Index de mes articles universitaires, point 3 sur ?

En novembre 2022 je fais un point sur mes publications en début de troisième année de doctorat, alors que je me réinscris pour une 4e (et théoriquement dernière) année, voici le nouveau point ! J’écrivais en conclusion : « À suivre : d’autres recensions (pour le BBF et Communication…), des articles pour le Bulletin des bibliothèques de France, La Revue française d’histoire du livre, Comicalité, Voix Plurielles, Mémoires du livre, Archives des lettres canadiennes, Images du travail, Travail des images, Hermès et quelques autres projets, ainsi que deux directions de revues ». Le temps universitaire étant ce qu’il est, certains de ces articles ne sont toujours pas parus (voire écrit), mais la majorité oui, et par ailleurs d’autres se sont invités là !

En amorce toutefois, j’avais oublié dans ma dernière synthèse, une recension pour Textimages, revue d’étude du dialogue texte-image, qui a consacré un numéro à « Espaces et formes du texte dans la bande dessinée » sous la direction de Blanche Delaborde, Benoît Glaude et Pierre-Olivier Douphis. Je n’y avais pas écrit de long article, ce n’est pas vraiment mon champ, mais j’avais avec plaisir donné ma lecture de Presse et bande dessinée. Une aventure sans fin, ouvrage collectif dirigé par Alexier Lévrier et Guillaume Pinson aux Impressions nouvelles. Textimages n° 21 est paru au printemps 2022, désolé pour l’oubli et revenons donc au post-novembre.

Paru très peu de temps après mon point de l’an dernier, « Sylvie Rancourt, après Montréal » me permet d’étendre dans le Voix plurielles Vol. 19 n° 2 (novembre 2022) une communication donnée lors d’un chouette colloque sur la bande dessinée hors champ, en profitant d’un numéro sur le thème « Hors des centres : bande dessinée et comics au Canada » , dirigé par Chris Reyns-Chikuma et Jean Sébastien. J’y étudie le travail de Sylvie Rancourt, autrice intégrée au champ comme une originalité, avec un discours souvent répété sur la naïveté et son arrêt de la bande dessinée, ce alors qu’elle n’est ni complètement ignare de la bande dessinée (elle a indiqué en avoir toujours lu) et qu’elle a continué à produire des centaines de planches, mais après avoir quitté la capitale pour la campagne québécoise, où son travail était donc complètement inaperçu. Une relative invisibilité accentuée par son choix de faire dessiner ses récits par d’autres personnes, des personnes encore moins installée qu’elle dans le milieu et souvent très amateures. Il y a honnêtement encore beaucoup à écrire sur elle et ce travail je pense, mais ce papier premier une première étude de son travail post-2000 et je suis vraiment très content d’avoir pu le mener, d’autant que j’ai envisagé tout un doctorat sur Rancourt.

Un exemple de mini-zines auto-édités par Rancourt dans les années 2010

Images du travail, travail des images est une belle revue étudiant, comme son nom l’indique, la représentation picturale du travail, avec un angle en grande majorité sociologique. Leur n° 14, paru en février 2023, voit son dossier être entièrement consacré à la bande dessinée, sous la codirection de Jean-Paul Géhin, Françoise F. Laot et Pierre Nocérino. On y trouve notamment plusieurs contributions en partie en bande dessinée, ce qui est très stimulant, mais je n’avais ni le temps ni la compétence pour répondre sur cet axe. Il s’avère que la revue a aussi une section de textes courts, d’analyses brèves d’une image, potentiellement d’une planche, qui m’a permis de participer quand même avec ce commentaire d’une planche de La Petite Russie, une bande dessinée semi-biographique de Francis Desharnais sur une communauté autogérée du Québec.

Extrait de l’extrait commenté

La Revue française d’histoire du livre est une vieille revue dont le thème est assez clair. Pour son n° 143 ( février 2023), elle s’est penché sur le neuvième art du côté de l’édition avec le thème « Éditer la bande dessinée: approches nouvelles ». Sous la direction de Nicolas Champ, on trouve plusieurs textes vraiment intéressants. Il est malheureusement publié par une revue hors de prix et en accès fermé. Heureusement, la loi française autorise tout chercheur à déposer ses articles sur hal, vous trouverez donc mon article monographique sur les stratégies éditoriales des éditions Powx Pow (« Pow Pow, itinéraire d’un éditeur quadricéphale ») dans sa sobre maquette libre office ici.

Après avoir publié quelques recensions dans le Bulletin des bibliothèques de France, j’y ai publié le point d’étape « Fanzines et bibliothèques en France : une relation contradictoire », synthèse d’observations et enquêtes auprès des quelques rares fonds de bibliothèques territoriales accueillant des fanzines, et de leur politique pour la mise en valeur de ces fonds atypiques (souvent il n’y en a pas vraiment, mais parfois du désir !).

Le gros projet universitaire de cette année, hormis la rédaction de thèse débutée en juin, est sans nul doute la codirection de mon premier numéro de revue universitaire. C’est grâce à Philippe Rioux, qui m’a invité à faire ce travail avec lui, que j’ai eu la chance de pouvoir travailler sur le vol. 14 (n° 1) de Mémoires du livre/Studies in book culture consacré à « La bande dessinée vagabonde ». Pour le premier numéro que cette revue bilingue publiée par l’Université de Sherbrooke consacre à la bande dessinée, nous avons pris le parti des circulations, des transferts culturels et jeux d’adaptation et resémantisations. Les propositions ont été nombreuses et c’était proprement passionnant, même si le sujet permet sans nul doute de publier nombre d’autres articles.
Pour ma part, je cosigne logiquement l’introduction avec Philippe, où nous détaillons un peu nos ambitions, mais ait aussi eu le plaisir de cosigner un autre texte, avec Noémie Sirat, à propos des Nombrils et de la place de leur québécité dans son parcours européen au sein du magazine Spirou. L’article se nomme « Vers les Nombrils universels » et constitue clairement un angle important de mon travail de recherche, annoncé dès le résumé de quelques paragraphes de ma thèse quand je me suis inscrit. Je suis très très heureux qu’il paraisse, tout comme tout le numéro, on trouve les articles cités en lien et tout le numéro en cliquant sur l’image ci-dessous :

Au rang des recensions je suis bien content du doublé au sein de la belle revue Communication, éditée par l’Université de Laval, mais au Québec, à laquelle j’avais forcément envie de contribuer. J’avais écrit ces textes il y a bien un an et il s’agissait de retour sur des ouvrages de Fan Studies, champ que j’ai vraiment envie d’explorer même si ce n’était pas l’urgence de la thèse. J’ai donc lu avec grand intérêt deux ouvrages sur le sujet : Les fans, Une approche sociologique, de Gabriel Segré (Presses universitaires Blaise Pascal, 2020), dans une collection que j’aimais tellement que j’ai finis par y écrire un livre entre-temps, et Les Fans. Publics actifs et engagés, de Mélanie Bourdaa (C&F Editions, 2021), qui s’impose comme la spécialiste française des études de fans et est pour sa part en sciences de l’information et de la communication.

Enfin, toujours dans les recensions, j’ai profité de cette rentrée pour publier ma première note de lecture sur le carnet biblio de La Brèche, association de chercheureuses sur la bande dessinée qui est chère à mon cœur, puisque j’ai été des cofondateur, puis membre de sa collégiale durant deux ans. Mais je n’avais encore rien publié sur le carnet, chose désormais faîte avec ce recueil d’entretien avec des éditeurs de bandes dessinées alternatives par Frédéric Hojlo.

Dans les choses à venir encore en 2023-24 donc, outre la thèse, mes premiers articles sur Comicalité (il était temps ! Mais a priori rien de moins que trois dans trois dossiers différents), et des propositions en cours chez Hermès, Belphégor, Meridian Critic, ¿ Interrogations ?… Avec plusieurs collaborations, ce qui me réjouit ! Des articles pour neuvième art, bien sûr, et pleins de projets, mais que je mets de côté pour la rédaction de thèse.

Il y aura aussi, bien sûr, le numéro d’@nalyse, revue des littératures franco-canadiennes et québécoises, que je dirige sur le thème « Vingt ans de bande dessinée québécoise au XXIe siècle, affirmation et résurgences ». Pressé de vous le présenter. Allez, prochain point une fois la thèse soutenue !

Delisle en fiction, mais bien présent, au détour du Donjon…

Guy Delisle a toujours publié de la fiction : ses premières planches publiées au Québec en étaient, comme celles publiées en France à partir de 1995 (d’abord dans le fanzine réunionnais Le Cri du Margouillat, quelques mois après dans Lapin, revue de l’Association), et ses premiers albums : Réflexions (1996), Aline et les autres (1999), etc. La prépublication de Shenzen commence dans le Lapin n° 20 en juillet 1998, le recueil paraissant en 2000 et lançant la carrière d’autobiographe de Delisle. Pyongyang, journal de Corée du Nord (2003), est un des grands succès de l’Association, et quand Delisle passe chez Delcourt avec Chroniques Birmanes (2007) puis Chroniques de Jérusalem (2011), il obtient carrément le Fauve d’or d’Angoulême. Chez le même éditeur paraissent les quatre volumes du Guide du mauvais père (2013-2018), qui se veulent plus un ensemble de gags sur la parentalité, puis dernièrement Chroniques de jeunesse (2021), récit d’un job d »été dans une iconique usine à papier de Québec durant trois ans. Il s’y représente toujours sous ce visage simple et reconnaissable :

Extrait du Guide du Mauvais Père T1, Delcourt, 2013.

L’œuvre autobiographique marque la réception du travail de Delisle. Il n’a pourtant jamais abandonné les albums n’appartenant pas à ce champ : Inspecteur Moroni (Dargaud, 3 tomes, 2001-2004), Comment ne rien faire (La Pastèque, 2002, où l’on retrouve toutefois un alter ego pouvant évoque l’autofiction), Louis (Delcourt, 2 tomes, 2005-2008), adaptation de Jean Echenoz avec Ici ou ailleurs (L’Association, 2019), etc. L’annonce de sa participation au projet Donjon, série de fantasy tentaculaire scénarisée par Joann Sfar et Lewis Trondheim, a cependant surpris, pas tant pour l’aspect fictionnel que pour le récit de genre et l’aspect animalier. Pour le reste, Delisle est complètement issu du même monde éditorial que Sfar et Trondheim, par ailleurs son éditeur chez Delcourt, donc la collaboration n’est pas étonnante. J’ai lu cet album avec un réel plaisir. Globalement j’aime bien Donjon, mais dans la masse il y a quand même de l’anecdotique, ici j’ai trouvé le scénario vraiment intéressant, avec un attachant personnage d’apprenti juriste devenue porte-parole des morts de la Nécropole des pauvres, menacée de destruction par les bourgeois…

Si je voulais développer mon avis sur l’album, je pourrais toutefois le faire sous la forme d’une classique chronique pour un des divers sites auquel je contribue. Ce qui m’a intrigué dans cet album et que je voulais développer ici est ce court passage, à l’intersection des pages 23-24 (pour les folios de l’album, sur la numérotation stricte des planches il s’agit des 21-22).

Le récit sera globalement incompréhensible à qui n’a pas lu l’album, mais on ne peut que reconnaître les traits de l’auteur, légèrement transformés par l’aspect animalier, dans le malheureux signataire. Le moins que l’on puisse dire est qu’il se dessine en fâcheuse posture ! Un amusant clin d’œil, au gré d’un personnage secondaire, permettant de faire du lien inter-œuvres pour les aficionados.

Si la boutade est sans nul doute l’argument principal, on ne peut que noter un deuxième étage à cette scène. Le personnage, sans nom, est ici tué par Guillaume de la Cour. Ce poulet fort peu sympathique est, lui, un personnage récurrent du multivers de Donjon (période Zénith). Ce juriste joyeusement escroc, expert en contrats aux micro-détails douteux et porteur de l’épée du destin, est particulièrement remarquable pour son manque d’éthique, son antipathie évidente et… son patronyme évoquant de manière à peine masquée l’éditeur de la série, Guy Delcourt.

Bien sûr, le personnage existant depuis des années sans encombre, il s’agit plus d’un clin d’œil boutade de Sfar et Trondheim au cursus de leur éditeur, venu d’école de commerce (même s’il a débuté dans les fanzines) et apportant une vision très marketée à l’édition franco-belge. Le croiser ici ne déroge pas à la règle habituelle. Il reste que le fait que Delisle ait choisi de donner ses traits à ce personnage décapité par la représentation, même connivente, de son éditeur, ne peut que faire fantasmer sur l’état de leurs relations…

PS : En écrivant cet article, je découvre qu’il existe un auteur de bande dessinée, entré en activité bien après la création du personnage, qui porte le même nom (écrit légèrement différemment). Cela étant, au regard de ses planches, je doute qu’il ne dessine un jour un Donjon consacré au vil poulet, ce qui aurait été amusant.

Merci à Séverine Marque qui m’a scanné les pages de l’album, que je n’avais plus sous la main !

Jimmy Beaulieu : un livre, quatre titres

Il arrive que les auteurs québécois prévoient de conserver des droits distincts entre les éditions au Québec et en Europe, cela a plusieurs avantages : pour l’éditeur cela évite des transferts de livres d’un océan à l’autre, pour l’auteur cela évite que des publications en français chez d’éventuels autres éditeurs (c’est principalement le cas si un éditeur québécois n’est pas distribué en Europe) soient traitées en droits étrangers.

Jimmy Beaulieu est un auteur québécois assez lu en Europe francophone, et aussi un habitué des modifications d’ouvrages entre chaque réédition mais c’est un autre sujet (même si un peu lié). En 2013 ; les éditions Mécanique générale, qu’il a fondé des années plus tôt mais où il n’a plus d’activité éditoriale, on édité un gros recueil de ses récits autobiographiques. Le titre est clair et assez illustratif : Non-Aventures, sous titré « planches à la première personne ». Si quelqu’un pense tomber ici sur de la grande course-poursuite, c’est qu’il ne sait pas lire.

En janvier 2015 l’album est édité en Europe. J’entends souvent parler d’édition française mais c’est abusif puisque la maison d’édition, Les Impressions nouvelles, est localisée à Bruxelles. L’éditeur du livre est certes français (le scénariste et théoricien Benoît Peeters) mais il faut a minima parler d’édition européenne francophone. En tous cas, outre quelques modifications de contenu et d’agencement, la couverture diffère. Il y a le dessin, bien sûr, mais c’est assez classique avec une autre édition, le changement de titre l’est moins, surtout que la langue ne change pas. Et les « Non-aventures » deviennent « Les aventures » soit l’exact inverse.

Bon normalement si vous avez lu le début c’est clair.

Pourtant, le titre fonctionne très bien. Avec ce dessin laissant entendre une promenade calme et douce, loin de toute aventure, et le sous-titre conservé, le lecteur comprend bien qu’il s’agit d’un pied de nez et qu’il n’y aura d’aventure qu’intime et personnelle. Interrogé par Laurent Lessous pour BDZoom, Beaulieu explique le choix « Benoît Peeters, l’éditeur de l’édition européenne, n’était pas friand du titre un peu négatif de l’édition québécoise : Non-aventures. Je n’y tenais pas non plus. Nous avons bien cherché une alternative. Moi qui pense toujours à des titres de livres (à en rendre fou mon entourage), je bloquais. J’ai finalement proposé cette variante toute simple et plus drôle, “Les Aventures”, qui était le titre du premier chapitre de la section “Quelques pelures” (lequel s’intitule, dans cette édition, “Non-aventures”). » On note au passage le jeu de retitrage permanent de l’ancien album qui change nom en devenant chapitre… L’enfer des bibliothécaires.

Ce transfert de titre est passionnant, les deux jouent sur une contradiction : le premier sur la simple négation « non-aventures », l’autre peut-être plus subtilement en jouant le contraste avec l’image et le sous-titre. Aucun ne manque de poésie, je préfère a priori le second, mais peut-être est-ce simplement parce que c’est le premier que j’ai connu ? Ou que c’est un ciblage géographique efficace. Quand j’ai présenté le choix à des amis, au débotté, les avis variaient mais sans que ça ne se détache vraiment, ni se distingue par origine géographique. Esthétiquement je trouve par contre la deuxième édition plus réussie, sans aucun doute, c’est mon affaire, j’imagine.

Lors de mon séjour au Québec il y a quelques semaines, Jimmy m’a confié (pour la bibliothèque patrimoniale de la Cité internationale de la BD et de l’image) différentes éditions étrangères de ses livres. Parmi elles, deux de ce qui correspond aux (Non-)Aventures, qu’il m’a présenté comme des éditions directes de ce livre mais qui sont en réalité antérieures (il faut dire que les éditions Aventures sont déjà des anthologies, je vous le dis, un enfer pour les bibliographes).

L’édition canadienne anglophone (2010) et allemande (2014)

Une de ces éditions est paru en anglais chez l’éditeur canadien Conundrum Press en 2010 (avant la Québécoise donc), l’autre en allemand, chez l’éditeur allemand Schreiber & Leser en 2014 (après la Québécoise, mais avant la Belge, pour celle-ci). L’image de couverture est différente des éditions françaises, mais globalement partagée par les deux éditeurs en question, même si en bonne JimmyBeayulieuserie il y a des retouches (le choix de couleurs notamment, et le cadre plus ou moins serré). Le titre est évidemment traduit. Bien que pas très bon en langues étrangères il semble évident qu’aucun ne parle d’aventure, existantes ou non :

En anglais nous avons Suddenly Something Happened, qu’on pourrait traduire à peu près par « Soudain, quelque chose arrive » ou « Tout à coup, etc. ». Un très bon titre à vrai dire, qui résume lui aussi bien le contenu, et cette pseudo-aventure (prenant le contre-pied d’une vieille vision de la BD), peut-être plus explicite que les titres français, car sans sous-titre. En allemand, que je ne parle pas du tout, Am Ende des Tages (là aussi sans sous-titre). Google et des gens m’ont évoqué un « À la fin de la journée » voire « des jours » (ce qui n’est pas exactement la même chose), bon là en tous les cas, pour le coup, je vois moins bien le rapport. Mais cela semble confirmer un goût du jeu avec les titres, profitant de chaque édition pour proposer une variation, ce n’est pas si courant.

PS : J’admets que le titre est un peu mensonger, puisque qu’il ne s’agit jamais vraiment du même livre malgré un contenu largement commun, même entre les deux éditions francophones (même s’il me semble que les rééditions de Non-aventures reprennent le contenu exact des Aventures). Mais bon, vous avez quand même l’idée générale, et au début je croyais que c’était bien le même livre.

Dérouler La Monstrueuse…

Il y a peu, j’ai relu les trois numéros de La Monstrueuse, et son impact sur moi a semblé évident. Je sais que j’avais aimé ce fanzine mais je n’avais jamais ressenti aussi clairement son influence évidente sur mes choix éditoriaux, mais aussi de recherches, sur des amitiés. Ce texte est né de cette relecture, histoire (d’un peu) payer mon tribut.

Quand j’étais au lycée, mon frère avait réalisé une très grosse commande via un catalogue fourni par l’Association. Ce catalogue proposait bien sur les titres de l’éditeur, mais aussi des dizaines d’autres, et une commande assez diverse avait été passée, sans doute en partie au hasard. Parmi toutes ces publications, trois numéros d’un éphémère fanzine : La Monstrueuse, publiée par Chacal Puant de 1995 à 1997.

Ce zine est une des nombreuses expériences éditoriales de Blanquet, dont j’ignorai encore quasiment tout. Je ne savais notamment rien de sa multiplicité créative et de son importance publicationnelle1. Peut-être avais-je déjà lu son Donjon, sorti en 2003 ? Mon frère, futur cofondateur de L’Égouttoir, était fan de la série et découvrait en partie la BD alternative par ce biais. Je suivais. Nous voici en tous cas avec les trois numéros de La Monstrueuse, fanzine gorgé jusqu’à la gueule de bandes dessinées profondément étranges, certaines poussant même le vice à être publiées en anglais. Mes références les plus iconoclastes devaient alors être Mattioli et Poirier dans Pif Gadget et Thiriet (Le Figurant !) dans Spirou. Il y a plus honteux, certes, mais on est loin de ce que je découvrais.

Numéro 2, couverture de Caroline Sury, 1996.

J’ai été marqué par la lecture de cet épais fanzine agrafé (qui reste la reliure que je préfère), sans doute sans me rendre compte réellement de ce qui m’arrivait. C’était mon premier contact avec la BD underground québécoise : Julie Doucet, avant de lire Ciboire de Criss, mais aussi Henriette Valium, qui me mettait mal à l’aise tout en me séduisant, Richard Suicide ou Siris. Il y avait dans ces pages tout le « centre-sud » auquel Suicide consacrera des années plus tard un livre chez Pow Pow. Leurs dessins m’ont autant frappé que la langue, qu’ils tordent sans barguigner. J’étais touché au cœur et des années plus tard quand j’allais publier Richard, faire un long entretien avec Siris, enfin les rencontrer, j’aurai toujours cette référence derrière la tête. D’ailleurs, je viens de débuter un doctorat. Son sujet à peu près formulé ? « La BD québécoise et ses circulations dans et avec l’espace francophone européen ». De fait, La Monstrueuse est un des jalons et se pointe encore dans un coin de mon œil.

Dans La Monstrueuse il y avait donc aussi des pages en anglais – autant dire en extra-terrestre pour le moi de 14 ans. Je ne les ne comprenais pas, et me forçait à lire et apprécier sans le comprendre le si mystérieux Matti Hagelberg, qui fascinait mon grand frère. Il aura fallu un bon 10 ans pour pleinement apprécier ses livres et je me suis surpris quand, relisant les numéros il y a un mois, j’ai éprouvé une joie si enfantine à pouvoir enfin comprendre les pages publiées ! Brad Johnson ou Mike Diana portaient la même aura de mystère absolu, enfin décrypté. Le résultat ne valait peut-être pas autant d’attente et une laborieuse formation en anglais, le plaisir d’enfin pouvoir lire toute La Monstrueuse, oui.

Bien malgré elle, La Monstrueuse était un guide. L’Horreur est humaine, fanzine encore plus confidentiel géré par Sylvain Gérand, dont le sommaire me fascinait, occupera un rôle un peu similaire. J’ai toujours aimé les sommaires (on peut d’ailleurs trouver tout ceux de La Monstrueuse et de L’Horreur est humaine en cliquant sur ces liens). J’y trouvais des auteurs qui m’interloquaient et allaient ensuite tenter de les retrouver, de les découvrir plus amplement. Ce sera le cas avec Lolmède, on échangera ensuite longuement sur le fanzinat, ou des si étranges (à mes jeunes yeux) Caroline Sury ou Nuvish. L’un de ceux qui garde pour toujours une aura de mystère reste un des plus « naïfs » : Gil Gozzer. Je le recroiserai ensuite ici ou là sans jamais savoir ce qu’est devenu ce dessinateur si drôle. En lisant, les connexions se font avec Jade, Le Dernier Cri, l’Association – seule structure déjà un peu approchée – ouvrant un champ de passion/défrichage de BD alternative et du fandom. Beaucoup d’articles en sont sortis, d’autres sont encore à écrire.

Trois petits livres du suscité Gil Gozzer, le dernier (chronologiquement le premier) ayant d’ailleurs été publié par Blanquet en 1996.

Cette fascination s’exerce parfois de façon presque malsaine, au début je tentais de collecter les auteurs comme des Pokémons2, du fond de ma campagne, sauf que rapidement on se prend au jeu et des relations humaines se nouent. Gorgonzola est un fanzine né entre des champs et un internat dans une ville de province, pas construit avec des camarades d’école ou sur un projet commun, si ce n’est celui de toujours lire et rencontrer des bandes dessinées qui me questionnent voire, c’est arrivé, me bouleversent. Cet appétit a eu des conséquences surprenantes : un fanzine qui existe toujours quinze ans après (même laborieusement), des voyages inattendus et de forts belles amitiés.

Dans La Monstrueuse on trouvait notamment Yvang, dont le fanzine Eczema House paraissait dans les 90’s. Yvang a un trait protéiforme et était très actif en ligne quand je découvrais le zine de Blanquet. Sur ses différents blogs (c’était la grande époque des blogs BD), il déversait des flots de dessins, strips, planches, sous différents pseudonymes. Je suis retombé sur lui dans un magazine éphémère, Zoo – pas l’actuel magazine gratuit, une sorte de journal parlant culture, un truc bizarre paru quand j’étais au collège et qui n’a connu que 5 numéros. Yvang s’était glissé subrepticement dans l’un deux, un courriel fut envoyé (le Pokédex malsain se mêlant à une fascination réelle) et il est arrivé dans L’Abécédaire, un collectif que nous avions publié en 2005, annonçant la joyeuse incohérence éditoriale à suivre.

On y trouvait d’ailleurs aussi Blanquet (seule contribution à nos productions), Anne Van der Linden et Lolmède, mais Yvang est le premier auteur de La Monstrueuse à devenir contributeur régulier. Nous nous rencontrerons en festival puis l’engrenage ne s’arrêtera plus : participations à tous nos collectifs, livres réalisés ensemble, festival-colonies de vacances et visites estivales sur son île… Jusqu’à une conférence commune aux Arts décos de Strasbourg à propos de Samplerman, nouvelle identité du Janus de Belle-Île, dont le premier sample publié était justement dans le Gorgonzola 19, autour de Jean-Claude Poirier (qui, je le rappelle plus haut, est une de mes premières rencontres d’alternative dessinée, avec Thiriet, lui aussi présent dans Gorgonzola).

De La Monstrueuse à Yvang, j’ai aussi découvert des pans énormes du fanzinat underground : Gotoproduction (avec l’ami Léo Quiévreux), Crachoir, Stronx… en accumulateur compulsif Yvang détient des trésors multiples. C’est en fouillant dans les valises qu’il emmenait en festival que je suis tombé sur Cauchemar, réalisé avec le mystérieux 44. Cet auteur inconnu allait devenir l’objet d’un fantasmatique dossier de Gorgonzola, évoqué dès le dossier de notre numéro 20 (sorti en décembre 2014), que l’on pourra bientôt découvrir dans le numéro 25 qui devrait paraître, avec un an de retard mais toujours vivant, en janvier. Les rebonds multiples et involontaires de La Monstrueuse n’ont pas fini de faire des petits.

PS : L’image de couverture est celle du n° 1, par Killoffer, 1996.

Yvang, Eczema House n°2, Gotoproduction, 2001.

1Pour ceux que ça intéresserait, voir l’intéressant entretien avec Lise Fauchereau dans Les Nouvelles de l’estampe n° 257 (2016) : « Pierre-feuille-ciseaux ou Le “je” comme expérience artistique ». En ligne : https://journals.openedition.org/estampe/435

2 Dès les débuts de Gorgonzola on retrouve des entretiens avec Mattt Konture puis Julie Doucet, passent ensuite entre les pages Blanquet, Lolmède, Anne Vand Der Linden et Yvang (qui s’installe) puis Mike Diana, Anne Pakito Bolino, Richard Suicide, Olive, Placid, Matti Hagelberg… Et dans le n° 25 à paraître arrivent Berend J. Vonk et Siris, la pokéchasse n’a donc pas cessée ??

En roulant ma boule, de Raoul Barré (1901)

Avant d’ouvrir la Librairie Z à Montréal, le critique québécois Jean-Dominic Leduc a créé les éditions Mém9ire, consacrées à l’histoire de la BD Québécoise. Avant cela il avait même eu d’autres vies, de comédien notamment. Après la publication de plusieurs ouvrages historiques et numéros d’une revue (Sentinelle), il a lancé la collection « Chronographe », dirigée par Michel Viau, auteur du premier volume d’une importante histoire de la BD québécoise et un des plus grands spécialistes du sujet.

Cette collection avait pour but de proposer des classiques de la bande dessinée québécoises en version numérique de haute qualité, accompagnés d’une petite présentation historique. Au moins deux titres de cette collection furent toutefois imprimés en un petit nombre d’exemplaires Les dossiers de l’ineffable M. Brillant de Jack Der (1952) et donc En roulant ma boule, réédition soignée d’un recueil de gags de 1901, alternant les récits en séquences (toujours via des illustrations pleines pages) et des cartoons en une image. Le titre, apprend-on, vient d’une chanson célèbre du folklore, datant du XVe siècle.

Le très beau dessin de Raoul Barré a évidemment pris un coup sur les questions le fond – on y voit notamment un bourgeois se grimer en « sauvage » et un juif à la caricature qui fait désormais frémir, même si ici il le gag n’est pas proprement négatif (rien à voir avec une caricature antisémite des années 30) – mais l’intéressante introduction de Michel Viau rappelle bien qu’il s’agit ici d’une réédition historique pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la bande dessinée du pays, et non un ouvrage comme un autre. Le thème central des gags est le défilé déguisé de la Saint-Jean, et moque gentiment les notables. Le livre est un des rares de l’auteur, qui ira s’installer à New York en 1903 d’abord comme dessinateur de presse, puis comme animateur pionnier. Il créera un studio en 1914, créera plusieurs dessins animés, participera à la version animée du comics Mutt and Jeff puis, à la fin de sa carrière, travaillera avec Pat Sullivan sur Félix le Chat.

Plus que pour le livre en tant que tel, En roulant ma boule vaut pour ce qu’elle présente (notons d’ailleurs que la réédition comprend la préface originale de Louis Fréchette), dans une perspective historique portée par un éditeur et un directeur de collection fascinés par l’histoire de la BD et voulant faire connaître celle de leur pays. Si le fascicule est publié par un éditeur et a tous les attributs de la publication professionnelle (maquette soignée, ISBN, dépôts légaux…), il rejoint cependant l’esprit des premiers fanzines de bande dessinée, tels GiffWiff ou Phénix, créé par des passionnés agissant en bénévoles amateurs dans les deux sens du terme. Son petit tirage, cherchant à rendre disponible un matériel précieux et oublié, qui a un écho limité, mais apprécié par un fandom, les range aussi assurément de ce côté. Les éditeurs ne renient d’ailleurs pas cette idée puisque la publication papier de cet album numérique a été réalisée pour une occasion précise : le festival Expozine de Montréal en novembre 2015. Un rappel actif des liens entre fanzinat et patrimoine, d’autant plus utile que malheureusement le site qui permettait d’acheter les PDF semble désormais indisponible quand le rare zine papier, lui, est encore là.

En roulant ma boule, Raoul Barré, introduction de Michel Viau,
22,8 x 15 cm, 40 pages, Mém9ire, coll. « Chronographe », 2015.
Chronique publiée en parallèle sur 1fanzineparjour.

Deuxième page du récit principal du recueil.

La bande dessinée Québécoise (France Québec Mag n°180, août 2017)

Reprise de l’article publié par le magazine de l’Association France-Québec, dont je suis membre depuis plusieurs années, longtemps inactif si ce n’est par cet article publié il y a deux ans et demi (j’ai décidé de m’y investir activement cette année, en entrant au CA de Laval-Québec, structure locale de l’association dans ma ville). Depuis quelques petites choses ont changé : malheureusement La Mauvaise Tête a cessé sa production, de son côté Pow Pow s’est par contre largement développé, avec un catalogue de plus en plus riche et essentiel (Lisez Les Petits Garçons, de Sophie Bédard !). La revue Front froid semble avoir cessé ses activités en périodique pour se consacrer à l’édition d’albums, dans le même esprit que la revue, quand Planches existe toujours après une période de flottement, et affiche un beau programme pour l’année à venir après avoir coédité son premier album en lien avec le festival de Montréal. Ces réserves posées, voici l’article tel que publié à l’époque.

Couverture du numéro où l’article a été publié.

La Bande Dessinée québécoise (BDQ) est issue d’une longue tradition graphique, notamment celle de la caricature anglo-saxonne. Ainsi, quand Punch in Canada paraît en 1849, la première revue d’humour dessiné, souvent politique, du Québec s’inspire directement de son aîné. S’il ne dure que quelques numéros, de nombreux autres magazines du même type naissant, développant une approche graphique populaire. C’est le 18 août 1909 qu’un certain Morisette publie Petit chien sauvage et savant dans Le Canard, ce strip muet est la première publication connue d’un auteur québécois qui dépasse le dessin unique pour être une vraie bande dessinée [NDA : Depuis, suite à des échanges avec un historien de la BDQ, il s’avère que cette affirmation issue d’un ouvrage de Mira Falardeau n’a aucune réalité historique, rien ne prouve que l’auteur soit québécois ni même qu’il s’appelle Morisette !]. Par la suite, plusieurs auteurs se démarquent dans la presse généraliste, souvent pour des pages d’humour à la manière des journaux étasuniens. Parmi eux, Albéric Bourgeois créé Timothée pour La Patrie, série au long cours ou des bulles sont utilisés dès 1904, une première dans la BD francophone ! Mais malgré ces débuts prometteurs, la concurrence américaine – ou un système de vente de strips centralisés par journaux et états permet de faire largement baisser les coûts – balaie rapidement la création locale…

La BDQ traverse alors une longue période de disettes. Bien sûr des productions existent, principalement des séries hagiographiques catholiques… La Société Saint-Jean-Baptiste publie des contes, des revues spécialisées sont publiées par la JEC, Fides sort quelques albums… Mais le but est purement didactique et cela se poursuit jusqu’à l’après-guerre. Une exception notable, celle d’Onésime, par Albert Chartier. Ce personnage, extrêmement connu outre-Atlantique, mais quasi inconnu ici, est publié pour en 1943 dans le Bulletin des Agriculteurs du Québec. Très lue, cette revue professionnelle accueillera les aventures de ce gentil naïf jusqu’en 2002, avec plus de 600 planches à son actif ! Pour beaucoup de Québécois, il s’agit de la seule création locale d’un niveau équivalent aux magazines européens. Chartier est également des années durant un des seuls auteurs québécois à vivre de la BD.

En 1968, alors que des magazines comme Spirou ou Tintin traversent l’océan (de manière parfois aléatoire), la vague contre-culturelle mondiale touche évidemment le Québec, qui est lui-même en pleine mutation et « révolution tranquille ». Le groupe Chiendent, mené par le poète Claude Haffely et des plasticiens contemporains, tente de monter un groupement à l’américaine pour placer ses bandes dans la presse québécoise. Quelques-unes paraissent, mais le contenu radical désarçonne et les auteurs vaquent à d’autres occupations tout en marquant durablement les lecteurs. De nombreux fanzines naissent, Jacques Hurtubise et son Hydrocéphale illustré (1971) créent le comics-book Capitaine Kébec, puis il lance Croc en 1979, magazine d’humour inspiré de Pilote qui sera leur premier vrai succès. 189 numéros paraissent, jusqu’en 1995, publiant les premiers travaux d’auteurs majeurs comme Fournier & Godbout (Michel Risque) ou Jean-Paul Eid. Il ne s’agit cependant pas que de BD, mais aussi beaucoup d’humour, d’actualités… Hurtubise lance donc une revue de grande qualité nommée Titanic, exclusivement consacrée à la BD, en 1983. Mais c’est un échec, un fanzine underground nommé Iceberg naît même en opposition amusée !

Trois générations de revues québécoises consacrées ou laissant grande place à la bande dessinée.

Il reste que Croc permet une vague de professionnalisation sans précédent, et s’il cantonne à l’humour le magazine ancre l’idée qu’une BDQ est possible. De très nombreux fanzines se créent, ainsi que des petites maisons d’édition osant la BD (Kami Case, Zone convective, Mille-Îles…), et une revue d’humour dessinée concurrente, Safarir, qui vivra jusqu’au milieu des années 2000, mais là aussi sans être exclusivement centré sur la BD et en s’éloignant de la satire propre à Croc. Safarir est un des rares exemples de revue québécoise ayant tenté de percer sur le marché européen puis États-Uniens avec des publications spécifiques, mais l’échec est patent dans les deux cas.

La deuxième moitié des 80’s voient aussi apparaître les travaux Julie Doucet et Sylvie Rancourt. Ces deux autrice, relativement éloignées du milieu de la BDQ et dont les travaux ne se croisent pas, ont la spécificité – outre d’être des femmes, chose assez rare à l’époque –, de pratiquer l’autobiographie et l’auto-édition. Longtemps elles seront parmi les plus célèbres représentants du 9e art québécois hors des frontières. Julie Doucet s’impose rapidement comme une pionnière de la BD underground francophone et est publiée en France dès les débuts de L’Association, maison d’édition majeure du renouveau des 90’s. Elle raconte ses rêves, sa vie de femme, son quotidien… Sans pudeur et loin des conventions avec un dessin volontiers trash. De son côté Sylvie Rancourt raconte, sans savoir spécialement dessiner, son quotidien de strip-teaseuse et vend ses BD dans les boîtes où elle danse, avant qu’elles soient reprises et commercialisées, notamment au USA ! Les spécificités propres à ces autrices cultes sont une particularité inexplicable – la raison la plus logique est qu’il s’agit d’un hasard – de la BDQ.

Les années 90 voient donc une génération d’auteurs arriver après des années stimulantes, où le marché reste très contraint par les productions franco-belges et américaines, mais où une carrière d’auteur est possible. Cela permettra l’émergence de structures plus fortes et de tout un tissu alliant auteurs, éditeurs, librairies… Les éditions La Pastèque se créent en 1998, Mécanique générale est fondé par l’auteur-libraire Jimmy Beaulieu à peu près à la même époque… Des fanzines puis des livres, permettant de concrétiser des travaux aperçus depuis des années : Benoît Joly, Pascal Girard, Luc Giard… La longévité de ces structures permet de voir différentes générations réunies. En même temps qu’ils republient des auteurs underground, comme Siris, ou de jeunes auteurs lors de l’avènement des blogs BD (Iris, Zviane…), ils se lancent dans des travaux patrimoniaux : Fournier & Godbout, Jean-Paul Eid ou Albert Chartier retrouvent le chemin des librairies !

Après une longue période de gestation liée à un environnement très peu protecteur, la production de BD québécoise a su s’affirmer et se rendre incontournable. Si pour beaucoup d’auteurs le Graal reste de percer en Europe (le marché francophone québécois restant très restreint), la simplification des communications facilite largement les échanges. Ainsi Paul à Québec, autobiographie de Michel Rabagliati ancrée dans son territoire, a obtenu le prix du Public à Angoulême en 2010 quand Guy Delisle a, lui, remporté le Fauve d’Or en avec ses Chroniques de Jérusalem en 2012. Du côté des ados Les Nombrils, des Sherbrookois Delaf et Dubuc, paraît dans Spirou et est une des séries les plus populaires des ados français. Une réalité montrant bien que la BDQ peut percer de manière totalement autonome, au-delà du pittoresque.

Parallèlement à ces structures historiques et à ces auteurs au CV déjà bien long voyant leurs carrières récompensées, une effervescence est encore en cours : de nombreux festivals, prix, formations… se créent. L’éditeur Glénat a même créé une filière spéciale, « Glénat Québec », pour repérer les talents locaux, associés à la force de frappe d’une des plus grosses maisons d’édition française. Enfin, de nombreuses structures se créent, comme les maisons d’édition Pow Pow et La Mauvaise Tête, lancée par des auteurs, qui présentent les travaux de la jeune garde québécoise sous des graphismes magnifiques (Michel Hellman, Vincent Giard, Luc Bossé, Zviane…). Du côté des revues, on peut saluer deux initiatives méritant particulièrement d’être soulignées : Front Froid, consacrée à la BD de genre, axe original permettant de mettre en lumière des auteurs au style plus réaliste dans des formats courts, et Planches, lancée voici trois ans pour promouvoir des auteurs québécois de tous styles. Si aujourd’hui l’objet de Planches a un peu évolué, la revue comporte toujours de nombreux auteurs locaux et met en avant cette production dans de longs dossiers révélant par la publication comme l’analyse la richesse de la production québécoise.