Cet article ne se veut pas du tout un texte sur les jeux de mots dans la BD, le titre est un peu trompeur, il s’agit plutôt de parler d’un jeu de mot que j’ai utilisé en titre de mon mémoire de Master 1, qui portait sur la transmission idéologique et la propagande dans les bandes dessinées de Vaillant à Pif Gadget.
Il s’agit bien sûr de « par la bande », expression qui fait un lien + qu’évident avec le neuvième art. Ma compagne s’était étonné de ce titre, ne connaissant pas l’expression et pensant à une invention, mais pas du tout (je ne suis guère poète, dommage). Rappelons le sens avec le Larousse : « Familier. Par des moyens indirects. ».
Si j’étais très fier de l’avoir trouvé, la réalité est que des tonnes d’auteurs l’utilisent constamment pour parler de BD. Quand j’ai prolongé mon mémoire dans un ouvrage chez PLG l’éditeur a renoncé à ce titre, je ne comprennais pas pourquoi. Quand je vois ci-dessous cette liste, certainement non exhaustive, de titres l’utilisant je ne peux que l’en remercier, et mon trait de génie apparaît fort paresseux. Pour ma défense, au delà du jeu de mot facile, il y avait quand même un minimum de sens puisqu’il s’agissait d’étudier des processus de transmission idéologique parfois masqués, typiquement le sens de l’expression.
Classement chronologique, liste ouverte aux ajouts, un peu à la manière (qui m’avait marqué mais que je ne retrouve pas) d’un listing de Vincent Sardon sur son site où il relevait des dizaines et dizaines (centaines ?) de noms de festivals, de revues, fanzines, sites, avec le mot « bulle » dedans pour parler BD.
En 1977 Pierre Fresnault-Deruelle, un des pères français de la théorie de la BD, nommait déjà ainsi son « essai sur les comics ».
Le CEDEJ Egype/Soudan publie en 1986 ce dossier sur la politique Egypte France en regards croisés via la bande dessinée.
En 1993, les éditions Syros et la chercheuse Odette Mitterrand choisissent de passer par ce jeu de mot pour aborder l’histoire dans une visée pédagogique, le jeu de mot semble ici aussi pertinent : comment faire avaler de l’histoire aux élèves l’air de rien, via la BD bien sûr ! (sur le fond je suis moins d’accord d’emblée mais je n’ai pas lu l’ouvrage et il est sans doute bien plus pertinent).
Sorti en 2000, ce roman autobio du frère d’Alex Varenne, qui eu une carrière dans la BD, raconte son passage assez désabusé dans ce monde, et notamment un séjour à Angoulême. Le titre souligne l’aspect un peu curieux et éloigné de se vie de cette séquence. Illustré par Willem quand même.
La seule fiction de l’ensemble je pense, le sujet est clair, c’est un recueil de strip sur le foot paru en 2000. Le jeu de mot sert à évoquer la forme du contenu.
Le Blog culturel (fort intéressant) de SeBso porte ce nom depuis 2005
A vrai dire, j’ai pensé au début que celui-ci ne parlait pas de BD mais voulais juste insister par son titre sur une approche en pas de côté de la communication. Mais cet ouvrage de 2013 a bien pour projet « une forme d’exposition originale : l’évocation d’une quinzaine de bandes dessinées (du Nid des Marsupilami à Little Nemo, en passant par Le Secret de la Licorne ou Lucky Luke) lui sert d’ouverture à l’exposé des principaux problèmes et théories. »
Réalisé par un professeur de gestion, ce livre veut réhabiliter l’image du comptable et explorer son image dans la culture populaire. Publié en 2017 par l’Association Professionnels et Directeurs Comptabilité et gestion. 108 pages quand même. (et oui, Baudoin en couv, il faut dire qu’il a laché sa carrière de comptable pour se lancer dans la BD)
Lécroart croise l’OuBaPo et ses paternels de l’OuLiPO en 2023 dans cette bande dessinée, et forcément…
Porté par le Trésor de la langue française au Québec, en partie disponible en ligne, la Langue par la bande illustre en BD des expressions québécoises typique. Le premier volume sorti en 2024 a eu du succès, un deuxième est tome est sorti en 2025. Les planches du tome 1 sont en ligne, pas le deuxième j’ai l’impression.
La revue Incise n° 8, publiée par le Théâtre de Gennevilliers, a proposé en 2025 un article d’Alexandre Balcaen (ed Adverse) qui utilise ce jeu de mot. « Par la bande, dessiner la marge » est le titre de ce texte. Je ne l’ai pas lu mais je dirais que vue la posture toujours aux lisière de ce qu’est ou non la bande dessinée, il y a là-aussi un peu de sens dans l’utilisation du jeu de mot. Celui-ci a été repris pour nommer l’exposition consacrée à la maison d’édition à La Roche-sur-Yon.
Crédit bandeau : les titres sont cités, mais la chouette photo en épaisseur du Fresnault-Deruelle vient du site stripologie.
Reprise de l’article publié par le magazine de l’Association France-Québec, dont je suis membre depuis plusieurs années, longtemps inactif si ce n’est par cet article publié il y a deux ans et demi (j’ai décidé de m’y investir activement cette année, en entrant au CA de Laval-Québec, structure locale de l’association dans ma ville). Depuis quelques petites choses ont changé : malheureusement La Mauvaise Tête a cessé sa production, de son côté Pow Pow s’est par contre largement développé, avec un catalogue de plus en plus riche et essentiel (Lisez Les Petits Garçons, de Sophie Bédard !). La revue Front froid semble avoir cessé ses activités en périodique pour se consacrer à l’édition d’albums, dans le même esprit que la revue, quand Planches existe toujours après une période de flottement, et affiche un beau programme pour l’année à venir après avoir coédité son premier album en lien avec le festival de Montréal. Ces réserves posées, voici l’article tel que publié à l’époque.
Couverture du numéro où l’article a été publié.
La Bande Dessinée québécoise (BDQ) est issue d’une longue tradition graphique, notamment celle de la caricature anglo-saxonne. Ainsi, quand Punch in Canada paraît en 1849, la première revue d’humour dessiné, souvent politique, du Québec s’inspire directement de son aîné. S’il ne dure que quelques numéros, de nombreux autres magazines du même type naissant, développant une approche graphique populaire. C’est le 18 août 1909 qu’un certain Morisette publie Petit chien sauvage et savant dans Le Canard, ce strip muet est la première publication connue d’un auteur québécois qui dépasse le dessin unique pour être une vraie bande dessinée [NDA : Depuis, suite à des échanges avec un historien de la BDQ, il s’avère que cette affirmation issue d’un ouvrage de Mira Falardeau n’a aucune réalité historique, rien ne prouve que l’auteur soit québécois ni même qu’il s’appelle Morisette !]. Par la suite, plusieurs auteurs se démarquent dans la presse généraliste, souvent pour des pages d’humour à la manière des journaux étasuniens. Parmi eux, Albéric Bourgeois créé Timothée pour La Patrie, série au long cours ou des bulles sont utilisés dès 1904, une première dans la BD francophone ! Mais malgré ces débuts prometteurs, la concurrence américaine – ou un système de vente de strips centralisés par journaux et états permet de faire largement baisser les coûts – balaie rapidement la création locale…
La BDQ traverse alors une
longue période de disettes. Bien sûr des productions existent,
principalement des séries hagiographiques catholiques… La Société
Saint-Jean-Baptiste publie des contes, des revues spécialisées sont
publiées par la JEC, Fides sort quelques albums… Mais le but est
purement didactique et cela se poursuit jusqu’à l’après-guerre.
Une exception notable, celle d’Onésime, par Albert Chartier. Ce
personnage, extrêmement connu outre-Atlantique, mais quasi inconnu
ici, est publié pour en 1943 dans le Bulletin des Agriculteurs du
Québec. Très lue, cette revue professionnelle accueillera les
aventures de ce gentil naïf jusqu’en 2002, avec plus de 600
planches à son actif ! Pour beaucoup de Québécois, il s’agit
de la seule création locale d’un niveau équivalent aux magazines
européens. Chartier est également des années durant un des seuls
auteurs québécois à vivre de la BD.
En 1968, alors que des
magazines comme Spirou ou Tintin traversent l’océan
(de manière parfois aléatoire), la vague contre-culturelle mondiale
touche évidemment le Québec, qui est lui-même en pleine mutation
et « révolution tranquille ». Le groupe Chiendent, mené
par le poète Claude Haffely et des plasticiens contemporains, tente
de monter un groupement à l’américaine pour placer ses bandes
dans la presse québécoise. Quelques-unes paraissent, mais le
contenu radical désarçonne et les auteurs vaquent à d’autres
occupations tout en marquant durablement les lecteurs. De nombreux
fanzines naissent, Jacques Hurtubise et son Hydrocéphale illustré
(1971) créent le comics-book Capitaine Kébec, puis il lance Croc
en 1979, magazine d’humour inspiré de Pilote qui sera leur
premier vrai succès. 189 numéros paraissent, jusqu’en 1995,
publiant les premiers travaux d’auteurs majeurs comme Fournier &
Godbout (Michel Risque) ou Jean-Paul Eid. Il ne s’agit cependant
pas que de BD, mais aussi beaucoup d’humour, d’actualités…
Hurtubise lance donc une revue de grande qualité nommée Titanic,
exclusivement consacrée à la BD, en 1983. Mais c’est un échec,
un fanzine underground nommé Iceberg naît même en
opposition amusée !
Trois générations de revues québécoises consacrées ou laissant grande place à la bande dessinée.
Il reste que Croc permet une vague de professionnalisation sans précédent, et s’il cantonne à l’humour le magazine ancre l’idée qu’une BDQ est possible. De très nombreux fanzines se créent, ainsi que des petites maisons d’édition osant la BD (Kami Case, Zone convective, Mille-Îles…), et une revue d’humour dessinée concurrente, Safarir, qui vivra jusqu’au milieu des années 2000, mais là aussi sans être exclusivement centré sur la BD et en s’éloignant de la satire propre à Croc. Safarir est un des rares exemples de revue québécoise ayant tenté de percer sur le marché européen puis États-Uniens avec des publications spécifiques, mais l’échec est patent dans les deux cas.
La deuxième moitié des 80’s voient aussi apparaître les travaux Julie Doucet et Sylvie Rancourt. Ces deux autrice, relativement éloignées du milieu de la BDQ et dont les travaux ne se croisent pas, ont la spécificité – outre d’être des femmes, chose assez rare à l’époque –, de pratiquer l’autobiographie et l’auto-édition. Longtemps elles seront parmi les plus célèbres représentants du 9e art québécois hors des frontières. Julie Doucet s’impose rapidement comme une pionnière de la BD underground francophone et est publiée en France dès les débuts de L’Association, maison d’édition majeure du renouveau des 90’s. Elle raconte ses rêves, sa vie de femme, son quotidien… Sans pudeur et loin des conventions avec un dessin volontiers trash. De son côté Sylvie Rancourt raconte, sans savoir spécialement dessiner, son quotidien de strip-teaseuse et vend ses BD dans les boîtes où elle danse, avant qu’elles soient reprises et commercialisées, notamment au USA ! Les spécificités propres à ces autrices cultes sont une particularité inexplicable – la raison la plus logique est qu’il s’agit d’un hasard – de la BDQ.
Les années 90
voient donc une génération d’auteurs arriver après des années
stimulantes, où le marché reste très contraint par les productions
franco-belges et américaines, mais où une carrière d’auteur est
possible. Cela permettra l’émergence de structures plus fortes et
de tout un tissu alliant auteurs, éditeurs, librairies… Les
éditions La Pastèque se créent en 1998, Mécanique générale est
fondé par l’auteur-libraire Jimmy Beaulieu à peu près à la même
époque… Des fanzines puis des livres, permettant de concrétiser
des travaux aperçus depuis des années : Benoît Joly, Pascal
Girard, Luc Giard… La longévité de ces structures permet de voir
différentes générations réunies. En même temps qu’ils
republient des auteurs underground, comme Siris, ou de jeunes auteurs
lors de l’avènement des blogs BD (Iris, Zviane…), ils se lancent
dans des travaux patrimoniaux : Fournier & Godbout,
Jean-Paul Eid ou Albert Chartier retrouvent le chemin des
librairies !
Après une longue période de gestation liée à un environnement très peu protecteur, la production de BD québécoise a su s’affirmer et se rendre incontournable. Si pour beaucoup d’auteurs le Graal reste de percer en Europe (le marché francophone québécois restant très restreint), la simplification des communications facilite largement les échanges. Ainsi Paul à Québec, autobiographie de Michel Rabagliati ancrée dans son territoire, a obtenu le prix du Public à Angoulême en 2010 quand Guy Delisle a, lui, remporté le Fauve d’Or en avec ses Chroniques de Jérusalem en 2012. Du côté des ados Les Nombrils, des Sherbrookois Delaf et Dubuc, paraît dans Spirou et est une des séries les plus populaires des ados français. Une réalité montrant bien que la BDQ peut percer de manière totalement autonome, au-delà du pittoresque.
Parallèlement à ces structures historiques et à ces auteurs au CV déjà bien long voyant leurs carrières récompensées, une effervescence est encore en cours : de nombreux festivals, prix, formations… se créent. L’éditeur Glénat a même créé une filière spéciale, « Glénat Québec », pour repérer les talents locaux, associés à la force de frappe d’une des plus grosses maisons d’édition française. Enfin, de nombreuses structures se créent, comme les maisons d’édition Pow Pow et La Mauvaise Tête, lancée par des auteurs, qui présentent les travaux de la jeune garde québécoise sous des graphismes magnifiques (Michel Hellman, Vincent Giard, Luc Bossé, Zviane…). Du côté des revues, on peut saluer deux initiatives méritant particulièrement d’être soulignées : Front Froid, consacrée à la BD de genre, axe original permettant de mettre en lumière des auteurs au style plus réaliste dans des formats courts, et Planches, lancée voici trois ans pour promouvoir des auteurs québécois de tous styles. Si aujourd’hui l’objet de Planches a un peu évolué, la revue comporte toujours de nombreux auteurs locaux et met en avant cette production dans de longs dossiers révélant par la publication comme l’analyse la richesse de la production québécoise.