique mes propres règles aux autres, et en particulier aux dessinateurs et dessinatrices de presse. Par exemple, le dessin d’un homme blanc connu d’une cinquantaine d’année qui trouve un jeu de mot drôle sur les personnes migrantes ou déjà discriminées, et bien ça ne me fait pas rire. Et ça ne me parait pas percutant.

En tant qu’autrice racisée, comment approches-tu ces questions de représentations ?

La représentation en arts et en bande dessinée est vitale. Il n’y a aucune cohérence à parler d’égalité, de droits, de liberté d’expression, sans donner la parole à certains groupes entiers de population.

Et lorsqu’on invite des femmes étrangères ou non, noires, arabes, autant que des hommes blancs, et bien ça nous permet nécessairement d’avoir accès à d’autres histoires et d’autres personnages.

Je veux voir plus d’éditrices, de directrices de festivals, d’autrices et d’auteurs noir·e·s, arabes, hispaniques, etc. en France. Encore aujourd’hui, aller à un festival, pourtant international, de bande dessinée en France, c’est être confrontée à un monde entièrement blanc. Composé essentiellement d’hommes.

Ça me pose problème, et je ne comprends pas très bien pour quelle raison ça ne pose pas plus de soucis à des personnes qui évoluent soi-disant dans un milieu progressiste. Regardent-elles vraiment qui les entourent, qui elles publient et qui elles soutiennent ?

Ma réponse rejoint également la précédente: si on est entouré·e·s de personnes de milieux, d’origines, d’histoires variées, on aura tendance à mieux comprendre la société dans laquelle on vit. Et peut-être éviter l’écueil de répéter toujours les mêmes blagues et de représenter toujours les mêmes héros et personnages.

Peut être une image de texte
Le pack de zines et images Vive la France / Merci les colons

Page pour « J’ai », le fanzine

Alors que les cinémas autres lieux de loisirs restaient fermés, El Chico Solo s’ennuyait sur Facebook et s’est mis à intégrer furieusement des connaissances et amis dans des groupes divers. Un sur les BD rares, un sur les livres et revues sur la BD, un sur les BD franchement bizarres ou moches… Puis face aux exclamations de « J’ai » est née une règle : si l’on peut prouver qu’on possède le truc rare (ou que le posteur a cru rare), l’auteur du post envoie un fanzine. Sacré machin et il y en a qui reçoivent des tonnes de paquets (moi je n’en dois qu’un, mes zines québécois sont globalement inconnus). Il y a aussi des jeux spéciaux régulièrement, auxquels je ne comprend que pouic.

Tout à sa furia El Chico Solo a carrément publié un zine, gratuit contre des timbres, destiné au groupe, avec les meilleurs posts et des BDs et illus inédites, de lui, de Placid, de Zou, de JC Menu, de JP Jennequin, etc. (sommaire ici) J’y ai donc fait une page, destinée à n’être que très peu imprimée et globalement peu compréhensible (mais on y parle BD et égocentrisme, vous ne serez pas perdus). Mais j’ai convaincu El Chico Solo d’en envoyer un exemplaire à la Cité de la BD pour la mémoire !

Ci dessous la page en question donc. Il y a eu d’autres zines en liens avec le groupe, des zines gags, des réponses, je vous avoue que là même membre je n’arrive pas à suivre. Et pour les curieux le groupe est ouvert et accueille des nouveaux membres, rien qu’en regardant ce qui a été publié il y a de quoi se rincer les yeux.

Quelques souvenirs de Nikita Mandryka (1940-2021)

Le 13 juin dernier, Nikita Mandryka est mort. Il est l’auteur d’assez nombreuses BDs mais surtout du Concombre Masqué, série qui a eu l’intérêt assez rare de naviguer non seulement entre différentes revues historiques mais aussi entre des organes aux publics très différents. Jugez donc : début dans Vaillant/Pif Gadget (jeunesse), passage à Pilote (ado-adulte) puis L’Écho des Savanes (adulte) après un désaccord mythique, microscopiquement dans (À suivre…) pour une brève incartade politique (adulte aussi), avant de finir sa carrière de presse dans Spirou (re-jeunesse mais aussi lecteurs nostalgiques). En parallèle le Concombre a vécu en albums chez Dargaud puis, ces dernières années, chez Mosquito et, surtout, Alain Beaulet, qui a publié La Vie secrète du Concombre masqué à peine un mois avant sa mort. On pourrait aussi citer l’étonnant passage du Concombre dans la BD utilitaire avec le fameux Pas de sida pour Miss Poireau, vulgarisant l’usage du préservatif, scénarisé par Moliterni et envoyé dans nombre de collèges et autres lieux d’éducation (édité en 1987 et en 1994). Il fut pour ma part un élément important de mon éducation sexuelle. Le concombre, enfin, était présent en ligne sur un site foisonnant, complètement foutraque, tenu par Mandryka lui-même depuis les années 90, à une époque où c’était franchement rare. On y retrouve des dessins inédits, rééditions, avis philosophico-politiques, souvenirs, republication de séries qui lui plaisaient… Le Concombre était donc malléable et a eu de multiples vies, parfois contradictoires.

Mais si Mandryka a une œuvre riche, dont on a salué l’aspect original, volontiers absurde, surréaliste, marquée par la philosophie orientale (principalement le Tao) comme le burlesque américain, s’il a été récompensé par ses pairs du Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1994, c’est sans doute autant pour son rôle majeur dans l’édition franco-belge (et suisse, puisqu’il vivait dans ce pays). Adolescent, j’étais marqué par les pages ésotériques du Concombre dans les vieux Pilote de mon père, mais aussi pour les pages clairement obscènes dans les vieux numéros de l’Écho. Surtout, je constatais, déjà intéressé sans m’en rendre compte par les coulisses de la bande dessinée, qu’il était celui qui décidait du contenu, le rédacteur en chef tout puissant d’une revue qui me choquait un peu tout en m’épatant par la liberté de ton, mais aussi de création graphique et narrative. « La nouvelle bédé c’est dans l’Écho qu’elle est ! » titre une de ses célèbres couvertures, et c’est sans doute vrai. Une bande dessinée dans un large éventail, mêlant l’underground à l’expérimental en passant par des formes plus classiques mais, souvent, des voix originales. Nous avons déjà évoqué cette époque sur ce blog, avec Philippe Marcelé.

Couverture de l’Écho des savanes n° 15 (décembre 1975)

Nikita Mandryka a participé à l’aventure VaillantPif Gadget puis a migré à Pilote en espérant pouvoir parler à un public plus large, plus adulte, et faire des BDs plus libres. La manière dont son Concombre regardant pousser un jardin zen durant des pages et des pages a eu raison de Goscinny et mené à la création de L’Écho des savanes, avec Gotlib et Bretécher, en 1972, a été raconté des centaines de fois. On raconte moins comment il a dirigé ce journal seul au bout de quelques années et permis à des dizaines d’auteurs d’être publiés, avant de lâcher l’affaire en 1979, effaré par les problématiques de gestion et les luttes de pouvoir qui ne l’intéressent guère. Il revient pourtant dans ce rôle de rédacteur en chef pour la relance de Charlie Mensuel durant un an, de 1982 à 1983, avant de prendre la direction de Pilote. Si la presse est alors en crise et que son travail paraît moins révolutionnaire qu’à L’Écho, ce passage à la tête de trois revues mythique en fait autant un auteur qu’un éditeur d’importance, façonnant à travers ces revues à certain pan de l’histoire de la BD.

Mandryka aimait causer, raconter, nous aurions sans doute été en désaccord sur un certain nombre de choses, mais il était profondément curieux et généreux. Pour le critique que je suis, qui s’intéresse à l’histoire de la presse BD, c’était aussi un « bon client », toujours disponible pour un entretien et prêt à donner de son temps. Depuis que j’écris sur la BD, je l’ai appelé régulièrement, et ai réalisé au moins quatre entretiens avec lui : dans le Gorgonzola n° 4 (juin 2005), sur Du9 avec un très long entretien carrière (décembre 2010), à l’occasion de sa venue à Paris pour un salon hommage à Pif Gadget, qui reste gravé dans ma mémoire pour les plus de 2h30 passées en sa compagnie – et au moins le double à faire le tri sur l’enregistrement, il avait derrière repris le tapuscrit avec beaucoup d’attention –, par téléphone pour nourrir mon article sur L’Écho des savanes dans Les Cahiers de la BD n° 10 (juin 2020) et enfin par courriel pour mon livre sur Pif Gadget et le communisme (à paraître fin 2021 mais réalisé en avril 2019). Il était toujours disponible, prêt à raconter tout et n’importe quoi, il fallait faire le tri, ça allait dans tous les sens, il s’enflammait, parfois en déclarant sa passion pour quelque chose (la dernière fois, signe de sa curiosité constante, pour la thèse de Sylvain Lesage qu’il a tenu à m’envoyer en PDF ensuite !), parfois en m’engueulant à moitié parce que je ne saisissais pas assez, en réalité toujours prêt à rendre service et à partager.

Je ne l’ai rencontré qu’une fois mais je l’aimais bien. Ce grand type si étonnant, héritier d’une bourgeoisie russe en exil, qui a grandi en Tunisie puis s’est lancé dans la bande dessinée à Paris… Il portait avec lui sans doute un sacré bagage, mais aussi un gros pan de l’histoire de la BD et c’est sans doute ce qui a motivé l’adolescent que j’étais à l’interviewer au tout début de Gorgonzola. Pour situer, on parle alors d’un fanzine tiré à 70 exemplaires édité par un lycéen, vendu quasi exclusivement à ses proches. Pas sûr que l’intérêt pour Mandryka ait été très grand et pourtant il a répondu très vite okay pour l’entretien, par téléphone (mes parents avaient été un peu choqués en apprenant que c’était vers la Suisse, à l’époque les box illimités n’étaient qu’un fantasme). Déjà, son cursus d’éditeur et ses choix radicaux m’interrogeaient. À vrai dire, je m’étonne de voir qu’à 16 ans tout cela m’intéressait déjà, mais ce choix d’interview n’était pas anecdotique, c’était un modèle en édition, une figure tutélaire qui, en plus, acceptait le rôle.

Ci-dessous, pour mémoire, l’entretien publié dans le Gorgonzola n° 4 de juin 2005. J’avais 16 ans et on est loin d’un contenu aussi intéressant que les autres, mais c’était le début. Mon troisième entretien en fait (le premier a été Mattt Konture, le deuxième Julie Doucet, mais c’étaient des auteurs que j’interrogeais et non des éditeurs), il a été sacrément important pour la suite. Si dire oui à un long entretien pour une revue ou un site installé est une chose, faire de même pour un gamin sorti de nulle part (et la Mayenne c’est un peu nulle part) en est une autre. Et il l’a fait sans barguigner, en m’accordant autant de temps que je le voulais. Une anecdote qui me fait penser que Mandryka était un homme bien. Nous ne nous parlions que ponctuellement, mais il va me manquer, mon « bon client » préféré.

NB : Mandryka est aussi un auteur qui partage son jour de naissance avec mon grand frère, chose qui ne veut rien dire mais quand même (c’est aussi le jour de naissance de Arthur Rimbaud, Alphonse Allais et André Santini, bon)

Crédit image : Nikita Mandryka en 2011 part Rama (Wikimedia)

Posséder un livre qui n’existe pas

J’aime profondément les fanzines, les objets éditoriaux mystérieux, les livres hors des cadres et des circuits, cela ne vous surprendra pas trop. Tout cela entre régulièrement en conflit avec mon travail de bibliothécaire, de chercheur fanzineux, de rédacteur effréné de sommaires bibliographiques. Je vous parlais déjà (entre autre) de ce décalage ici.

Au fil de mes lectures et articles, il m’est arrivé d’écrire sur des albums étranges. Parmi eux Jalousie, un album fantôme d’Imagex, annoncé mais jamais publié, que l’on peut reconstituer via des revues. Un de mes articles préférés reste celui consacré aux jeux éditoriaux de Vincent Giard, auteur-éditeur québécois dont j’ai raconté les multiples blagues pour bibliothécaires/collectionneurs, et qui m’avait répondu après publication d’un « HAHAHAHAHA » tonitruant par courriel (tout en m’indiquant que ce n’était pas censé être un piège et que j’avais mal cherché, bonjour la frustration).

Sa maison d’édition, que j’évoquais dans l’article sus-cité, était belle, mais, comme souvent dans ces structures innovantes tenant à l’énergie et l’enthousiasme d’un acteur, à un moment les choses se sont enlisées puis terminées, sans bruit (je précise que le Gorgonzola 25 a 2 ans de retard, mais est bien prévu et que je reste fort enthousiaste). La dernière fois que je suis retourné à Montréal, Vincent m’avait invité dans une pizzeria étrange où il m’a appris la fin de sa structure. La Mauvaise Tête n’était plus.

Son catalogue est beau, pile vingt livres dont cet éditeur, toujours amoureux du classement, a laissé une trace en ligne, bien rangée. Et puis des projets qui, eux, ont disparu.

Lors de cette soirée pizzas, Vincent m’a fait un cadeau, un livre de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau. Ce duo d’auteurs a publié Pinkerton et Poulet graingrain dans les débuts de la maison, un duo important pour son image donc. Mais ce livre, je l’ignorai au catalogue :

Toutes les amertumes, non-livre de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau

Et pour cause, si j’avais déjà lu plusieurs de ces pages (publiées dans des fanzines chez Colosse, structure de microédition où l’on retrouve notamment un webdesign de Giard), ce recueil, lui, n’a jamais existé. Il s’agit d’une maquette d’un projet avorté. Pas d’une maquette en blanc : le contenu est complet, les BDs parfaitement lisibles, seuls quelques problèmes de fignolages dans la fabrication indiquent cet état, et des ratures nettes.

Ce livre existe assurément, je le possède, il a été préparé, façonné, tiré, puis abandonné. Pas forcément parce que l’éditeur coulait d’ailleurs, c’est a priori un choix fait bien avant (une date, mais est-elle la bonne ? Indique 2015), une fois le test réalisé. L’éditeur me l’a évoqué, de manière floue, en disant quelque chose comme « le cœur n’y était plus » ou « une fois le test arrivé ce n’était plus le moment », un truc mystérieux et un peu doux du genre. Il n’y en a qu’un exemplaire, les auteurs m’ont confirmé ne pas en avoir (et ont été surpris de le voir en mes mains), le (non) éditeur n’en a plus non plus. Il est là.

Un livre fantôme donc, une autre incarnation des inachevés possibles auxquels j’ai consacré un article post-journée d’étude aux Arts Décos. C’est aussi un témoignage de la richesse de ce matériau passionnant que forment les archives d’éditeurs, tout comme de leur fragilité chez ces petites structures qui n’ont pas de documentalistes et où tout part aux quatre vents, jusqu’à l’autre côté de l’Atlantique. Si demain un chercheur sur la BD québécoise s’intéresse à la Mauvaise tête, trouvera-t-il les autres archives chez Vincent ? Ou tout a été ainsi éparpillé ? Il y a en tous cas peu de chances qu’il vienne le chercher chez moi.

Tout ça me convainc plus que jamais que les bibliothèques s’intéressant à la BD (la Cité internationale de la BD, la bibliothèque municipale de Lausanne, celle de l’École Multidisciplinaire de l’image à Gatineau…) auraient intérêt à une attitude volontaire de récupérations d’archives d’éditeurs. Si la dispersion d’archives concerne aussi de gros éditeurs (les archives de Pif Gadget ont été bazardées dans un hangar, vendues sur eBay, éparpillées…), mais le risque paraît particulièrement fort pour les petits et micro-éditeurs, qui n’ont a priori aucun moyen de stocker tout ça. Il faudrait certes qu’elles soient tenues correctement. Et là je regarde un peu honteusement les archives papier de l’Égouttoir, déjà peu nombreuses (et c’est un autre problème que l’archivage numérique mais ce serait réinventer l’eau chaude), avec cette idée que, tout de même, de l’ordre pourrait y être mis. Une mission nettement plus motivante si je savais qu’un jour elles seraient hébergées quelque part par des gens susceptibles de les rendre accessibles à qui veut.

PS : Il s’avère que lors de mes premiers séjours au Canada, j’avais été particulièrement surpris car on me parlait beaucoup de Joe Dassin (ce qui n’est plus tellement arrivé par la suite) et quand j’écris ce texte voilà que qui me revient en tête (non, pas les Dalton mais)

Éloge d’Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré

Cela fait longtemps que je parle d’écrire sur Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré. À tel point que pour celles à ceux à qui j’en parle depuis des mois risquent de trouver ce billet un rien décevant. Mais puisque le livre devrait très bientôt être réédité (le site annonce fin janvier depuis des mois, nous sommes en février), voici quelques mots.

Les images illustrant ce billet sont tirées du site de Monstrograph.

J’avais acheté Éloge des fins heureuses alors que je faisais une commande à Monstrograph, j’avais été fasciné par le fanzine Tu vas rater ta vie et personne ne t’aimera jamais, de Martin Page, et avait donc découvert la petite structure qu’il tient avec Coline. J’avais aimé le titre d’Éloge et l’avait commandé avec curiosité mais sans plus. La lecture a été plaisante mais, surtout, m’a un peu secoué. Puis je suis passé à autre chose.

L’an dernier Monstrograph a été largement mis sur le devant de la scène après le succès d’Au-delà de la pénétration, de Martin Page, et, surtout, la polémique liée à la publication de Moi, les hommes, je les déteste, de Pauline Harmange. Les deux livres ont fait couler beaucoup d’encre, aidé par des imbéciles tentant de les censurer contre toute logique. Ils sont depuis réédités chez des éditeurs moins artisanaux que Monstrograph, où tout est fait quasi manuellement. Les débats particulièrement vifs qui ont suivi la publication du Harmange (un livre tout à fait recommandable) ont fait pas mal parler de la petite maison d’édition, parfois en en faisant la structure du seul Martin Page, une classique invisibilisation un rien ironique. Coline Piérré, coéditrice et autrice, y a donc publié l’Éloge des fins heureuses en 2018, il mérite tout autant de bruit (pas besoin de la fureur) que ses camarades de catalogue.

Il est très difficile d’écrire un texte intéressant sur Éloge des fins heureuses pour la simple et bonne raison que le texte est court (96 pages) et particulièrement clair. Il n’y a pas de verbiage ou de mot en trop, les idées sont avancées dans une parole excessivement limpide, brassant pourtant de multiples idées.

Autrice pour la jeunesse, Coline Pierré décrit entre autres combien les romans pour enfants ou adolescents portent toujours en eux cette part d’ouverture heureuse. Il semble logique, à ces âges, d’offrir des récits d’apprentissages, des traversées parfois rudes, mais des débouchées un minimum optimiste. Un classique qui amène souvent à voir la littérature jeunesse au mieux comme naïve, au pire comme incapable de subtilité. Car la subtilité est dans la noirceur, le poète romantique (le brun ténébreux ?), dans les pleurs que l’on arrache et qui apprennent que non, « la vie n’est pas comme dans les romans/films ». Pourtant, nombre de romans classiques finissent mal. C’est à n’y rien comprendre.

Le discours de réhabilitation de la littérature jeunesse et de ses fins heureuses porté par Coline Pierré n’est pas un discours corporatiste, il affirme une ligne et une vision du monde à élargir bien au-delà de la jeunesse. En réservant uniquement le bonheur conclusif aux enfants, on inscrit au fer rouge son impossibilité pour la suite de la vie. Après s’être fait plaisir, il est temps de devenir adulte et d’admettre que rêver est une perte de temps. Outre que c’est une bien triste vision de l’âge adulte (j’ai adoré mon lycée mais sans doute plus ma vie de trentenaire que de collégien), elle est éminemment conservatrice. Ce mépris des fins heureuses « non subtiles » de la littérature jeunesse ou du récent « young adult » n’est au fond qu’un discours bien connu décrétant qu’il n’y a pas d’alternative. Et franchement, je n’ai aucune envie de lire une histoire de Margaret Tatcher.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est heur1.jpg.

Mon premier instinct quand j’ai voulu écrire sur ce livre était de creuser cette ligne, de dire que sans le vouloir Éloge des fins heureuses était un livre puissamment politique. Sauf que je l’ai relu et que le livre le veut parfaitement. Le projet politique y est écrit noir sur blanc (avec le gros mot « politique ») : on veut des comédies musicales (et pas à la La la la land), on veut des utopies qui ne se terminent pas sur l’écrasement de l’espoir, on veut des fictions qui assument de pouvoir changer le monde. Comment pourrait-on attendre des lecteurs qu’ils y aspirent si on leur rentre au burin dans le crâne que tout est voué à l’échec ? Attention, Pierré ne professe pas un chemin sans obstacle, l’apprentissage peut être cahoteux, mais des lectures qui redonnent espoir plutôt qu’elles enfoncent la tête sous l’eau.

La posture de l’écrivain vivant dans le malheur, tirant son talent de son attitude (auto)destructrice, de l’alcool, du génie « ombrageux » (terme cachant souvent un personnage violent et abusif), est très régulièrement décrite. Elle fait partie de la mythologie : il faut être pauvre, seul et frigorifié pour sortir un chef d’œuvre, et qu’importe si Proust et Flaubert étaient rentiers. L’autrice parle donc au passage de son histoire intime dans d’intéressantes digressions (toujours dans un texte extrêmement bref, je vous l’avais dit que c’était dense) et, toute introvertie qu’elle soit, nous dit qu’on peut être heureux et écrire. Cette triste mythologie, qui se résume souvent à de la complaisance, est dramatiquement courante, et pas qu’en fiction. Il y a quelques mois sur twitter je voyais encore une doctorante expliquer qu’un de leur professeurs leur indiquait que si ses thésards ne faisaient pas au moins une dépression durant leurs années de recherche, c’est qu’ils n’étaient pas assez investis. Moi qui viens de débuter mon doctorat après des années d’attente et d’envie, j’avais juste envie de crier « Désolé, mais j’aurai le doctorat heureux ! » Le livre de Coline Pierré n’y était pas pour rien.

Parmi mes livres favoris restent pourtant des monuments de tristesse et de violence – la trilogie des jumeaux d’Agota Kristof occupant à elle seule mon podium personnel. Bon. Nous sommes tous pétris de contradictions. Et l’on n’efface pas des décennies de glorification du drame en un claquement de doigt. Mais depuis ma rencontre avec la provocatrice poétique du bonheur d’Éloge des fins heureuses les choses sont un tant soit peu différentes, et c’est sans honte qu’en littérature comme dans la vie (et dans mon engagement politique) j’assume de rêver en grand. La fin heureuse n’arrive pas seule, elle se construit, elle s’espère et, avant cela, il faut déjà l’imaginer possible.

Pour lire, acheter, offrir, diffuser Éloge des fins heureuses, et le re-épuiser quand il sera enfin redisponible c’est sur la boutique de Monstrograph.

2021 : Fanzines et mémoires

En 2021, il y aura une journée d’études sur les fanzines à la BnF, normalement un colloque reporté à la Fanzinothèque de Poitiers, mon doctorat officiellement commencé me poussera à écrire régulièrement sur les fanzines (même si ce ne sera pas mon sujet central officiel) alors voici une petite bande dessinée pour 2021. Qui ne parle pas de l’année passée parce que bon. Bonne année : fanzine vivra, fanzine vaincra !