D.J. Bryant et France Gall en allemand

Durant le confinement, j’ai voulu saluer la politique habituelle des éditions Tanibis, qui mettent de nombreux albums en PDF gratuits depuis longtemps et pas juste sur l’effet d’opportunité. J’ai donc acheté leurs nouveautés : La Vague Gelée, d’EMG, que j’attendais avec impatience (huit ans depuis son premier livre ! J’en ai parlé sur Bodoï) et Cité irréelle, de D.J. Bryant, que je n’attendais pas du tout puisque je n’en avais jamais entendu parler.

En regardant un peu, cet album publié par Fantagraphic en V.O. est plutôt salué par la presse professionnelle et le milieu alternatif, évoquant notamment comme références Daniel Clowes, Adrian Tomine et David Lynch (pour ses films plus que pour sa fameuse BD). Je l’ai lu et c’est une œuvre tout à fait intéressante, certains récits m’ont vraiment embarqué , d’autres moins, mais j’ai été surtout frappé par la page 98.

Soudain, mon cœur se mit à battre la chamade !

Il s’agit d’un extrait du dernier récit, Un objet d’art, mais surtout il s’agit d’une reproduction de Der Computer Nr. 3 , une chanson bien connue de la carrière allemande (moins connue certes) de France Gall lors de son creux de la vague post-Eurovision et pré-Berger. Ceux qui me connaissent savent que j’aime profondément ses chansons d’avant le romantisme doucereux (oui Si maman si est une très belle chanson, je ne le nie pas, je préfère avant c’est tout, je l’expliquerai un jour, j’ai un projet de fanzine). Cette carrière allemande à duré environ de 1966 à 1972, c’est souvent vu comme une période un peu triste, France Gall l’était sans doute, mais les chansons qui en sont sorties me fascinent comme les autres, même si je n’y comprends rien. Der Computer Nr.3 date de 1968 et se veut moderne avec ses impressionnants bruits de boutons électroniques, la version trouvée sur youtube nous montre une France Gall chantant et dansant (en bougeant à peine, comme toujours) sur une scène télévisuelle face à une foule enthousiaste. Le corpus de chansons en allemand en comprend plein d’autres qu’on peut regarder, comme Ein bißchen Goethe, ein bißchen Bonaparte, portrait du garçon idéal, en 1969.

Notez que Claudus1943 a une chaine entière de passages TV incroyables de France Gall, souvent en qualité fort correcte. Complètement fou (comme dirait Yelle pour rester dans le pop francophone).

Bref forcément, voir un Américain citer France Gall en allemand, je suis surpris. D’autant plus qu’il ne s’agit pas exactement du texte de la chanson, mais d’une version mêlant allemand et français, quand celle d’origine n’est qu’en allemand. J’imaginais, je l’avoue, un choix de traduction curieux. Une chanteuse anglophone qui aurait eu un trou de carrière et aurait tourné dans un autre pays et une autre langue ? Mais pourquoi en traduire des bouts ? Puisque le forum bulledair est parfois fréquenté par l’éditeur je l’ai questionné sur ce point précis et certes un petit peu obsessionnel. Et bien la réponse est simple : l’auteur américain a bien cité cette chanson précise, en en traduisant des bouts en anglais. Alors là reste l’autre question, comment et pourquoi un auteur contemporain états-unien un peu hype se retrouve à citer cette chanson ? A-t-elle eu une carrière particulièrement notable en Alaska ou à Seattle où l’auteur a vécu ?

La VO, reproduction de la planche originale qui est d’ailleurs en vente ici si vous avez 1000$ à dépenser pour me faire un cadeau.

A priori il s’agit surtout d’une illustration des nombreuses références pop et jeux de mémoires et mélanges d’influences que l’auteur peut développer. Comme le dit l’éditeur sur le forum : « On pourra trouver (ou pas) dans Cité irréelle des réminiscences du film noir, de Mœbius, de Jack Kirby période romance comics, de Crepax, de Maruo, de la Nouvelle Vague… et donc aussi de France Gall (précisément, sur son blog Sequential Monitor, D. J. Bryant dit avoir découvert les chansons de France Gall… via les BD de Guy Peellaert). »

Sur son blog, D.J. Bryant explique en effet avoir découvert cette chanteuse via un grosse réédition pleine de doc de Jodelle. Anecdote étonnante, car on identifie plutôt les connexions chanteuse pop-Peellaert à Pravda la surviveuse, reprise du physique de Françoise Hardy, mais en effet par un jeu de connexions artistiques et d’époque on peut évidemment tomber sur France Gall. Je ne connais pas très bien les BDs de Peellaert, mais il est vrai qu’il a notamment fait l’entière décoration d’une boite de maquillage France Gall, accompagnée d’une BD en 1967. Un objet rare, que j’adorerai découvrir d’ailleurs, mais plusieurs sources indiquent comme un projet jamais réellement commercialisé (dans son intégralité en tous cas, on trouve parfois la sacoche). Et bon, bon les boites de maquillages ne sont ni les objets les plus collectionnés ni les plus faciles à trouver des années plus tard…. Ci-dessous deux photos promotionnelles de France Gall présentant la boite et le poster-BD à son effigie.

La boite en couleur.
Photographie de Michael Holtz à Paris lors de la campagne de promotion de la boite de maquillage, trace de la page de BD avec France Gall en personnage. On l’aperçoit aussi dans un docu, peut-être est-elle dans l’anthologie consultée par Bryant ?

Enfin, sur son blog, l’auteur détaille son intérêt pour Gall en écrivant « Some of my favorite tracks of hers are Cet air-là, Musique, Der Computer N°3, and Laisse tomber les filles which April March covered as Chick Habit and played at the end of Tarantino’s highly underrated Death Proof. » soit « Certains de mes morceaux préférés à elle sont Cet air-là, Musique, Der Computer N°3 et Laisse tomber les filles, qu’April March a reprise sous le titre Chick Habit et qui passe à la fin du très sous-estimé Boulevard de la mort de Tarantino. » Je suis assez d’accord sur le fait que ces chansons sont très bonnes, j’y rajouterai 24/36, les chansons jazzy avec Gorrager (ha, Y’a du soleil à vendre) ou Avant la bagarre. Bon par contre Boulevard de la mort non, désolé. Mais clairement j’ai des choses à échanger avec ce monsieur autour de France Gall et Cet air-là est vraiment une chanson qui est envoutante et qu’on peut se passer en boucle sans cesse pour entrer dans une transe sixties (sixty six même).

PS : Sur son album Chick Habit April March proposait une reprise en français de la chanson Laisse tomber les filles, et une version anglaise sous le titre Chick Habit , la version Boulevard de la mort semble mixer les deux. En tous cas la version anglophone me semble être une reprise nettement moins classique, notamment dans la voix (qui montre toujours cet aspect fascinant de la différence de nos voix selon les langues).

PS2 : Merveille de l’internet, j’ai reçu le 4 juin ce mot de D.J. Bryant via Tanibis: « France Gall isn’t super well-known in the United States but thanks to the magic of the internet musical tastes are getting less and less based on regionality. I’ve played some France Gall at my day job and had at least one customer who was a Ye Ye fan and recognized it. »

En roulant ma boule, de Raoul Barré (1901)

Avant d’ouvrir la Librairie Z à Montréal, le critique québécois Jean-Dominic Leduc a créé les éditions Mém9ire, consacrées à l’histoire de la BD Québécoise. Avant cela il avait même eu d’autres vies, de comédien notamment. Après la publication de plusieurs ouvrages historiques et numéros d’une revue (Sentinelle), il a lancé la collection « Chronographe », dirigée par Michel Viau, auteur du premier volume d’une importante histoire de la BD québécoise et un des plus grands spécialistes du sujet.

Cette collection avait pour but de proposer des classiques de la bande dessinée québécoises en version numérique de haute qualité, accompagnés d’une petite présentation historique. Au moins deux titres de cette collection furent toutefois imprimés en un petit nombre d’exemplaires Les dossiers de l’ineffable M. Brillant de Jack Der (1952) et donc En roulant ma boule, réédition soignée d’un recueil de gags de 1901, alternant les récits en séquences (toujours via des illustrations pleines pages) et des cartoons en une image. Le titre, apprend-on, vient d’une chanson célèbre du folklore, datant du XVe siècle.

Le très beau dessin de Raoul Barré a évidemment pris un coup sur les questions le fond – on y voit notamment un bourgeois se grimer en « sauvage » et un juif à la caricature qui fait désormais frémir, même si ici il le gag n’est pas proprement négatif (rien à voir avec une caricature antisémite des années 30) – mais l’intéressante introduction de Michel Viau rappelle bien qu’il s’agit ici d’une réédition historique pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la bande dessinée du pays, et non un ouvrage comme un autre. Le thème central des gags est le défilé déguisé de la Saint-Jean, et moque gentiment les notables. Le livre est un des rares de l’auteur, qui ira s’installer à New York en 1903 d’abord comme dessinateur de presse, puis comme animateur pionnier. Il créera un studio en 1914, créera plusieurs dessins animés, participera à la version animée du comics Mutt and Jeff puis, à la fin de sa carrière, travaillera avec Pat Sullivan sur Félix le Chat.

Plus que pour le livre en tant que tel, En roulant ma boule vaut pour ce qu’elle présente (notons d’ailleurs que la réédition comprend la préface originale de Louis Fréchette), dans une perspective historique portée par un éditeur et un directeur de collection fascinés par l’histoire de la BD et voulant faire connaître celle de leur pays. Si le fascicule est publié par un éditeur et a tous les attributs de la publication professionnelle (maquette soignée, ISBN, dépôts légaux…), il rejoint cependant l’esprit des premiers fanzines de bande dessinée, tels GiffWiff ou Phénix, créé par des passionnés agissant en bénévoles amateurs dans les deux sens du terme. Son petit tirage, cherchant à rendre disponible un matériel précieux et oublié, qui a un écho limité, mais apprécié par un fandom, les range aussi assurément de ce côté. Les éditeurs ne renient d’ailleurs pas cette idée puisque la publication papier de cet album numérique a été réalisée pour une occasion précise : le festival Expozine de Montréal en novembre 2015. Un rappel actif des liens entre fanzinat et patrimoine, d’autant plus utile que malheureusement le site qui permettait d’acheter les PDF semble désormais indisponible quand le rare zine papier, lui, est encore là.

En roulant ma boule, Raoul Barré, introduction de Michel Viau,
22,8 x 15 cm, 40 pages, Mém9ire, coll. « Chronographe », 2015.
Chronique publiée en parallèle sur 1fanzineparjour.

Deuxième page du récit principal du recueil.

Ma première BD en librairie : « Hommage à Charlie Schlingo », Comix Club n° 3, mars 2006.

En 2006 l’Égouttoir et Gorgonzola existaient déjà, j’étais en première et un évènement majeur allait arriver ! C’était la glorieuse époque des blogs BD, je discutais parfois avec Fafé sur MSN et les éditions Groinge avaient lancé Comix Club. Pour moi c’était dans le nec plus ultra, j’aimais déjà Ibn al Rabin et Jean Bourguignon, avec qui je ferai un album plus tard (et bé). C’est aussi dans Comix Club que Bsk a publié un des meilleurs strips de l’histoire.

Mais en tous cas j’avais assez bizarrement dit à Fafé que mon frère écrivait bien et était calé en BD et pourrait écrire des articles, ils avaient vu ses chroniques sur bulledair, il avait un blog à l’époque aussi. Bref, il a ainsi reçu l’appel à participation et j’y ai vu cet appel pour un hommage à Schlingo, on ne m’avait rien demandé, mais j’ai fait cette page qui a été étonnamment acceptée (Était-ce déjà J-P Jennequin à l’époque ou encore Big Ben qui s’en occupait ?). Bon la page est pleine de défauts, mais on y note déjà l’autobio et le goût du sommaire (et le mécontentement face à une aberration). Sans doute lié au fait que je devais l’appel à communication à mon frère je l’y ai dessiné, de manière bien peu avantageuse et je m’en excuse encore.

En tous cas voilà, ma première page de BD était en librairie, j’allais devenir dessinateur pro c’était sur ! Bon, ce fut à vrai dire aussi (je crois ? en tous cas il y en a eu peu) la seule page que j’ai dessinée qui s’est retrouvée en librairie. Dans le numéro suivant, j’écrivais mon premier article. Son sujet ? L’amour que je portais au fanzinat. Pour le coup, là, je n’ai pas fini d’en parler, en librairie comme ailleurs.